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Mémoire-de-la-Littérature
13 janvier 2007

Leçon IV . Mardi 9 / 01/ 007

Pour en finir avec les commencements?..........

La chemise est bleue, la cravate rouge, la veste chinée, dans les marrons. Meilleurs vœux.

Remarques préalables : Curieuse impression que ces leçons de Compagnon. On vient pour réfléchir sur Proust et progressivement, semble-t-il, on régresse. On dispose d’un titre ambitieux, Mémoire de la littérature, peu à peu écrasé par son ambition même, au fur et à mesure que l’exposé avance et que les objectifs reculent. Sait-on bien où on va? Comme si, effaré par l’inaccessibilité des fins qu’il a posées, Compagnon s’enlisait volontairement dans les prémisses, et, désespérant déjà d’atteindre l’autre rive, préférait, à la perspective de se noyer, multiplier les précautions dans la construction de l’esquif, traînant sur les détails, renvoyant à demain la mise à l’eau, archétypant ses leçons sur le modèle tant moqué de ces réunions d’entreprise dont le sujet principal est d’arrêter la date ... de la réunion suivante. Le Nous essaierons la prochaine fois de .... qui clôt ses exposés duplique trop à l’évidence le Demain on rase gratis ... placardé sur la vitrine du barbier. Enfin, allons-y, puisqu’il paraît que c’est le dernier tour de chauffe, que ça commencera vraiment, la prochaine fois.

Quelques rappels sont décrétés urgents par l’enseignant. Affirmer que la première leçon “cadra” le sujet : Mémoire de la littérature ou “Comment la littérature se souvient de la littérature”, et la transmet. Souligner que la deuxième leçon se préoccupa de rhétorique. Dire que la troisième voulut aller, par le couplage mémoire-espace (spatialisation de la mémoire) vers le livre-paysage et, sur la fin, introduire le binôme mémoire/ reconnaissance, avec cet implicite, qu’à aimer à se réfugier dans le familier, la reconnaissance pouvait conduire à la méconnaissance (des œuvres “trop” nouvelles: Vinteuil Elstir,...)....

On laisse à A.Compagnon la responsabilité de ses propres résumés.

Il voudrait réfléchir aujourd’hui encore un peu à la spatialisation de la mémoire. Une idée lui est venue, ou plutôt une image, de la lecture (de l’étude) d’un article d’Albert Thibaudet (La ligne de vie - NRF - 1923), une image par ailleurs empruntée à Schopenhauer, celle de boussole intérieure .
Thibaudet, dans son article, évoque un thème de la leçon précédente, l’expérience de l’égarement à l’orée d’un roman nouveau, dans ses premières pages, évoquant des ouvrages russes, français, anglais et y distinguant ceux dans lesquels on s’introduit commodément, avec leur aide, qui pratiquent le “post hoc ergo propter hoc”, Balzac au premier chef, ou l’Adolphe de Constant, ou la Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, et ceux qui nous résistent en nous laissant, un temps, sans repères, comme chez Tolstoï, George Eliott ou Thomas Hardy. Romans dans ce cas non linéaires, dit Thibaudet, contournés, imprévus ... comme une ligne de vie, ajoutant: “Le grand roman, c’est le plus ralenti des genres littéraires, le plus enclin à épouser les lenteurs de la nature, car comme une destinée ne s’explicite que dans la durée d’une vie, le roman doit durer autant que la vie”.
Thibaudet évoque “l’épaisse forêt du roman”, où on s’égare, et la compare à la touffeur de la vie, s’attachant à ces instants aussi, où on se retire en soi-même pour contempler tous ceux qui les ont précédés, pour regarder sa vie comme on regarde un paysage, parce qu’elle est un paysage, songeant à ces moments où nous avons été “à la croisée des chemins”, et sommés de choisir, avec le rôle qu’a joué le hasard, un rôle qui nous émerveille, à la merci d’un clinamen infime (note: c’est un renvoi à la physique d’Épicure où le clinamen est cette imperceptible variation de la trajectoire des atomes qui, en introduisant de l’aléatoire dans leur chute déterministe, préserve un peu de notre liberté) qui intervient et change tout .... Regard rétrospectif insatisfait peut-être, car le hasard est un monstre bien froid. Alors on dira chance, ou fortune, ou même prédestination ... glissant du démiurge, extérieur, à la destinée, intérieure. Pour revenir de là aux romans, dont certains sont de hasard et d’autres de chance (chez Dumas, ou le Capitaine Fracasse de Gauthier). Il y a des romans-nature et des romans-vie, dans lesquels toute la réalité est intérieure, où se joue une destinée, au long d’une ligne de vie, et c’est là que Thibaudet pense en schopenhauerien et à Schopenhauer, qui parle de sens caché d’une direction prise ou qui fut à prendre et, explicitement, de boussole intérieure. Il emprunte l’image (Schopenhauer, dans ses Aphorismes) du randonneur, qui a accédé à une éminence du haut de laquelle il se retourne sur le chemin parcouru, comme le génie contemple, du point où il est arrivé, la trajectoire qui l’y a conduit, donnant sens au fond, un sens qui ne prend forme qu’après, quand tout s’est conclu, au Deviens ce que tu es nietzschéen ...

Compagnon voit, veut, trouve de cette boussole intérieure dans tout roman, dans le roman, dans la Recherche, et même, explicitement (au moment de la rupture avec Gilberte, in À l’ombre des jeunes filles en fleurs) : .... Un chagrin, causé par une personne qu’on aime peut être amer, même quand il est inséré au milieu de préoccupations, d’occupations, de joies qui n’ont pas cet être pour objet (.... et ...) la brusque dépression qui se produit alors dans notre âme jusque-là ensoleillée, soutenue et calme, détermine en nous une tempête furieuse contre laquelle nous ne savons pas si nous serons capables de lutter jusqu’au bout (....) je revins à la maison (... mais ... ) j’étais irrésistiblement ramené vers elle par ma pensée et ces orientations alternatives, cet affolement de la boussole intérieure persistèrent quand je fus rentré et se traduisirent par les brouillons des lettres contradictoires que j’écrivis à Gilberte.

Également dans Sodome et Gomorrhe. Le narrateur revient d’une soirée chez la princesse de Guermantes et attend Albertine, dans une longue attente, entrelardée d’échanges avec Françoise, de la nuit qui vient, ... et à laquelle enfin met un terme l’apparition d’Albertine, mais : ... si j’étais un peu calmé, je ne me sentais pas heureux. La perte de toute boussole, de toute direction, qui caractérise l’attente, persiste encore après l’arrivée de l’être attendu, et, substituée en nous au calme à la faveur duquel nous nous peignions sa venue comme un tel plaisir, nous empêche d’en goûter aucun.

Il y a là bien sûr métonymie, avec la perte de toute boussole comme perte de tout jugement, ce jugement qui, comme dans les angoisses du sentiment amoureux, nous abandonnera face aux œuvres nouvelles nous y laissant (Vinteuil, Elstir) en toute désorientation. Avec ceci en parallèle, néanmoins, que chez Schopenhauer, qui a fait lever l’image, la lecture justement peut-être une boussole de substitution, peut presque penser à la place de notre pensée déboussolée, peut nous dire les chemins à éviter, et comme on peut s’égarer si on les suit, peut s’imposer à nous comme le recours de notre génie intérieur déstabilisé: Que faire? Lire!

On rompt le fil et, après une approche incidente (?) et déstructurée où on trouve Bergson, parce qu’on a évoqué la durée, parce qu’on pourrait relire Matière et Mémoire, parce que Thibaudet et Proust, qui par ailleurs polémiquaient sur le roman, passaient tous deux pour bergsoniens, mais pourtant où Bergson, qui refusait le temps vécu comme espace , qui refusait que la durée fût assimilable au mouvement, se trouve contredit par ces deux disciples présumés qui veulent contre lui spatialiser la mémoire .... on se décide à cerner un peu plus un sujet:

... deux types de mémoire sont caractérisés chez et selon Bergson...

- une mémoire habitude . C’est la mémoire des automatismes et de la répétition, la mémoire du par cœur, de la leçon par cœur, acquise par l’effort, gravée dans le cerveau, présente, une mémoire du présent. Mémoire du corps, mécanique, qui fonctionne sur la réplique, qui est tout entière tendue vers l’action
- une mémoire souvenir.... qui fonctionne comme le souvenir de toutes les étapes, le souvenir de toutes les lectures par lesquelles on a appris la leçon, c’est une mémoire du passé. C’est une mémoire supérieure, une mémoire de la durée, qui emmagasine tout, qui est sans fond, sans solution de continuité. C’est une mémoire du rêve.

On notera que les différentes formes de la mémoire proustienne, les mémoires proustiennes, ont peu à voir avec la mémoire-habitude et se modulent entièrement à partir de la mémoire-souvenir.

On notera aussi que Thibaudet joue avec l’idée que la société, de même, a sa mémoire-habitude, et ce serait la Tradition, et sa mémoire-souvenir, et ce serait l’Histoire. Il a lu (?) Maurice Halbwachs (Cadres sociaux de la mémoire - 1925) et extrapole. L’individu, la société, peuvent se passer de la mémoire-souvenir, en quelque sorte un luxe, pas de la mémoire-habitude, qui engendre l’action. Mais l’incompatibilité, ou l’indépendance de ces deux mémoires, et Thibaudet va vers Proust, l’artiste peut en faire une convergence vers l’œuvre, l’artiste qui peut exploiter, transformer, transmuter la mémoire-souvenir en art, récupérer en puissance de production ses pentes de rêve, ses pentes de stérilité, canaliser en houille blanche ses torrents ravageurs et transformer le passé (le souvenir) en geste artistique (en avenir).

De même dit Thibaudet - retour à la Société - le culte de l’Histoire, le luxe du souvenir, la présence du passé, peuvent devenir (et le sont devenu) action, peuvent se mettre au service de l’action, des avancées, des conquêtes, peuvent s’affirmer sœurs efficaces du rêve qu’elles portent. De là, vers la littérature, où c’est la “mémoire-de-la-littérature” qui va se retrouver définie en “tradition-pour-l’action” et distincte de l’Histoire de la littérature, qui n’est que souvenir pour compilation.

Puis Compagnon revient à Harald Weinrich, analysant dans un article (Histoire littéraire et Mémoire de la littérature) le livre d’Ernst Robert Curtius (La littérature européenne et le Moyen-âge latin), la rémanence de la tradition antique, la persistance de l’ancien dans le nouveau, et dès lors, la littérature non pas comme Histoire, comme collection, mais comme mémoire, analysant le répertoire, le référentiel universel, les “topoï” de l’antiquité dans la littérature moderne, analysant la littérature comme une géographie et - idée de Curtius - appelant à un atlas de ces “lieux” littéraires (noblement) communs qui se transportent, se transmettent, perdurent et essaiment, appelant à une nouvelle démarche critique, baptisée comme Odologie littéraire, analyse et science des chemins qui traversent la littérature, comme ces sentiers de randonnée qui donnent sens et vie à l’espace traversé. L’Histoire-de-la-littérature nous guide bien de date en date, mais c’est la mémoire-de-la-littérature qui, se libérant du chronologique, organise la littérature dans notre espace intérieur.

Et Compagnon de conclure: .... Et c’est, n’est-ce pas, cet atlas qui commencera vraiment à nous occuper la prochaine fois, cet atlas ou peut-être cette Légende des siècles selon Proust, en quoi aussi on peut, on va, relire la Recherche.

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Commentaires
V
Non. Je vois deux pistes possibles : essayer de rechercher en traduisant ce titre en anglais ou en allemand ; feuilleter le livre "Léthé" de Weinrich: avec de la chance, c'est peut-être un chapitre.<br /> <br /> Sinon, écrire à Weinrich via le Collège de France: il y a de grandes chances qu'il réponde.
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P
Je n'arrive pas à trouver l'article de Weinrich "Histoire littéraire et Mémoire de la littérature"... Quelqu'un sait-il où il a été publié?<br /> Merci
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Mémoire-de-la-Littérature
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