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Mémoire-de-la-Littérature
17 février 2014

LEÇON N° 5 (audio) – La littérature de guerre côté fantastique.

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Dans la journée c'était un paysage lunaire avec des entonnoirs de mines qui se chevauchaient , sa raffinerie de sucre qui avait été soufflée, son calvaire dont le Christ pendait la tête en bas, raccroché par un pied à sa croix, ce qui me valut, à moi, trente jours de prison, non pas pour y être allé voir en plein jour, mais pour en avoir fait une photo. (Certes, les sergents étaient jaloux de mon ascendant sur les hommes. J'avais le droit d'avoir un Kodak, mais il m'en était interdit de m'en servir. Et lieutenant, capitaine, commandant, colonel confirmèrent cette interprétation pour totaliser autant de jours de prison. la prison, on ne la faisait pas tant qu'on était en première ligne. Mais l'on était mal noté et, quelque part à l'arrière, bien au chaud dans un bureau, un scribouillard portait le motif dans un registre. La connerie de tout ça ! D'autant que cela ne m'a pas empêché de tirer des photos jusqu'au dernier jour.

Blaise Cendrars, La Main coupée, Denoël, 1946

Textes évoqués ou extraits lus :

Albert Thibaudet : Réflexions sur le roman

Mac Orlan: Les poissons morts

Mac Orlan: Bob  bataillonnaire

Balzac, Stendhal versus Flaubert, Zola

Francis Ambrière: Les grandes vacances (Goncourt 1940 décerné en 1946 )

Colette: La fin de Chéri

Giono: Le troupeau

Gaston Esnault: Le poilu tel qu'il se parle - dictionnaire des termes populaires récents et neufs employés aux armées en 1914-1918, étudiés dans leur étymologie, leur développement et leur usage

Et puis:

Barbusse, Dorgelès, Paulhan, Cendrars, Genevoix, Céline, Montherlant, Drieu la Rochelle, Jean-Norton Cru …

Pour respectivement:

Le feu , Les croix de bois, Le guerrier appliqué, La main coupée, Sous Verdun, Voyage au bout de la nuit, Le songe, La comédie de Charleroi

Eléments d'introduction:

Albert Thibaudet, ici introduit  comme contempteur du roman de la destinée en quoi il perçoit majoritairement la littérature de guerre, avec narrateur s'abandonnant passivement, goutte d'eau perdue dans la masse, à des événements sur lesquels il n'a aucune prise et qu'il ne comprend pas.

Il (Thibaudet) dénigre Bob bataillonnaire (Mac Orlan) : "Bob suit son destin, un destin qu'il n'a pas fait". Et il en critique, dans la même logique, les illustrations (de Gus Bofa. Illustrateur rentré infirme du front. Dessine dans l'hebdomadaire satirique mais patriotique La Baïonnette qui paraît de 1915 à 1920). Il est choqué que Mac Orlan compare le biffin, le soldat harassé, au juif errant et le mette en scène sous son nom d'Isaac Lakedem.

 

Juif_errant

Note d'information:  Il est dit dans la bible que le Christ guérit miraculeusement un paralytique qui depuis presque quarante ans ne marchait pas. Il se relève, prend son grabat et rentre chez lui – sans remercier le Christ qui l’a guéri.

Ce paralytique s’appelait Isaac Lakedem.

Le Christ lui avait dit : “Va et ne pèche plus, afin qu’il ne t’arrive pire encore”

Or comme le Christ montait au Calvaire, souffrant et portant sa croix, il est passé devant la maison de Lakedem. Il lui a demandé à boire, et Isaac Lakedem a refusé en l’insultant; le Christ lui a demandé de s’asseoir un instant sur le banc qui était là et Isaac Lakedem a refusé de nouveau de manière offensante. Alors le Christ lui a dit : “Tu marcheras sans connaître la mort, tu marcheras jusqu’à mon Second Avènement !” Et, depuis, Isaac Lakedem marche sans cesse, sans pouvoir connaître la mort, jusqu’au Jugement dernier. Il est le Juif errant.

 (source: http://www.karlovtchanin.eu/franceorthodoxe-61/649-4-e-dimanche-apr-s-p-ques-dimanche-du-paralytique-hypodiacre-jacques-goudet)

Thibaudet déplore ces romans qui peignent la dilution de la personnalité dans le groupe militaire, où le volontarisme de chacun se noie dans le fatalisme collectif: mektoub (c'est écrit), un état, pense-t-il, de santé morale inférieure. Pour Thibaudet, les valeurs supérieures de la guerre, elles relèvent au contraire de l'arrachement du soldat à cette tentation passive, de son courage actif, de sa volonté tendue, de sa prise d'initiative, etc. Et globalisant l'affaire, il oppose les romanciers de la passivité, de la destinée, du fatum, Flaubert, Zola, aux romanciers  de l'individualisme, de la volonté, Balzac, Stendhal, même si la Chartreuse de Parme joue à cet égard un rôle ambigu, la première partie du roman, Fabrice à Waterloo, relevant justement de la faillite du moi agissant face à l'événement qui le dépasse.

Trois figures de la guerre :

1. La pagaille -

Antoine Compagnon s'étend longuement sur le thème, citations multiples à l'appui de l'emploi du terme, néologisme apparu en 1914 et issu du vocabulaire maritime. Usage généralisé dans tous les livres sur le conflit, terme sans cesse employé par Cendrars. La pagaille de 14-18 est un standard consacré.

A.C. multiplie les citations chez Genevoix, Céline, Dorgelès, Montherlant …

2. Le syndrome Fabrice à Waterloo

Dans un contexte infiniment moins dramatique, je peux témoigner au moins de la perte absolue de contrôle sur les opérations que j'ai vécue à trois reprises, sous-lieutenant,  au milieu des années 1960, lors de trois manœuvres militaires différentes aux consignes imprécises ou mal formulées qui m'ont été l'occasion d'égarer ma compagnie, puis de ne plus retrouver un char  et enfin d'envoyer par erreur de signalement une grenade (heureusement au plâtre) à l'intérieur de la guitoune où le commandant qui supervisait les opérations avait installé sa personne et son Q.G.

Redevenons sérieux – Antoine Compagnon renvoie à Bardamu, chez Céline, grande figure de l'incompréhension. Même chez Drieu, moins soupçonnable de flottement, l'incertitude se montre dans La comédie de Charleroi : "Pourquoi Claude a-t-il été tué? Qu'est-ce que je sais?"

Jean-Norton Cru s'indigne du discrédit jeté par de telles présentations sur les acteurs, scandalisé par ce paradoxe de Stendhal qui laisserait entendre que l'on prend d'autant mieux conscience des opérations que l'on n'y participe pas. Ce que confirment pourtant Genevoix ou Paulhan, par exemple, qui témoignent d'une ignorance "à la Fabrice" et décrivent l'arrière, qui a lu les journaux, seul capable d'informer les soldats qui arrivent en cantonnement du sens des combats dans lesquels ils ont été engagés.

A.C. reparle de pagaille en termes d'entropie lue comme tendance à la désorganisation , et évoque le principe de Carnot (2ième principe de la thermodynamique): " Toute transformation d'un système dynamique s'effectue  avec augmentation de l'entropie globale incluant l'entropie du système et du milieu extérieur. On dit alors qu'il y a création d'entropie" - où l'entropie d'un système est assimilée à la notion de désordre de ce système.

Cette entropie militaire, dit A.C. relayant Genevoix, Paulhan and Co, seule l'information peut l'endiguer. Mais personne ne semble croire celle-ci possible ….

3. Un étrange climat de vacances –

A.C. souligne l'ambiance paradoxale d'oisiveté, de loisir, de fainéantise même, quand dès la fin de novembre 1914, avec la fin de la guerre de mouvement et l'installation dans une guerre de position, on entre dans l'attente désœuvrée et monotone. Trois ou quatre jours en ligne suivis d'une semaine de cantonnement en arrière où il ne reste plus qu'à meubler l'attente. Et d'ailleurs, dans les tranchées mêmes, il s'agit beaucoup, humour macabre, de tuer le temps.

Il cite et re-cite, Barbusse, Dorgelès, Paulhan, Giono, Colette écrivant: "Il avait subi la règle militaire de la fainéantise". Il y a parfois là comme une retombée en enfance, on joue à saute-mouton, on fait des blagues de plus ou moins bon goût, on joue au mort (!) dans les tranchées (Barbusse). Dans une époque où le travailleur ignorait les vacances, les hommes souffrent de se voir là, sans travail, quand ils ont laissé aux femmes restées au pays le dur labeur des champs.

Le macabre et la fête foraine :

Antoine Compagnon termine sur des citations assimilant les explosions, obus et bombes, à des images de fête foraine et met en avant la scène du cimetière, danse macabre, dans Les croix de bois, avant d'y ajouter la dimension de mascarade qu'on trouve chez Cendrars, La main coupée  (le Christ décroché du calvaire – cf. citation initiale), et la fantaisie morbide qui traverse Les poissons morts de Mac Orlan.

Au passage (vocabulaire) :

Chienlit : Le terme masculin chienlit, avec le temps devenu péjoratif, désigne initialement un personnage typique du Carnaval de Paris. Son costume consiste en une chemise de nuit avec le postérieur barbouillé de moutarde L'orthographe originelle du nom de cette tenue et du personnage typique qu'elle caractérise résume bien ce en quoi consiste le déguisement : « chie-en-lit ».

Ce personnage est à l'origine du substantif féminin « la chienlit », désignant ennui, agitation, désordre, pagaille. La première apparition connue du terme se trouve chez Rabelais.

La chienlit, substantif féminin, est entrée dans l'histoire par le général de Gaulle d'abord en août 1944 lorsque, s'adressant à Georges Bidault pendant la descente des Champs-Elysées il lui dit, Alors Bidault c'est la chienlit, puis en mai 68, par cette phrase : "La réforme, oui ; la chienlit, non!".

Bagotage : marche militaire avec armes (parade) – techniquement, c'est aussi une perturbation d'un système électrique ou informatique.

Bagoter : faire un travail fatigant, pénible; courir dans tous les sens

Bagotier : celui qui décharge les bagages des voyageurs à l'arrivée des trains

 

aiguilleur

                                                                              Et donc?

 Une leçon de plus.

Comme d'habitude, in fine, pas mal d'incertitude quand il s'agit de savoir si le contrat annoncé par le titre a été rempli.

Guère me semble-t-il.

Mais comme d'habitude, on glane bon nombre d'informations intéressantes.

Cela vaut bien une heure d'écoute. Pas une après-midi bloquée si, comme je ne souhaite pas l'aller vérifier, l'engorgement est toujours la règle pour accéder le mardi à l'Amphithéâtre Marguerite de Navarre. Sur les vidéos, il semble cette année encore toujours plein.

Antoine Compagnon est décidément la star du Collège de France …

Quant aux citations , le conseil est toujours le même : il faut lire les livres.

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