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Mémoire-de-la-Littérature
23 octobre 2015

GUY DE MAUPASSANT - NOTRE COEUR

                                   Notre cœur

En folio  classique, édition de poche, le roman est préfacé et annoté par Marie-Claire Bancquart, professeur émérite à la Sorbonne. On y apprend, ce qui renvoie à la première surprise de lecture, que c'est en toute connaissance de cause et fort volontairement que Maupassant a donné à ses deux héros des patronymes aussi inattendus qu'inélégants : André Mariolle et Michèle de Burne.

Ce qui fait de ces deux amants un rigolo amoureux d'une couille. Ah?

Eh bien, oui, c'est voulu. Le XIX° siècle n'a pas attendu Bernard Tapie pour affirmer qu'être viril, c'était être sévèrement burné, et avec un ou deux "l", depuis 1553 et Charles Estienne, médecin, imprimeur et écrivain français, qui l'a introduit, le mariole a droit de cité comme individu déluré, gaillard ou coquin, ou imbécile, etc.

D'après Marie-Claire Bancquart: "Maupassant [qui] a voulu donner des noms emblématiques (…) a compté à juste titre sur l'heureuse innocence des lecteurs et sutout des lectrices, ou sur l'incrédulité suscitée par une interprétation pourtant évidente".

Michèle de Burne a en effet, derrière une beauté féminime indiscutablement grâcieuse, des caractéristiques masculines de comportement, et André Mariolle, que sa passion pour elle mène par le bout du nez, en perd la raison et, sans être un "rigolo", n'est guère, entre les mains de sa séductrice, qu'un pantin.

Cela dit, le faire passer pour un "mariolle" est un peu outré et on a plutôt tendance à le plaindre, encore que la réorganisation de sa vie, à laquelle il se résout en troisième et dernière partie du roman, ne me soit pas – mais sans doute dans l'esprit de l'époque – très sympathique, lui se dédoublant pour continuer à aimer une femme qui, sans absolument se refuser, ne lui offre qu'une frigidité consentante , tout en bénéficiant, auprès d'une gentille petite maîtresse en quoi il transforme sa jeune et jolie domestique, de plaisirs plus consistants, quand bien même l'âme n'y aurait que peu part. Il aime l'une, que ses caresses fatiguent et qui a la tête ailleurs (voir Georges Brassens : Quatre-vingt-quinze fois sur cent / les femmes s'emmerdent en baisant / Qu'elles le taisent ou le confessent / C'est pas tous les jours qu'on leur déride les fesses), il s'oublie entre les bras de l'autre, qui se donne furieusement et qu'il aime seulement … bien.

Quand le roman paraît, Marcel Proust a dix-neuf ans. A-t-il lu Notre cœur? Dans la passion d'André pour Michèle, on trouve un tout petit peu des amours contrariées de Charles Swann pour Odette de Crécy. A peine, une impression, comme ça. Ce serait absurde d'opérer un rapprochement, mais quelquefois, on se dit: tiens …

C'est le dernier roman de Maupassant, déjà malade (il le compose en 1889/90) et qui mourra en 1893. Et c'est un roman douloureux avec un André Mariolle qui a sans doute pris sur ses épaules une bonne part des désillusions amoureuses de l'auteur.

Lecture recommandée. On y prend, quoi que j'aie l'air d'en dire,  un vif plaisir, au sein d'une littérature datée en termes de milieu social décrit, mais qui intemporellement continue à trouver des résonances  dès lors qu'il s'agit de psychologie amoureuse.

Dit dans une franche brutalité d'aujourd'hui, les héros, toutefois, "n'ont pas grand-chose à foutre". C'est riche et oisif, l'argent n'est pas un souci, et quand on se lève le matin, au milieu des bruits industrieux de la petite domesticité qui s'agite, on se demande à quoi occuper sa journée en attendant l'heure des visites mondaines de l'après-midi et en pensant aux participants du raout auquel le soir on se rendra.

Cela peut agacer le lecteur industrieux et désargenté, s'il s'en trouve.

Il faut dépasser cet agacement. Belle littérature, et derrière la déprime friquée, pleine de distinction, que tout un chacun n'a pas les moyens de s'offrir, une analyse psychologique intéressante et finalement transposable.

Car ce qu'André Mariolle souffre auprès de Michèle de Mes Deux - oh! Pardon!- de Burne, sa petite domestique-maîtresse le souffrira, en moins de phrases mais autant de profondeur, grâce si j'ose dire à lui, même si le roman se clôt avant qu'elle ait l'occasion d'en prendre la pleine connaissance, tout en nous en ayant donné un avant-goût.

Elle est au fond la seule vraie figure attachante, honnête, douce et tendre de ce roman cruel et dur. 

Aimer, cette malédiction ….

                                                                                                      (Ce billet a été, à l'identique, également publié sur AutreMonde)

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