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Mémoire-de-la-Littérature
18 février 2008

Séminaire 5 (2)

Mardi 12 / 02 / 008 (17h30-18h30)
Amphithéâtre Marguerite de Navarre
Mireille Naturel. Université Paris III
Les Mauvais Sujets

Partie 2: ... Le plat principal

(....)
Et la “communication” de Mireille Naturel alors? ...

Assez confuse en fait, m’a-t-il semblé, et truffée de précisions (relativement annexes?) qui, sur le modèle parfois du cours de Compagnon, “baladent” l’auditeur sur les bas-côtés et à côté du thème principal. Mais peut-être pas ...
Je relis cursivement mes notes. L’accumulation d’indications qui me semblent sans liens logiques fermes entre elles est étonnante et, pour le rédacteur, un peu accablante.

Comment réorganiser tout cela?

Car il y a sans doute eu organisation, chez la conférencière, enchaînement je le suppose; mais c’est le décousu qui prime ou plutôt la succession, avec solutions de continuité, de noms propres et de noms de lieu.

Ainsi, par ordre d’apparition, comme on dit au théâtre:

- Le personnage de Théodore
- Flaubert et le “Procès Bovary”; les arguments de l’avocat impérial taxant le roman “d’histoire des adultères d’une épouse de province” et dénonçant les offenses à la morale publique: la chute “avec” Rodolphe, la transition religieuse, la (re)chute “avec” Léon, la mort d’Emma.
- Pas de “Procès Proust” mais deux ouvrages récents: (a) sur des P.V. de police l’impliquant, fort heureusement pour simple “beuverie” (une table, une bouteille de Champagne et quatre verres...; Monsieur Proust Marcel, 46 ans; en l’Hôtel Marigny, haut lieu de rendez-vous pédérastiques, et en 1918); (b) sur Le troisième sexe et la représentation du mal dans Combray.
- La lanterne magique; le narrateur est malheureux; des légendes prennent corps “comme dans un vitrail vacillant et momentané”:

(a)Geneviève de Brabant; c’est la lignée flaubertienne de l’adultère; Golo est ici (dans la Recherche) la première figure de méchant (de mauvais sujet). On sait l’histoire (la légende [1]): Geneviève est abandonnée dans la forêt avec son enfant; et on s’éloigne de Flaubert, car Mme Bovary se désintéresse de sa fille; et puis c’est une mise en abyme de la scène du baiser.....

“Et dès qu’on sonnait le dîner, j’avais hâte de courir à la salle à manger, où la grosse lampe de la suspension, ignorante de Golo et de Barbe-Bleue, et qui connaissait mes parents et le bœuf à la casserole, donnait sa lumière de tous les soirs, et de tomber dans les bras de maman que les malheurs de Geneviève de Brabant me rendaient plus chère, tandis que les crimes de Golo me faisaient examiner ma propre conscience avec plus de scrupules”

... comme il y en aura une autre avec François le Champi ....

“Maman s’assit à côté de mon lit ; elle avait pris François le Champi à qui sa couverture rougeâtre et son titre incompréhensible donnaient pour moi une personnalité distincte et un attrait mystérieux (...) Mes remords étaient calmés, je me laissais aller à la douceur de cette nuit où j’avais ma mère auprès de moi”

[1]Note: Je redonne ladite légende. Siegfried, palatin de Simmorse, au pays de Trèves, épouse Geneviève, fille du Duc de Brabant. Le palatin est un officier, un représentant du palais (de l’empereur) en mission, ici en province. Il doit quitter sa femme presque au lendemain de son mariage pour rejoindre l’armée de Charles-Martel qui marche sur les Sarrasins. Geneviève est enceinte et ne le sait pas. Siegfried a chargé l’intendant Golo de veiller sur elle. Or ce dernier s’en éprend puis, n’ayant pu “la détourner de ses devoirs”, la hait, et après la naissance d’un enfant mâle, va la dénoncer pour adultère auprès de son maître. Le palatin ordonne la mort et l’en charge. Golo mandate des serviteurs qui se bornent, pris de pitié, à abandonner en forêt Geneviève avec son enfant. Elle s’abrite dans une caverne, se nourrit de fruits et de racines et apprivoise une biche qui donne son lait au petit. Les années passent. Siegfried chasse, poursuit la biche domestiquée qui le conduit à la caverne, reconnaît sa femme, est convaincu de son innocence, la ramène à la cour et fait écarteler Golo. Las, minée par des années de privations, la princesse ne survit que peu de temps à son juste triomphe. [Source internet. Imago Mundi]

(b) Barbe- Bleue, et aussi une autre lanterne magique, sont dans Jean Santeuil déjà. Mais la réapparition ci-dessus semble de hasard, comme un oubli qu’il fallait la gommer. On connaît le conte de Perrault. Et puis il y a chez Anatole France une histoire des Sept femmes de la barbe bleue. Terribles histoires de meurtres de femmes, dit-elle....

Note. Ici, il me faut préciser. Mes notes m’auraient laissé dans l’incompréhension si je n’avais trouvé à l’adresse qui suit la nouvelle d’Anatole France: http://bibliotheq.net/anatole-france/les-sept-femmes-de-la-barbe-bleue/index.html
Anatole France y réécrit la légende en affirmant faire œuvre d’historien et rétablir l’atroce vérité d’un pauvre diable de mari poursuivi par un sort funeste et finalement assassiné par sa dernière épouse, Jeanne de Lespoisse, flanquée de son amant et aidée de sa sœur aînée Anne, de ses deux frères et de sa mère Sidonie. Il joue à démythifier la fable du “petit cabinet”, dévoilant que les dalles en étaient de porphyre ( essentiellement rouge, d’où l’impression d’un sol teinté de sang), et que le sang sur la clé n’était en fait qu’un reflet! Dès lors, on s’y retrouve et je peux redonner ... ce qui fut dit et noté.

.... et Mireille Naturel lit un morceau de France que je ne peux prendre correctement, mais où, magnifique résurgence-confirmation-extension d’une remarque la semaine passée d’Elisabeth Ladenson (à/s Rubempré - Gilberte), je peux isoler: En effet, sa barbe était bleue, mais elle n'était bleue que parce qu'elle était noire, et c'était à force d'être noire qu'elle était bleue. Il y a chez France un petit cabinet, dit-elle, où ne sont enfermées que des peintures [... mais le texte précise: de figures féminines mythologiques qui connurent le sacrifice]. Chez Proust, et sentant l’iris, c’est un lieu de pratiques sexuelles solitaires. Chez France, il est dallé (de pavés de porphyre) et le sang n’y est qu’une illusion [voir ci-dessus]. Du coup, dit-elle, la configuration “Barbe-Bleue meurtrier” n’est pas prouvée [C’est le moins qu’on puisse dire! C’est la victime! voir ci-dessus]. Et puis, dit France, dit-elle, un moraliste peut trouver des excuses à la dernière épouse ... Ajout: Là, il faut donner la phrase entière de France, faute de quoi, cette affirmation n’a guère de sens. Je cite: "Hélas ! si [elle] n'avait attenté qu'à l'honneur de son époux, sans doute, elle encourrait le blâme de la postérité: mais le moraliste le plus austère lui trouverait des excuses, il alléguerait en faveur d'une si jeune femme les moeurs du siècle, les exemples de la ville et de la Cour, les effets trop certains d'une mauvaise éducation, les conseils d'une mère perverse, car la dame Sidonie de Lespoisse favorisait les galanteries de sa fille. Les sages lui pardonneraient une faute trop douce pour mériter leurs rigueurs ; ses torts eussent paru trop ordinaires pour être de grands torts et tout le monde eût pensé qu'elle avait fait comme les autres. Mais Jeanne de Lespoisse, non contente d'attenter à l'honneur de son mari, ne craignit point d'attenter à sa vie. C'est dans le petit cabinet, autrement nommé cabinet des princesses infortunées, que Jeanne de Lespoisse (...) concerta (...) la mort d'un époux fidèle”.
.... D’ailleurs elle s’appelle [il s’agit soudain de la belle-mère de la Barbe Bleue] Sidonie de Lespoisse, et le prénom de Mme Verdurin est Sidonie [Je pense que sans le recours direct au texte de France, je me serais noyé là-dedans ... et n’aurais nullement douté que Barbe-Bleue y fût un bien “mauvais sujet” ...]

- Et cette question: “Comment passer de Geneviève de Brabant à Barbe-Bleue?” Sur quoi j’entends lire, car elle est lue, ma première citation ci-dessus (Et dès qu’on sonnait le dîner, j’avais hâte de courir à la salle à manger ....), qui est aussi la sienne [... distraction coupable? mauvaise volonté du distributeur? rétention d’information de la part de la tête de rangée réceptrice de la chose en nombre? ... je n’ai pas été destinataire de “l’exemplier” auquel soudain on se réfère et qui me semble fleurir en quelques mains modérément avoisinantes ... Me voilà bien handicapé...], et puis Mireille Naturel parler de Mæterlinck, de Pélléas, de Mélisande ... et de Golaud, cette fois “a-u-d”.
Rapport autre qu’homophonique? Le vieux Golaud, épris de la frêle Mélisande en est l’époux, la conduit en son château où elle connaît ... bibliquement (et aime!) son jeune frère Pélléas. Il tue dans un accès de jalousie celui-ci et Mélisande se donne alors la mort. Le drame de Maeterlinck est de 1892.
Pourquoi pas? ... Proust s’intéressait à Mæterlinck et le transfert musical effectué par Debussy en 1902 et repris en 1911 à l’Opéra Comique le fascine au point qu’à chaque occasion, cette année là, il l’écoute au “Théâtrophone”. Bien.

- Michel Butor. Il a écrit un “Les sept femmes de Gilbert le mauvais”. Publié en 1972 aux éditions Fata Morgana et, épuisé-non-réédité, encore disponible d’occasion-et-en-bon-état sur le Net au prix modique (!) de 57 euros! Là, je passe la main ....

Pour Michel Butor, Gilbert le Mauvais, c’est Gilles de Retz (ou plutôt, comme l’écrit Anatole France: de Rais), et Gilles de Rais, c’est Barbe-Bleue (ce que France nie!).
À propos des “7” femmes, Mireille N. affirme que le chiffre 7 plaît à Proust depuis le livre de John Ruskin: Les sept lampes de l’architecture ....
Puis elle signale que Butor parle aussi du sultan Sheryar (Shâhriyâr), celui des Mille et une nuits et de Schéhérazade (Shahrâzâd) et dérive de là sur la proclamation à égalité de Geneviève de Brabant et de Schéhérazade comme figures exemplaires de la femme et de la féminité.... avant d’en revenir à Proust, à son courrier à Albufera détaillant ses projets et parmi eux une possible étude sur les vitraux. Anecdote à Combray: “un peintre travaillait dans l’église à copier le vitrail de Gilbert le Mauvais”.
Un vitrail, dit-elle, c’est une stratification d’interprétations, un feuilletage: “Comptez-y, madame Octave, répondait le curé. Mais c’est justement Monseigneur qui a attaché le grelot à cette malheureuse verrière en prouvant qu’elle représente Gilbert le Mauvais, sire de Guermantes, le descendant direct de Geneviève de Brabant qui était une demoiselle de Guermantes, recevant l’absolution de Saint-Hilaire”... Et l’œuvre proustienne, ajoute-t-elle relève tout entière du feuilletage.

- Qui est en fait Gilbert le Mauvais? Elle pose la question et évoque un modèle historique - le vicomte Geoffroy de Chateaudun (XII° siècle) qui aurait fait brûler l’église primitive d’Illiers -, renvoyant à un livre de 1907, dû au curé chargé de la paroisse et que signale en fait marginalement Proust, qui l’a exploité et démarqué:

“Le frère de Gilbert, Charles le Bègue, prince pieux mais qui, ayant perdu de bonne heure son père, Pépin l’Insensé, mort des suites de sa maladie mentale, exerçait le pouvoir suprême avec toute la présomption d’une jeunesse à qui la discipline a manqué ; dès que la figure d’un particulier ne lui revenait pas dans une ville, il y faisait massacrer jusqu’au dernier habitant. Gilbert voulant se venger de Charles fit brûler l’église de Combray, la primitive église alors, celle que Théodebert, en quittant avec sa cour la maison de campagne qu’il avait près d’ici, à Thiberzy (Theodeberciacus), pour aller combattre les Burgondes, avait promis de bâtir au dessus du tombeau de saint Hilaire si le Bienheureux lui procurait la victoire. Il n’en reste que la crypte où Théodore a dû vous faire descendre, puisque Gilbert brûla le reste. Ensuite il défit l’infortuné Charles avec l’aide de Guillaume le Conquérant (le curé prononçait Guilôme), ce qui fait que beaucoup d’Anglais viennent pour visiter. Mais il ne semble pas avoir su se concilier la sympathie des habitants de Combray, car ceux-ci se ruèrent sur lui à la sortie de la messe et lui tranchèrent la tête. Du reste Théodore prête un petit livre qui donne les explications” (in Combray).

Proust dit-elle s’est très tôt passionné pour Augustin Thierry. À quatorze ans, il le plaçait avec George Sand en tête de ses écrivains favoris. Augustin Thierry, dont Chateaubriand aurait dit qu’il était l’Homère de l’Histoire, a publié en 1840 des Récits Mérovingiens que Proust a lus. Il a pu y trouver la “terrible histoire” d’un quatuor maudit dont, dans Combray, il semble y avoir la marque, avec cette évocation du “tombeau de la petite fille de Sigebert, sur lequel une profonde valve – comme la trace d’un fossile – avait été creusée, disait-on, “par une lampe de cristal qui, le soir du meurtre de la princesse franque, s’était détachée d’elle-même des chaînes d’or où elle était suspendue à la place de l’actuelle abside, et, sans que le cristal se brisât, sans que la flamme s’éteignît, s’était enfoncée dans la pierre et l’avait fait mollement céder sous elle” ...”.

Voici l’affaire: Nous sommes au VI° siècle. Chilpéric et Sigebert sont frères, tous deux petits-fils de Clovis. Sigebert est l’époux de Brunehilde, dont la jeune sœur Galswinthe est promise à Chilpéric. Mais Frédégonde, maîtresse de Chilpéric, fait assassiner Galswinthe et épouse Chilpéric à sa place. Pour obtenir vengeance, Brunehilde poussera Sigebert à la guerre contre son frère. Etc.
Incidemment, Mireille N. signale que Bathilde, prénom de la grand-mère du narrateur, est aussi et très antérieurement celui d’une belle esclave devenue reine en épousant un fils de Clovis: Clovis II.
Elle précise aussi l’existence avérée - à défaut de Gilbert - d’un Charles le Mauvais, roi de Navarre en 1349, remuant et fauteur de troubles, petit fils de Louis X le Hutin, lui-même fils de Philippe IV le Bel, roi de France de 1285 à 1314. Charles le Mauvais avait des possessions en Normandie, dont la ville de Jumièges, ce qui lui est une occasion d’évoquer les “Énervés” du même nom. Il est en effet une légende dite des “Énervés de Jumièges”, liée à l’Abbaye, connue de Michelet ....

Note: ... qui en parle dans son Histoire du Moyen-Âge et y voit une marque de la décadence des Mérovingiens, questionnant: “Qui a coupé leurs nerfs et brisé leurs os, à ces enfants des rois barbares?”, pour répondre: “C’est l’entrée précoce de leurs pères dans la richesse et les délices du monde romain qu’ils ont envahi. La civilisation donne aux hommes des lumières et des jouissances. Les lumières, les préoccupations de la vie intellectuelle, balancent chez les esprits cultivés ce que les jouissances ont d’énervant. Mais les barbares qui se trouvent tout à coup placés dans une civilisation disproportionnée n’en prennent que les jouissances. Il ne faut pas s’étonner s’ils s’y absorbent et y fondent, pour ainsi dire, comme la neige devant un brasier”.
Je résume la légende:
Clovis II, époux de Bathilde, part en Terre Sainte et lui confie la régence. Deux de ses fils en profitent pour comploter et lèvent une armée pour s’emparer du pouvoir. Il rentre d’urgence et veut les mettre à mort. Bathilde va “adoucir” l’affaire et requérir une “énervation”, opération qui consiste en fait à brûler les tendons d’Achille des suppliciés par le fer, les laissant infirmes.
Ce qui fut fait. Après quoi, on met les deux princes à la Seine, sur un radeau. Ils dérivent jusqu’en un lieu d’où, reconnus comme de riche lignée par leurs parures, on les conduit en l’Abbaye de Jumièges. Ils y terminent leur triste existence.
Il semble que tout soit faux et d’ailleurs historiquement impossible, au seul regard de la courte biographie de Clovis II, né en 639 et mort en 657!

- Vitrail de Combray (tante Léonie disant: “.. ce qu’il y a de plus vilain dans l’église”) pour un bref retour à Flaubert et à Saint Julien l’Hospitalier...

Note: Pour cette question du vitrail de Combray, consultant sur le Net diverses sources, voilà qu’apparaît un long article de ... Mireille Naturel, de 2005: "Le vitrail de Combray, une allégorie de la création intertextuelle" consultable à l’adresse:

http://pagesperso-orange.fr/marcelproust/le_vitrail_eglise.pdf

Et beaucoup de ce qui me semblait assez confus, éclaté, mal lié dans les propos que j’entends s’éclaire, se ressoude, s’articule. La source était donc là. Mais à y puiser sans les articulations de l’une à l’autre dispensées à l’écrit, les voies ouvertes par le discours - négligeant l’avertissement sage du “Qui trop embrasse mal étreint” - Mireille Naturel a couru le risque et gagné l’image de la dispersion savante.

Dès l’abord on lisait: “Deux personnages gravitent autour du topos de “l’église”: Françoise, la servante de tante Léonie, et Théodore, le garçon épicier chargé de l’entretien de l’église”. Etc.

..... et le vitrail et Flaubert sont là, de compagnie, pour cette raison [voir la note précédente] qu’elle a déjà fouillé la question et voit, dans ces verres de Combray, l’évidence d’une très forte intertextualité avec les vitraux du conte flaubertien:

(a) ceux qui éclairent mal la scène du meurtre:
“Les vitraux garnis de plomb obscurcissaient la pâleur de l’aube...”
... (autorisant la “mal reconnaissance” des deux corps endormis, que Julien croit être son épouse et un amant quand la chambre a été prêtée à ses vieux parents) comme les vitraux de Combray "ne donnent pas le jour"
... puis le parricide accompli, y jettent des couleurs sanglantes:
“Des éclaboussures et des flaques de sang s’étalaient au milieu de leur peau blanche, sur les draps du lit, par terre, le long d’un christ d’ivoire suspendu dans l’alcove. Le reflet écarlate du vitrail, alors frappé par le soleil, éclairait ces taches rouges , et en jetait de plus nombreuses dans tout l’appartement”
... de même qu’à Combray, les vitraux “trompent même la vue par ces reflets d’une couleur que je ne saurais définir”

(b) celui où Flaubert a lu la Légende de Saint-Julien:

“Et voilà l’histoire de Saint Julien l’Hospitalier, telle à peu près qu’on la trouve, sur un vitrail d’église, dans mon pays”

... comme on peut deviner indirectement “racontée”, dans celui de Combray, et puisque Gilbert le Mauvais en est un descendant, l’histoire de Geneviève de Brabant.

- Et puis soudain (?) les “deux“ grand-mères. Et d’abord, la version “Bathilde”...
“Quand ces tours de jardin de ma grand-mère avaient lieu après dîner, une chose avait le pouvoir de la faire rentrer : c’était, à un des moments où la révolution de sa promenade la ramenait périodiquement, comme un insecte, en face des lumières du petit salon où les liqueurs étaient servies sur la table à jeu – si ma grand-tante lui criait : « Bathilde ! viens donc empêcher ton mari de boire du cognac ! » Pour la taquiner, en effet (elle avait apporté dans la famille de mon père un esprit si différent que tout le monde la plaisantait et la tourmentait), comme les liqueurs étaient défendues à mon grand-père, ma grand-tante lui en faisait boire quelques gouttes. Ma pauvre grand-mère entrait, priait ardemment son mari de ne pas goûter au cognac ; il se fâchait, buvait tout de même sa gorgée, et ma grand-mère repartait, triste, découragée, souriante pourtant, car elle était si humble de cœur et si douce que sa tendresse pour les autres et le peu de cas qu’elle faisait de sa propre personne et de ses souffrances, se conciliaient dans son regard en un sourire où, contrairement à ce qu’on voit dans le visage de beaucoup d’humains, il n’y avait d’ironie que pour elle même, et pour nous tous comme un baiser de ses yeux qui ne pouvaient voir ceux qu’elle chérissait sans les caresser passionnément du regard. Ce supplice que lui infligeait ma grand-tante, le spectacle des vaines prières de ma grand-mère et de sa faiblesse, vaincue d’avance, essayant inutilement d’ôter à mon grand-père le verre à liqueur, c’était de ces choses à la vue desquelles on s’habitue plus tard jusqu’à les considérer en riant et à prendre le parti du persécuteur assez résolument et gaiement pour se persuader à soi-même qu’il ne s’agit pas de persécution ; elles me causaient alors une telle horreur, que j’aurais aimé battre ma grand-tante.

Mais dès que j’entendais : «Bathilde, viens donc empêcher ton mari de boire du cognac!» déjà homme par la lâcheté, je faisais ce que nous faisons tous, une fois que nous sommes grands, quand il y a devant nous des souffrances et des injustices : je ne voulais pas les voir ; je montais sangloter tout en haut de la maison à côté de la salle d’études, sous les toits, dans une petite pièce sentant l’iris, et que parfumait aussi un cassis sauvage poussé au dehors entre les pierres de la muraille et qui passait une branche de fleurs par la fenêtre entrouverte. Destinée à un usage plus spécial et plus vulgaire, cette pièce, d’où l’on voyait pendant le jour jusqu’au donjon de Roussainville-le-Pin, servit longtemps de refuge pour moi, sans doute parce qu’elle était la seule qu’il me fût permis de fermer à clef, à toutes celles de mes occupations qui réclamaient une inviolable solitude : la lecture, la rêverie, les larmes et la volupté. Hélas ! je ne savais pas que, bien plus tristement que les petits écarts de régime de son mari, mon manque de volonté, ma santé délicate, l’incertitude qu’ils projetaient sur mon avenir, préoccupaient ma grand-mère, au cours de ces déambulations incessantes, de l’après-midi et du soir, où on voyait passer et repasser, obliquement levé vers le ciel, son beau visage aux joues brunes et sillonnées, devenues au retour de l’âge presque mauves comme les labours à l’automne, barrées, si elle sortait, par une voilette à demi relevée, et sur lesquelles, amené là par le froid ou quelque triste pensée, était toujours en train de sécher un pleur involontaire”.

J’ai marqué une césure entre deux paragraphes qui n’est pas dans le texte car en fait je crois que Mireille Naturel n’a lu que le second. La lecture était quoi qu’il en soit longue. Compagnon, relâché sur sa chaise, regardait (lisait?) pendant ce temps un feuillet qu’il tenait à la main, le coude sur la table, la page à hauteur des yeux. Je me demandais de quoi il s’agissait. On pouvait avoir envie de poser la question: Alors? On ne suit pas?

Il y avait eu un “d’abord”, une grand-mère version Bathilde. Il n’y eut pas de “et ensuite”, car le donjon apparu de Roussainville-le-pin allait s’accaparer la suite et réorienter le discours.

Mais avant, Mireille N. dit l’importance de ce passage, où s’exhibent trois préoccupations majeures de Proust : (a) la méchanceté des adultes (leur lâcheté aussi: déjà homme par la lâcheté); (b) le repliement sur soi (la petite pièce sentant l’iris); (c) Roussainville, lieu secondaire mais lieu-repère et lieu du monde réel de l’enfance de Proust, ici nanti d’un donjon inexistant, détail dont elle esquisse sur la pointe des pieds et sur le mode interrogatif une possible justification: symbole ajouté d’une préoccupation phallique?

Roussainville, qui dit-elle se définit aussi par ses bois, revient au terme d’un long paragraphe qui nous parle de Saint-André des Champs ... et de Théodore (auquel ainsi, mauvais sujet, elle revient).
J’ai fait une césure artificielle, car Mireille N. ne lit que le second paragraphe....

“Souvent aussi nous allions nous abriter, pêle-mêle avec les saints et les patriarches de pierre sous le porche de Saint-André-des-Champs. Que cette église était française ! (...) Une (...) personnalité de Combray que je reconnaissais (...) virtuelle et prophétisée, dans la sculpture gothique de Saint-André-des-Champs c’était le jeune Théodore, le garçon de chez Camus.(...) quand ma tante Léonie était trop malade pour que Françoise pût suffire à la retourner dans son lit, à la porter dans son fauteuil (...) elle appelait Théodore. Or ce garçon, qui passait et avec raison pour si mauvais sujet, était tellement rempli de l’âme qui avait décoré Saint-André-des-Champs et notamment des sentiments de respect que Françoise trouvait dûs aux «pauvres malades», à «sa pauvre maîtresse», qu’il avait pour soulever la tête de ma tante sur son oreiller la mine naïve et zélée des petits anges des bas-reliefs, s’empressant, un cierge à la main, autour de la Vierge défaillante (...).

Devant nous, dans le lointain, terre promise ou maudite, Roussainville, dans les murs duquel je n’ai jamais pénétré, Roussainville, tantôt, quand la pluie avait déjà cessé pour nous, continuait à être châtié comme un village de la Bible par toutes les lances de l’orage qui flagellaient obliquement les demeures de ses habitants, ou bien était déjà pardonné par Dieu le Père qui faisait descendre vers lui, inégalement longues, comme les rayons d’un ostensoir d’autel, les tiges d’or effrangées de son soleil reparu”.

... elle ne lit ai-je dit que la fin, mais y relève, implicites, des correspondances (qu’elle intronisera baudelairiennes) entre le psychologique (Théodore est un mauvais sujet) et le météorologique (Roussainville est châtié par le mauvais temps), avec, pendant d’un Théodore subliminalement (la confirmation sera plus tardive) sodomite, la métaphore filée d’un Roussainville-Sodome biblique, et même élargi à d’autres allusions car sous les lances de l’orage qui le flagellent, on peut voir advenir les flagellations du “bordel” de Jupien.

Elle dit aussi la réapparition de Roussainville, comme lieu moral, dans les promenades d’automne “d’autant plus agréables que je les faisais après de longues heures passées sur un livre”, un livre qui pouvait être d’Augustin Thierry (Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands), des promenades au long desquelles “les murs des maisons, la haie de Tansonville, les arbres du bois de Roussainville, les buissons auxquels s’adosse Montjouvain, recevaient des coups de parapluie ou de canne, entendaient des cris joyeux, qui n’étaient, les uns et les autres, que des idées confuses qui m’exaltaient”, où se mélangeront des enthousiasmes esthétiques (“Le toit de tuile faisait dans la mare, que le soleil rendait de nouveau réfléchissante, une marbrure rose, à laquelle je n’avais encore jamais fait attention. Et voyant sur l’eau et à la face du mur un pâle sourire répondre au sourire du ciel, je m’écriai dans mon enthousiasme en brandissant mon parapluie refermé : «Zut, zut, zut, zut»”) et des attentes sensuelles: “Parfois à l’exaltation que me donnait la solitude, s’en ajoutait une autre que je ne savais pas en départager nettement, causée par le désir de voir surgir devant moi une paysanne que je pourrais serrer dans mes bras (...) Mais si ce désir qu’une femme apparût ajoutait pour moi aux charmes de la nature quelque chose de plus exaltant, les charmes de la nature, en retour, élargissaient ce que celui de la femme aurait eu de trop restreint. Il me semblait que la beauté des arbres c’était encore la sienne, et que l’âme de ces horizons, du village de Roussainville, des livres que je lisais cette année-là, son baiser me la livrerait ; et mon imagination reprenant des forces au contact de ma sensualité, ma sensualité se répandant dans tous les domaines de mon imagination, mon désir n’avait plus de limites”.

Ces passages sont indiqués, mais peu lus, quelques membres de phrases, tout au plus ...

- et puis finir, sur la circularité de l’œuvre ...

... avec Roussainville quoi qu’il en soit encore à l’articulation. Mireille N évoque le passage où le geste obscène de la petite fille devant la haie d’aubépines est expliqué au narrateur, dans les premières pages du Temps retrouvé, par celle-là même qui le commit, Gilberte, bref passage qui porte en lui, dans ses retours en arrière, à la fois les éléments d’une circularité et d’un continuum des thèmes pervers du roman:

“ ...je lui dis.: «Vous parliez l’autre jour du raidillon, comme je vous aimais alors!» Elle me répondit.: «Pourquoi ne me le disiez-vous pas? je ne m’en étais pas doutée. Moi je vous aimais. Et même deux fois je me suis jetée à votre tête. – Quand donc? – La première fois à Tansonville, vous vous promeniez avec votre famille, je rentrais, je n’avais jamais vu un aussi joli petit garçon. J’avais l’habitude, ajouta-t-elle d’un air vague et pudique, d’aller jouer avec de petits amis, dans les ruines du donjon de Roussainville. Et vous me direz que j’étais bien mal élevée, car il y avait là dedans des filles et des garçons de tout genre, qui profitaient de l’obscurité. L’enfant de chœur de l’église de Combray, Théodore qui, il faut l’avouer, était bien gentil (Dieu qu’il était bien,!) et qui est devenu très laid (il est maintenant pharmacien à Méséglise), s’y amusait avec toutes les petites paysannes du voisinage”.

Dans les perversités enfantines, les prémices de Sodome et Gomorrhe sont là, dit-elle, et par le gentil Théodore qui était bien et qui est devenu très laid, ne verrait-on pas advenir une laideur toute morale? Et dans ces ruines de Roussainville à l’obscurité propice, qui répondent à la crypte de l’église de Combray que Théodore fait visiter, quoi d’autres que des désirs interdits, souterrains, aux bords d’un Combray cruel, de la cruauté dissimulée des adultes, un Combray envahi de représentations et de souvenirs mérovingiens brutaux (vitraux, lanterne) ... et accessoirement, cruauté de Françoise, d’assassinats de poulets, un Combray quand même encore tenu par le code moral de la grand-mère, mais un Combray dont on s’échappe ainsi pour aller vers un Sodome et Gomorrhe de voisinage donner sens à ses envies cachées .... et avec par avance, inscrite dans le vitrail de l’église, la bénédiction ambiguë d’un Saint Hilaire absolvant Gilbert le Mauvais: “Mais je ne vois pas où est saint Hilaire ? – Mais si, dans le coin du vitrail vous n’avez jamais remarqué une dame en robe jaune ?”, bénédiction d’un homme-femme innocentant un sanguinaire! ...

Conclusion Personnelle? ...

À relire l’ensemble, elle nous a quand même servi un drôle de fouillis, cette Mireille Naturel néo-titulaire d’une “Habilitation à diriger des recherches” décernée par un jury que présidait ai-je cru comprendre Compagnon ...
L’obligation de remonter plusieurs fois à la source des références pour chercher son improbable chemin en longeant le gouffre de ses méconnaissances n’est pas en soi un désagrément, mais enfin, on ne sort malgré tout pas de là avec le sentiment d’une quête bien organisée, logique, des réalisations du concept de “mauvais sujet” dans la Recherche. Or, c’était... “Le Sujet”, non?
Ce fut un exposé en auberge espagnole. On y a surtout appris ce qu’on a dû aller chercher pour tâcher de comprendre ....

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Commentaires
S
Merci pour ce commentaire nocturne, et pour l'anecdote Daudet, contribution en forme de "paperole" ...
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N
Tout d'abord "merci" pour votre sérieux entêtement à chercher le fragile fil conducteur de la chose. Merci aussi pour les "suppléments" éclairants, et les adresses de sites sur le net.<br /> J'étais démoralisée en écoutant Dame Mireille, comme bien d'autres sans doute...Et en remontant la rue Saint Jacques avec mon époux,nous avons préféré rester muets, tant nous étions affligés. Arrivés en haut du Boul'Mich, j'ai pensé à cette réflexion de Daudet père rapportée par Léon, alors qu'ils rentraient en calèche à Champrosay après avoir assisté à la représentation d'une pièce du Grand Hugo (Le Roi s'amuse, je crois).Alphonse ne trouva comme explication à la popularité forcenée de Hugo, que ce libérateur "ah bigre!"<br /> Permettez-moi de trouver très gentille votre évocation de l'auberge espagnole...Moi j'étais perdue comme au milieu des étals de soldes de Février, vous savez, les fameuses "soldes soldées" évoquées par M.D<br /> <br /> Mais bon,l'heure est au "politiquement correct"...<br /> <br /> Ou encore,comme à l'école, à l'indulgence sans bornes, et alors, ne pourrait-on justifier cette belle prestation en tenant compte des cours de M. Compagnon , qui nous a dit que<br /> 1.-la désorientation était nécessaire pour déceler le chef d'oeuvre<br /> 2.- Le touffu et l'impur étaient préférables au sec et au pur<br /> ???<br /> <br /> Il est l'heure de la "mauvaise" foi peut-être, celle d'aller dormir sûrement
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