Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mémoire-de-la-Littérature
9 janvier 2013

Que faisait Proust le 8 janvier 1913?

A défaut de savoir ce que faisait Proust il y a exactement un siècle, je me demandais, moi, ce que je faisais là, le 8 janvier 2013, salle Halbwachs, au Collège de France, Paris, V° arrdt, peu après 15h30.

A deux doigts maintenant du statut de rock star, Antoine Compagnon avait pour son premier cours 2013 mobilisé une affluence telle que l’amphi Marguerite de Navarre, une heure à l’avance, était déjà complet.

Je m’étais dit, bon, pour le démarrage, je vais quand même y aller « en direct » et pour être sûr d’une « bonne » place, j’y serai une heure avant. Jamais vu ça ! Une manif ! Débordant quelques étudiants zélés et trois professeurs de lettres en exercice, la meute troisième âge des AC-addicts (je ne m’en exclus pas !) s’abattait sur les fauteuils de Marguerite de Navarre. Vae victis. J’en fus! Dérivation vers Halbwachs ! Plein « comme un œuf » en moins de dix minutes, Halbwachs, avec occupation complémentaire des marches d’escalier.

Que diable étais-je venu faire dans cette galère ?

Jurant, mais un peu tard, qu’on ne m’y prendrait plus … je me suis promis que dès le 15/1, je me contenterais, en pantoufles et at home, fauteuil, tasse à café, de suivre l’affaire via les vidéos en ligne, s’il se confirme et je l’espère, que ce système est reconduit.

Bercé par le bruissement des conversations de voisinage, je m’amusais à fantasmer sur une éventuelle prise de pouvoir, une montée sauvage sur l’estrade pour une proposition auto-gestionnaire : « Mesdames et Messieurs, pour organiser aussi agréablement que possible les 50 minutes d’attente que nous avons devant nous, je vous propose, à titre de pré-cours du professeur Compagnon, et puisque nous sommes en quelque sorte ici entre membres de son fan-club, un débat autour de son livre récemment paru, « La classe de rhéto », que vous avez j’en suis certain, tous lu ». Bon, le fantasme en est resté là. J’ai ouvert Le Monde et me suis plongé dans ses pages « cinéma » . Django unchained, de Quentin Tarentino, n’est pas encore sorti ? Il ne va pas falloir rater ça … En attendant : Attente !

                                

Attente-1Attente-2Attente3-Klimt

 Trois représentations de l’attente, selon Google-images : érotisme chic, réalisme cru, et Klimt … Pourquoi pas ?

Ecce homo. Antoine Compagnon a ouvert ponctuellement la séance à 16h30. Costume sombre. Il m’a semblé en ce début d’année un peu « en dedans », élocution à roder, petit lapsus de départ, ça va venir. Avant même d’attaquer le cœur du propos, un nom surgit, Misia Sert, née Marie Sophie Olga Zénaïde Godebska le 30 mars 1872 à Saint-Pétersbourg, épouse (en 1893) de Thadée Natanson (fondateur avec son frère de La revue Blanche), devenue Mme Edwards à la ville en 1913 (depuis 1905), avant de faire une fin en tant que Mme Sert (à partir de 1920), pianiste et égérie du tout Paris intellectuel des débuts du XX° siècle. « Une belle panthère, impérieuse, sanguinaire et futile » dira Eugène Morand, père de Paul. Elle fréquente et le plus souvent séduit tout le monde, Mallarmé, Proust, Satie, Picasso, Cocteau, Serge Lifar, Toulouse-Lautrec, Bonnard, Odilon Redon, Renoir, Ravel, Diaghilev, Stravinsky, Poulenc, … N’en jetez plus !

J’en avais une image sulfureuse liée à ses relations avec Colette mais je mélangeais et confondais Misia avec Missy (Mathilde de Morny), partenaire de Colette à la scène dans des pantomimes orientales autour de 1910, et sa liaison à la ville, chez qui elle vivait alors le plus souvent.

Lautrec Misia ... par Toulouse-Lautrec Coïncidence, les colonnes Morris sont en ce moment éloquentes pour vanter le spectacle d'Alexandra Lamy, La Vénus au phacochère, qui met en scène la rencontre de Misia (la Vénus), en délicatesse avec Thadée Natanson, et d'Alfred Edwards (le phacochère). On peut se reporter pour le contenu à France-Culture

Revenons au sujet.  Autre rencontre de hasard, France-Culture de ce mercredi 9/1/13, consacre la deuxième partie de son émission La grande table (12h56-13h30) au thème « 1913, une révolution artistique », avec Jean-Yves Tadié venu parler de la sortie de Du côté de chez Swann, et le pianiste Eric Le Sage sur Fauré et alii. On peut réécouter. J’ai pris ça sur la fin.

On trouve là, au fond, de quoi justifier les hésitations par l’aveu desquelles Antoine Compagnon a ouvert son cours. Le sujet qu’il a avancé en juin (Proust 1913) est d’ores et déjà et ne va cesser d’être cette année, directement ou indirectement, plus fréquenté que le chemin de Compostelle. Et l’inquiétude dont il a fait part - Que dire qui n’ait été déjà dit et sur le point d’être ressassé ? – on ne peut que la partager. Comment sortir de ce qui, pour intéressant que ce soit, par strates successives, de spécialiste en spécialiste, de biographie en biographie, place in fine au rang des banalités la quasi totalité des retours sur le motif ? Qu’auditeur on ne s’en lasse guère est une chose, que conférencier on se désespère de ne pas voir comment faire progresser le contenu, comment s’arracher à la redite, comment renouveler le regard érudit en est une autre, et compréhensible.

Et du coup, AC a presque renoncé avant même de prendre la route. Et pour mieux articuler son regret d’un libellé trop tôt annoncé, acceptant la prétérition liminaire, il va se limiter aujourd’hui à un survol allégé de ce qu’il aurait pu faire et dont il est trop conscient qu’il n’en eût pas été satisfait.

Une relecture en contexte ? Swann « dans » 1913, année culminante de la littérature et des arts, avec balayage des épisodes, coup de projecteur sur les temps forts, les œuvres décisives (pour un seul exemple : Le sacre du printemps, Stravinsky), avec un regard sur Bergson, au sommet de sa réussite, un chapitre «Swann & Bergson », deux visions mémorielles au fond incompatibles, etc.

Non. Et puis il y a déjà eu ce schéma d’examen, son cours sur 1966 … Décidément, non.

Un trekking temporel ? Cheminer au long de 1913 en compagnie de Marcel Proust. Janvier, février, mars, and so on … Douze cours. Avec cette première question : Que faisait Proust le 8 janvier 1913 ? L’entreprise ne lui paraissait pas impossible. On a la correspondance éditée par Philip Kolb. Le souci du livre. Les rapports négatifs des lecteurs auxquels les éditeurs ont soumis le manuscrit, Jacques Madeleine pour Fasquelle, perplexe, désolé, qui n’y comprend rien, ne sait pas où l’on va, Alfred Humblot, directeur de la maison d’édition Ollendorff, contacté via Louis de Robert, qu’il publie, Humblot qui avoue crûment «… je suis peut-être bouché à l’émeri, mais je ne puis comprendre qu’un monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil». On passe sur Gide et sa « grande erreur ». Et puis la passion pour Agostinelli, les mois mystérieux, du printemps à décembre et à la fuite de ce « prisonnier ». On ne sait quasiment rien là-dessus.  Peut-être, sur ce thème à la fois marginal et essentiel, y eût-il eu à creuser. Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ? Antoine Compagnon ne s’y arrête pas. Et on oublie la promenade.

Alors ? Alors AC se souvient de 1971, il avait 20 ans, il était parisien, Montagne Sainte Geneviève, depuis un an ; il était entré à l’Ecole Polytechnique, promotion 1970, une promotion rouge, la couleur de la doublure des tenues militaires des années paires à l’X, et il achetait dans l’édition de la Pléiade, l’édition Pierre Clarac et André Ferré, A la recherche du temps perdu, pour une première lecture exhaustive et d’un œil neuf, sans rien même savoir du dédicataire de Swann, Gaston Calmette. Gaston who ? Le révolvérisé lui avait à l’époque échappé.

Gaston_CalmetteHenriette_Caillaux … Et il allait écouter à l’ENS Ulm un débat autour de Proust, avec entre autres à l’estrade Gilles Deleuze, où il risquait, croit-il se souvenir, une question.

Alors pourquoi pas faire comme si on pouvait mettre en partie sous le boisseau les quarante ans d’érudition à suivre et faisant fi des hypothèses écartées, faisant peut-être même fi de l’intitulé de la session, reprendre le texte, tout le texte et rien que le texte, et relire Du côté de chez Swann comme ça, comme si on ne l’avait jamais lu, comme s’il s’agissait de le découvrir ? 2013 : une virginité proustienne … à venir ?

Nous nous sommes quittés là-dessus et l’immense armée des thuriféraires s’est écoulée lentement à travers les couloirs, puis les grilles du Collège de France, sur cette promesse à tenir d’un Longtemps je me suis couché de bonne heure en incipit encore jamais lu.

Cela dit, le pari me semble risqué. L’extrême difficulté de l’explication de texte, c’est d’introduire au texte sans le vider de ce qui fait son sel, sans l’appauvrir de ses ressorts inatteignables, sans le priver de cette petite musique qui transforme en jubilation intime le parcours du regard sur les lignes. On peut aspirer à une explication du Cygne de Mallarmé, sans quoi on risque de rester stupide devant un ciselé hermétique dont les sonorités surprennent, voire enchantent, mais en nous persuadant qu’on est idiot. Et je n’ai pas choisi le pire.

Mais Proust ? Quoi de plus explicite dans l’enchantement du phrasé, de plus clair dans les intentions du déroulement stylistique, quoi dès lors de moins commentable ? J’ai gardé, je l’ai dit cent fois, le plus mauvais souvenir du cours d’agrégation en Sorbonne de Jacques Robichez, année scolaire 1968-69. Proust était au progamme.  Peut-être A l’ombre des jeunes filles en fleurs. Entre deux colles que je faisais passer au lycée Saint-Louis, j’allais l’écouter. Robichez lisait le texte. Mais encore ? J’étais neuf, j’attendais de l’érudition, mais rien, il lisait. Bien sûr, ici, là, quelques indications, quelques renvois à d’autres parties de la Recherche, sinon, essentiellement, il lisait.

Peut-on vraiment faire mieux ici si on renonce à l’approche savante, aux retours incessants au manuscrit en ses états successifs, carnet ceci, carnet cela, paperolles ? Peut-on vraiment faire vivre le texte en s’en tenant au texte ? Et si on s’en écarte pour « l’expliquer », ne le trahit-on pas ? Plus jeune, je nageais dans les lacs de montagne. Qu’avais-je alors besoin d’une analyse chimico-biologique de leur eau pour donner à mon plaisir du sens ? J’attendais trop d’un cours de Sorbonne, et au fond, même si agrégativement, c’était léger et bien risqué, pour l’accès au plaisir textuel, que pouvait faire d’autre Robichez ? Mais ma mémoire, peut-être, me trompe …

Et que va faire AC ? C’est ce que vous apprendrez (et moi avec) lors de la diffusion du prochain épisode de notre grande émission « Marcel au Collège », le mardi 15 janvier 2013. 

Post-Scriptum : Séminaires. Changement de perspective par rapport aux années précédentes. Pour l’instant, pas de liste programmée de séminaristes (j’en étais à croire qu’AC, suite à quelques mémorables et pénibles prestations des années antérieures, avait renoncé à l’exercice), mais la promesse de laisser les éminents spécialistes à leurs chères études pour solliciter, au nom de cette relecture promise d’un Proust débarrassé d’a priori, l’intervention de ce qu’AC appelle des « amateurs passionnés ». Au souvenir des singeries narcissiques de Philippe Sollers, je frémis un peu, mais l’idée peut être attachante. Foin des professionnels ? Soit. Mais qui ne se proclamera pas amateur passionné de la Recherche ? Il va falloir sérieusement trier. Allons, courage Antoine ! Comme a dit Platon (Gorgias. 503 d. ce qui phonétiquement donne à peu près ça:  « éann zétès khalos, euréssèïs ») « Si tu cherches bien, tu trouveras ». Mon père m’a bassiné avec cette injonction tout au long de mes études !

*** 

Myosotis Et ce rappel annexe en forme de ...  Forget me not, ici, pour le livre "Ed Nat"

Publicité
Publicité
Commentaires
Mémoire-de-la-Littérature
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité