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Mémoire-de-la-Littérature
4 février 2016

PARIS PITTORESQUE ? …

La leçon du 26/1/2016 a beaucoup joué – probablement sans intention – sur l'anecdotique. Du coup … comme on parlait de chiens et de chats en termes culinaires, j'ai relevé dans le Dictionnaire d'argot fin de siècle de Virmaître, publié en 1894 : " Il existe des industriels qui, la nuit, vont chasser les chats! Ils les fourrent dans un sac de toile, les dépouillent, puis les vendent aux restaurateurs de bas-étage qui les transforment en lapin sauté ou en lapin chasseur. Ils les préparent plus particulièrement en gibelotte parce que le vin et les épices atténuent un peu l'odeur sauvage du chat-lapin. Dans les portions servies, jamais il n'y a de tête; elle ferait reconnaître facilement la vraie nature du faux lapin." 

On pense à Flaubert. Dans son Dictionnaire des idées reçues, l'on peut lire: Gibelotte: Toujours faite avec du chat.

Antoine Compagnon était passé par Restif de la Bretonne (Les nuits de Paris ou Le spectateur nocturne) :

Je m'en revenais en rêvant, suivant mon usage. Dans la rue Pavée, presque vis-à-vis l'hôtel de Lamoignon, j'aperçus à terre quelque chose de noir, qui se mouvait. Cela ressemblait à un gros chien. Je redoute cet animal depuis que j'en ai été mordu dans mon enfance. Je tressaillis. Un cri plaintif et profond, mais moins effrayant pour moi que l'aboiement d'un chien, me fit présumer que c'était une créature humaine. Je m'approchai, les cheveux hérissés de terreur. C'était une vieille chiffonnière ivre d'eau de vie, couchée par terre, la tête appuyée sur un sac où étaient enfermés quelques chiens et quelques chats qu'elle avait assommés pour en avoir la chair et la peau. Je l'éveillai. – Allons la mère, levez-vous! Votre sommeil doit vous avoir rafraîchie. Où demeurez-vous? Elle s'éveilla un peu … - Pas moins de douze sous le gros matou! Je le guette depuis trois soirs. Il appartient à une dévote; il est gras à lard; la peau est belle. – Et elle le tira du sac; il remuait encore! – Levez-vous! – Les deux petits chiens? Ils n'ont que six mois, c'est tendre comme rosée! On m'en a fait manger dimanche à la Maison-Blanche, pour du lapin de garenne. Le pâtissier du faubourg en fait son hachis. Le charcutier de la Barrière en bonifie ses cervelas. – Elle les étala. – Ma bonne! Je ne suis ni guinguettier, ni pâtissier, ni marchand de cochon. – Qu'es-tu donc, pour me tirer les vers du nez? Passe ton chemin! – Et elle voulut m'allonger un coup de crochet. Je fus obligé de me retirer.

Champfleury, ami de Baudelaire et qu'il défendit quand ce poète des chats fut accusé de cruauté envers eux, détaille, dans La mascarade de la vie parisienne, redressant au passage les informations précédentes, le recyclage tous azimuts des chats, sorte de condensé de l'économie du réemploi qui fut un trait saillant de l'époque, avec le personnage d'un certain Couturier qui se disait [en 1841] apprêteur de pelleteries mais dont la réelle industrie , si elle avait été connue des portières de Paris, l'eût conduit à entendre son nom entouré d'un concert de malédictions sans cesse renaissantes.

A toute heure de la journée des plaintes, des larmes, des sanglots, des imprécations, des menaces de vengeance, des accusations partaient des loges de concierges, des appartements de célibataires, des logements de vieilles filles, qui étaient dues à l'industrie de Couturier et qui ne troublaient jamais son sommeil.

Couturier était un bourreau et ses aides demeuraient rue Mouffetard, au numéro 23. Ni ce bourreau, ni ses aides n'avaient de remords des immenses douleurs qu'ils accumulaient au sein de la capitale.

A la tombée de la nuit arrivaient mystérieusement à la Maison Rouge [où demeurait Couturier] des hommes seuls, le plus souvent un sac sur l'épaule, d'où sortaient quelquefois certains gémissements étouffés, et ils entraient avec précaution, dans la crainte d'être surpris.

Ces meurtriers effrontés (il faut dire tout de suite leur profession) n'étaient autres que des chiffonniers dressés à l'assassinat des chiens et des chats de Paris, que Couturier apprêtait ensuite.

Il n'entrait pas moins de dix-sept à dix-neuf cents chats par an à la Maison Rouge et le nombre de chiens, sans être aussi élevé, n'en était pas moins regrettable.

Les parisiens, qui croient depuis longtemps aux vieilles plaisanteries des "lapins de gouttières", prétendant que les restaurateurs au dehors des barrières ne donnent à leurs consommateurs que du chat à la place du lapin, se trompent en ceci comme en beaucoup d'autres matières.

Les chats disparus ont peu de rapport avec la marmite, et reparaissent dans la civilisation rarement sous forme de gibelottes. L'industrie de Couturier va le démontrer.

Les modernes alchimistes de nos jours qui ont découvert mieux que l'or, c'est-à-dire la transformation de tout produit, inutile en apparence, ont fait jouer au chat mort, un rôle immense dans la pelleterie.

Tout chat mort, maigre ou gras (qu'il ait fréquenté les gouttières, en y dépensant la majeure partie de ses forces, ou qu'il ait amassé une lourde graisse sous le lit de plume d'une vieille fille), rend d'immenses services à l'industrie.

Sa peau, apprêtée convenablement, est revendue plus de six fois qu'elle n'a coûté aux fabricants de joujoux, aux fourreurs qui en font des manchons, et aux chapeliers qui en couvrent des casquettes.

Ainsi, il peut arriver qu'une portière qui a perdu son chat, le rachète sous forme d'un petit lapin, sorti des ateliers des fabricants de jouets. Une femme de la bourgeoisie, qui ne se connaît pas absolument en martres, a peut-être réchauffé ses mains dans le manchon-chat dont elle a longtemps pleuré la perte. En lisant ces lignes, plus d'un célibataire jettera un coup d'œil sur sa casquette en poil de lapin, craignant de porter sur la tête la dépouille d'un matou égaré par ses soins.

Qu'il soit joujou, manchon ou casquette, le chat mort n'a pas encore terminé ses métamorphoses. Ses os servent à faire du noir animal. Sa graisse est employée par les émailleurs et fabricants d'yeux d'émail. Enfin la chair est enterrée dans un trou où elle se corrompt et donne naissance à des asticots qui se vendent aux pêcheurs à la ligne.

Telle était l'industrie entreprise par Couturier qui (l'historien rougit de l'avouer) ne payait ces animaux utiles que trois sous.

Une dizaine de chiffonniers avaient été détournés de leur pacifique métier pour tremper dans l'assassinat des chats de Paris et en tirer un mince salaire; mais Couturier ne reculait pas devant le sacrifice d'une bouteille de vin cachetée, quand le commerce allait son gré. Et les étrangleurs du faubourg Saint-Marceau qui rôdent dans tous les quartiers de Paris, une lanterne à la main, un crochet dans l'autre, assénant avec adresse un coup de ce dernier sur le crâne des chats vagabonds pour terminer par le coup de pouce de la fin, ces étrangleurs à trois sous par tête, parlent encore de la générosité de Couturier.

Pour revenir un peu sur cette histoire de cruauté animalière de Baudelaire, accusation dont Champfleury s'indignait, en cherchant un peu à travers le net, on trouve un texte de Judith Gautier, fille de Théophile, dans Le second rang du collier. Souvenirs littéraires, ouvrage publié en 1903 (Félix Juven, éditeur). Voici le passage : D'une fenêtre du premier, je regarde dans la rue. (…)  Quelqu'un marche, au loin, venant de l'avenue de Neuilly : un homme, qui s'avance lentement et d'une allure singulière. (…) Un chien marche devant l'homme, un assez grand chien à longs poils et horriblement crotté. (…)  Tout à coup, la distance diminuant, je reconnus le promeneur : c'était Charles Baudelaire. Il venait chez nous, certainement, mais quelle idée avait-il ? Que lui avait fait ce vulgaire toutou, qui ne le voyait même pas ? (…)  Le promeneur ayant réussi à presser, du bout de son pied, la pointe de la queue du chien, celui-ci poussa un hurlement de peur, mais aussitôt il se retourna et se jeta sur l'homme, qui tomba en pleine boue jaune ! Par bonheur, les représailles ne furent pas poussées plus loin : le chien détala, retournant vers l'avenue. [Arrivée chez les Gautier et questionnement de Théophile ] "Mais quelles raisons ce chien avait-il de t'en vouloir ? (…) – Cet animal était dans son droit : je l'avais offensé, en lui marchant sur la queue, exprès. Mais je suis très humilié, parlons d'autre chose."

On trouve également un témoignage du journaliste Adrien Marx : Je dînais avec [Baudelaire] régulièrement dans une taverne de la rue Bréda, habitée par un chat noir. (…) Il n’était pas rare qu’après la régalade il ne saisît l’animal par la queue et l’élevant en l’air ne lui arrachât les poils de ses moustaches avec une joie qui tenait du délire. (« Une figure étrange », paru dans L’Événement, 14 juin 1866, article recueilli dans Indiscrétions parisiennes, Faure, 1866, p. 215).

Maxime Rude, raconte que Baudelaire se plaisait à réveiller les chats en les caressant à rebrousse-poil :  J’ai été obligé de m’interposer, certain jour, pour le tirer d’une lutte très animée avec un gros chat rouge de l’avenue de Clichy  que le poète avait agacé à l’étalage d’un fruitier  (Confidences d’un journaliste, Sagnier, 1876, p. 168-169). 

Ceci (Judith Gautier, Adrien Marx, Maxime Rude) référencé dans un blog fort érudit et déclinologue (?) dont je signale (il faut rendre à César) la localisation : http://dernieregerbe.hautetfort.com/archive/2011/02/09/intituler-un-blogue.html

Mais revenons à nos moutons … A.C. ainsi parlait de chats et de chiens. En termes culinaires, comme ci-dessus, ou en termes de vivisection. De rats, aussi. Et ceci ayant un rapport avec cela, de Claude Bernard, entre autres.  Georges Chapouthier, neurobiologiste émérite et coreligionnaire  rue d'Ulm d'Alain Juppé, rapporte ceci à propos de l'évolution de l'expérimentation animale :  C’est avec François Magendie (1783-1855) et son élève, Claude Bernard (1813-1878), au XIXe siècle, que l’expérimentation animale devient une pratique systématique de la recherche biologique, fondée sur un appareil épistémologique rigoureux, que ces deux auteurs, et particulièrement le second, ont analysé. On peut dire que c’est avec Claude Bernard que naît vraiment l’expérimentation animale au sens moderne du terme, avec des conséquences étincelantes sur le plan de la connaissance biologique et, dans le même temps, des conséquences beaucoup plus sombres sur le plan de la morale à l’égard des animaux.  Il semble en effet que la souffrance animale soit resté le cadet des soucis du grand savant qu'était Claude Bernard, même si – dit encore Chapouthier -  déjà à son époque, beaucoup de ses contemporains étaient choqués par des expériences effectuées  sans anesthésie sur des chiens et souvent en public. Ce qui d'ailleurs n'était pas sans conséquences domestiques. Exemple (toujours Chapouthier) : La femme et les filles de Claude Bernard avaient développé́ un tel dégoût pour les expériences de leur père qu’à la mort de ce dernier, elles affectèrent une partie de son héritage à un cimetière pour chiens, ce qui, concernant le « pape » de la vivisection, ne manque pas d’originalité ! Antoine Compagnon a évoqué cette affaire. Dans une communication présentée à la séance du 25 novembre 1978 de la Société francaise d'histoire de la médecine, le docteur François-Joachim Beer dressait le tableau suivant : Après son échec à l'agrégation, Claude Bernard voulut, dans son découragement, abandonner ses travaux d'expérimentation et s'installer á la campagne pour y exercer le métier de médecin praticien. Sous l'influence de son maître Pierre Rayer, qui avait deviné sa grande valeur scientifique, Claude Bernard accepta de persister dans son orientation. Par ailleurs, un de ses amis, le chimiste Théophile-Jules Pelouze, cherchant un moyen pour l'aider sur le plan matériel, le présenta amicalement á la famille d'un médecin praticien, le docteur Henri Martin. (…)  L'enfer est pavé de bonnes intentions, et l'ami de Claude Bernard, Pelouze, s'est souvent repenti de son intervention, voyant que la femme de Claude Bernard, Marie-Francoise Martin, nommée «Fanny », qui avait 26 ans au moment du mariage, alors que Claude Bernard était ágé de 32 ans, s'est vite montrée bigote, tracassière, avare, méchante et absolument insensible aux qualités de son mari, absorbé par ses recherches physiologiques. (…) Comme Claude Bernard avait besoin de chiens pour ses travaux de recherche, « Fanny », comme pour narguer son mari, se mit à les « adorer » et elle inculqua cet attachement à ses deux filles en même temps qu'elle les éleva dans la haine de leur père. De même, comme son mari était agnostique, «Fanny» s'abîmait dans la foi religieuse. Les longues années d'existence commune que Claude Bernard vécut auprès de cette femme furent pour lui un vrai calvaire. [Quant à] ses filles, elles se liguèrent avec leur mère contre leur père et elles allèrent jusqu'á fonder un asile pour les chiens et les chats abandonnés, en expiation des péchés de leur père. Tout pacifique qu'il était, il se sentit un jour au bout de toute patience. II demanda la séparation et il s'installa au 40, rue des Ecoles, face au Collége de France. Dans son petit appartement, il vécut triste mais soulagé.

Mais s'ensuit une assez jolie histoire (toujours contée par François-Joachim Beer) . Car l'année même (1869), où Claude Bernard est légalement séparé de sa femme  il fait la connaissance de Sarah-Marie Raffalovitch qui, née en 1833, devait alors avoir 36 ans. Il en a 56. Jolie, cultivée, un peu fantasque, elle s'intéressait  aux travaux du physiologiste, assistant à ses cours. Celui-ci a lui-même raconté la leçon où elle lui apparut :  « A ma droite se tenait une (…) jeune femme brune, d'une éblouissante beauté. Située á quelques gradins au-dessus, cette dame laissait voir un pied charmant, artistiquement chaussé et orné, du côté gauche, côté du cœur, d'un bracelet orné de magnifiques pierres précieuses et serré au-dessus de la malléole. J'avoue que ce bracelet, que je voyais pour la première fois dans ce lieu, m'a suffoqué. » Profondément troublé, il confond l'aorte avec la carotide. II perd le fil de ses idées et de son cours, en oubliant la moitié de ce qu'il avait à dire. Or, quelques jours plus tard, il reçoit une lettre de cette auditrice  dans laquelle elle lui demandait un rendez-vous pour une consultation médí­cale. Etc.

Sarah-Marie Raffalovitch était la femme d'un banquier d'Odessa installé á Paris, elle était à la fois mondaine gracieuse et intellectuelle raffinée. Correspondante bénévole d'un journal de Saint-Pétersbourg, elle avait ouvert un salon, comme c'était alors la mode, où se rencontraient savants et hommes politiques et où Edgar Quinet, sous l'Empire, défendait l'esprit républicain. Riche et belle, elle menait une vie heureuse auprés de son époux et de ses trois enfants. Et mon  "Etc." ci-dessus  ne doit pas prêter à confusion. Leurs relations seront semble-t-il de pure amitié. Claude Bernard a vingt ans de plus qu'elle, il est de santé fragile, elle essayait de se rendre utile en traduisant pour lui des Mémoires étrangers et en dépouillant des ouvrages philosophiques; elle l'invitait à passer parfois quelques jours dans sa villa de Trouville ou à des soirées dans sa loge á l'Opéra. Elle lui faisait cadeau, par exemple, d'une cafetière turque, ou d'une robe de chambre bordée de petit-gris. Claude Bernard, ayant été peu gâté en fait d'attentions féminines, se montrait fort sensible à tout cela. II lui envoyait des fruits de Saint-Julien, ou des violettes d'automne. II la tenait en grande estime.  Il avait horreur d'écrire, mais elle reçut de lui 488 lettres pendant les années allant de 1869 à sa mort en 1878, la dernière datant de janvier (il meurt le 10 février). Le ton des lettres est celui de la reconnaissance, de l'affection et aussi du respect. Sans doute ressentait-il pour elle un amour platonique, mais il ne lui en dit jamais rien. Oui, inattendu et joli.

Antoine Compagnon a aussi évoqué Magendie, prédécesseur de Claude Bernard au Collège de France dont il a rapporté cette auto-analyse que j'ai retrouvée dans la réponse de Paul Bourget au discours de réception à l'Académie française d'Emile Boutroux, le 22 janvier 1914 : Le vieux Magendie exprimait cela d’une façon bien pittoresque : « Chacun, » disait-il à Claude Bernard, « se compare, dans sa sphère à quelque chose de plus ou moins grandiose, à Archimède, à Newton, à Descartes. Louis XIV se comparaît au Soleil. Moi, je suis plus humble, je me compare à un chiffonnier. Je me promène avec ma hotte dans le dos et mon croc à la main. Je cherche des faits : quand j’en ai trouvé un, je le pique avec mon croc et je le jette dans ma hotte. » Une attitude qui fait dire à Bourget "Voilà le savant", mais sur laquelle Claude Bernard avait on s'en doute, davantage soucieux de rigueur et de méthode, les plus expresses réserves.

Quoi qu'il en soit, Magendie avait, lui, pour ses expérimentations, non pas des problèmes de chiens ou de chats mais de rats. Théophile Gautier a rapporté l'anecdote dans un texte un peu long mais assez fascinant sur les rats de Paris (en fait, de Montfaucon, à l'emplacement actuel des Buttes-Chaumont) . Il y parle de ces rats  qui se nourrissaient des déchets accumulés dans la voirie de Montfaucon, dépotoir de tout ce que la ville engendrait d'immondices et qui a fait le plat de résistance de la leçon du jour : Les rats de Montfaucon ne sont point des rats ordinaires; l'abondance et la qualité de la nourriture les a développés prodigieusement; ce sont des rats herculéens, énormes, gros comme des éléphants, féroces comme des tigres, avec des dents d'acier et des griffes de fer; des rats qui ne font qu'une bouchée d'un chat (…)

Antoine Compagnon a parlé d'un ivrogne qui, endormi dans la décharge, y a laissé ses yeux, son nez et ses oreilles. Vérité ou démarquage de Gautier, qui écrit: Si par malheur, un ivrogne attardé s'endormait près d'une de ces [colonies] de rats, le lendemain, il ne resterait de lui que ses dents et les clous de ses souliers: aussi, les habitants de l'endroit se veillent-ils les uns les autres et ne dorment-ils que chacun à son tour (…)

Certains amateurs, semble-t-il se plaisaient à parier lors de combats organisés entre des chiens et des rats, mais – je redonne la parole à Gautier – ce qu'il y a de plus extraordinaire dans tout ceci, c'est que les domestiques chargés d'apporter les rats de Montfaucon à Paris sont obligés de mettre dans leurs caisses deux ou trois douzaines supplémentaires pour avoir leur compte en arrivant chez leur maître car ils se mangent en route et l'on ne trouverait plus que les queues à l'ouverture de la boîte. Ceci paraît peu croyable; rien n'est pourtant plus vrai. 

Et l'on arrive à notre affaire, lorsque j'ai dit plus haut que nous avions parlé de rats, aussi : Monsieur Magendie ayant été prendre lui-même douze rats à la voirie [de Montfaucon] pour faire quelques expériences, n'en rapporta chez lui que trois vivants, prodigieusement gonflés et distendus. Il ne restait des autres que les griffes, les dents et quelques débris.

Deux mots encore des chats?  Privat d'Anglemont a été cité, et son Paris anecdote de 1854, évoquant un certain père Matagatos, homme grand, fort et : … bien nommé, qui aime la vie libre, les longues flâneries et les clairs de lune, [et qui ] s'est fait chiffonnier, mais uniquement pour se donner une position sociale et pour avoir le droit de porter la hotte: il dédaigne le chiffon. Sa véritable industrie consiste à exterminer les chats, comme le dit son surnom, qui est composé de deux mots catalans.

chien attelage

Les chiens? Antoine Compagnon évoque une note de police de 1826 enjoignant d'assommer les chiens attelés aux carrioles de fruits et de légumes et que les chiffonniers, plus ou moins dans cette perspective auxiliaires de police de fait, auraient appliquée avec une brutalité révoltante. Je n'ai pas trouvé grand-chose là-dessus. Une thèse pour l'obtention du grade de Docteur Vétérinaire soutenue à Lyon en 2013 sur Le chien de trait, d'hier à aujourd'hui, indique en deux lignes: Les attelages de chiens et leurs aboiements effrayaient les chevaux montés ou eux-mêmes attelés, causant des accidents graves. Ils furent donc interdits de circulation à Paris en 1824  .  La source d'A.C. est ailleurs.

Photo - Marville

Cela dit, c'est plutôt aux cadavres de tous ces animaux, jonchant la voie publique que s'attache A.C. Il parle des photographies de Charles Marville, de son vrai nom Charles François Bossu, qui a beaucoup photographié Paris avant les grands travaux d'Haussman, mais un Paris, dit A.C., impeccable, aux rues débarrassées de ce qui pourtant était leur ornement le plus usuel, les charognes. Sans doute, pour les carcasses notables, les ânes, les chevaux, il est rare que leur dépouille demeure, dit-il, plus d'une dizaine d'heures ainsi exposée, mais les chiens et les chats ont tout le temps de pourrir sur place.  Et le mot charogne étant lâché, c'est à celle mise en poème par Baudelaire qu'il accorde quelques minutes. Un âne ou un cheval, justement, pense-t-il, car nécessairement une grosse bête. Les commentateurs, d'après lui, ont peu travaillé la question. 

Du coup, il a cherché des poèmes portant sur un cheval mort. Et il n'en a trouvé que deux. Le poème en prose d'Aloysius Bertrand, pertinemment titré Le Cheval Mort et par ailleurs fort court . Extrait : Celui-là, tué d’hier, les loups lui ont déchiqueté la chair sur le col en si longues aiguillettes qu’on le dirait paré encore pour la cavalcade d’une touffe de rubans rouges.

Et un sonnet de même titre et de Marie Huot , poétesse oubliée (1846-1930), qu'heureux de sa couverte et bien que réservé sur sa qualité, A.C. décide de nous lire in extenso:

Il venait de tomber. Saignant de coups atroces,

Ce carcan s'étalait dans un tas de crottin.

Rosse, il était crevé comme crèvent les rosses,

Devant son cocher saoul qui jura," Cré matin!"

 

Les voyous s'arrêtaient et se faisaient des bosses,

De rire avec ce corps. Une dame en satin

Se mit à rire aussi de leurs lazzis féroces.

Vient une vieille qui voyant ça dit "Catin!

 

Fais donc ta mijorée avec tes gants de perles

Si ça ne fait pas suer, cette grue et ces merles

Qui jettent leur mépris à ce pauvre cheval!"

 

Et la vieille, sa hotte et son croc sur l'échine,

Soulevant doucement le fond de l'animal,

"T'es maigre, pauvre ami! C'que c'est que la débine!"

Il est quand même à noter – ce qu'Antoine Compagnon s'est gardé de faire – combien le troisième vers fait penser à Malherbe dans sa Consolation à Monsieur Du Périer : Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses. Etonnant rapprochement, non?

Charles Nègre

A.C. a projeté sur le thème un cliché de Charles Nègre, peintre passé au début des années 1850 à la photographie (la photo projetée daterait de 1855-1860),  montrant un cheval allongé. Je n'ai pas retrouvé ce cliché, mais dans une attitude voisine (?), Nègre a photographié ceci, qui ne m'a pas semblé désagréable à montrer:

Sur cette affaire de cheval mort en poésie, la recherche d'A.C. est passée semble-t-il à côté d'une troisième occurrence, due à Jean Arbousset, mort au front en 14-18, auquel un certain colonel Eggenspieler - qui l'eut sous ses ordres – tint, dans l'historique qu'il fit ensuite de son séjour dans la Somme et dans l'Aisne, à rendre hommage: Je dois une mention à un brave petit sapeur qui vivait près de nous et qui avait une affection toute particulière pour le régiment. On l'appelait Quinze-Grammes en raison de son petit corps menu et fluet. Quand la guerre éclata, il n'hésita pas et s'engagea dans l'arme du Génie. Il avait dix-neuf ans. (…) Quinze-Grammes rimait avec ardeur jusque sous les obus. Il a composé d'innombrables poèmes de tous les genres... Je reproduis ci-après le texte du «Cheval mort» qu'il m'a dédié en reconnaissance de sa nomination à titre honoraire au 290e... Le pauvre Arbousset fut tué le 9 juin 1918 à la tête de sa section à Saint-Maur dans l'Oise. C'était un jeune talent de plus qui disparaissait .

A la suite de quoi, on peut lire ce poème, rédigé en Novembre 1916 au Cimetière de Combles où sans doute, le régiment stationnait:

Dans la boue et dans le sang

Sur la terre grise,

Un vieux cheval agonise

Et lance à chaque passant

L'appel désespéré d'un regard impuissant,

Dans la boue et dans le sang,

Sur la terre grise.

 

Il se raidit, mais aussi

Par instants frissonne.

Comme des feuilles d'automne

Au vol triste et imprécis.

Il pleut des souvenirs sur son cœur endurci.

Il se raidit, mais aussi

Par instants frissonne.

 

C'est le pays, l'ancien temps

Et c'est la lumière,

Les rêves sur la litière

Chaude, et le hennissement

Tout de joie et d'amour, des lointaines juments

C'est le pays, l'ancien temps,

Et c'est la lumière.

 

Le pauvre cheval est mort

Dans sa mare rouge.

Voici. la nuit. Rien ne bouge

Ainsi, quand fuit l'astre d'or

Plus d'un soldat appelle et puis rêve et s'endort,

Comme le vieux cheval, mort

Dans sa mare rouge.

J'ai trouvé ça tout à fait émouvant dans sa touchante naïveté.

Restant pendant ce temps dans les équidés, voici A.C. en train de revenir sur l'ouverture du roman de Jules Janin, L'âne mort et la femme défigurée, pour souligner qu'il considère comme une scène d'horreur et l'une des plus atroces de la littérature française la fin du pauvre âne Charlot, surnom par ailleurs usuel des bourreaux. Sans prétendre , tant s'en faut, aux lectures étendues d'A.C., le jugement me paraît malgré tout excessif. Voici le texte :

(…) J’étais donc à la Barrière du Combat, à l’entrée du théâtre, un jour de relâche, pour mon malheur. Les aboiements des chiens avaient attiré le directeur du chenil (…) Je ne puis vous montrer aujourd’hui toute la compagnie, me dit-il (…)  mais, cependant, je puis vous faire dévorer un âne si le cœur vous en dit — Va donc pour l’âne à dévorer, dis-je à l’imprésario, et du même pas j’entrai dans l’enceinte silencieuse, moi tout seul, tout comme si on eût joué Athalie ou Rodogune.

Je pris donc place dans cette enceinte muette, sans que même un honnête boucher se trouvât derrière moi, escorté de quelque bonne exclamation admirative. J’étais dans une atmosphère d’égoïsme difficile à décrire. Cependant une porte s’ouvrit lentement, et je vis entrer.....

Un pauvre âne !

Il avait été fier et robuste ; il était triste, infirme, et ne se tenait plus que sur trois pieds ; le pied gauche de devant avait été cassé par un tilbury de louage ; c’était tout au plus si l’animal avait pu se traîner jusqu’à cette arène.

Je vous assure que c’était un lamentable spectacle. Le malheureux âne commença d’abord par chercher l’équilibre ; il fit un pas, puis un autre pas, puis il avança autant que possible sa jambe droite de devant, puis il baissa la tête, prêt à tout. Au même instant quatre dogues affreux s’élancent ; ils s’approchent, ils reculent et enfin ils hésitent ; ils s’enhardissent, ils se jettent sur le pauvre animal. La résistance était impossible, l’âne ne pouvait que mourir. Ils déchirent son corps en lambeaux ; ils le percent de leurs dents aiguës ; l’honorable athlète reste calme et tranquille : pas une ruade, car il serait tombé, et, comme Marc-Aurèle, il voulait mourir debout. Bientôt le sang coule, le patient verse des larmes, ses poumons s’entre-choquent avec un bruit sourd ; et j’étais seul ! Enfin l’âne tombe sous leurs dents (…)

Ce pauvre âne, de fait, a été central dans l'existence passée du narrateur qui le reconnaît soudain avec effroi et va nous embarquer dans la remémoration de son histoire. Peut-être y a-t-il là un ressort psychologique de l'horreur éprouvée par A.C. …

Dans tous les cas, est introduite ici cette Barrière du combat dont il a été, dans la leçon, plusieurs fois question. Il y eut, place actuelle du Colonel Fabien, un cirque de combats d'animaux. Des combats qui impliquaient des ours, des loups, des cerfs, des bouledogues, des taureaux … et des ânes. L'entrée était à 75 centimes. Les ânes ont souvent, pour leurs ruades dévastatrices, la faveur du public, qui rit beaucoup. Jules Janin décrit :

(…) nous n’avons pas encore le cirque où les hommes se dévorent entre eux, comme dans le cirque des Romains, mais nous avons déjà la Barrière du Combat :

Une enceinte pauvre et délabrée, de grosses portes grossières et une vaste cour garnie de molosses jeunes et vieux, les yeux rouges, la bouche écumante, de cette écume blanchâtre qui descend lentement à travers les lèvres livides. (…). Dans un coin de ces coulisses infectes, de vieux morceaux de cheval, des crânes à demi rongés, des cuisses saignantes, des entrailles déchirées, des morceaux de foie réservés aux chiennes en gésine. Ces affreux débris arrivaient en droite ligne de Montfaucon : c’est à Montfaucon que se rendent, pour y mourir, tous les coursiers de Paris. Ils arrivent attachés à la queue l’un de l’autre, tristes, maigres, vieux, faibles, épuisés de travail et de coups. Quand ils ont dépassé la porte et la cabane de la vieille châtelaine, qui, l’œil fixé sur les victimes, les voit défiler avec ce sourire ridé de vieille femme qui épouvanterait un mort, ils se placent au milieu de la cour, vis-à-vis d’une mare violette dans laquelle nage un sang coagulé ; alors le massacre commence : un homme armé d’un couteau, les bras nus, les frappe l’un après l’autre : ils tombent en silence, ils meurent ; et, quand tout est fini, tout se vend de ces cadavres, le cuir, le crin, le sabot, les vers pour les faisans du roi, et la chair pour les comédiens dévorants de la Barrière du Combat.

On est, là, insiste Compagnon, dans le dernier cercle de la chiffonnerie, avec la grande voirie de Montfaucon, ses clos d'équarrissage, et sa Barrière de combats, donc. Et il s'interroge : Baudelaire se rendit-il jamais à Montfaucon et aux clos d'équarrissage? Pour répondre : On ne sait. Et formuler ensuite quelques remarques. Il signale qu'à la parution des Fleurs du Mal, Montfaucon venait de fermer. En fait, la publication du recueil est de 1857 et Montfaucon a fermé en 1849. Autre remarque: il renvoie à un article d'Alcide Dusolier, écrivain et journaliste qui fut quelque temps secrétaire de Léon Gambetta. A se renseigner sur Dusolier, on note qu'il a précédé René Magritte, référence usuelle de l'expression,  dans la série des "Ceci n'est pas …", en publiant dans les années 1860 par les bons soins de Poulet-Malassis un recueil de ses critiques littéraires sous le titre : Ceci n'est pas un livre. Pour revenir à l'allusion de Compagnon, précisons qu'il s'agit d'un billet autour de Baudelaire du recueil  Nos Gens de lettres, leur caractère et leurs œuvres, Paris : Librairie de Achille Faure, 1864, titré : Un Boileau hystérique . Le billet est tout à fait intéressant. A.C. y a relevé ce jugement sur les vers du poète dans Une Charogne :   … galantes strophes , vraiment dignes d’un équarrisseur qui charmerait Montfaucon par des madrigaux exquis.

Comme il tient Montfaucon, il ne le lâche pas et il nous sert Hugo (Les Châtiments) :

Oui, Décembre à jamais vous tient, hordes trompées !


Oui, vous êtes ses vils troupeaux !


Oui, gardez sur vos mains, gardez sur vos épées,


Hélas ! gardez sur vos drapeaux


Ces souillures qui font horreur à vos familles


Et qui font sourire Dracon,


Et que ne voudrait pas avoir sur ses guenilles


L’équarrisseur de Montfaucon !


Gardez le deuil, gardez le sang, gardez la boue !

Rappellera-t-on Dracon, législateur athénien du VII° siècle (avant J.C.)  célèbre par la sévérité de ses lois (d'où l'adjectif draconien)?

Suit, après l'affirmation que les chevaux de Montfaucon reviennent eux aussi dans les assiettes  du Quartier latin, un petit bout d'Eugène Sue, dont il cite, dans les Mystères de Paris, les personnages : Rodolphe, le Chourineur, la Goualeuse … indiquant que la Chourineur a été un temps équarrisseur.

Puis on passe à Flaubert qui, dans une lettre à Louis Bouilhet , en 1850, évoque le spectacle  qu'a partagé avec lui Maxime Du Camp dans Jérusalem et raconte : La première chose que nous ayons remarquée dans les rues, c’est la boucherie. Au milieu des maisons se trouve par hasard une place ; sur cette place un trou, et dans ce trou du sang, des boyaux, de l’urine, un arsenal de tons chauds à l’usage des coloristes. Tout à l’entour ça pue à crever ; près de là deux bâtons croisés d’où pend un croc. Voilà l’endroit où l’on tue les animaux et où l’on débite la viande. Le jeune Du Camp a fait comme à Montfaucon, il a pensé se trouver mal. Oui, monsieur, il n’y a pas plus d’abattoirs que ça. Les journaux de l’endroit devraient bien tancer un peu les édiles. 

En fait, j'ai travaillé dans le plus grand désordre de mes notes, assez fidèle en cela à la "méthode Compagnon". Car c'est en gros avec le cloître Saint-Jean de Latran et ses environs qu'a commencé la leçon.

saint-jean-de-latran-2

Il semble que la commanderie de Saint-Jean-de-Jérusalem ait été fondée avant 1130, rive gauche, mais ce n’est qu’en 1158 que son existence devient officielle. À la fin du XIIe siècle, à en juger par les témoignages graphiques, on lui adjoint une tour. Au XIV° siècle, la commanderie est augmentée d’une chapelle dédiée à Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Enfin, au XVI° siècle, l’abside aurait été refaite. Les bâtiments sont vendus comme biens nationaux en 1792. Xavier Bichat aurait utilisé à cette époque la tour comme cadre pour ses leçons d’anatomie, ce qui lui valait le surnom de «Tour Bichat». Au XIX° siècle, l’édifice est progressivement détruit : l’abside disparait en 1823, la tour en 1854, au moment du percement de la rue des Écoles, la chapelle Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle en 1860 et, enfin, l’église en 1864.

La décennie 1854-1864 a été celle de la disparition de nombre des endroits insalubres de Paris et spécifiquement de tout ce quartier de la rive gauche qui fait face ou s'accote au Collège de France et fut, dans la première moitié du XIX° siècle, un cloaque innommable et l'endroit le plus infect de Paris, relevant de l'adjectif immonditiel qu'introduisit Hugo parlant, dans les Misérables, de voirie immonditielle, adjectif qui est resté  un hapax (une occurrence unique, jamais renouvelée). Les témoignages abondent, sur la puanteur de ce secteur, ses odeurs épouvantables, repaire en même temps de la bohème vagabonde et Cour des miracles du Paris moderne du XIX° siècle. L'épidémie de choléra de 1832 a trouvé là des conditions idéales de développement et ce quartier de la rue Saint-Jacques, étendu vers les quartiers Maubert et Mouffetard pouvait se prévaloir de la mortalité la plus élevée de la capitale. Il était le foyer même de la misère parisienne. La leçon du jour a ainsi démarré sur ces bases, et dans les évocations des vidanges  que charriaient les affreux tonneaux de la voirie (Hugo: Ces tas d’ordures du coin des bornes, ces tombereaux de boue cahotés la nuit dans les rues, ces affreux tonneaux de la voirie, ces fétides écoulements de fange …) . Antoine Compagnon, renvoie au Dictionnaire de Police de MM. Elouin, Trébuchet et Labat,  Paris, 1835, in-8°, 2 vol. Article Vidange, qu'il précise très développé.

Il évoque dans la foulée la Petite Pologne, en gros l'actuel VIII° arrondissement, quartier au bâti intermittent, miséreux, turpide et crasseux, peuplé d’indigents et d’insolvables, de chiffonniers, de ferrailleurs  (Balzac), un repère pour la pègre (Eugène Sue, dans Les Mystères de Paris), au sujet duquel (source : wikipédia) on trouve ce pittoresque passage, tiré des Tableaux de Paris, d'Edmond Auguste Texier qui fut rédacteur en chef de l'illustration en 1860 et chroniqueur au Siècle :  Il reste à dire un mot de la Petite-Pologne. On désigne sous ce nom un certain nombre de ruelles mal bâties et à peine alignées qui serpentent entre des maisons de piètre apparence autour de la place Delaborde, entre la rue du Rocher et la barrière de Courcelles. Ce quartier, qui n’est peut-être désigné nominalement par aucun plan de Paris, a pour plus nombreux habitants des ouvriers et des hommes de peine, venus de tous les points de l’Europe, et employés, pour un faible salaire, dans les grandes usines qui se trouvent aux Thernes ou à Chaillot, à l’avenue de Neuilly, etc. Une certaine quantité de natifs de l’Auvergne, exerçant les professions de marchands de vieux fers ou de porteurs d’eau à la brasse, tel est l’élément honnête de cette population.

Les mœurs de ce coin ignoré de Paris n’ont rien de fort étrange; seulement, à cause de la multiplicité de rues et de ruelles qui forment la Petite-Pologne, et surtout de la variété d’origine de ceux qui l’habitent il est aisé, plus que partout ailleurs, de s’y cacher. Sans doute Balzac songeait à cet avantage, lorsqu’il plaça le théâtre des dernières turpitudes du baron Hulot dans le passage du Soleil, sur les limites de ce labyrinthe. Peut-être que ce grand observateur aurait trouvé le sujet d’une étude morale intéressante dans les « garnis » de la Petite-Pologne. Chacun a le droit de coucher dans ces garnis pour la somme de cinq centimes, le seul mobilier consiste en une corde tendue, parallèlement au mur et à quatre-vingts centimètres au-dessus du sol. Les dormeurs, assis et adossés à la muraille, croisent leurs bras sur cette corde, qui leur sert à la fois d’appui-main et d’oreiller.

Même source (wikipédia) et non moins éclairant, ce passage d'Eugène Sue, dans Les Mystères de Paris : L’honorable société sait ou ne sait pas ce que c’était que la Petite-Pologne ? ( …. ) quelle turne ! mais, du reste, fameux repaire pour la pègre ; il n’y avait pas de rues, mais des ruelles ; pas de maisons, mais des masures, pas de pavé, mais un petit tapis de boue et de fumier, ce qui faisait que le bruit des voitures ne vous aurait pas incommodé s’il en avait passé mais il n’en passait pas. Du matin jusqu’au soir, et surtout du soir jusqu’au matin, ce qu’on ne cessait pas d’entendre, c’était des cris : À la garde ! au secours ! au meurtre ! mais la garde ne se dérangeait pas. Tant plus il y avait d’assommés dans la Petite-Pologne, tant moins il y avait de gens à arrêter. Ça grouillait donc de monde là-dedans, fallait voir : il y logeait peu de bijoutiers, d’orfèvres et de banquiers ; mais, en revanche, il y avait des tas de joueurs d’orgue, de paillasses, de polichinelles ou de montreurs de bêtes curieuses.

Voilà, ce fut, dès le début du cours un festival de pestilences, de matières fécales, de sanies, d'odeurs méphitiques, de remugles indescriptibles et de haut-le-cœur, de cadavres en décomposition, de putréfactions diverses, et de fermentations variées. Quelques minutes, l'asticot régna, attesté par Alexandre Jean-Baptiste Parent du Châtelet, grand médecin hygiéniste de la première moitié du XIX° siècle, l'asticot soigneusement élevé sur les charognes par les ouvriers à des fins commerciales et qu'on vendait "à la mesure".

Dans ce panégyrique de la grande ville, j'ai oublié d'indiquer un détail qui m'a fort intéressé. C'est Privat d'Anglemont qui signale dans Paris anecdote la dure tâche de ces réveilleuses qui passent toutes les nuits  à parcourir en tous sens les quartiers de Paris pour aller réveiller les marchands, les forts, les porteurs et les acheteurs de la halle, [et]  n’ont que dix centimes par personne et par nuit. Mais il y en a qui ont jusqu'à trente ou quarante pratiques.

 

Club Méd

Pas tellement "Club Méd" en fin de compte, cette leçon du 26/1/2016 !!

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