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Mémoire-de-la-Littérature
4 mars 2007

Leçon X - 27 / 02 / 007 . Première partie.

À la Recherche du XVIII° siècle. (I) Impressions curieuses pour cette leçon de reprise. Tout d’abord, trompant notre collective attente, si le costume est d’un gris anthracite des plus seyants, chemise éternellement bleue et cravate rouge sombre, si les lunettes, déjà juchées sur l’arête du nez, mais suffisamment en avant pour permettre au regard de ne pas rater la marche, s’apprêtent à parcourir des notes tenues d’une main sure, le retour de congés se fait sans teint hâlé! Ainsi nous étions dans l’erreur! Ainsi ce mauvais esprit déplorablement bien français qui nous avait tous fait penser à un Compagnon dévalant des pentes neigeuses ou, dans quelque mol hamac, au soleil des tropiques, laissant filer le temps sans plus y réfléchir, ce mauvais esprit, donc, nous avait bien trompés: ce haut front étonné à la pâleur vertueuse n’avait pas succombé aux plaisirs du vulgum! J’ai écrit “Tout d’abord...”, c’est qu’il y a: “Et ensuite...”. Et cet ensuite, nous y voilà: sur le fond, la leçon ... et bien quoi, la leçon?... m’étonna! En écrivant cela, j’avais soudain un vague souvenir d’une rencontre de Cocteau et de Proust et de ce mot: “Étonne-moi!”. Vérification faite, je me trompais lourdement, c’est de Diaghilev à Cocteau... Toujours vérifier! Nous voici entrés, dit Compagnon, dans le troisième tiers (de nos rencontres du mardi) - ou du moins il y entre - avec le sentiment d’avoir (trop longtemps?) différé l’étude des rapports entre la littérature et la conscience historique. La littérature a-t-elle conscience de l’histoire, est-elle une conscience de l’histoire? Que transmet-elle quand elle transmet de la littérature? Comment réfléchit-elle sur elle-même ... pour réorienter la tradition littéraire? En quel sens dire qu’elle se souvient ... de son propre présent (et de quoi est-il fait?)? En quel sens dire qu’elle le “réfléchit”, et en lequel des deux sens possibles de ce “réfléchir”, en penseur ou en réflecteur? ... sauf à considérer les deux. La littérature est “épaisse” dit Compagnon. Elle ne saurait avoir, comme le voulait (sottement?) le positivisme, une seule source. Son enracinement est multiple, ses sources, justement, diffuses, disséminées, qui sollicitent une archéologie, et chez Proust particulièrement, Proust empli d’encyclopédisme et géniteur d’un roman ”total” ... Il y a dans la Recherche comme une “mémoire absolue”, au sens où on parle “d’oreille absolue” en musique, au sens aussi qu’évoquait Barthes à propos de ces “... grandes cosmogonies que le XIX° siècle a su produire ... Balzac, Zola, Dickens, Wagner ... dont le caractère à la fois statutaire et historique est celui-ci qu’elles sont des espaces, des galaxies, indéfiniment explorables”. On relit sans cesse Proust et c’est toujours un autre roman. Mais aussi: on y entre pour n’en plus sortir, comme, immergées toutes deux dans Sévigné, la grand-mère et la mère du narrateur... Mathesis universalis, introduction à toute connaissance et, pour le redire, cosmogonie littéraire (Barthes). [Note : Mathesis universalis... je ne suis pas persuadé que la référence soit indiscutablement opportune tant l’ambition rationaliste, cartésienne, d’une Mathesis universalis rapprochée des «Règles pour la direction de l'esprit» dans le sens d'une science générale de l'ordre et de la mesure, ne me semble pas s’imposer comme réordonnancement logique de la Recherche .... mais ... ] On avance avec (et dans) le sentiment que “tout y est”, tous les savoirs, et l’air du temps, quand tout y est allusion à tous les arts, à l’histoire, la médecine, la diplomatie, la géologie comme la généalogie, quand toponymie, héraldique, stratégie militaire, cuisine et bonnes manières déploient, déplissent et dévoilent leurs arcanes ... construisant un trésor, le dépôt d’une certaine (car si totale, néanmoins datée) culture française... Ne reculant pas devant le petit repos, le modeste répit, d’une facilité, Compagnon s’autorise: “Trouve-t-on tout dans Proust, comme l’on trouve tout à la Samaritaine?”. Devant l’audacieuse profanation, un délicieux frisson, mi-shocking, mi-complice, parcourt l’assemblée en même temps que l’échine des disciples.... Car - plus sérieusement! - il y a des oublis, des exceptions, des manques ... Et Proust, utilisateur de véronal qui lui donnait, disait-il, des “trous de mémoire”, n’en a pas évité quelques-uns, un surtout, plus fameux, et béant, et qui signe de quoi la Recherche, peut-être, n’a pas “voulu” se souvenir, se souvenant de “tout”, mais “pas” de la littérature du XVIII° siècle. Comment ne pas voir là un signe, le signe d’une caractéristique propre, d’une position éminemment personnelle, d’un refus idiosyncrasique, quand on sait Proust lycéen des années 1880, en pleine acmé scolaire du XVIII° siècle, en pleine école de Jules Ferry, toute tendue vers l’Esprit des Lumières ... Et là Marcel, indemne? Insensible? Réfractaire? Rebelle? Pourquoi? Comment? Mais le fait est patent! On ne “réfléchit” pas le XVIII° dans la Recherche. Proust ferait-il de la résistance? Il semble bien! [Note: Et du coup, incidemment, on peut s’interroger sur le silence inexplicablement complice de Philippe Sollers, exemptant donc “son” Proust, en un séminaire que la postérité se hâtera d’oublier, le lui eût-on malencontreusement signalé, de ce péché - pourtant l’aurions-nous cru tragiquement rédhibitoire - d’un injuste silence jeté sur une armée de libertins tout occupés à bâtir l’avenir de nos consciences dans les remugles de leurs alcôves ... Quelques autres salacités devinées ont dû faire antidote ....] En septembre 1889, Mme Proust mère est à Salies de Béarn, Hôtel de la Paix, avec son cadet, Robert. Celui-ci vient d’achever son année de rhétorique à Condorcet et s’est présenté semble-t-il sans succès au baccalauréat ... (note: refusé par Augustin Gazier, maître de conférences à la Sorbonne). Il prend des leçons auprès de Léon Brunschwicg, futur philosophe patenté, ancien de Condorcet (pépinière de brillants sujets issus de la bourgeoisie israélite, grande fournisseuse en lauréats du concours général) et alors élève à l’École normale supérieure (1888-1891). Marcel est - depuis le 15 juillet - bachelier es lettres après son année de philosophie et en vacances à Ostende chez les Finaly. Mme Proust et Marcel s’écrivent tous les jours. [Note: Horace Finaly, né en 1870, est condisciple de Marcel à Condorcet. Il est né en Hongrie, mais sa famille, très riche, s’est installée à Paris en 1880. Il fera, après des études de droit, une grande carrière de banquier (prenant les commandes de Paribas en 1918), soutiendra - exception dans son milieu- Léon Blum et le Front Populaire et, exilé aux États-Unis après les premières mesures anti-juives de Pétain, y mourra en 1945.] Dans une lettre datée de samedi matin [7 septembre 1889], Mme Proust écrit: “Cher petit pauvre loup (....) Je ne puis rien te dire de mes lectures mon grand parce que je suis toute à Mme du Deffand et que tu dédaignes je crois, le XVIII° siècle.” Voilà, c’est dit! [Note: Mme du Deffand (1697 - 1780). On lit à son sujet dans Le Robert: “Marie, marquise du... Elle reçut dans son célèbre salon Fontenelle, Montesquieu, Marivaux et les encyclopédistes qu’elle présentait à des gens du monde et à des politiciens. Dans sa vaste correspondance (à Voltaire, d’Alembert, Walpole,...) écrite dans une langue sobre mais pittoresque, elle analyse avec lucidité son ennui, qui provient de la privation du sentiment avec la douleur de ne s’en pouvoir passer ”. Mais si j’aime Mme du Deffand, c’est pourtant pour celui qu’elle eut (de sentiment) pour le dernier cité, pour Horace Walpole, quatrième comte d’Oxford, qu’on dit initiateur du “roman noir” anglais (Le Château d’Otrante) et à qui je sais gré d’être l’auteur de ce formidable aphorisme pour qui va prendre des responsabilités: “Continuer d’abord, commencer ensuite” .] Paragraphe précédent, dans le même courrier, Mme Proust avait écrit, au sujet de Robert : “ Brunschwicg lui a donné: comparer les deux révolutions du Cid et d’Andromaque (moi, je ne connaissais que ‘89 et ‘48)”. Compagnon commente: “Elle ignore (veut ignorer) 1830 et 1871). Nous sommes en 1889, année du Boulangisme, année aussi du centenaire de la Révolution française, qui a émancipé les juifs de France, les faisant accéder aux droits civiques”. [Notes: La loi sur l’émancipation des juifs de France, conséquence logique de l'avènement des idées “humanistes” (de l’esprit des lumières), est du 28 septembre 1791. Les juifs (de France) seront désormais avant tout français et pourront s’intégrer: la rouelle, une pièce de tissu ronde qu'ils devaient porter pour se distinguer, est ipso facto supprimée. Concernant les “oublis” de Mme Proust, on ne saurait lui contester le droit de “minimiser” les Trois Glorieuses (journées des 27-28-29 juillet 1830) dans la mesure où la substitution de Louis-Philippe, porté par des bourgeois, à Charles X - après les maladresses de Polignac (dont Chateaubriand se régale de rappeler, dans les Mémoires d’Outre-Tombe, qu’un journal de l’époque disait: “M. de Polignac est un homme extrêmement décidé, l’ennui, c’est qu’il ne sait pas à quoi!”) - n’est guère comparable au bouleversement de 89. Quant à la Commune de 71, sous le signe de laquelle en quelque sorte, Marcel est né (la semaine sanglante est du 21 au 28 mai; il est, lui, du 10 juillet), elle est terrible (30 000 morts) mais sans doute trop limitée et trop inaboutie pour avoir été perçue par une grande bourgeoise comme autre chose que le sursaut absurde et vain d’une minorité incontrôlée et d’ailleurs réputée dépravée, une minorité en quelque sorte, pour s’accoter à un mot de Talleyrand, excessive, mais insignifiante ... Deux mots de plus sur le Boulangisme: le “brave général Boulanger” ne semble pas, quoi qu’il en soit de son grade, être un “foudre de guerre”. Il est très populaire dans la troupe pour avoir remplacé la gamelle du soldat par une assiette avec fourchette associée, avoir autorisé le port de la barbe et fait peindre les guérites en tricolore. Évidemment, ça vous connote un homme! Nommé Ministre de la Guerre, poussé par Clémenceau, en 1886, il a quelques idées originales - il fait rayer des cadres de l’armée tous les chefs des grandes familles ayant régné sur la France, entre autres le Duc d’Aumale, qui le protégeait -, quelques idées sympathiques - interdiction de briser les grèves à coups de fusil -, quelques idées dangereuses - il veut prendre, sans trop réfléchir, sa revanche sur l’Allemagne de la défaite de Sedan -, quelques coquetteries - toujours, et du coup ses partisans aussi, un œillet rouge à la boutonnière-, et une grande passion amoureuse, Mme la Vicomtesse de Bonnemain (Marguerite!), qui le domine entièrement - il ne supportera pas sa mort le 16 juillet 1891 et se tirera une balle dans la tête, sur sa tombe, le 30 septembre suivant, dans le petit cimetière d’Ixelles, en Belgique, où il s’est réfugié avec elle au printemps 1889-. Écarté du Ministère en mai 1887, reversé dans le service et nommé commandant du 13° corps d’armée à Clermont-Ferrand, son départ de la Capitale, le 8 juillet, provoque une grande manifestation populaire autour de la gare de Lyon. On le met à la retraite en 88, mais sa popularité “populiste” est au zénith et il obtient avec le soutien de partisans divers, déçus de tous bords, nationalistes (Paul Déroulède), antisémites, revanchards, des succès électoraux qui le conduisent au palais Bourbon et font craindre un coup d’État, fin janvier 1889 ... qui n’aura pas lieu: L’amoureux Boulanger, malgré les sollicitations d’un immense rassemblement populaire scandant, sur le trottoir, “À l’Élysée” alors qu’il dîne dans un restaurant près de la Madeleine, préférera Marguerite à Marianne et, sautant le dessert, ira rapidement rejoindre la première dans son appartement de la rue Dumont d’Urville...] Dans sa lettre suivante, Mme Proust revient encore sur ses lectures pour énoncer : “Notre hôtel est comble mais néanmoins creux pour moi comme société. Mme du Deffand est la seule relation que je ne dédaigne pas et que je cultive. Elle m’amuse mais jamais nous ne nous lierons d’une intimité cordiale comme avec Mme de Rémusat. Ni la femme, ni les correspondants, ni le milieu ne sont assez sympathiques”. Et Compagnon souligne l’interprétation “politique” ou “idéologique” qu’il donne aux nuances indiquées, où il voit une préférence pour l’Empire - Mme de Rémusat était dame du palais de Joséphine de Beauharnais - au détriment de “l’Esprit XVIII°” qu’incarne Mme du Deffand. Compagnon ... [Note: ... qui rejoint là les remarques de Philip Kolb dans son édition de la Correspondance de Marcel Proust, chez Plon, où on trouve les lettres citées] .... voit là une confirmation du (ou des) modèle(s) de Mme de Beausergent dans la Recherche, présentée comme auteur de Mémoires et l’un des deux auteurs de prédilection de la grand-mère du narrateur :” ... Allons, repose-toi, me dit ma grand’mère. Si tu ne peux pas dormir, lis quelque chose. Et elle me passa un volume de Mme de Sévigné que j’ouvris, pendant qu’elle-même s’absorbait dans les Mémoires de Madame de Beausergent. Elle ne voyageait jamais sans un tome de l’une et de l’autre. C’était ses deux auteurs de prédilection.” Les références à cet auteur fictif se renouvellent dans la Recherche, mais au moins une fois, indirectement ... [Note: ... peut-être par respect pour les goûts de sa grand-mère, à travers son modèle explicitement cité...] ...avec une teinte de moquerie et de mise à distance (dans Le côté de Guermantes): “... Mme de Rémusat, Mme de Broglie, Mme de Saint-Aulaire, toutes les femmes si distinguées qui dans leurs ravissantes lettres citent avec tant de savoir et d’à-propos Sophocle, Schiller et l’Imitation, mais à qui les premières poésies des romantiques causaient cet effroi et cette fatigue inséparables pour ma grand’mère des derniers vers de Stéphane Mallarmé.” [Note: L’Imitation, pour L’Imitation de Jésus-Christ, ouvrage de piété et de spiritualité en latin, du XV° siècle, usuellement attribué au mystique allemand Thomas a Kempis (1380 - 1471), en quatre livres: Conseils utiles pour la vie spirituelle - Conseils pour la vie intérieure - De la consolation intérieure - Dévote exhortation à la sainte communion .] Deux lettres plus loin, nous sommes toujours en septembre 1889 (note: la lettre est datée du vendredi 13) Compagnon relève cette remarque: “En politique, je suis comme toi, mon grand, du grand parti “conservateur-libéral-intelligent”..”. Et il commente: “On est à la veille (il aura lieu le 22 septembre) du premier tour d’élections à la Chambre des députés qui marqueront “la déconfiture de la coalition monarchico-boulangiste”. [Note de Philip Kolb reprise par Compagnon] Quid des guillemets? Il y a sans doute là une réponse à une prise de position qu’on ignore de Marcel dans un courrier précédent. Les guillemets désignent-ils l’expression même qu’il avait employée?, marquent-ils un cliché répandu? soulignent-ils une utopie? On peut sans doute dire que ce “grand parti”, c’est celui du journal Le Temps, d’Adrien Hebrard, où Anatole France donne un feuilleton, comme on peut y inscrire La Revue des deux Mondes, de Brunetière. On peut voir dans cette référence de Mme Proust un renvoi - le mot est de Juliette Adam - à la “République athénienne” bourgeoise, à la fois conservatrice et éclairée, de Gambetta... [Notes: Auguste Nefftzer en 1861, a fondé le journal Le Temps, indépendant, anticlérical et républicain. A sa mort en 1875, Adrien Hébrard reprend le flambeau pour faire du Temps un indicateur essentiel de l'activité intellectuelle française.... Ferdinand Brunetière, maître de conférences à l’École normale supérieure, deux fois lauréat de l'Académie, professeur à la Sorbonne, a collaboré à la Revue des Deux Mondes et en est devenu le secrétaire de la rédaction puis le directeur ; il s'occupe de critique littéraire; il est élu à l'Académie Française le 8 juin 1893, au premier tour contre Émile Zola... La Revue des deux Mondes se présente elle-même aujourd’hui sur son site comme: “La grande revue internationale de débats de société. C'est la première revue moderne du XIXe siècle. François Buloz crée, le 1er août 1829, la Revue des Deux Mondes pour établir une passerelle culturelle, économique et politique entre la France et les sociétés extra européennes. Dès 1830, tournée vers le monde, elle accueille et rassemble des idées pour la France en relation avec les autres pays d'Europe. La Revue est bimensuelle, indépendante et favorable au suffrage universel. Elle déguise sa pensée de la société contemporaine sous des récits et essais historiques s'opposant à la censure du second Empire. La Revue des Deux Mondes privilégie, alors, la création littéraire et artistique (Baudelaire y publie pour la première fois les Fleurs du mal), les grandes interrogations politiques et les récits de voyage. Les principales signatures de l'époque écrivent dans la Revue. C'est le cas de Abd el-Kader, Balzac, Baudelaire, Claude Bernard, Stendhal, Bourget, Chateaubriand, Benjamin Constant, Fenimore Cooper, Eugène Delacroix, Maxime du Camp, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Guizot, Thiers, Henri Heine, Victor Hugo, Lamartine, Ernest Lavisse, Mérimée, Michelet, Musset, Renan, Taine, Sainte-Beuve, George Sand, Tocqueville, Tourgueniev, Vigny… En 1870, la Revue compte 16 000 abonnés. Son influence est considérable dans toute l'Europe. Etc.” Concernant l’allusion au “conservatisme éclairé” de Gambetta, c’est sans doute Juliette Adam, qu’a citée Compagnon, qui fournit la clé d’une formule qui m’a d’abord un peu surpris ... Un article paru dans la Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine (n° 50-2 / Année 2003 - GERHICO - Université de Poitiers (Jérôme Grévy)) sous le titre Les cafés républicains de Paris au début de la Troisième République m’a semblé sur le sujet assez éclairant, qui souligne le rôle éminent de Juliette Lamber, épouse Adam, mariée à un républicain ami de Gambetta, qui avait l’ambition de faire de son salon le centre de la “République athénienne”, un lieu où se mêleraient hommes politiques, diplomates, artistes, écrivains ... un lieu aussi où se diluerait la réputation de piliers de bistrot qui collait aux semelles de Gambetta et de ses proches... dont elle déplorait qu’ils aient semblé tentés de s’obstiner à la maintenir. Juliette Adam fonde en 1879 la Revue de Paris (plus connue comme Revue Bleue) avec l’ambition d’en faire le pendant “républicain” de la Revue des deux mondes, “orléaniste”. Quand Compagnon intègre cette dernière revue et la position de Juliette Adam au grand parti “conservateur-libéral-intelligent” de Mme Proust, prête-t-il à celle-ci une tentation œcuménique démentie par les faits ou se rallie-t-il à l’idée que le salon de Mme Adam, d’ailleurs avec quelques autres, et sa Revue, sont parvenus à faire reconnaître et accepter Gambetta et ses idées “avancées” par la “bonne” bourgeoisie parisienne, traditionnellement liée aux milieux conservateurs?] Retour en arrière et à une correspondance datée du 15 juillet 1887. Une lettre de Proust à Antoinette Faure, fille de Félix Faure, alors député du Havre mais futur Président de la République:.. [Note : ... et dont la postérité retiendra surtout le dernier soupir, le 16 septembre 1899, dans les bras de la peu vertueuse Marguerite Steinhel -on disait à l’époque une “demi-mondaine”-] ... “ Ma chère Antoinette, Croiriez-vous que maman m’a déchiré une lettre pour vous? L’écriture était trop mauvaise. Au fond, je crois qu’un grand éloge de notre brave général, du soldat ‘simple et sublime’ comme le dit le ‘Petit Boulanger’, a excité les vieux sentiments orléanistes-républicains de madame Jeanne Proust” . [Note: ...on peut prolonger la citation, qui marque bien la position de Proust, entre enthousiasme juvénile et sursaut de lucidité : “ Jamais les rues d’Auteuil (où j’ai passé seulement la journée du 14) n’avaient été aussi animées qu’hier. Vous ne trouvez pas entraînant ce refrain: ‘Gais et contents nous allions triomphants’ .. ou .. ‘C’est Boulange, lange, lange’, hurlé par tous, femmes, ouvriers, jusqu’aux petits enfants de cinq à huit ans qui le chantent très très juste - avec ardeur ? Quoique l’homme soit très commun et un vulgaire batteur de grosse caisse, ce grand enthousiasme si imprévu, si roman dans la vie banale et toujours la même, remue dans le cœur tout ce qu’il y a de primitif, d’indompté, de belliqueux. Vous voyez que je ne suis pas grand philosophe et je ne trouve guère que des adjectifs quand je cherche les raisons qui (pardonnez-moi cette enfilade de qui) me donnent envie de brailler: Il reviendra. Etc. “. Il y a quand même beaucoup de “jeu” là dedans...] La popularité du général Boulanger est à l’époque en pleine ascension, la manifestation de la gare de Lyon contre son “exil” à Clermont-Ferrand ne date que d’une semaine, et Marcel, séduit - cela ne durera pas - a partagé la position des manifestants. Mais il “sent” bien le positionnement politique de son milieu familial, une bourgeoisie israélite évidemment satisfaite des progrès émancipateurs de la révolution de 89, mais qui a aussi été heureuse sous la monarchie de Juillet. Une bourgeoisie qui a gardé du coup un petit penchant orléaniste avec toutefois assez d’ouverture pour se rallier à la république de Gambetta, dans le sentiment que les acquis déjà obtenus sont suffisants et, logique du “plus serait trop”, que l’œuvre révolutionnaire est accomplie et qu’il est temps de s’arrêter. On constate d’ailleurs le retour au calme de Proust au lendemain du premier tour des législatives de 1889, qui a eu lieu le 22 / 09. On a déjà lu la reconnaissance, en juillet, par sa mère (ci-dessus) de leur commun ralliement à un grand parti “conservateur-libéral-intelligent”, et on le retrouve, le 23 septembre, écrivant à son grand-père pour lui demander ce qu’il pense des résultats et lui faire part de son désir de savoir l’avis d’Adrien Hébrard et de son propre père, Adrien Proust, s’interrogeant : “... une majorité républicaine est-elle possible? ... une majorité boulange-monarch-bonap? ..” [Note: Je n’ai pas trouvé trace de cette lettre dans le volume de la correspondance de Proust établi par Philip Kolb dont je dispose. Le grand-père en question ne peut-être que Nathée Weill, père de sa mère, qui mourra en 1896. Marcel n’a pas connu Louis Proust, son grand-père paternel, mort en 1855. ] (Fin partie I)
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Commentaires
S
On trouve cette lettre du lundi 23.09.1889 à Nathé Weil, page 89 de Marcel Proust, Lettres, éditions Plon, selection Françoise Leriche, 2004, et dans le tome XXI, lettre 404, Kolb, précise la note Leriche.
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