ROLAND BARTHES ET LUI

     

L'Âge des lettres

Collection Blanche, Gallimard

Parution : 01-10-2015

«Roland Barthes avait pensé intituler une conférence "Proust et moi". Après réflexion, il l’appela "Longtemps, je me suis couché de bonne heure". Non qu’il vît de la présomption dans la première formule. Employée par lui, disait-il, et non par un témoin, elle n’impliquait aucune comparaison, mais exprimait une identification. Loin de s’égaler à Proust, il entrait humblement dans ses pas.

Si je le comprends bien, il y aurait eu de l’audace de ma part à nommer ce livre-ci "Roland et moi", puisque je l’ai vu vivre durant quelques années. N’ayant pas côtoyé Proust, rien ne l’empêchait de dire "Proust et moi", tandis que je ne pourrais pas écrire "Roland et moi" en toute simplicité.

En vérité, il ne s’agit ni de se comparer ni de s’identifier, mais, trente-cinq ans après sa mort, de revenir, comme je le fais souvent dans ma tête, sur notre amitié, d’en parcourir les étapes, de fouiller dans ma mémoire, de retrouver ce que je lui dois, de lui rendre grâce pour ce qu’il m’a donné, pour les progrès qu’il m’a fait faire.

On ne se lance pas dans ce genre d’enquête si l’on ne se sent pas contraint et forcé. On y résiste jusqu’au moment où elle s’impose. Ceci est ma recherche de Roland.»

                                                                             Antoine Compagnon.

Je suppose qu'il s'agit là – sur le site Gallimard – de la quatrième de couverture du livre à paraître. C'est un article de Télérama (n°3427) "Dans l'intimité du mythe", consacré au documentaire sur Barthes diffusé par Arte mercredi dernier, de Chantal et Thierry Thomas ( documentaire tout à fait excellent – sauf erreur réécoutable une semaine <http://www.arte.tv/guide/fr/053978-000/roland-barthes?vid=053978-000_PLUS7-F>), qui attire notre attention sur cette prochaine parution.

On ira évidemment voir . Elle cohabite, cette parution, avec la sortie d'un bouquin de Sollers, "L'amitié de Roland Barthes", sur lequel je ne me précipiterai pas, pour l'unique et indéfendable raison que Sollers me donne des boutons.

Les quelques lignes ci-dessus d'A.C. peuvent ouvrir une courte réflexion.

Barthes avait envisagé un "Proust et moi", A.C. évoque un "Roland et moi" non advenu. Chez Barthes, une distance qui exclut "Marcel et moi". Chez A.C., une proximité mémorielle affectueuse qui souhaitait se dire, qui aurait souffert sans doute de la brutalité du seul patronyme et qu'aurait donc meurtrie un trop sec "Barthes et moi". Sollers notons-le, tourne la difficulté avec la pratique moderne de l'énoncé complet, où Roland Barthes neutralise Roland mais rapproche malgré tout Barthes.

Les amitiés fortes et rompues, par la vie ou par le destin, touchent toujours. Avec ici, Roland Barthes / Antoine Compagnon, différence d'âge oblige, sans doute comme l'ombre d'une filiation à travers le fantasme du disciple préféré. Il y avait toute une émotion dans ce choix, même évoqué par prétérition, du seul prénom. En même temps, comme dans l'énoncé public de tout sentiment, une impudeur. Nous verrons ce qu'il en est du livre. Le titre finalement retenu a gommé tout cela. D'un extrême, l'autre.

Mais l'affirmation finale fait rebondir l'affaire, et me gêne : "Ceci est ma recherche de Roland". D'abord, Roland est trop connoté Roncevaux (pour moi). Ensuite, il y a de nouveau trop d'intime. Je me serais mieux reconnu dans un mallarméen : "Ceci est mon tombeau de Roland Barthes".

Quoi qu'il en soit, éveillée, la curiosité du lecteur est entière.

"L'Âge des lettres" est un titre par ailleurs à double détente. Est-ce la référence à une période littéraire , avec en filigrane, "L'Âge de Barthes" comme il y a dans les livres d'histoire,  "L'Âge de pierre"? Ou est-ce un clin d'œil autobiographique : "L'âge où je me suis ouvert aux Lettres", lorsque le séminaire de Barthes a exercé, sur le jeune polytechnicien de la promotion 1970,  son droit de préemption ?

Jeudi prochain. Wait and see.