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Mémoire-de-la-Littérature
22 mars 2008

Leçon XII ...

Mardi 18 mars 2008 - 16h30 - 17h30
Amphithéâtre Marguerite de Navarre

Couper les cheveux de Samson lui ôtait toute sa force... Curieusement, se trompant de conséquence, la récente coupe claire de Compagnon a ôté, elle, toute force à mes médisances. Ses cravates éternelles ne me concernent plus et je le vois d’un pas glissé rejoindre à 16h30 sa place sans que s’éveille en moi le démon du dénigrement vestimentaire et comportemental ... Peut-être aussi l’agacement croissant que me procure la ténuité de ses propos proustiens, nuisant à mes bonnes dispositions initiales, le protège-t-il du sarcasme? Qui bene amat .... Qui aime bien moque bien? Qui aime moins moque moins?

Mollement amorcée sur des redites, avec relecture d’extraits déjà donnés, la leçon du jour s’articulera pourtant assez fermement - à quelques exemples annexes près, mais des mêmes travers - sur un thème indiqué “la semaine passée” et dont l’exploration sera promet-on poursuivie la semaine prochaine, celui de la position morale du narrateur lorsqu’il s’agit “(pour en parler comme Montaigne) de fautes ordinaires”: manque de charité, lâcheté, indifférence, cruauté ...

Compagnon commence en effet par des rappels de huitaine: Bloch, Andrée, Saint-Loup ... tous coupables! Seul(e)s exempté(e)s: la mère, la grand-mère (du narrateur), et très interrogativement, Albertine ... avec cette question complémentaire ouverte: quid du narrateur lui-même? ... et avec ces relectures:

- Tu sais, dit-elle [le narrateur vient de rejoindre en catastrophe sa mère en gare de Venise, après Sole mio], ta pauvre grand-mère le disait: C’est curieux, il n’y a personne qui puisse être plus insupportable ou plus gentil que ce petit-là.

- Lâche comme je l’étais déjà dans mon enfance à Combray, quand je m’enfuyais pour ne pas voir offrir du cognac à mon grand-père et les vains efforts de ma grand’mère, le suppliant de ne pas le boire, je n’avais plus qu’une pensée, partir de chez les Verdurin avant que l’exécution de Charlus eût eu lieu.

Sursaut: À propos de cette exécution de Charlus, Compagnon parle de “line-chage”. J’ai du mal à m’habituer à cette prononciation de lynchage que j’attends en “lin-chage” ... Autre version: j’ai l’impression qu’il veut m’instruire de l’âge du cinéaste David Lynch (Lynch âge) ...

... et il fait le détour par l’aveu de lâcheté de Brichot au narrateur dans une tirade dit-il certes grotesque mais qui - contexte kantien évoqué dans une leçon antérieure - analyse bien le dilemme moral qui se présente:

- Le devoir moral, me dit-il, est moins clairement impératif que ne l’enseignent nos Éthiques. Que les cafés théosophiques et les brasseries kantiennes en prennent leur parti, nous ignorons déplorablement la nature du Bien. Moi-même qui, sans nulle vantardise, ai commenté pour mes élèves, en toute innocence, la philosophie du prénommé Emmanuel Kant, je ne vois aucune indication précise, pour le cas de casuistique mondaine devant lequel je suis placé, dans cette critique de la Raison pratique où le grand défroqué du protestantisme platonisa, à la mode de Germanie, pour une Allemagne préhistoriquement sentimentale et aulique, à toutes fins utiles d’un mysticisme poméranien. C’est encore le «Banquet», mais donné cette fois à Kœnigsberg, à la façon de là-bas, indigeste et assaisonné avec choucroute, et sans gigolos. (...)... il me semble que je l’attire [Charlus] comme qui dirait dans un guet-apens, et je recule comme devant une manière de lâcheté.

Note: Tant qu’à vouloir parler d’analyse du dilemme moral, je trouve que Compagnon n’aurait pas dû tronquer sa citation de paragraphes qui en présentent les termes, et particulièrement ceux-ci, inclus dans son “(...)...” ci-dessus:

- Il est évident, d’une part, que je ne puis refuser à notre excellente hôtesse [Mme Verdurin] le léger service qu’elle me demande, en conformité pleinement orthodoxe avec la morale traditionnelle.
- Et pourtant, en occupant cet homme pendant que Mme Verdurin, pour le bien du pécheur et bien justement tentée par une telle cure, va – en parlant au jeune étourdi sans ambages – lui retirer tout ce qu’il aime, lui porter peut-être un coup fatal, il me semble que je l’attire etc.

Puis Compagnon se (re)cale sur le narrateur, objet principal du jour ....

Tout au long du roman, dit-il, vont se rencontrer des épisodes où le narrateur montre - et avoue - des faiblesses, mais avec un penchant systématique pour les excuses, renvoyant ses péchés, généralement “par omission” ( le péché par omission, dit Compagnon, c’est le péché du “ne pas”, l’attitude consistant à “ne pas faire ce qui est prescrit” ...) à la responsabilité des bourreaux directs, voire des victimes [... et me semble-t-il aussi à cette excuse globale de la “nature humaine” - nous rendant “génétiquement” inaptes à mieux faire - qui est le repentir honteux des tempéraments faibles ... contre lequel s’efforce au fond de se raidir le principe classique de droit: “Nul ne peut se prévaloir des turpitudes d’autrui” ]

Nous ne sommes pas si loin dit-il [sans que l’opportunité ici de la remarque me saute tellement aux yeux .... sauf évidemment que l’image que Compagnon va évoquer est amusante et qu’il y a de toute façon là le cadre vague de toute discussion “cultureuse” sur les comportements humains, au Collège de France ou au Café ...] des Vices et Vertus, de Padoue ou d’Amiens, dans les couples opposés : Force / Inconstance ou Force / Lâcheté ou Courage / Couardise, lorsque reniant toute bravoure, un chevalier peureux, insultant son statut, abandonne l’épée et fuit devant un lièvre, tandis qu’une chouette hulule (et même, paraît-il, ulule !) selon la description d’Emile Mâle (Cathédrale d’Amiens).

Pourtant, modère Compagnon, symbole du courage autant que du point d’honneur, la notion de duel plaît fort au narrateur. Et il nous livre quelques extraits (vantards?) où il en est question:

- Il ferait beau voir, pensai-je, que je fusse (...) pusillanime, quand le théâtre d’opérations est simplement notre propre cour [dont le narrateur, pour surveiller Charlus et Jupien a fait le tour “à découvert”] et quand, moi qui me suis battu plusieurs fois en duel sans aucune crainte, au moment de l’affaire Dreyfus, le seul fer que j’aie à craindre est celui du regard des voisins ...

- Je tenais de ma grand’mère d’être dénué d’amour-propre à un degré qui ferait aisément manquer de dignité. Sans doute je ne m’en rendais guère compte, et à force d’avoir entendu, depuis le collège, les plus estimés de mes camarades ne pas souffrir qu’on leur manquât, ne pas pardonner un mauvais procédé, j’avais fini par montrer dans mes paroles et dans mes actions une seconde nature qui était assez fière. Elle passait même pour l’être extrêmement, parce que, n’étant nullement peureux, j’avais facilement des duels, dont je diminuais pourtant le prestige moral en m’en moquant moi-même, ce qui persuadait aisément qu’ils étaient ridicules; mais la nature que nous refoulons n’en habite pas moins en nous.

Bonne fortune : ... feuilletant le texte pour accéder aux citations ci-dessus de Compagnon, je m’amuse de tomber sur un de ces appels intertextuels dont il fait ses délices: “Qu’une maladie, un duel, un cheval emporté, nous fassent voir la mort de près...”. (in Albertine disparue)
Ce “cheval emporté”, n’est-ce pas l’accident du “petit homme sur le petit cheval”, l’accident
de Montaigne, dont Compagnon s'est encore régalé dans l’interview toute récente accordée au Monde des Livres à propos de l’édition des Essais que vient de proposer “notre grand quotidien du soir” à ses lecteurs?

Note: ... concernant les duels, à défaut de “plusieurs”, Marcel Proust en a effectivement connu au moins un, en 1896, qui l’opposa au journaliste et polémiste Jean Lorrain.
Selon la version de George D. Painter:

Dans un feuilleton du 1er juillet, Lorrain décrivait Proust comme “un de ces petits jeunes gens du monde en mal de littérature, d’élégiaques veuleries, de petits riens d’élégance et de subtilité, de tendresses vaines, d’inanes flirts en style précieux et prétentieux ..” et terminait par une allusion si peu cryptée qu’elle revenait à accuser ouvertement d’homosexualité à la fois Marcel et son (de fait tendre!) ami Lucien Daudet.
Proust n’eut pas d’hésitation et cinq jours plus tard, le duel avait lieu, dans le bois de Meudon.
On notera que ledit duel - réel - est rapidement évoqué dans Le côté de Guermantes:
“À propos d’un duel que j’avais eu, elle [Albertine]
me dit de mes témoins: “Ce sont des témoins de choix” ...”
Les deux témoins de Proust contre Lorrain étaient effectivement connus: le peintre impressionniste Jean Béraud (1849 - 1935), alors de forte réputation, et Gustave de Borda dit “Borda Coup d’Épée”, imbattable bretteur, second très recherché dans les duels mondains dont la seule présence était une garantie à la fois de distinction sociale et de virilité.
Mais pour cette fois, prudemment, et quoi qu’il en fût de la spécialité de Borda, l’arme choisie par l’offensé, Marcel, était le pistolet. Prudemment car les convenances du moment - sauf, ce qui n’était quand même pas le cas, pour le duel à mort - étaient qu’avec cette arme, on pouvait laver son honneur à vingt-cinq pieds sans résultat, selon toute probabilité en tirant en l’air .... tandis qu’à l’épée, il eût fallu malgré tout aller au premier sang, ce qui ne met jamais à l’abri d’un faux mouvement excessif ...
Quoi qu’il en soit, comme le relata le Figaro du lendemain:
“... il n’y eut pas de blessé et les témoins déclarèrent que cette rencontre mettait fin au différent”.
Proust, “malgré sa faiblesse physique” fut “très crâne”, devait rapporter Béraud, et Reynaldo Hahn, qui n’avait pas quitté Proust ces jours-là, notait dans son journal: “Marcel a montré un sang-froid et une fermeté depuis trois jours qui paraissaient incompatibles avec ses nerfs...”. J’avoue que ces éloges, à la lumière des conventions mondaines du duel au pistolet précédemment rapportées, me semblent à la fois prévisibles sur le fond (que craindre?) et inattendus dans la forme (tant “à vaincre sans péril....” ) .

Néanmoins, dit Compagnon - et ce “Néanmoins” donne à penser que tous ces duels allusifs sont à porter à ses yeux au crédit d’un narrateur “courageux” [1] - il y a des lâchetés du narrateur et dans leur sillage, des tentatives d’ (auto-)absolution .....

[1] Note: Encore une précision, de Proust lui-même, et fort intéressante, quant au courage et aux duels. C’est dans le Temps retrouvé, à propos des bombardements de Paris lors du premier conflit mondial : “... il est faux de croire que l’échelle des craintes correspond à celle des dangers qui les inspirent. On peut avoir peur de ne pas dormir, et nullement d’un duel sérieux, d’un rat et pas d’un lion ...”

... et il glisse de là à l’attitude et aux réflexions du narrateur après la mort d’Albertine, citant:

“Et j’avais alors, avec une grande pitié d’elle, la honte de lui survivre. Il me semblait, en effet, dans les heures où je souffrais le moins, que je bénéficiais en quelque sorte de sa mort, car une femme est d’une plus grande utilité pour notre vie si elle y est, au lieu d’un élément de bonheur, un instrument de chagrin, et il n’y en a pas une seule dont la possession soit aussi précieuse que celle des vérités qu’elle nous découvre en nous faisant souffrir ”

Ce “bénéfice” de la mort de l’autre, Compagnon le retrouve dans Manon Lescaut, où Des Grieux se félicite après coup, Manon morte, des lueurs intellectuelles que cette passion lui a apportées, notant: “... les lumières que je devais à l’amour me firent trouver de la clarté dans quantité d’endroits d’Horace et de Virgile ... [et pour mon] commentaire du quatrième livre de l’Énéïde [Histoire d’Énée et de Didon - Départ d’Énée et suicide de Didon] ... [je me ] flatte [qu’il] connaîtra le succès ”.

Infatuation de l’homme de lettres, dit Compagnon; Manon est morte, mais Des Grieux est devenu écrivain. C’est toujours, complète-t-il, la femme qui meurt et l’homme qui écrit. Des Grieux et le narrateur s’enchantent de l’intelligence de l’amour qu’ils ont acquise dans la douleur, fort inconscients du coût humain de ce progrès.
Compagnon dit: Dégât collatéral! [Très Schwartzeneggerien! (Collateral damage est un film d’action musclé, ni meilleur ni pire qu’un autre, du (depuis) gouverneur de Californie)]
L’attitude, quoi qu’il en soit, ne les rend pas, conclut-il, sympathiques ...
Bien sûr, chez Proust: “...grande pitié d’elle ... honte de lui survivre...”. Mais quand même ...
À la fin de “l’adoration perpétuelle”, dans le Temps retrouvé, après ce moment jubilatoire où le narrateur trouve sa vocation, des éclairs de mauvaise conscience le traversent (Compagnon lit):

“Et quand nous cherchons à extraire la généralité de notre chagrin, à en écrire, nous sommes un peu consolés, peut-être pour une autre raison encore que toutes celles que je donne ici, et qui est que penser d’une façon générale, qu’écrire, est pour l’écrivain une fonction saine et nécessaire dont l’accomplissement rend heureux, comme pour les hommes physiques l’exercice, la sueur et le bain ...

Écrire, s’interrompt Compagnon, écrire une peine d’amour, c’est d’abord écrire et cela donne du bonheur ...

... À vrai dire, contre cela je me révoltais un peu. J’avais beau croire que la vérité suprême de la vie est dans l’art, j’avais beau, d’autre part, n’être pas plus capable de l’effort de souvenir qu’il m’eût fallu pour aimer encore Albertine que pour pleurer encore ma grand’mère, je me demandais si tout de même une œuvre d’art dont elles ne seraient pas conscientes serait pour elles, pour le destin de ces pauvres mortes, un accomplissement ...

Ce “monument aux morts”, s’interrompt-il de nouveau, pour le mort, ce pourrait donc être un accomplissement? ...

... Ma grand’mère que j’avais, avec tant d’indifférence, vue agoniser et mourir près de moi ! Ô puissé-je, en expiation, quand mon œuvre serait terminée, blessé sans remède, souffrir de longues heures abandonné de tous, avant de mourir ...

Expier ce forfait souligne-t-il, oui, expier ce forfait qu’est faire œuvre de la mort d’autrui [... Forfait littéraire assurément courant! Ils disent généralement en excuse: Thérapie . On peut se demander s’il ne faudrait pas lire: Retour sur investissement ... On peut aussi comprendre et les grandes douleurs diminuent à ne pas s’obstiner à rester muettes. Humain ... et continuer à vivre est à sa façon un devoir]

... D’ailleurs, j’avais une pitié infinie même d’êtres moins chers, même d’indifférents, et de tant de destinées dont ma pensée en essayant de les comprendre avait, en somme, utilisé la souffrance, ou même seulement les ridicules. Tous ces êtres, qui m’avaient révélé des vérités et qui n’étaient plus, m’apparaissaient comme ayant vécu une vie qui n’avait profité qu’à moi, et comme s’ils étaient morts pour moi”.

Il ne faut pas négliger - c’est moi qui parle - les indiscutables satisfactions qu’on tire (quelquefois) de la dégradation volontaire de sa propre image. Ce narcissisme pervers peut jouer un rôle dans des auto-flagellations qui finissent, pas nécessairement consciemment au départ, par s’installer comme des complaisances. Et je ne suis pas totalement convaincu de l’absolue sincérité de la formule (in Albertine disparue ) que Compagnon met ensuite en valeur : “Dans ces moments-là, rapprochant la mort de ma grand’mère et celle d’Albertine, il me semblait que ma vie était souillée d’un double assassinat que seule la lâcheté du monde pouvait me pardonner”.

Compagnon en reste davantage à une casuistique qu’il dit assez fréquente dans la Recherche, mais dont il ne met pas en doute qu’elle représente une tentative d’excuse pour un forfait sincèrement perçu comme tel [c’est sur cette sincérité là que portent mes réserves ci-dessus], comme si la veulerie des autres dédouanait de ses vilenies le narrateur .
Note: on est là - et cette fois très explicitement - renvoyé au contournement du principe déjà cité plus haut: “Nul ne peut se prévaloir des turpitudes d’autrui” .
Compagnon préfère parler “d’auto-justification” en forme de “mise en balance de deux culpabilités”.

Ayant lu et donc dit “lâcheté”, il en cherche, en termes d’abstention, d’aveuglement volontaire, de soumission, d’abaissement, un autre exemple dans l’humiliation de Mme de Saint-Euverte par M. de Charlus... La situation: Soirée chez la princesse de Guermantes. Mme de Saint-Euverte se retrouve coincée (baie trop étroite) derrière le baron lors d’un déplacement et doit subir une tirade d’une invraisemblance violence de celui-ci, parlant à Mme de Surgis et faisant qui ne l’a pas vue. Compagnon, faute de temps, allège le passage; il vaut la peine ici de (presque) tout donner! le “non lu” est entre accolades.

Une niaise question que je lui posai sans malice ... {lui fournit l’occasion d’un triomphal couplet dont la pauvre de Saint-Euverte, quasi immobilisée derrière nous, ne pouvait guère perdre un mot. – Croyez-vous que cet impertinent jeune homme, dit-il (...) vient de me demander, sans le moindre souci qu’on doit avoir de cacher ces sortes de besoins, si j’allais chez Mme de Saint-Euverte, c’est-à-dire, je pense, si j’avais la colique. Je tâcherais en tout cas de m’en soulager dans un endroit plus confortable que chez une personne qui, si j’ai bonne mémoire, célébrait son centenaire quand je commençai à aller dans le monde, c’est-à-dire pas chez elle. Et pourtant, qui plus qu’elle serait intéressante à entendre ? Que de souvenirs historiques, vus et vécus du temps du Premier Empire et de la Restauration, que d’histoires intimes aussi qui n’avaient certainement rien de «Saint», mais devaient être très «Vertes», si l’on en croit la cuisse restée légère de la vénérable gambadeuse.

Ce qui m’empêcherait de l’interroger sur ces époques passionnantes, c’est la sensibilité de mon appareil olfactif. La proximité de la dame suffit. Je me dis tout d’un coup : «Oh ! mon Dieu, on a crevé ma fosse d’aisances», c’est simplement la marquise qui, dans quelque but d’invitation, vient d’ouvrir la bouche. Et vous comprenez que si j’avais le malheur d’aller chez elle, la fosse d’aisances se multiplierait en un formidable tonneau de vidange (...)} ... On me dit que l’infatigable marcheuse donne des «garden-parties», moi j’appellerais ça «des invites à se promener dans les égouts». Est-ce que vous allez vous crotter là ? (...)

Pour ma part, j’étais indigné de l’abominable petit discours que venait de tenir M. de Charlus. J’aurais voulu combler de biens la donneuse de garden-parties. Malheureusement dans le monde, comme dans le monde politique, les victimes sont si lâches qu’on ne peut pas en vouloir bien longtemps aux bourreaux.

Compagnon commente succinctement; il trouve “terrible” l’incidente: “comme dans le monde politique”. Le narrateur a pitié, dit-il, mais reste sans réaction. Et poursuivant:

Mme de Saint-Euverte, qui avait réussi à se dégager de la baie dont nous barrions l’entrée, frôla involontairement le baron en passant, et, par un réflexe de snobisme qui annihilait chez elle toute colère, peut-être même dans l’espoir d’une entrée en matière d’un genre dont ce ne devait pas être le premier essai : «Oh ! pardon, monsieur de Charlus, j’espère que je ne vous ai pas fait mal», s’écria-t-elle comme si elle s’agenouillait devant son maître.

Assez effrayant ....
Autre exemple encore, cette fois avec la princesse Sherbatoff, qui est chez Compagnon rebond sur l’allusion au monde politique. Situation: Le narrateur est dans le train et tient compagnie à la princesse quand monte Mme de Villeparisis avec qui il a une conversation assez longue:

J’ignorais, du reste, absolument que Mme de Villeparisis savait très bien qui était ma voisine, mais ne voulait pas la connaître. À la station suivante, Mme de Villeparisis quitta le wagon, je me reprochai même de ne pas l’avoir aidée à descendre; j’allai me rasseoir à côté de la princesse.
Mais on eût dit – cataclysme fréquent chez les personnes dont la situation est peu solide et qui craignent qu’on n’ait entendu parler d’elles en mal, qu’on les méprise – qu’un changement à vue s’était opéré. Plongée dans sa Revue des Deux-Mondes, Mme Sherbatoff répondit à peine du bout des lèvres à mes questions et finit par me dire que je lui donnais la migraine. Je ne comprenais rien à mon crime. Quand je dis au revoir à la princesse, le sourire habituel n’éclaira pas son visage, un salut sec abaissa son menton, elle ne me tendit même pas la main et ne m’a jamais reparlé depuis.(...)

En fait, la princesse est “déclassée”, souffre de son déclassement qui justifie le dédain de Mme de Villeparisis - avec qui le narrateur est visiblement dans les meilleurs termes - et préfère “couper les ponts” .... On reprend:

Il faut avoir vu l’homme politique qui passe pour le plus entier, le plus intransigeant, le plus inapprochable depuis qu’il est au pouvoir ; il faut l’avoir vu au temps de sa disgrâce, mendier timidement, avec un sourire brillant d’amoureux, le salut hautain d’un journaliste quelconque ; il faut avoir vu le redressement de Cottard (que ses nouveaux malades prenaient pour une barre de fer), et savoir de quels dépits amoureux, de quels échecs de snobisme étaient faits l’apparente hauteur, l’anti-snobisme universellement admis de la princesse Sherbatoff, pour comprendre que dans l’humanité la règle – qui comporte des exceptions naturellement – est que les durs sont des faibles dont on n’a pas voulu, et que les forts, se souciant peu qu’on veuille ou non d’eux, ont seuls cette douceur que le vulgaire prend pour de la faiblesse.

Remarque: On retrouve là le schéma bien connu du colosse tranquille et doux, sûr de sa force, dont le bon sens populaire fait l’analyse lucide: Pourquoi serait-il agressif? Il n’a rien à prouver qui ne soit évident ... Qui va venir “lui chercher des crosses”? .... Ce sont les petits qui sont “teigneux”.

Compagnon, lui, dérive un peu, à son habitude, et abandonnant la piste initiale du monde politique (qui était déjà une dérivation ...), il se pose la question de savoir “s’il y a des forts dans la Recherche” ... répondant: “Le duc de Guermantes, peut-être, assez sûr (content?) de lui pour ne pas se guinder, pour montrer de la douceur?”, et il nous renvoie à l'attitude de celui-ci vis à vis du père du narrateur, lisant:

- { Un jour que M. de Guermantes avait besoin d’un renseignement qui se rattachait à la profession de mon père, il s’était présenté lui-même avec beaucoup de grâce. Depuis il avait souvent quelque service de voisin à lui demander, et ... } dès qu’il l’apercevait en train de descendre l’escalier tout en songeant à quelque travail et désireux d’éviter toute rencontre, le duc quittait ses hommes d’écuries, venait à mon père dans la cour, lui arrangeait le col de son pardessus, avec la serviabilité héritée des anciens valets de chambre du Roi, lui prenait la main, et la retenant dans la sienne, la lui caressant même pour lui prouver, avec une impudeur de courtisane, qu’il ne lui marchandait pas le contact de sa chair précieuse, ... { il le menait en laisse, fort ennuyé et ne pensant qu’à s’échapper, jusqu’au delà de la porte cochère}.

Compagnon n’a pas lu les parties entre accolades. Ce faisant, je me demande s’il ne biaise pas l’interprétation de la citation et s’il faut bien voir de la “force” dans cette obséquiosité intéressée (il avait souvent quelque service de voisin à lui demander) et pleine d’autoritarisme (il le menait en laisse) de grand seigneur courtisan. Et puis, s’agit-il vraiment de douceur ... ou de ce mépris de second degré que peut traduire un excès de prévenances? Le long portrait du duc qui précède le passage lu montre effectivement un homme sûr de lui, de la supériorité de sa “race”, envahissant ... sans qu’on soit en rien bien certain que cela fasse un homme “fort”. Le duc, dit Compagnon, n’a jamais été humilié. Sa “force” me semble-t-il n’en pourrait que davantage être celle, illusoire, qu’entretient le manque d’obstacles, à moins que ce ne soit, tout simplement, celle des imbéciles....

Dureté des faibles, douceur des forts ... le thème quoi qu’il en soit, a séduit Compagnon qui y raccroche assez marginalement un retour à la Charité de Giotto, pour une mise en valeur du paradoxe apparent de la formule par une remarque connexe du narrateur, qui porte au fond sur l’être et le paraître: “Quand, plus tard, j’ai eu l’occasion de rencontrer, au cours de ma vie, dans des couvents par exemple, des incarnations vraiment saintes de la charité active, elles avaient généralement un air allègre, positif, indifférent et brusque de chirurgien pressé, ce visage où ne se lit aucune commisération, aucun attendrissement devant la souffrance humaine, aucune crainte de la heurter, et qui est le visage sans douceur, le visage antipathique et sublime de la vraie bonté”.

On revient au héros-narrateur. Il consent donc souvent, dit Compagnon, à la lâcheté du monde. Ainsi de son attitude, lors du bal de têtes, devant les aimables discours d’Odette sur Swann, qui le trouvent lucide, mais complaisant:

- Pauvre Charles, il était si intelligent, si séduisant, exactement le genre d’hommes que j’aimais (...)
- J’eus la lâcheté d’ajouter que ce qu’elle disait de Swann était gentil et noble de sa part, mais je savais combien c’était faux et que sa franchise se mêlait de mensonges.

Quand le narrateur ainsi, constamment, s’accuse, c’est toujours sur fond de circonstances atténuantes. Ici, par exemple, il sait qu’Odette se trompe elle-même, dans la nécessité du mensonge mondain. À quoi bon ramer à contre-courant ...?
Mais n’est-il donc jamais coupable? Intrinsèquement coupable?

Il semble à Compagnon qu’il y a malgré tout quelques moments de joie mauvaise à inscrire à son (dis)crédit. Il n’est pas charitable avec Bloch par exemple (avec ce bémol immédiat: ... mais comment il est vrai être indulgent avec ce fourbe-type ... ?). Et il resitue le personnage et quelques anecdotes:

- [Il pourrait éventuellement ne pas avoir “mauvais fond”; accusé d’indiscrétion pour une intervention inopportune auprès de M. Bontemps:...] Bloch à partir de ce moment là ne cessa plus de sourire, moins, je crois, de joie que de gêne de m’avoir contrarié.
Ce comportement est mufle, dit Compagnon. La muflerie peut avoir bien des causes et parfois [il cite] “même dans la bourgeoisie, on paraît ingrat et on se montre mufle parce qu’ayant oublié pendant des mois d’écrire à un bienfaiteur qui vient de perdre sa femme, ensuite on ne le salue plus pour simplifier...” . Bloch, lui, est ici “mufle par malaise” [1]

[1] Ce sourire de gêne de Bloch me rappelle une anecdote. Il est assez systématique comme réaction de défense chez les asiatiques et peut conduire à de graves malentendus. J’ai eu l’occasion professionnelle dans les années 1980 de travailler avec un conseiller culturel quelque part en Asie du Sud-est. Il me racontait que la première chose que l’on apprenait aux jeunes coopérants occidentaux venus faire de l’enseignement était de ne pas prendre pour de l’insolence (et donc de ne pas punir) le sourire de retour des élèves qui s’élargissait au fur et à mesure que se prolongeait ou s’amplifiait une réprimande. Il n’y avait là m’expliquait-il que la marque d’un malaise et le signe d’un sentiment de culpabilité grandissant ...

[Mais enfin:] ...il [Bloch] était d’un caractère lâche et vivant gaiement et paresseusement dans les mensonges, comme les méduses à fleur d’eau.

- Le narrateur “explique” Bloch par sa mauvaise éducation: “Il avait certainement envie d’être très aimable avec moi. Pourtant, il me demanda : «Est-ce par goût de t’élever vers la noblesse – une noblesse très à-côté du reste, mais tu es demeuré naïf – que tu fréquentes de Saint-Loup-en-Bray. Tu dois être en train de traverser une jolie crise de snobisme. Dis-moi, es-tu snob ? Oui, n’est-ce pas ?» Ce n’est pas que son désir d’amabilité eût brusquement changé. Mais ce qu’on appelle en un français assez incorrect «la mauvaise éducation» était son défaut, par conséquent le défaut dont il ne s’apercevait pas, à plus forte raison dont il ne crût pas que les autres pussent être choqués”.

- Bloch - et le narrateur le voit bien - est en déséquilibre, lourd d’un besoin d’affection frustré: “Le dénigrement furieux était souvent chez Bloch l’effet d’une vive sympathie qu’il avait cru qu’on ne lui rendait pas”

- .. mais il ne l’épargne pas. Et Compagnon s’en rapporte à un épisode, chez Mme de Villeparisis ... :
“ Cependant je causais avec Bloch, et craignant, après ce qu’on m’avait dit du changement à son égard de son père, qu’il n’enviât ma vie, je lui dis que la sienne devait être plus heureuse. Ces paroles étaient de ma part un simple effet de l’amabilité. Mais elle persuade aisément de leur bonne chance ceux qui ont beaucoup d’amour-propre, ou leur donne le désir de persuader les autres. «Oui, j’ai en effet une vie délicieuse, me dit Bloch d’un air de béatitude. J’ai trois grands amis, je n’en voudrais pas un de plus, une maîtresse adorable, je suis infiniment heureux. Rare est le mortel à qui le Père Zeus accorde tant de félicités.» Je crois qu’il cherchait surtout à se louer et à me faire envie”.
Bloch, dit Compagnon, ne semble pas, dans ce curieux dialogue, dupe du narrateur. Il sait qu’on est en pleine hypocrisie mondaine, qu’il y a insincérité dans le propos qu’on lui tient, voire, qu’on cherche à le blesser en lui représentant qu’on le croit heureux tout en sachant qu’il sait qu’on n’en croit rien.... En tout cas, cette complexité sournoise, je la soupçonne acquise, dans l’esprit de Compagnon, et instituant pour le coup, une malveillance vraie, sans excuse avancée puisque formellement niée. Un cas où le narrateur serait, réellement, coupable? Tiré par les cheveux me semble-t-il ... Ou alors j’ai mal interprété, et Compagnon ne porte au débit de Proust, que la flèche finale et la perception mal intentionnée de la réponse de Bloch: “Je crois qu’il cherchait surtout à se louer et à me faire envie”. Oui, c’est sans doute seulement cela....

Deux moments en tout cas, avec lesquels on va terminer la séance, deux moments d’arrogance [coupable...] du narrateur peuvent être, dit Compagnon, soulignés.

- Le premier dans le cadre de l’exécution de Charlus. Et il lit un long passage [ ... de la fin du cahier IX (feuillets détachés non numérotés) qui dans l’édition de la Pléiade de Clarac et Ferré sur laquelle je travaille n’est donné qu’en note de bas de page ... et que j’ai de ce fait eu du mal à localiser (!)] ...:

J’ai toujours regretté [ c’est le narrateur qui parle ] que M. de Charlus, au lieu de borner ses dons artistiques à la peinture d’un éventail comme présent à sa belle-sœur (nous avons vu la duchesse de Guermantes le tenir à la main et le déployer moins pour s’en éventer que pour s’en vanter, en faisant ostentation de l’amitié de Palamède) et au perfectionnement de son jeu pianistique afin d’accompagner sans faire de fautes les traits de violon de Morel, j’ai toujours regretté, dis-je, et je regrette encore, que M. de Charlus n’ait jamais rien écrit. Sans doute je ne peux pas tirer de l’éloquence de sa conversation et même de sa correspondance la conclusion qu’il eût été un écrivain de talent. Ces mérites-là ne sont pas dans le même plan. Nous avons vu d’ennuyeux diseurs de banalité écrire des chefs-d’œuvre, et des rois de la causerie être inférieurs au plus médiocre dès qu’ils s’essayaient à écrire. Malgré tout je crois etc. ...

Ces lignes sont, pour Compagnon, remarquables, car le présent du narrateur (et je regrette encore) y indique en fait (outre comme je l’ai signalé que ce sont des ajouts) qu’elles ont été rédigées après le dénouement du Temps retrouvé, du point de vue de l’écrivain qu’est (enfin!) devenu le narrateur, qui dès lors se permet de juger les autres, des rangs desquels il a longtemps été, qui ont échoué, qui n’ont pas su comme lui surmonter leur procrastination (leur penchant à toujours différer) ... Et cette assurance critique, inaccoutumée dans le corps du texte, Compagnon se demande comment la lire, sans répondre d’ailleurs: vraie force? dureté affectée d’un faible?...

- Second moment: la tirade du Temps retrouvé contre les “célibataires de l’art”, les ratés de la littérature, tirade qui se situe après l’aboutissement de la réflexion esthétique du narrateur, révélation acquise, où il fustige cette fois collectivement ceux qui s’en tiennent aux impressions premières, sans creuser, sans aller à leurs racines personnelles, tous ceux qui fuient leur devoir d’artiste: ...

Aussi combien s’en tiennent là qui n’extraient rien de leur impression, vieillissent inutiles et insatisfaits, comme des célibataires de l’art. Ils ont les chagrins qu’ont les vierges et les paresseux, et que la fécondité dans le travail guérirait. Ils sont plus exaltés à propos des œuvres d’art que les véritables artistes, car leur exaltation n’étant pas pour eux l’objet d’un dur labeur d’approfondissement, elle se répand au dehors, échauffe leurs conversations, empourpre leur visage ; ils croient accomplir un acte en hurlant à se casser la voix : «Bravo, bravo» après l’exécution d’une œuvre qu’ils aiment. Mais ces manifestations ne les forcent pas à éclaircir la nature de leur amour, ils ne la connaissent pas. Cependant celui-ci, inutilisé, reflue même sur leurs conversations les plus calmes, leur fait faire de grands gestes, des grimaces, des hochements de tête quand ils parlent d’art. «J’ai été à un concert où on jouait une musique qui, je vous avouerai, ne m’emballait pas. On commence alors le quatuor. Ah ! mais, nom d’une pipe ! ça change (la figure de l’amateur à ce moment-là exprime une inquiétude anxieuse comme s’il pensait : «Mais je vois des étincelles, ça sent le roussi, il y a le feu»). Tonnerre de Dieu, ce que j’entends là c’est exaspérant, c’est mal écrit, mais c’est épastrouillant, ce n’est pas l’œuvre de tout le monde.» Encore, si risibles que soient ces amateurs, ils ne sont pas tout à fait à dédaigner. Ils sont les premiers essais de la nature qui veut créer l’artiste, aussi informes, aussi peu viables que ces premiers animaux qui précédèrent les espèces actuelles et qui n’étaient pas constitués pour durer. Ces amateurs velléitaires et stériles doivent nous toucher comme ces premiers appareils qui ne purent quitter la terre mais où résidait, non encore le moyen secret et qui restait à découvrir, mais le désir du vol. «Et, mon vieux, ajoute l’amateur en vous prenant par le bras, moi c’est la huitième fois que je l’entends, et je vous jure bien que ce n’est pas la dernière.» Et, en effet, comme ils n’assimilent pas ce qui dans l’art est vraiment nourricier, ils ont tout le temps besoin de joies artistiques, en proie à une boulimie qui ne les rassasie jamais. Ils vont donc applaudir longtemps de suite la même œuvre, croyant, de plus, que leur présence réalise un devoir, un acte, comme d’autres personnes la leur à une séance d’un Conseil d’administration, à un enterrement. Etc. ...

Le “que la fécondité dans le travail guérirait” lui fait évoquer Zola et son quatuor majeur de références: “Fécondité , Travail, Vérité, Justice”, en passant ...
Sinon, pas de mots assez durs, dit-il, comme s’il n’était pas des leurs, celui qui parle, juste l’instant d’avant; sans appel, sans pitié, comme si l’œuvre déjà était faite, dans le zèle cruel des nouveaux convertis ....

Et puis, mouvement de repli. Car sur ces deux moments-là, dit Compagnon, est-ce bien le narrateur que je juge? Celui que nous avons appelé narrateur et qui n’est pas celui que nous lisons, mais celui que celui qui narre nous raconte .... Et la réponse est non, bien sûr, tant il s’est détaché, ce narrateur qui juge, du héros du roman, ce narrateur d’avant. Or c’est sur ce dernier que portait la question: Coupable ou non ... comme les autres?
Dissocions donc ces deux moments, réservons notre jugement.
L’interrogation reste entière.
On veut juger la chrysalide? Ne parlons pas du papillon!
Et revenant au narrateur “du temps du roman à venir”, donnons lui rendez-vous au bal de têtes, que nous creuserons mieux .... la prochaine fois.

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