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Mémoire-de-la-Littérature
1 avril 2009

Leçon n° 12 - Mardi 27/03/2009

Le cheval sent l’écurie

J’ai trouvé Compagnon comme libéré, ce mardi, soulagé d’un poids. Je n’ai pas compris tout de suite. L’explication est venue après la plaisanterie liminaire désormais convenue sur l’introduction de ce cours 2008-2009 qui n’en finit pas de s’installer alors qu’il atteint son terme. Elle est arrivée lorsque Compagnon, franchissant le Rubicon, a posé le principe auquel ses lenteurs et atermoiements le condamnaient : Si cette introduction est si longue, c’est qu’elle prépare le  cours 2009-2010.

Certes, il y a mis des nuances. Le nœud gordien n’est pas son genre, il faut agrémenter de peut-être et de si, ne serait-ce que pour se ménager la possibilité de changer d’avis pendant l’été. Mais enfin, il était plus léger. Point d’obligation de conclure, de boucler, point d’exigence absolue de cohérence ou de cycle à achever, la logique du parcours rejoint sa pente naturelle : repousser l’horizon par le seul fait qu’on avance. Le but, au fond, c’est le chemin.

Et dans une leçon, c’est la quille ?

Quand on n’a pas relu ses notes depuis huit jours, il reste fort peu de souvenirs d’un cours. Et c’est toujours un moment amusant, celui où on s’installe devant l’ordinateur avec les quelques feuillets à exploiter, le plus souvent six, quelquefois, cette fois, cinq, dont on ne sait plus ce qu’ils contiennent. On a rédigé autre chose entre temps, il ne reste de la séance qu’une ou deux impressions vagues. J’ai déjà dit la première : Antoine était content de sa pirouette libératoire : « La suite à l’année prochaine ». Il en est une seconde, vague : des précisions de fin de cours sur l’émergence d’un vocabulaire : hagiographie, biographie, hagiographe, biographe et le sentiment (en fait permanent cette année) que je n’étais pas venu pour entendre ça…

Bien. On s’y met, quand même ? ….

Compagnon commence par redire la situation :

Tout sujet de recherche littéraire peut être abordé du point de vue du présent comme de celui de l’Histoire, à partir  du contemporain ou de l’historique [ c’est son péché mignon, le bis repetita et la redondance tempérée (…par un léger glissement du vocabulaire)]. Il distingue l’Allégorie, comme réponse à la question : ‘‘En quoi le texte passé répond-il à nos questions actuelles ?’’ et la Philologie qui prendrait, elle en charge : ‘‘À quelles questions du passé peut répondre le texte actuel ?’’, tantôt le passé pour éclairer le présent, tantôt le présent pour enrichir le passé …Il y a, dit-il, constante circularité herméneutique à travers ces deux approches. Les séparer, les isoler, les entre-exclure, c’est aller à l’impasse, courir à l’erroné. L’allégoriste pur, le philologue pur, sont l’avers et le revers du contresens. Bilan : il faut tresser les deux démarches.

Son principe, dit-il (à lui, Compagnon), c’est de partir d’abord du présent, car la littérature nous intéresse en tant qu’elle nous concerne. Mais au-delà, il reste indispensable de porter le regard vers l’arrière  pour comprendre le concept manié « dans son histoire ».

Ainsi de l’Écriture de vie.

On en a d’abord installé l’actualité récente, celle des dernières décennies, où on a taxé d’abus et d’aporie la littérature personnelle avant ou en même temps qu’on en a fait l’apologie, déplorant son vide abyssal ou exprimant qu’il n’y avait de bonne vie ou de Vie Bonne que celle qui se déployait par le récit, bref démontrant, comme à l’accoutumée - parfois avec les mêmes arguments - et tout et son contraire [bon, là, c’est moi qui force un peu le trait …]. Et Compagnon de redire : Le Journal de deuil de Barthes, preuve par 9 [il y tient ! absolument ! rien n’y fait, il est imperméable à toute critique, toute remarque ! c’est l’homo inebranlabilis ! Bon, il faut dire à sa décharge qu’il n’est pas, à ma connaissance, de mes abonnés], preuve par 9 ( !) donc de l’antinomie deuil/récit, de l’incompatibilité des temporalités du deuil et du récit, ou pour le dire autrement - et là, je tiens le jargon de Claude Lanzmann qui s’en vante dans Le lièvre de Patagonie suite à un D.E.S de philosophie sur Leibniz vieux de quarante ans – le deuil et le récit comme incompossibles (c’est-à-dire, tout bêtement, possibles mais pas simultanément … un peu comme ‘‘Boire et Conduire’’ ?).

Mais maintenant, dit Compagnon, maintenant que cela est dit, maintenant que nous avons batifolé dans les controverses presque contemporaines du XX° siècle, plongeons dans le passé quelques encablures plus loin, et posons, seconde partie d’une introduction qui sera finalement peut-être celle du cours 2009-2010, les linéaments de ce volet philologique espéré que deux séances devraient permettre de constituer en aboutissement d’un parcours 2008-2009 qu’on pourra dès lors rebaptiser avec sous-titre : « Ecrire la vie : Prolégomènes ». (Honnêtement, j’ai un peu extrapolé son ‘‘prononcé’’ – Mais il a dit linéaments et prolégomènes et quant au fond,  je ne l’ai pas trahi !)

Comme dans toute question philosophique, dans tout phénomène psychologique, en littérature, il existe une période de transition où l’émergent se dessine, se définit, se stabilise et se lit, au delà de laquelle, il changera peu de contenu. Pour ce qui nous intéresse, le tournant va des lumières au romantisme, de 1750 à 1850, période où se fixent les grandes notions. Et il appelle à la barre Reinhart Koselleck, historien allemand, qui publie en 1959  Kritik und Krise (trad. Française en 1979 : Le règne de la critique) où est étudiée cette période charnière de la modernité, il est vrai plus au sens allemand, celui des concepts politiques et sociaux, qu’en un sens franco-baudelairien qui porterait sur l’artistique, des concepts qui seraient devenus plus normatifs que descriptifs (liberté, progrès, égalité, souveraineté, etc.)   On pense, dit Compagnon, à Benjamin Constant et à la Liberté des modernes [Note : De la liberté des anciens comparée à celle des modernes (1819) – cf. Ecrits politiques / Gallimard. Constant examine le passage du droit délibératif des anciens dans la cité athénienne à la soumission, qu’il redoute, de l’individu à une volonté générale rousseauiste qui a inspiré les jacobins de la Révolution. Il craint le Léviathan de la souveraineté populaire (l’État) et se préoccupe surtout de la possibilité d’en limiter le pouvoir pour préserver les libertés individuelles (modernes)]. Les concepts, selon Koselleck, ont voulu avoir prise sur les phénomènes sociaux et ce pouvoir même a introduit le normatif, tourné vers le futur … Aller lire Koselleck ? Les affirmations de Compagnon, sinon, me restent assez confuses, sauf à traduire : le concept (la théorisation) veut s’emparer du phénomène, le théoriser justement, pour le comprendre (l’ayant simplifié, ce qui est le propre des théories), l’organiser, le réorienter et maîtriser-guider dès lors ses réapparitions-évolutions ( ?), ce qui pourrait peut-être faire le lien avec  Benjamin Constant ( ?). Mouais…

En attendant, Compagnon se conforte de François Hartog qui travaille dans le sillage de Koselleck (sans vraiment le comprendre si j’en crois les attaques critiques de Philippe Lacour lues sur le Net à propos de ce positionnement koselleckien dans Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, qu’Hartog a publié en 2003…) et s’occupe de l’histoire langagière des concepts, attentif aux échanges langue/société et aux modifications d’un même concept de l’ancien à l’actuel. Une sorte de sémantique historique, dit Compagnon, qui renvoie à un Manuel des concepts politiques et sociaux fondamentaux en France, 1680-1820, vaste travail en 16 volumes qu’il co-attribue à Koselleck, néanmoins absent du pilotage référencé de l’ouvrage que j’ai trouvé : Hans-Jürgen Lüsebrink, Rolf Reichardt et Eberherdt Schmitt, Koselleck qu’on nous donne par contre comme co-directeur de : Les concepts fondamentaux en histoire / Dictionnaire historique du langage politique-social en Allemagne / 115 concepts en 11000 pages sur double colonne. Cela dit, mes pinaillages attributifs, outre qu’ils ne sont pas garantis, pour l’usage que nous en ferons, sont évidemment sans aucun intérêt …Je sais, il y en a qui ont vraiment du temps à perdre. Passons…

Compagnon, lui, qui y est sans doute allé un peu voir ( ?), mais pas trop ( !), se préoccupe de savoir si dans le monumental Manuel des concepts susdit, en 16 volumes, l’écriture de vie ne serait pas, quelque part, analysée…. On ne va pas lui interdire de rêver …

En tout cas, dit-il, ce moment charnière, fin XVIII° - début XIX°, il vaut aussi pour les notions littéraires, d’auctoritas à autorité (« J’ai fait », dit-il, « un cours là-dessus en Sorbonne »), avec  comme toujours, Montaigne au carrefour (Essais, III, 2), Du repentir : ‘‘Les auteurs se communiquent au peuple par quelque marque particuliere et estrangere; moy le premier par mon estre universel, comme Michel de Montaigne, non comme grammairien, ou poëte, ou jurisconsulte. Si le monde se plaint de quoy je parle trop de moy, je me plains de quoy il ne pense seulement pas à soy’’.

De Montaigne à la Révolution, dit Compagnon, avec l’apparition de la législation du droit d’auteur /… bref passage illisible …/ la conception moderne se dégage. Depuis cet avènement (la législation ci-dessus) et avec la critique « biographique » de Sainte-Beuve, la notion d’auteur devient plus stable et le débat sur le rôle, la pertinence, de la présence de l’auteur dans les études littéraires s’installe comme constant.

Et Écrire la vie ? Stable aussi, depuis ce tournant. Barthes parlait d’un « romantisme large », de Rousseau à Proust, dans lequel d’ailleurs il s’inscrivait, un courant auquel il s’identifiait. Nous n’en sommes pas, au fond, sortis, et nos façons de vivre, d’aimer, de mourir, elles sont restées romantiques, « au sens large ».

Comment prendre position dans le débat contemporain sur le thème qui nous occupe en combinant allégorie et philologie ? Koselleck n’est pas le seul axe de référence (pour ce que j’ai essayé d’en comprendre ci-dessus, c’est d’ailleurs pour moi un axe assez friable et sur lequel j’éviterais de m’appuyer !…) et on peut revenir (car déjà cité ailleurs) au philosophe canadien  Charles Taylor, auteur d’une vaste enquête sur le moi occidental (Sources of the self, 1989. Paru au Seuil en 1998) : Les Sources du moi / La formation de l’identité moderne.

L’approche, dit Compagnon, y est un peu différente : généalogie du moi moderne, occidental, à travers la sécularisation de l’identité, le désenchantement du monde par la modernité, jusqu’aux dissolutions de l’humanisme par les avant-gardes et, de nouveau, Montaigne, au centre…

Peut-être, mais guère explicite. On trouve une analyse du livre de Taylor à l’adresse : http://denis-collin.viabloga.com/news/les-sources-du-moi.

Pour m’y être reporté, j’ai au moins noté une citation de Taylor qui s’articule avec notre affaire : « On pourrait formuler la question ainsi [ce serait  ‘‘la thèse de base’’ du livre de Taylor]: parce que nous ne pouvons que nous orienter vers le bien, et déterminer ainsi notre situation relative par rapport à celui-ci, et donc déterminer l’orientation de nos vies, nous devons inévitablement concevoir nos vies dans une forme narrative  comme une ‘‘quête’’ ».

On trouve à la même source un soulignement de ce que Taylor accorde une place importante à Montaigne « comme affirmation de l’individualisme moderne en ce qu’il met au centre de sa pensée la recherche par le moi d’un accord avec soi-même ».

On trouve enfin, sur la ‘‘sécularisation de l’identité’’, une citation de Taylor (assez) explicite : « Il existait à l’intérieur de la culture chrétienne un stimulus qui a permis d’engendrer  [une éthique autonome (concept lié à celui d’identité)]. (…) L’intériorité augustinienne [Taylor croit à la présence chez Saint-Augustin d’un ‘‘proto-cogito’’ qui prépare Descartes et l’affirmation de la séparation du moi et du cosmos et de l’existence d’une intériorité comme véritable siège du moi] se trouve derrière le tournant cartésien, et l’univers mécaniste était à l’origine une exigence théologique. Le sujet désengagé occupe une place qui avait été préparée pour Dieu ; il adopte à l’égard du monde une position qui convient à l’image de la déité. La croyance en une chaîne de la nature découle de l’affirmation de la vie ordinaire [ définition de Taylor : « Le refus de toute forme particulière de vie comme lieu privilégié du sacré – le refus protestant de la distinction entre le sacré et le profane, conduisant à leur interpénétration »], idée judéo-chrétienne centrale, et porte plus loin cette notion essentiellement chrétienne que la bonté de Dieu consiste dans son abaissement qui vise le bien des êtres humains. »

Compagnon, lui, a déjà clos le chapitre Taylor. Il est en train de dire que si l’on cherche en France des références pour traiter la question [je rappelle qu’il s’agit de  « prendre position dans le débat contemporain sur le thème (Écrire la vie)  qui nous occupe en combinant ‘‘allégorie’’ et ‘‘philologie’’ »], on se tournera vers Michel Foucault (L’usage des Plaisirs puis Le souci de soi, dont les prolongements - sur ce que Foucault appellera successivement ‘‘{écriture, souci, technique, gouvernement} de soi’’, où il analyse et dévoile un changement d’épistémé [concept foucaldien: ‘‘configuration générale des pratiques discursives à une époque donnée’’] et la transformation d’un paradigme [simplifiable ici en ‘‘exemplarité comportementale’’ ( ?)]– nous concernent) et vers Paul Ricœur (Soi-même comme un autre).

Sur ce thème de l’Écriture de vie, en quoi réside la transition 1750-1850 ? Peut-on risquer une approche « à la Koselleck » ? Compagnon se pose ces questions et articule :

-         passage de la notion de Vie à la notion de biographie

-         du genre de la Vie au genre de la biographie

-         de la vision des Lumières à la vision Romantique

Il y a, dit-il, fort peu d’écrits sur ces questions. Deux tout de même.

1) Un court article de Marc Fumaroli dans la revue Diogène : Des ‘‘Vies’’ à la biographie avec ce sous-titre : Le crépuscule du Parnasse, autour – si j’ai bien entendu / compris – de l’éloge académique et de ses transformations de l’âge classique à l’âge moderne .

Note : On trouve l’article de Fumaroli référencé dans le prolongement « grand public » d’un travail universitaire (une thèse pour l’habilitation à diriger des recherches): Le pari biographique. Écrire une vie (François Dosse. Ed. de la Découverte. 2005) dont a rendu compte sur Internet (intéressant) Philipe Hamman (CNRS/ Université Strasbourg 2). La démarche de Fumaroli y semble contestée comme trop diachronique et tranchant trop chronologiquement, des récits de vies (de l’Antiquité au XVII° siècle) aux biographies induites par la rupture moderne (en gros, celle des Lumières). Et François Dosse travaillerait plutôt dans la direction d’un classement en types qui pourraient se combiner au sein d’une même période, un type héroïque (on est proche des Vies), un type modal (décentration de la singularité d’un parcours pour l’envisager comme illustrant le collectif) et un type herméneutique, où se glisseraient le récit de vie, l’autre comme à la fois alter  ego et différent, la reconnaissance de la pluralité des identités, les biographèmes de Roland Barthes [in ‘‘Sade, Fourier, Loyola’’, en 1971 : «Si j’étais écrivain et mort, comme j’aimerais que ma vie se réduisît, par les soins d’un biographe amical et désinvolte, à quelques détails, à quelques goûts, à quelques inflexions, disons des ‘‘biographèmes’’  dont la distinction et la mobilité pourraient voyager hors de tout destin et venir toucher, à la manière des atomes épicuriens, quelque corps futur, promis à la même dispersion ; une vie ‘‘trouée’’ en somme »]. Dosse en profite pour signaler un effort amusant que j’ignorais : la micro-biographie qu’Alain Buisine a consacrée à Marcel Proust en se limitant à la description d’une seule journée (Proust, samedi 27 novembre 1909 – Lattès éd. 1991). Aller voir, par curiosité ?

2)  Le gros travail d’Ann Jefferson, professeur à Oxford : Biography and the Question of Literature in France (2007 – Oxford University Press). Une enquête, dit Compagnon, sur l’écrit de vie, de Jean-Jacques Rousseau à Michel Leiris, ce qui en gros continue à ressortir au romantisme « large »… On trouve sur le Net une critique détaillée de ce livre (Alexandre Gefen – Acta Fabula), avec une bibliographie qui renvoie entre autres au livre précédent de François Dosse. Pour s’en tenir à Compagnon, il énonce [ce qui semble un peu réducteur par référence à la critique de Gefen – [Anecdotiquement, l’empan explicite de Ann Jefferson n’est pas « de Rousseau à Michel Leiris », mais « de Rousseau à Pierre Michon »]]: ‘‘Il y aurait donc un moment moderne, des lumières au romantisme, après lequel nous entrerions en terrain familier . Pour resserrer : de Rousseau à Chateaubriand, écrire sa vie prendrait son sens moderne’’.

C’est à partir de là, continue Compagnon, que l’on entre dans la polémique où nous sommes encore : abus / aporie / apologie / peut-il y avoir subjectivité sans narrativité ? / peut-il y avoir identité sans récit de vie ?

Feuilleter Henry Brulard ? Le rapport de Stendhal à Rousseau, à Chateaubriand, ne cesse d’être polémique  (il donne quelques citations):

-         Jean-Jacques Rousseau dont bientôt l’emphase m’irrita

-         J’abhorre presque également la description de Walter Scott et l’emphase de Rousseau

-         Je me sens plein de courage et de fierté quand j’écris une phrase qui serait désavouée par ces deux géants de 1835, Messieurs Chateaubriand et Villemain

Note : Aujourd’hui oublié, Abel-François Villemain (1790-1870) professeur, écrivain, homme politique, après des débuts fulgurants (chaire de rhétorique et maîtrise de conférences à l’École Normale à dix-huit ans !), a été une grande figure du XIX° siècle.

Rousseau et Chateaubriand, dit Compagnon, sont à la fois des modèles et des repoussoirs (Odi et Amo, dit-il (deux fois) / Je hais et j’aime). Ce sont des autres, non des mêmes.

Changement de pied ? Écrire la vie, dit Compagnon, serait-ce une réduction de Biographie ?

Et il entame un paragraphe dont il a  curieusement du mal à  sortir,  guetté par la redondance :

« Le terme apparaît tard, c’est un genre moderne, contemporain de la séparation de l’Histoire et de la Littérature, du passage des Belles Lettres à la Littérature ou encore du moment où  l’Histoire a conquis son autonomie par rapport aux Belles Lettres. Peu à peu la Littérature voit son champ rétrécir, des domaines se constituent qui lui échappent, on a dit l’Histoire, mais aussi la Sociologie … Trois genres vont lui demeurer : le roman, la poésie (lyrique), le théâtre (qui se libère de la versification).

Reste-t-il une place ou y a-t-il une place pour la Biographie ? L’écriture de vie, on le sent, s’intercale entre l’Histoire et la Littérature ; et la biographie se veut un genre historique mais ne peut renier sa littérarité …  Les Vies anciennes, antiques, de l’antiquité à 1750, Plutarque, les  Vies des hommes illustres, restent de plein droit dans les belles lettres. La Vie est là à la fois l’objet et le genre. Passer des Vies à la Biographie, c’est passer des Belles Lettres à l’Histoire et à la Littérature. »

Il dit : Stendhal, encore. Vie de Henry Brulard. Donc Vie de, comme une référence, une révérence (ironique) à un genre ancien en train de disparaître. Cette Vie vient après celles qu’il a rédigées de Haydn, de Mozart, de Métastase (en 1814). Le titre exact, signale incidemment Compagnon, est en fait beaucoup plus long : « Lettres écrites de Vienne en Autriche sur le célèbre compositeur Jh Haydn, suivies d’une Vie de Mozart et de considérations sur Métastase et l’état présent de la musique en France et en Italie, par Louis-Alexandre-César Bombet » . L’ouvrage est signé d’un des nombreux pseudonymes de Beyle-Stendhal, qui les affectionnait et, dit Compagnon, on notera dans les prénoms la référence aux grandes figures de l’Histoire … Stendhal écrit aussi une Vie de Rossini . Ces travaux, surtout le Haydn, démarqué de Carpani, sont pour beaucoup des plagiats.

Note : Giuseppe Carpani (1752-1825), écrivain, librettiste et poète italien avait écrit et publié à Milan en 1812 « Le Haydnine ovvero Lettere sulla vita e le opere del celebre maestro Giuseppe Haydn »,  que Stendhal a pillé. Carpani s’en plaindra par deux lettres au Constitutionnel (Quotidien parisien fondé pendant les Cent Jours. D’abord titré L’indépendant, il devient l’organe de l’opposition libérale sous la Restauration . Sa parution ne cesse qu’en 1914)

Prolongeant son incidente, Compagnon souligne que, quoi qu’il en soit de la mauvaise foi de Stendhal, il n’en reste pas moins que la biographie, dès la deuxième sur le même sujet, a toujours à voir avec le plagiat ….

On trouve le mot biographie, poursuit-il, dans Le Rouge et le Noir.

Et il lit : « L’abbé Pirard fit signe de loin à Julien, M. de la Mole venait de lui dire un mot. Mais quand Julien, qui dans ce moment écoutait, les yeux baissés, les gémissements d’un évêque, fut libre enfin, et put s’approcher de son ami, il le trouva accaparé par  cet abominable petit Tanbeau. Ce petit monstre l’exécrait comme la source de la faveur de Julien, et venait lui faire la cour.

‘‘Quand la mort nous délivrera-t-elle de cette vieille pourriture ?’’ C’était en ces termes, d’une énergie biblique, que le petit homme de lettres parlait en ce moment du respectable Lord Holland. Son mérite était de savoir très bien la biographie des hommes vivants, et il venait de faire une revue rapide de tous les hommes qui pouvaient aspirer à quelque influence sous le règne du nouveau roi d’Angleterre. »

‘‘La biographie des hommes vivants’’ …. indispensable pour réussir,  commente Compagnon, qui redouble : ‘‘Il est important de bien connaître son Gotha pour arriver, dans les salons’’.

Note : L’almanach de Gotha, ouvrage qui établissait la généalogie des grandes familles nobles d’Europe, appellation contractée en Gotha, doit son nom à ceci qu’il fut publié à partir de 1764 (jusqu’en  1945) dans la ville de Gotha, Allemagne Orientale (Thuringe ; district d’Erfurt).

Pour Stendhal, quand il l’emploie, ici, biographie renvoie à ces usuels d’un genre nouveau qui commencent à se répandre, avec exemplairement (et monumentalement, 90 volumes) la ‘‘Biographie universelle ancienne et moderne ou Histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes qui se font remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes’’, ouvrage qui a été publié en 1811 sous la direction de Louis-Gabriel Michaud (1773-1858).

Publié plus tard, on peut aussi citer  le ‘‘Dictionnaire universel des contemporains contenant toutes les personnes notables de la France et des pays étrangers’’ de Gustave Vapereau (1819-1906).

La France, dit Compagnon, n’a jamais été excellente dans ce domaine de la « Biographie universelle ».  Il évoque – je ne trouve pas de référence actuelle à ce qu’il semble considérer comme un effort officiel, national … et connu ( ?) – une Biographie universelle qui n’en serait « qu’à la lettre L » quand les anglais en sont, eux, à une nouvelle édition. Ces points me restent obscurs. Ou bien, je l’ai mal compris – son « jamais » m’a induit en erreur - et il se situait dans un temps contemporain de Stendhal et du Rouge, et la référence française était le travail en cours de Michaud, devancé par un travail anglais du même ordre (?)

En France – et là, clairement : … dans la première moitié du XIX° siècle – on en est encore au genre rhétorique de l’épidictique (le discours démonstratif ; s’adresse au départ à un auditoire réuni à l’occasion d’un événement particulier (mariage, décès, réception officielle) et sert, à travers la circonstance, à louer, ou blâmer, et dans tous les cas, instruire). La Vie, qui peut être panégyrique, ou oraison funèbre ou … relève de ce genre. Tandis que la Biographie, qui fait surface, apparaît comme fille bâtarde de l’Histoire et de la Littérature.

À part, seule discipline émergeant de la modernité et néanmoins fondée sur des Vies, l’Histoire de l’Art, mais avec cette raison qu’elle doit prendre en compte le problème, constant, des attributions. Il cite l’ouvrage majeur de Giorgio Vasari (1511-1574) : Le Vite de’ più eccelenti pittori, scultori e architettori italiani, édité à Milan  entre 1878 et 1885.  Il reste, dit Compagnon, quelques Vies d’écrivain, mais de moindre importance. Et il dit : Vie de Dante, sans autre précision. Sans doute (?) allusion à celle publiée en 1841 sous le titre : Histoire de Dante Alighieri – je n’en ai pas trouvé d’autre sur la période – par l’érudit Artaud de Montor (1772-1849), traducteur de Dante, auteur de plusieurs ouvrages historiques.  Est-ce autre chose ?

La fin de la séance, qui m’a assez ennuyé …, est consacrée  à un rapide examen –  que Compagnon semble juger important – de l’émergence du vocabulaire {biographie, biographe, hagiographie, hagiographe}.

On trouverait le mot biographie (biography) dans le dictionnaire grec-anglais de Liddel-Scott, attesté dans un texte néo-platonicien tardif, occurrence sans suite … L’apparition est anglaise quoi qu’il en soit, avant d’être française. Compagnon dit : bioghaphist apparaît en 1661, et en 1683, biographie (biography) (chez John Dryden (1631-1700), poète, auteur dramatique et critique ? Je ne suis pas sûr de mes notes, là). Une occurrence de 1738 m’échappe… Biographer se trouve dans le dictionnaire de Samuel Johnson (1709-1784) publié en 1757 avec la définition : Writer of life (Auteur de vies écrites, traduit Compagnon). Le biographer est celui qui relate l’histoire des actions des personnes particulières. Samuel Johnson : « … in writing the life of men, which is called, biography, …. »

Il y aurait là rupture avec l’ordre chronologique antérieur où la modalité du discours, de l’écrit, est donnée sans dénomination particulière du producteur. La rhétorique particularise le discours, pas le locuteur : discours hagiographique, panégyrique

Dans le Dictionnaire de Trévoux, biographe apparaît, en 1731 : « auteur qui écrit des Vies ou de saints ou d’autres ». Le mot biographe est formé sur le modèle du mot hagiographe (étymologiquement : auteur sacré ; depuis la Renaissance et le XVI° siècle : « auteur de Vies de saints »). Et biographie, qu’on trouve en 1750 dans le Dictionnaire de l’Abbé Prévost est donné comme : « mot qui signifie l’histoire de la vie des particuliers ». Enfin, c’est de biographie que sortira hagiographie …. Qui ne prendra son sens péjoratif, critique, plein qu’au XX° siècle.

La filiation française serait ainsi :

{hagiographe Þ biographe Þ biographie Þ hagiographie}

Note :

1) L’intitulé du Dictionnaire de Trévoux lors de sa publication en 1704 : Dictionnaire universel français et latin Contenant la signification et la définition tant des Mots de l’une et l’autre langue, avec leurs différents usages ; la description de toutes les choses ; l’explication de tout ce que renferment les Sciences et les Arts (…). Avec des remarques d’érudition et de critique. Le tout tiré des plus excellents Auteurs, des meilleurs Lexicographes, Etymologistes et Glossaires qui ont paru jusqu’ici en différentes langues.

En fait, publié à Trévoux avec l’appui des Jésuites, il s’agit d’une révision (aux ajouts relativement modestes) de la révision par Basnage (Henri Basnage de Bauval / 1656-1710) du Dictionnaire universel de Furetière (Antoine / 1619 -1688)

… avec souci de faire disparaître toute trace de protestantisme. 

2) L’intitulé du dictionnaire de l’Abbé Prévost lors de sa publication : Manuel Lexique ou dictionnaire portatif des mots français dont la signification n’est pas familière à tout le monde.

Et la suite au prochain numéro, visiblement …

La séance est interrompue et on attend la Shoah, enfin, Claude Lanzmann.

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