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Mémoire-de-la-Littérature
27 février 2014

LEÇON N° 6 - COUP DE CAFARD (audio)

                       cafard 2

 

Retour d'Afrique, Antoine Compagnon retrouvait ce mardi ses habitudes et son public parisien. Le Togo, le Sénégal, le tirailleur statufié devant la gare désaffectée de Dakar, frais souvenirs et cinq minutes (ou dix) de mise en bouche. Avant leçon. 

Livres cités :

La randonnée de Samba Diouf (Jérôme et Jean Tharaud) – Je suis tombé à ce propos sur un site  consacré à "la guerre dans la littérature du XX° siècle et à suivre" qui peut servir! - On y lit  : Roman colonialiste publié au début des années 1920, La randonnée de Samba Diouf est l'évocation du parcours d'un jeune pêcheur mobilisé et incorporé dans un bataillon de tirailleurs sénégalais pour soutenir l'effort de guerre français contre "les Alamans" pendant la Première guerre mondiale.

Force bonté (Bakary Diallo). Bakary Diallo (1892–1979) est le premier tirailleur sénégalais qui ait relaté par écrit son expérience de la Grande Guerre.

L’Argot de la guerre, d’après une enquête auprès des officiers et soldats (Albert Dauzat) - Librairie Armand Colin, Paris, 1918

Force noire (Charles Mangin) . Futur général, alors lieutenant-colonel, Mangin est un partisan ardent d'une armée africaine, la « Force noire », au service de la France. Commentant ce type de perspective, Adolphe Messimy, député de la Seine, apporte ainsi son soutien au projet dans le quotidien Le Matin, le 3 septembre 1910: « L’Afrique nous a coûté des monceaux d’or, des milliers de soldats et des flots de sang ; l’or nous ne songeons pas à le lui réclamer. Mais les hommes et le sang, elle doit nous le rendre avec usure » . Cela situe l'époque.

Le Cafard (Docteurs Huot et Voivenel) - Grasset, 1918. Ouvrage de deux psychiatres, auteurs aussi de La psychologie du soldat.

Verdun (Paul Jankowski) – Gallimard – 2013. Ouvrage d'un historien américain. En quatrième de couverture : Paul Jankowski a interrogé les sources les plus diverses, françaises et allemandes. (…) Il sonde, auprès des "Poilus" comme des "Feldgrauen", les conduites héroïques, les souffrances indicibles, les opinions, les haines, les révoltes (…)

La mort (Maurice Mæterlinck) – En quatrième de couverture : De tout temps, les gens sont préoccupés par les problèmes liés à la Mort qu'ils ont bien du mal à accepter. Dans ce livre, l'auteur tente de nous réconcilier avec la Mort... Ainsi écrit-il : " Il n'y a pour nous, dans notre vie et dans notre univers qu'un événement qui compte, c'est notre mort. Elle est le point où se réunit et conspire contre notre bonheur tout ce qui échappe à notre vigilance. Plus nos pensées s'évertuent à s'en écarter, plus elles se resserrent autour d'elle... " L'auteur y aborde toutes les hypothèses liées à la survivance de la conscience et la réincarnation, avec objectivité et sans parti pris ; il nous dévoile certains aspects du néo-spiritisme, de l'écriture automatique et de la communication avec les morts...

Les poissons morts (Pierre Mac Orlan) – Payot , 1917. Rédigé entre 1915 et 1916.  En 1929, Jean Norton Cru classera Mac Orlan (avec Jean Giraudoux)  parmi ces écrivains qui présentent la guerre comme une grosse plaisanterie, une farce grotesque. Cru reprochait notamment à Mac Orlan d'avoir imaginé des rats dialoguant entre eux, d'avoir préféré évoquer les soldats des bataillons disciplinaires plutôt que ses camarades de régiment, et d'être allé jusqu'à invoquer la figure du Juif errant (cf. leçon n° 5 – Bob bataillonnaire)

Bien. Revenons au cours. Baudelaire aurait dit:

Amer savoir celui qu'on tire des leçons

Tant l'ennui qu'on y trouve est quelquefois profond.

Impression de sur-place. Le thème annoncé devait être celui du rire dans les tranchées (Poincaré riait bien dans les cimetières …), mais à démarrer de biais avec le Sénégal, on se retrouve encalminés  dans une recherche cataloguante de termes issus du conflit de 14-18 où cafard tient la première place.

Peu de notes. Listons les épisodes et les acquis:

Le soldat noir, au front, occupe peu de place chez les littérateurs de la guerre, et cette place ne sort pas souvent des clichés, outre de notables confusions entre Algériens, Marocains (tabors), Tunisiens, Malgaches et tirailleurs africains et un vocabulaire dont le colonialisme gênerait aujourd'hui. L'africain est indiscipliné,  et pittoresque, mais courageux, il monte en ligne en riant, le bicot (algérien) aime y aller à la fourchette (à la baïonnette), on les envoie devant et quand ils arrivent, on sait qu'il va y avoir une attaque.

L'armée d'Afrique apporte avec elle des mots, empruntés ici ou là, souvent à l'arabe, et déformés, digérés, intégrés au vocabulaire du poilu, puis de l'arrière : caoua (de l'arabe kahwa), guitoune, d'origine marocaine, qui cohabite avec  cagna, d'origine tonkinoise, bled, qui vient de l'arabe, kébour (casquette militaire, képi), barda (de l'arabe barda'a, ou de l'italien bardatura, harnachement, qui fournira à Céline son Bardamu), c'est l'équipement du soldat, qui supplante Azor, dont A.C. donne quelques occurrences chez Barbusse ou Dorgelès en se demandant s'il faut, car toujours écrit avec une majuscule, y voir en quelque sorte la  dénomination d'un chien fidèle, voire d'un cheval - Thibaudet fourrait dans son Azor son Montaigne, son Virgile et son Thucydide.

Et puis cafard qui, d'hypocrite et de bigot chez Baudelaire  (Parfois il prend, sachant mon grand amour de l'Art, / La forme de la plus séduisante des femmes / Et, sous de spécieux prétextes de cafard / Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes), va finir par désigner cette dépression, ce spleen, cette humeur noire si caractéristique de l'ennui des tranchées.

On traîne sur cafard, on s'y vautre et l'on cite (pas un ancien combattant devenu écrivain qui ne l'utilise, ce cafard), on compte les occurrences, on n'en sort pas. Trop long. Dans leur étude, Huot et Voivenel soulignent que ce cafard a toujours existé chez le combattant et vont jusqu'à se référer à Achille, héros boudeur! Par dérision, on a créé dans les troupes africaines  des ordres fantaisistes du Cafard, appelé aussi saharite, névrose du Sud, biskrite (via Biskra, Algérie).

Enfin, le rire vint (15 minutes) :

homme-qui-rit

On continue sa thèse de Sorbonne dans les tranchées, quand on en a les moyens (intellectuels; Thibaudet entre autres), ou on joue au bouchon (Barbusse). On rit souvent, pour se détendre, pour se défendre (du cafard!), rire de la vie au bord de la mort, rire du galérien, rire nerveux au pied du gibet, gaîté explosive, incompressible, fébrile, de toutes les circonstances tragiques, gaîté d'après l'épreuve, soupape du soulagement, joie d'en être sorti, d'en avoir réchappé, rire du rescapé, rire diabolique de la vie malgré tout, malgré les autres, morts et qui ne riront plus. Du vrai et du faux là-dedans, mais enfin le rire, la rigolade (à se faire péter la sous-ventrière), ne sont pas absents des récits de tranchées. Ouais. Ceux qui en font des phrases ont-ils vraiment tant ri ?

Au terme de l'empilement statistique et statique de références, du cafard au rire, à quoi s'est occupé Antoine Compagnon,  il donne Jacques Vaché, ami d'André Breton, comme figure fondatrice de l'humour noir (terme inventé par Breton lui-même en 1940), Vaché qui ne voulait connaître qu'une loi, l'umour (car il omettait volontairement le h), et tâchait de s'en armer, devant l'inutilité théâtrale de tout. Vaché, né en 1895, mobilisé en août 1914, blessé en septembre 1915, renvoyé au front en juin 1916 comme interprète auprès des troupes britanniques, mourra en janvier 1919, dans des conditions mystérieuses et opiacées. Breton écrit : ".. il voulut en disparaissant commettre une dernière fourberie drôle …".

rire

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