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Mémoire-de-la-Littérature
11 février 2007

Séminaire: Annick Bouillaguet 06 / 02 / 007

Elle fut professeur à l’Université nouvelle de Marne la Vallée. Elle en est restée “Émérite ...” et, potache, j’ai envie d’ajouter “... des claques!”. Car enfin... mais n’anticipons pas! Compagnon la présente, derechef rencontrée (comme Anne Simon) via son jury de thèse, sous la direction de J.Y. Tadié....Thèse de doctorat : "La pratique intertextuelle de Marcel Proust dans A la recherche du temps perdu : les domaines de l'emprunt" ; puis Habilitation à diriger des recherches : "La pratique hypertextuelle de Marcel Proust dans A la recherche du temps perdu : aspects de la parodie et du pastiche" ...... Comme on dit chez Audiard: Que du lourd! .... Tenue noire, collier, lunettes, frisettes. Pour tout dire: Dadame, avec un discret côté Peggy-la-cochonne, discret j’ai dit ...., pour initiés seulement. Elle a écrit un “Proust lecteur de Balzac et de Flaubert / L’imitation cryptée (Pastiches non déclarés)”. Elle voit le pastiche comme un conservatoire stylistique, au fond, et pourquoi pas?, comme une “Mémoire-de-la-littérature”. Son intitulé du jour : “Le pastiche ou la mémoire des styles”..... L’évidence s’impose très vite. Chargée d’un séminaire sur le pastiche, Annick Bouillaguet a décidé de nous livrer le pastiche d’un séminaire. Vidons l’abcès pour n’avoir pas à y revenir: elle est “chiante”. Le public observe avec attention, l’œil anxieux, la pile de feuillets qu’elle tient devant elle et dont elle nous impose la pesante et monotone et monocorde lecture, tandis que nous procédons à des estimations visuelles déprimantes de l’épaisseur du tas qui reste à parcourir. Certes elle domine son sujet ... mais elle nous livre, dans une contre-performance pédagogique de très haut niveau, un exposé qu’on préférerait lire. D’ailleurs, sentant gronder les mécontentements “auditoriaux” et soucieux d’éviter le lynchage au terme d’une présentation à fins multiples, comme dans un Schubert qui ne trouve pas la sortie, Compagnon, qui a déjà dû prendre acte de plusieurs départs peu furtifs et d’au moins une lecture du Monde dans les travées, écourtera ses ultimes questionnements après deux remerciements dont j’admire qu’il ait pu les énoncer impassible - une gageure, bravo! - “pour ce bel exposé”. A. B. assassinée, venons en au cœur de l’affaire et - bien que prises en luttant contre le sommeil - voyons si les notes du jour, oublieuses de la forme, ont gardé quelque consistance et peuvent sauver le fond. Quelques mots sont jetés, au départ, comme qui tâtonne avant de commencer, comme on voit les sprinters sur la piste, avant de prendre place dans les starting-blocks, produire des mouvements partiellement incoordonnés : “Synchronie, simultanéité et mémoire ... (quelques noms sont avancés:) Genette, qui voit dans le pastiche l’expression d’un style; Bakhtine qui parle de lecture d’un corpus antérieur intégrant la mémoire de la littérature .... affirmation qu’est trop restreinte l’image du pastiche comme restitution du texte d’un autre... la vision de l’artiste s’exprime dans son style, et le style est condition même de l’exercice de la littérature, et la mémoire de la littérature c’est aussi un jeu mémoriel sur un ensemble de styles, un jeu qui ressuscite un monde en en construisant un nouveau” .... Voilà. On est prêts pour le départ ......... C’est le long pastiche des frères Goncourt (8 pages!), au début du Temps retrouvé, qui sert de matériau de base, de champ premier de la réflexion. Le narrateur est à Tansonville, chez Gilberte: “ ...Je ne voulus pas emprunter à Gilberte sa Fille aux yeux d’Or, puisqu’elle la lisait. Mais elle me prêta pour lire avant de m’endormir, ce dernier soir que je passai chez elle, un livre qui me produisit une impression assez vive et mêlée, qui d’ailleurs ne devait pas être durable. C’était un volume du journal inédit des Goncourt....”. ll n’a pas été lu, ce volume, simplement évoqué, par A.B. : “...Avant hier tombe ici, pour m’emmener dîner chez lui, Verdurin, l’ancien critique de la Revue, l’auteur de ce livre sur Whistler .... etc.” On trouvera le passage reproduit in extenso dans une annexe. La chronologie est bousculée, dans un extrait où on retrouve Swann qui ne devrait pas y être, mais aussi Brichot, Cottard, le quai Conti, Mme Verdurin ... Il y a là, clairement, un archi-narrateur, qui a écrit le passage, un narrateur, qui l’introduit, et un lecteur, nous, destinataire(s) de la supercherie. Ce “faux” Goncourt a passionné la critique et Jean Milly lui a consacré tout un chapitre [Note: in Les pastiches de Proust, édition critique commentée par Jean Milly, Armand Colin, 1971? Ou ailleurs... A.B. a travaillé avec lui pour d’autres publications sur le thème]. Intégration thématique, dit A.B. : On nous présente une soirée Verdurin à laquelle est invité un Goncourt, qui fait écho à des moments anciens de l’ascension du Salon, du temps que Verdurin était... M. Verdurin. Sur le point de se clore, le roman ressuscite le petit monde sur lequel il s’est ouvert, et cette résurrection est lue à Tansonville, lieu proche de Combray, cadre des premières pages du livre .... Le narrateur exerce son humour sur et contre un “certain style” [note: on connaît l’attaque aussi fameuse qu’affectueuse de Balzac, “Mme Firminy suait dans ses pantoufles, un chef d’œuvre de l’industrie polonaise” ...]. L’intégration du pastiche à l’œuvre en cours a été méditée et conçue de bonne heure, de longue date et Proust a déjà pastiché les Goncourt dans L’Affaire Lemoine. Il a “fait” du pastiche dès 1908, il s’y est réessayé en 1915, la première édition de Pastiches et Mélanges, chez Gallimard est de 1919, précédant de peu le premier tome de la Recherche .... Longue pratique, de fait théorisée, comme il l’écrira plus tard à Ramon Fernandez en lui disant avoir eu l’intention de rassembler a posteriori, pour les analyser, l’ensemble de ses pastiches, activité qu’il avait poursuivie selon lui parce que nécessaire pour “se purger du vice de l’imitation et redescendre à ne plus être que Marcel Proust” ... [note: ... et contradiction apparemment latente avec les affirmations de Bowie dans le cours de la semaine précédente revendiquant “l’impureté” du texte proustien ?... Non, on peut la résorber]. De fait, le Journal des Goncourt, que publiait le Figaro, fin XIX°, est contemporain des personnages de la Recherche. Et sa publication dans le Figaro est partielle, tout un pan du Journal est inconnu (l’édition complète attendra 1950) quand paraît le Temps retrouvé. On est en pleine querelle autour des inédits, ce qui donne de la crédibilité aux affirmations du narrateur et laisse flotter la possibilité d’une attribution réelle ....... Le pastiche s’inscrit dans la mémoire des Goncourt, dans leur vision de l’Histoire, concrète, naturaliste, avec le monde comme un spectacle: minutie de l’observation et esthétique décadente du fragment ... qui n’est en fait pas en contradiction totale avec l’esthétique propre du narrateur! L’articulation dialogue - description - digression est une constante du Journal qu’on reprend ici quand le pseudo-Goncourt s’efface derrière Mme Verdurin: “... Et la charmante femme à la parole vraiment amoureuse des colorations d’une contrée nous parle, avec un enthousiasme débordant de cette Normandie qu’ils ont habitée, une Normandie qui serait un immense parc anglais, à la fragrance de ses hautes futaies à la Lawrence, au velours cryptomeria dans leur bordure de porcelaine ciselée d’hortensias roses de ses pelouses naturelles, au chiffonnage de roses soufre dont la retombée sur une porte de paysans , où l’incrustation de deux poiriers entrelacés simule une enseigne tout à fait ornementale, fait penser à la libre retombée d’une branche fleurie dans le bronze d’une applique de Gouthière, une Normandie qui serait absolument insoupçonnée des Parisiens en vacances et que protège la barrière de chacun de ses clos, barrières que les Verdurin me confessent ne s’être pas fait faute de lever toutes. À la fin du jour, dans un éteignement sommeilleux de toutes les couleurs où la lumière ne serait plus donnée que par une mer presque caillée ayant le bleuâtre du petit lait (Mais non, rien de la mer que vous connaissez, proteste frénétiquement ma voisine, en réponse à mon dire que Flaubert nous avait menés, mon frère et moi, à Trouville, rien absolument, rien, il faudra venir avec moi, sans cela vous ne saurez jamais) ils rentraient, à travers les vraies forêts en fleurs de tulle rose que faisaient les rhododendrons, tout à fait grisés par l’odeur des sardineries qui donnaient au mari d’abominables crises d’asthme - oui, insiste-t-elle, c’est cela de vraies crises d’asthme...”. Description “ambulatoire”... et tempérament artiste, fondement d’une sensibilité (Mme Verdurin) que Cottard a déclarée dans la Recherche névrotique, poussée et poussant aux excès nerveux, avec clin d’œil complice aussi à travers la discrète entrée en scène, via ses crises d’asthme, de Proust, comme de l’Edmond Goncourt réel, secoué de quintes de toux psychosomatiques, et exploitation du “trop de dialogues” qu’on lui reprochait.... Le dosage proustien est subtil et la complicité compétente, informée et active, du lecteur lui-même est sollicitée, pour tenir tous les fils, dans les nuances à saisir, des Verdurin-Recherche aux Verdurin-Goncourt, entre reconnaissance et réorientation, et référence à des personnages d’un “vrai” Goncourt (Germinie Lacerteux). Et puis transport de style et un relâchement syntaxique “Goncourt” chez Mme Verdurin qui bénéficie ainsi d’une nouveauté dans le regard qu’on peut porter sur elle et que le narrateur se reprochera, ou prétendra se reprocher, pseudo-Goncourt refermé, de n’avoir pas su voir ... Virtuosité proustienne du faux. Les Goncourt observent la vie à travers le filtre déformant de leur condition, et, les suivant, dans le pastiche, Proust renouvelle son style, mais tout en maintenant, dans l’évolution, une certaine continuité psychologique de ses personnages. D’ailleurs, auteurs misogynes d’un Journal où les portraits à charge sont souvent des portraits de femmes, la Mme Verdurin-Recherche aurait certainement intéressé Jules et Edmond Goncourt: elle était parfaitement qualifiée pour une prestation dans leur Journal. Les Goncourt, par ailleurs, peuvent être perçusici en termes de réminiscences anticipées de Proust, dans leur façon de faire vivre “comme dans un roman” des personnages de la vie réelle. Et puis il y a tout du long (de ce pastiche) une remise en question de leur style ... pareux-mêmes, un éclairage de leur projet de faire de la phrase une œuvre d’art, toutes conditions de travail exigées réunies dans une démarche qui veut aller du global au détail : “... de voir apporter cette barbue dans un merveilleux plat Tching-Hon traversé par les pourpres rayages d’un coucher de soleil sur une mer où passe la navigation drolatique d’une bande de langoustes, au pointillis grumeleux si extraordinairement rendu qu’elles semblent avoir été moulées sur des carapaces vivantes, plat dont le marli est fait de la pêche à la ligne par un petit chinois d’un poisson qui est un enchantement de nacreuse couleur par l’argentement azuré de son ventre ...”. La démarche “Goncourt”, ici soulignée, est inverse, sur un point au moins, de l’approche proustienne. Ils sont dans le décadentisme quand lui veut la surprise. Il est, lui, pour une esthétique moins prévisible, une esthétique du différé, de la rareté, de l’inattendu, dans une phrase qui progresse par juxtaposition de mots sans nécessité totalement organisée. Néanmoins, ambiguïté sous-jacente, sa propre phrase complexe et qui rebondit sur un mot, dans cette accumulation de termes rares et cette construction précieuse ici exhibées, on peut aussi prétendre qu’elle est elle-même pastichée, et qu’il y a dans ce qu’on lit, également, du Proust pastichant ... Proust. Penser au portrait d’Odette, au début de sa relation avec Swann: “... et quant à son corps qui était admirablement fait, il était difficile d’en apercevoir la continuité (à cause des modes de l’époque et quoiqu’elle fût une des femmes de Paris qui s’habillaient le mieux), tant le corsage, s’avançant en saillie comme sur un ventre imaginaire et finissant brusquement en pointe pendant que par en dessous commençait à s’enfler le ballon des doubles jupes, donnait à la femme l’air d’être composée de pièces différentes mal emmanchées les unes dans les autres; tant les ruchés, les volants, le gilet suivaient en toute indépendance, selon la fantaisie de leur dessin ou la consistance de leur étoffe, la ligne qui les conduisait aux nœuds, aux bouillons de dentelle, aux effilés de jais perpendiculaires, ou qui les dirigeait le long du busc, mais ne s’attachaient nullement à l’être vivant, qui selon que l’architecture de ces fanfreluches se rapprochait ou s’écartait trop de la sienne, s’y trouvait engoncé ou perdu ... ”. L’écriture “artiste” est assurément, là, quantitativement importante ... Quoi qu’il en soit, et sur ce fragment (le pseudo-Goncourt) important, qui pose la question du style, le Proust qui pastiche n’est plus celui qui pastichait en 1908 et, s’apprêtant à écrire, attaquait les naturalistes. C’est un Proust assuré, qui connaît la réponse aux doutes que le texte exprime sur ses dons littéraires, expression qui n’est en creux que la certitude de véritables dispositions, expression qui, sous l’autoflagellation, signe le rejet des inaptitudes qu’il fait semblant de déplorer découvrir chez lui (“... mon incapacité de regarder et d’écouter, que le journal cité avait si péniblement illustré pour moi (...) je ne voyais pas les convives, parce que , quand je croyais les regarder, je les radiographiais ...”; etc.), parce que ne les aurait-il pas, ces inaptitudes, sa littérature s’identifierait à une littérature Goncourt, une littérature “naïve”, une littérature qui ne sait pas réellement “voir”, une littérature qui n’a pas une conception suffisante d’elle-même, une littérature qui n’est pas encore capable de donner du prix à ce qui n’aurait aucun prix sans elle .... Le pastiche est là pour montrer que les Goncourt ont pu être pour lui la tentation d’un exemple, avant la prise de conscience qu’ils étaient l’esquisse d’un modèle à dépasser absolument. Voilà, voilà, voilà .... Tapotement de feuilles et recul de la chaise. End of the party.... ....à deux minutes près, très rapidement envoyées, je l’ai dit, par un Compagnon lucide et désabusé, occasion quand même pour lui d’une aimable confidence personnelle: lecteur, à 18 ans, de Proust, et lecteur ignorant des Goncourt, ce pastiche a été pour lui, abordant aux rivages littéraires, le “modèle” du style des Goncourt. Les Goncourt, c’était ... “ça”. Et je me dis qu’au fond, pour un certain nombre d’entre nous, ça l’est peut-être bien resté! ....
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Commentaires
A
Trois questions:1°/Croyez-vous vraiment que la meilleure façon de briller soit de parasiter les recherches des autres? 2°/ Intéressante, cette fixation haineuse sur l'apparence des intervenantes. Vous prenez-vous pour Marcel ou pour Charlus? 3°/ Continuerez-vous à vous cacher pour attaquer nommément les personnes? On aimerait avoir au moins une photo pour savoir si votre physique est au niveau de votre élégance morale.
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N
Encore une fois merci pour cette transcription intelligente.<br /> Je me demande si Mme Bouillaguet a eu des élèves, cela ne me paraît pas envisageable, elle aurait constaté que sa méthode n'était pas la bonne, ou alors ils auront été dégoûtés à tout jamais des rivières de diamants, des jupes courtes, et de la littérature.<br /> Je suis allée écouter samedi dernier J.P. Adam au palais de la découverte (chercheur en archéologie) et j'ai été rassurée: ouf, ils existent encore les Vernant, les Romilly, les Deleuze, qui peuvent vous parler, sans un papier, pendant des heures de ce qui a été leur passion. Il ne leur serait jamais venu à l'idée qu'on puisse se déplaçer pour les "entendre" lire leur bouquin, à toute vitesse, d'une voix qui n'a même pas l'air de comprendre son texte (certains politiques font cela, ils paraît que c'est volontaire, pour faire "peuple"). <br /> Alors, depuis mardi dernier je m'interroge: cette Bouillaguet-là n'a-t-elle aucune mémoire? que peu de passion pour ce qu'elle fait? aucun amour propre?ou pis encore?<br /> Bon, je me calme, mieux vaut l'oublier.
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