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Mémoire-de-la-Littérature
9 février 2015

PIERRE BAYARD OU COMMENT ARNAQUER LE LECTEUR?

A PROPOS DE : Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer?

Pierre Bayard    Geneviève Dixmer

Pierre Bayard, né en 1954, est professeur de littérature française à l'Université Paris VIII et psychanalyste. Auteur abondant, je me suis intéressé à lui à partir de son petit livre de 1998 et septième dans la liste de ses productions: Qui a tué Roger Ackroyd? (Ed. de Minuit). Très séduisant. Proustophile pour ne pas dire proustolâtre, je suis donc revenu d'un cran en arrière afin d' examiner: Le Hors-sujet. Proust et la digression (Minuit, 1996). Tout à fait bien. Et puis, parmi les quatorze qui ont suivi, j'ai abordé: Comment améliorer les œuvres ratées ? (Minuit, 2000); Demain est écrit (Minuit, 2005); Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? (Minuit, 2007); L'Affaire du chien des Baskerville (Minuit, 2008); Le Plagiat par anticipation (Minuit, 2009); Et si les œuvres changeaient d'auteur? (Minuit, 2010); Comment parler des lieux où l’on n’a pas été ? (Minuit, 2012); Aurais-je été résistant ou bourreau ? (Minuit, 2013).

Et aujourd'hui, Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer? Encore et toujours aux éditions de Minuit, et qui vient de paraître (5/2/2015).

La pensée de Pierre Bayard est assez chatoyante, ondulante, référencée, inattendue pour que ce soit en général avec un vif plaisir que je me laisse embarquer dans ses paradoxes. Avec les titres qu'il choisit, véritables accroches, il est arrivé qu'on frôle la publicité mensongère, mais les informations qu'il apporte ou les œuvres auxquelles il s'adosse sont souvent des apports culturellement intéressants et ouvrent des pistes enrichissantes. Certes j'avais déjà ressenti comme un fléchissement en termes de rigueur de l'analyse, estimé sa logique moins décisive dans L'Affaire du Chien des Baskerville,  sa prestidigitation moins convaincante dans Comment parler des lieux où l’on n’a pas été ? et je m'étais retrouvé un peu déçu dans Aurais-je été résistant ou bourreau ?

Et puis là, patatras! Geneviève Dixmer: autant le dire clairement, on a basculé dans l'arnaque.

Le chevalier de Maison-Rouge, roman d'Alexandre Dumas, épaulé par Auguste Maquet, je l'avais, adolescent, négligé au profit comme tout un chacun des Mousquetaires. Et comme, s'il fallait trancher entre téléphile et téléphobe, je serais dans la nécessité de m'avouer téléphobe, je ne savais rien du téléfim de 1963 et de l'adaptation télévisée de Claude Barma. Pierre Bayard lui, du haut de ses neuf ans – ce qui me semble bien jeune, mais puisqu'il le dit… – s'est passionné pour la série avant de découvrir le roman et surtout, est tombé éperdument amoureux - et pour la vie - de l'héroïne, Geneviève Dixmer, incarnée par Anne Doat.

Réduite à sa plus simple expression, l'intrigue tient en ceci : Maurice Lindey est un jeune et beau tenant de la Révolution de 1789, dans les développements de laquelle il prend des responsabilités. Nous sommes en 1793. Le roi est mort et la Terreur se déploie. Reste Marie-Antoinette. Geneviève Dixmer est jeune, belle et embarquée dans des complots monarchistes pilotés par le Chevalier de Maison-Rouge et visant à délivrer la Reine, emprisonnée au Temple, puis à la Conciergerie. Au début du roman, dans une rue obscure, le destin fait se rencontrer Maurice Lindey et Geneviève Dixmer. C'est le coup de foudre. Et de là, dommage collatéral et inéluctable de celui-ci, après de multiples et tumultueux rebondissements, c'est la chute à la fin du roman des têtes de Maurice et de Geneviève, tranchées par la guillotine, dans le panier du bourreau. Pierre Bayard, plus de cinquante ans après l'avoir appris, ne s'en est toujours pas remis.

Sa mission dès lors? Sauver Geneviève! Sa méthode? Entrer dans le roman, se substituer à Maurice Lindey et savoir réussir où celui-ci a échoué.

L'idée est amusante.

Le traitement l'est moins.

Dans le cadre d'une pseudo-analyse fouillée des événements mis en scène par Dumas, analyse qui se contente - en trouvant chez d'autres le moyen de se référencer et de se couvrir du manteau d'une réflexion réputée savante - de dérouler les questionnements de bon sens que rencontre toute situation à la fois paroxystique et soumise à des tensions incompatibles, Pierre Bayard parcourt linéairement l'intrigue, nous offre un digest, ou un synopsis ou un abstract du roman, ne l'éclaire de rien de décisif ou qui soit hors de la portée du lecteur moyennement cultivé et de bonne volonté, et après avoir mis ses pas absolument dans ceux de Maurice Lindey, attend la dernière demi-page pour tenter une modification d'une platitude résolue et qui ne présente pas l'ombre du quart de la moitié du commencement d'une quelconque probabilité de succès. Navrant. Tout à fait navrant.

Ah! Oui… Comme pour dépiter ceux de ses lecteurs qui croiraient encore en lui, Pierre Bayard, souhaitant compléter d'un paragraphe plus explicite la première nuit d'amour de Maurice et de Geneviève sur laquelle Dumas - qu'en l'occurrence Maquet n'a nullement poussé au crime - a glissé avec une pudeur extrême, Pierre Bayard, donc, rédige une quinzaine de lignes dans la plus pure tradition du roman de gare et à l'eau de rose raté. Un grand bravo!

Corneille avait eu l'honneur posthume de ce jugement de Boileau concernant sa production finissante :

J'ai vu l'Agésilas, hélas!

Mais après l'Attila, holà!

On pourrait pasticher au bénéfice (?) de Pierre Bayard :

Résistant ou bourreau … Allo?

Geneviève Dixmer … Amer!

Allons, allons, Pierre Bayard, il se faut ressaisir!

Pierre Bayard est à la librairie Compagnie, rue des écoles, Paris (V°) mercredi prochain, à 18h30. Je ne pourrai pas être présent, retenu par des contraintes familiales dirimantes. Lui aurais-je d'ailleurs porté la contradiction? Probablement pas ou en tout cas, sans doute moins vivement. Mais je pense que je n'aurais pas pu m'interdire de manifester mes réserves.

Pour utiliser le vocabulaire de l'auteur, en termes d'éthique des principes, je me serais senti sommé de m'exprimer vivement, en termes d'éthique des conséquences, j'aurais été retenu par la crainte qu'il ne vive cela par trop négativement. En termes de situationnisme … je ne peux rien, hic et nunc, projeter, puisque je ne maîtrise pas ce qu'eût été le contexte. Etc.

Cela dit, je fais confiance à son narcissisme affirmé et assumé; quand bien même il lirait ceci, je doute que Pierre Bayard en puisse être en quelque façon affecté. Le pauvre homme penserait-il, à qui échappent tant de beautés, tant de finesses

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Commentaires
P
Si vous voulez lire un excellent essai, rigoureux et original paru récemment chez Minuit, je vous conseille "En toute mauvaise foi" de Maxime Decout. D'autant que nous sommes tous concernés par la question d'une manière ou d'une autre...
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