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Mémoire-de-la-Littérature
16 janvier 2008

Morales de Proust. Leçon III.

Mardi 15 janvier 2008 - 16h30 / 17h30 (Le compte-rendu sera présenté en deux parties) PARTIE (I) 15h30. On dirait qu’il y a de plus en plus de monde... On essaie de retenir une place mais impossible de la protéger au delà de 16h. Tant pis, on baisse pavillon. Les éventuels retardataires suivront le cours à la télévision, sur le circuit intérieur, dans une (plus petite) salle annexe. 16h30: Ecce homo. Le jaune de la cravate de Compagnon prend à la gorge. Quelle idée! Il fait état de courriers reçus dans la semaine. Et oui, il ignorait ce que les correspondants lui ont appris: l’existence d’un recueil - en français - de Maximes et Sentences tirées de la Recherche, publié par Bernard de Fallois, grand proustien ... Il a passé la commande sur eBay; il attend; il verra s’il peut en tirer quelque chose ... Retour sur les cours du 8/1, reprise, prolongements .... il veut un peu compléter. [1] Il tient à refaire un point sur l’ostracisme dont a souffert la “morale” en littérature (sa Leçon I) en rebrassant l’éthique comme dissimulation du politique, comme oblitération des rapports de domination, comme paravent de l’idéologie, etc.; il reparle d’une méfiance toute platonicienne; il souligne qu’au fond, cette attitude est celle de toute “modernité”, depuis Flaubert, depuis Baudelaire; il renvoie au “célèbre passage de la Recherche contre l’art à thèse sur lequel on reviendra” et articule la position proustienne - hiatus entre moralité et littérarité - avec deux renvois dans le texte à Laclos (dont le second extrait dudit “célèbre passage etc.”): “Si je vais avec vous à Versailles, comme nous avons convenu, je vous montrerai le portrait de l’honnête homme par excellence, du meilleur des maris, Choderlos de Laclos, qui a écrit le plus effroyablement pervers des livres, et, juste en face, celui de Mme de Genlis qui écrivit des contes moraux et ne se contenta pas de tromper la duchesse d’Orléans, mais la supplicia en détournant d’elle ses enfants” (La prisonnière) “L’idée d’un art populaire comme d’un art patriotique, si même elle n’avait pas été dangereuse, me semblait ridicule. (...). Ce n’est pas la bonté de son cœur vertueux, laquelle était fort grande, qui a fait écrire à Choderlos de Laclos ‘Les liaisons dangereuses’, ni son goût pour la bourgeoisie petite ou grande qui a fait choisir à Flaubert comme sujets ceux de ‘Madame Bovary’ et de ‘L’éducation sentimentale’...” (Le Temps retrouvé) Il commente: Chiasme entre l’attitude privée et la réflexion, la production artistique. Et reprend: le refus d’un art “édifiant” n’exclut pas tout souci de moralité, mais qui est alors d’une autre forme. Et de donner d’abord d’assez larges citations de Baudelaire, fragments de “Mon cœur mis à nu”. ... Sa haine de la confusion entre morale et littérature: “La femme Sand est le Prud'homme de l'immoralité. Elle a toujours été moraliste. Seulement elle faisait autrefois de la contre-morale. Aussi elle n'a jamais été artiste. Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde. Elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues”. ... Sa dénonciation de la morale bourgeoise, absurde et inconséquente: “Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans cesse les mots : immoral, immoralité, moralité dans l'art et autres bêtises me font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui m'accompagnant une fois au Louvre, où elle n'était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, et me tirant à chaque instant par la manche, me demandait devant les statues et les tableaux immortels comment on pouvait étaler publiquement de pareilles indécences. Les feuilles de vigne du sieur Nieuwerkerke”. Compagnon détaille: Nieuwerkerke, directeur général des musées, faisait recouvrir les nudités de feuilles de vignes. Remarque: L’anecdote rappelle les démêlés de Michel-Ange avec la pudibonderie ecclésiastique à propos des anatomies dénudées qu’il représentait dans des édifices religieux, au point que sur les “parties honteuses” de certaines, Daniele da Volterra, qui avait travaillé avec lui, fut ultérieurement chargé de jeter un voile (peint) pudique, y gagnant le surnom de Il Braghettone (d’où dérive le français “braguette”). ...Pour ensuite souligner une “autre” morale de Baudelaire, qu’il raccorde au vocabulaire de Michel Foucault, à son “souci de soi” (Le titre du dernier livre de Foucault: “L’usage des plaisirs et le souci de soi”) et qu’il articule sur la relecture fragmentée de nouveaux paragraphes de “Mon cœur mis à nu” : Hygiène Projets. - Plus on veut, mieux on veut. Plus on travaille, mieux on travaille et plus on veut travailler (....) * Hygiène. Morale. - A Honfleur ! le plus tôt possible, avant de tomber plus bas. Que de pressentiments et de signes envoyés déjà par Dieu, qu'il est grandement temps d'agir, de considérer la minute présente comme la plus importante des minutes, et de faire ma perpétuelle volupté de mon tourment ordinaire, c'est-à-dire du Travail ! * Hygiène. Conduite. Morale. - A chaque minute nous sommes écrasés par l'idée et la sensation du temps. Et il n'y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar, pour l'oublier : le plaisir et le travail. Le plaisir nous use. Le travail nous fortifie. Choisissons (...) * Hygiène. - En renvoyant ce qu'on a à faire, on court le danger de ne jamais pouvoir le faire. En ne se convertissant pas tout de suite, on risque d'être damné. Pour guérir de tout, de la misère, de la maladie et de la mélancolie, il ne manque absolument que le Goût du Travail. Compagnon a cité (lu) les deux paragraphes médians et paraphrasé les deux extrêmes, donnant son nom au travers dénoncé dans le dernier (En renvoyant ce qu'on a à faire....: “Procrastination” ). Il y a aussi, reprend Compagnon, un balancement plaisir/travail chez Proust, et ayant rappelé le “Trahit quemque voluptas” virgilien, déjà cité le mardi précédent, il énonce une “possible” morale volontariste où l’on peut lire aussi une trace de Ruskin glorifiant la valeur de la discipline et la foi dans le travail, rappelant une réponse de Marcel en 1904: “Nous mourrons faute non pas de liberté, mais de discipline” . Remarque: Comment ne pas songer à Michel -Ange: "L'art vit de contraintes et meurt de liberté", remodelé et complété par Gide: "L'art nait de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté" .... Compagnon lui , sur les fragments lus, trouve surtout la formule baudelairienne... comme quoi, tout le monde s’y met ... d’autant qu’il y rajoute le Ruskin de “Sésame et les lys” : “... et leur plaisir (il s’agit des hommes) nait du travail”, formule que dans sa traduction, Proust commente en enchérissant (prise de note ici approximative): “... et dès le plus bas degré de l’échelle du travail, du plus humble nait un plaisir (...) qui est satisfaction de soi, plaisir à se trouver avec les autres, optimisme”. Une profession de foi où Compagnon lit un enthousiasme collectivisant fort peu baudelairien, là, et assez peu compatible avec la réclusion de l’auteur de la Recherche, mais bon, chacun, comme Pascal, a ses “périodes” ... Et Ruskin, de nouveau, fournissant à Proust, via ses citations évangéliques de Saint-Jean (qui ne l’avait probablement pas dit en anglais!): “Work, walk while light” (Travaillez, marchez tant que vous avez la lumière), et de Saint-Matthieu (apparemment plus francophone): “Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde”, une injonction et une affirmation qu’il rappellera à plusieurs reprises, fussent-elles (la seconde) en semi-dissonance avec l’esprit qui court au long de la Recherche. Proust se soumettra d’ailleurs à la première lorsqu’en 1908, foin de... procrastination, il va entreprendre, à travers le “Contre Sainte-Beuve”, son grand’œuvre et, donnant dans le prosélytisme, écrire à Georges de Lauris (un de ses confidents, très proche de lui jusqu’à son mariage en 1913): “Georges, quand vous pouvez, travaillez!”... la suite prouvant qu’il a mis parallèlement en pratique cet axiome essentiel de la réussite: “Appliquer les conseils que l’on prodigue aux autres”. Mais ce n’est pas dans cette direction, celle de l’esquisse d’une morale du travail, que Compagnon, se hâte-t-il de préciser, veut s’engager. Non, s’il en a parlé, comme en théologie négative on veut définir Dieu en précisant ce qu’il n’est pas, c’est pour nous prémunir contre ce qu’il ne traitera pas! C’est une démarche qu’il affectionne, nous avions déjà eu l’an passé “Ce que n’est pas la Mémoire-de-la-Littérature”... Et nous voilà bien avancés! Mais si, quand même, un peu, car du coup, d’autres voies s’éclairent et réapparaît Michel Foucault, dans le sens d’une quête proustienne à mener qui s’occupe de “construction de soi comme sujet moral”, qui pourrait dégager des “techniques de soi” .... Et si nous précisions un peu tout ça? Mais d’abord un souci. On parle - et il l’a fait, et donc il s’en explique - assez souvent sans définir. Et dans l’ambiguité d’un mot comme “morale”, on déploie un discours aux prérequis multiples, aux attendus divers... Donc? Quid de la (ou d’une) morale? Si on définissait un peu, en préalable? Voyons cela, voyons .... Il y a: (a) la morale au sens “classique”, philosophique, et on l’appelle alors éthique... ou presque, car l’éthique est plus exactement la science qui traite des principes de la conduite morale (b) la moralité, comme caractère de ce qui peut être jugé en termes de bien ou de mal; le terme peut donc aussi désigner le caractère de qui agit selon ces principes (bonne ou mauvaise moralité) (c) le moralisme: l’ensemble des principes (resp. la doctrine) qui font (resp. fait) des valeurs morales des devoirs (d) La moraline: (par dérision nietzschéenne) morale chrétienne, mièvrerie bien pensante, dans un contexte (Nietzsche) où le bon est associé à l’exaltation de la puissance, où le mauvais prend sa racine dans la faiblesse, où il y a bonheur quand la puissance augmente, quand la guerre l’emporte sur la paix, et que se déploie la vertu, la virtus latine, dépourvue de moraline et pleine du désir de conquête et de sa réalisation Mais Compagnon veut aller au delà de ses propres définitions (Voir remarque complémentaire plus bas...) pour les éclairer ou les affronter à l’écho d’autres approches et d’autres énoncés. - Ceux de Marcel Conche par exemple (1922 - ), professeur à la Sorbonne, réfléchissant à Montaigne, et distinguant: (a) L’éthique ancienne comme art de vivre heureux (Il a écrit un “Montaigne ou la conscience heureuse” ...), individuellement, comme art de la “vie bonne”, sans les notions de devoir, de norme, d’impératif ... (b) Les morales collectives (“mores ...”; celles du “Castigat ridendo...” (?)), aussi diverses que les collectivités, relatives, culturelles, relevant (nous y voilà!) du “Cant”, qui chatouillent tant le scepticisme de Montaigne et qui s’incarnent bien dans la tradition judéo-chrétienne (c) Une morale universelle, dont la meilleure approche relèvera sans doute de la philosophie des Lumières, des droits de l’Homme, et dont des prémices pourraient aussi se lire dans Montaigne: Honnêteté, Respect d’autrui, Tolérance ... en quoi se marquent les limites de l’éthique: chacun comme libre, mais seulement jusqu’à l’autre. - Ou ceux, encore, de Michel Foucault. Nouvelle triade: (a) La ou les morale(s) du Code, comme ensemble de valeurs proposées par la Famille, l’École, l’Église, tous les appareils prescriptifs ..; (b) Une morale en action qui ne s’exprime qu’en comportements et qui peut s’affirmer ou se décrire par des soumissions comme par des transgressions à des normes extérieures (c) La morale comme manière de se conduire moralement (et par un lapsus fort significatif, Compagnon dit, avant de se reprendre: normalement...) c’est à dire ici comme manière de se constituer en sujet moral, à l’aide d’un travail sur soi qui ne se réfère pas à une règle ou à un Code (cf. (a)), mais qui vise à organiser une véritable et autonome “conscience de soi”, que Foucault appelle une “ascétique”, constitutive du “sujet”.... Et c’est cette “ascétique” qui intéresse ici Compagnon (nous y voilà), qui lui semble indiquer la direction à emprunter, la piste à suivre pour une relecture de la Recherche à la recherche de ... morale(s)! (Fin de la première partie du C.R. Leçon III). Remarque Complémentaire : ... on peut jouer à rapprocher les définitions / présentations de Compagnon de celles que donne un ouvrage scolaire classique, ici par exemple le “Dictionnaire de Philosophie (à l’usage des étudiants des facultés et des candidats à l’agrégation)” publié chez Armand Colin. On y lit : (a) Morale: - D’une façon générale, théorie ou doctrine de l’action humaine qui tente d’établir de façon normative la valeur des conduites et de prescrire les règles de conduite qu’il convient dès lors de respecter. En ce sens, la morale ne se contente pas de décrire comment les hommes agissent, mais elle tente de dire comment ils devraient agir. - D’une façon plus restreinte, la morale se définit, en particulier chez Kant (1724 - 1804), comme une théorie de l’obligation, c’est à dire une théorie du devoir conçu comme inconditionnel (impératif catégorique) et universel. - Enfin on appelle parfois morale un ensemble de règles, de normes, ou de valeurs propres à une société donnée. Dans ce sens, on ne peut lui reconnaître un caractère universel mais bien plutôt certaines fonctions de cohésion et d’ordre. (a’) Éthique: - Partie de la philosophie qui théorise la morale, le plus souvent au sens métaphysique de science du bien et du mal, des fins dernières de l’homme et du fondement de ses valeurs. Ex.: l’Éthique de Spinoza (1632 - 1677) qui étudie les “modes d’existence selon le bon et le mauvais” - Chez Aristote: l’Éthique est le “traité des plaisirs et des peines”, “la science de la formation du caractère”. Elle concerne autant le rapport du caractère au bonheur et au Bien qu’aux mœurs de la communauté - Aujourd’hui préféré à Morale a) pour désigner les habitus d’un groupe, son lien concret aux valeurs; b) quand un domaine bien particulier requiert un tel lien, en raison de sa pratique propre et notamment de la nouveauté des problèmes qu’il pose. Ex. : la bio-éthique (b) Moralité: - Au sens général et le plus courant, valeur des conduites et des personnes, considérée par rapport à l’idéal moral - Kant distingue la “moralité”, accord de la maxime d’une action avec la loi du devoir - il faut alors que l’action soit accomplie par le seul respect de l’impératif catégorique - de la “légalité”, simple accord formel ou conformité avec la loi du devoir (c) Moralisme: - Se dit de toute doctrine qui donne à la morale une place déterminante par rapport aux autres parties de la doctrine - Dans des acceptions plus ou moins péjoratives: * Attitude qui consiste à ne cultiver que sa propre perfection morale sans se soucier du bien à réaliser effectivement (par exemple la critique de la “belle âme” chez Hegel (1770 - 1831)) * Attachement abusif à la lettre des lois morales au détriment de leur esprit ou des principes généraux dont elles se recommandent * Attitude de ceux qui, en toutes circonstances, s’érigent en prédicateurs de morale et préfèrent juger, condamner ou louer, plutôt que comprendre.... ... Et on n’y lit pas “Moraline”; mais un petit tour ailleurs (Internet) fournit ces lignes: * La moraline ; Frédéric Nietzsche faisait la différence entre la morale, celle des Grecs, celle qui provient d'une éthique, d'une réflexion personnelle, d'exigences à son propre égard, et la moraline, forme dégradée de la première par le judéo-christianisme qui lui substitue une série de règles formelles et un système de culpabilité, remplaçant du même coup la responsabilité individuelle par l'observance de recettes*. Nous voilà mieux armés? ...... Quant aux définitions premières et minimalistes de Compagnon... Sur la base de ces références.... ... son moralisme (tel que je l’ai noté) n’est pas loin de la morale kantienne, ce qu’il n’a pas voulu dire; sa morale n’est (toujours) pas définie, sauf à se contenter de la dire classique; et sa moralité s’inscrit dans une éthique au sens de Spinoza, ce qui n’est pas illogique et ne fait de mal à personne ... Au grand jeu des définitions, disons comme Amalric (1): “Dieu reconnaîtra les siens....” (1) Mais encore? Une note? Sac de Béziers (1209) - objectif: extermination Cathare . Attribuée à Simon de Montfort, la formule aurait été prononcée par Arnaud Amalric, légat du pape chargé de réprimer l'hérésie. Ayant investi la ville, ses hommes lui demandent comment distinguer les Cathares des Catholiques. Il résout le problème: “Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens"... Morale? Moralité, Moralisme ou Moraline? Le massacre fait des milliers de morts; c’est le début de la "Croisade des Albigeois" qui ne se clôt définitivement qu’en 1244, sur le bûcher de Montségur, Comté de Foix.
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