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Mémoire-de-la-Littérature
10 décembre 2013

Les croix de bois – Roland Dorgelès

croix01          page1-378px-Dorgelès_-_Les_Croix_de_bois              Dorgelès

Le prix Goncourt 1919 n'a pas été attribué sans mal. Le conflit mondial de 14-18 était de la veille et tout du long, c'est à des romans le mettant en scène qu'était allé le Prix, des romans "de guerre": L'appel du sol, Prix 1914, dont l'auteur, Adrien Bertrand avait eu un poumon perforé au front, et en mourut deux ans plus tard; Prix 1915, Gaspard, construit sur les souvenirs et impressions de René Benjamin, gravement blessé au bout de quelques mois; Prix 1916, Le Feu, d'Henri Barbusse, dont j'ai parlé dans le billet précédent; Prix 1917, La flamme au poingd'Henry Malherbe, qui sera président de l'Association des écrivains combattants; Prix 1918, Civilisation, de Georges Duhamel, écrit sous pseudonyme (Denis Thévenin) et accusant les ravages de la guerre avec ses absurdités administratives.  Il paraissait dans l'ordre des choses que le roman-témoignage de Dorgelès, Les croix de bois, bel hommage à la camaraderie douloureuse des tranchées, l'emportât.

Mais la paix définitive (?!) avait été signée et Léon Daudet qui admirait l'œuvre de Proust et siégeait à l'Académie Goncourt se lança dans la bataille pour faire couronner A l'ombre des jeunes filles en fleurs  par 6 voix contre 4 aux Croix de bois. Mauvais joueur, l'éditeur de Dorgelès fit paraître le roman avec la bande "Prix Goncourt – 4 voix sur 10"  . La mention en très petits caractères choqua Proust. La bande fut rapidement retirée. Le roman obtint, petite compensation, le Prix Femina.

Attachant, assez proche dans ses découpages du roman de Barbusse, moins violent par certains aspects, on dirait aujourd'hui, moins gore, mais plus explicite, plus descriptif quand il s'agit de monter à l'attaque et peut-être en conclusion, plus pessimiste.

Le bilan de lecture est malgré tout le même et je doute que les autres Goncourt de la période, que j'ai donnés, s'en éloignent significativement : on est accablé de se penser avec les poilus dans un quotidien dont on juge inexplicable qu'ils aient pu le vivre et en sortir. C'était la génération de mes grands-parents, mes deux grands-pères en sont revenus vivants, pas même blessés, mais ils n'en ont pas parlé pour ce qu'on m'en a dit, car ils sont morts jeunes, je ne les ai quasiment pas connus, quinquagénaire et sexagénaire, des morts sans rapport semble-t-il même lointain, avec le conflit, un cancer et une pneumonie. Quand on leur demandait leur guerre, ils se taisaient.

Il n'y a pas réellement de jugement littéraire, à lire ces deux récits.

On "regarde" simplement ces hommes, décrits dans les deux cas comme très majoritairement frustes, des paysans, des petits métiers, le seul "intellectuel" se croise chez Dorgelès, si l'on exclut les deux narrateurs. Ils sont préoccupés par la bouffe, le vin, le tabac et les femmes, celles qui sont à l'arrière, dont on espère, parfois en vain, qu'elles savent "attendre", celles aussi qu'on croise parfois, au cantonnement.

Et l'on admire, on les admire et on reste coi devant l'absurdité de ces affrontements, de cette boucherie sans justification palpable et devant eux, qui "tiennent".

Humainement, cela semble sans horizon et sans appel, atterrant et l'on sait pourtant que sous d'autres formes, cela, partout, continue.

Il n'y a sans doute pas d'issue.

Quelques phares, peut-être, comme disait en art Baudelaire.

Mandela, qui vient de mourir?

Mais éclairent-ils tant que cela? Ils servent à justifier des cérémonies follement dispendieuses, et dont il reste à connaître l'utilité.

De fait, on ne sait que faire.

Continuer à lire et à réfléchir?
Je doute que ce soit une réponse.

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Et Baudelaire, encore.

Oui, ils sont montés en ligne parce qu'on le leur a dit, ils se sont soutenus, ils ont rêvé des images éloignées d'un premier quatrain, et de leur retour promis, puis ils  s'en sont allés mourir comme au dernier tercet :

Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,


D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,


Les souvenirs lointains lentement s'élever


Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

 

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux


Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,


Jette fidèlement son cri religieux,


Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente !

 

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis


Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,


Il arrive souvent que sa voix affaiblie

 

Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie


Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,


Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.

 

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