Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mémoire-de-la-Littérature
24 juin 2016

DERNIERE HEURE ….

ADIEU VEAUX, VACHES, COCHONS, COUVÉE ET CHIFFONNIERS ….

Vienne la nuit sonne l'heure. Les jours s'en vont je demeure.

Vienne le jour, sonne l'heure, de ce cours dernière demeure. 

Allons, il nous faut en finir avec ces comptes-rendus 2016. Je creusais le sillon, mais j'ai dû lâcher la charrue, l'encadrement d'un petit-fils en terminale dans les dernières semaines de l'avant-bac était prioritaire. J'en sors dans un bien triste état, mais j'en sors.

Ainsi, comme disait le Général en parlant de la France et non de son Collège, nous voici de nouveau face à  face. Oui, il faut en finir avec ce cours au long duquel, en d'interminables semaines, je me suis traîné, victime consentante, mais victime quand même.

DERNIÈRE HEURE DONC – Et quoiquidilemonsieur? comme aurait énoncé Zazie. Appuyons sur le bouton.

Compagnon Last

L'affaire démarre avec cette pénible lenteur soporifique dont j'avais oublié la prégnance au cours du dialogue alerte et coloré des révisions du bac en compagnie de mon petit-fils..

Expressions inattendues des Fleurs du mal raccordées "sans sur-interprétation" au système du chiffonnage, équivalence entre crochet, épée, plume … : c'est reparti pour un (dernier) tour.

On reprend ce qui a été déjà dit ou redit … puis il s'agit de s'intéresser aux Petites vieilles (1859). Les trois premières strophes :

 

Dans les plis sinueux des vieilles capitales

Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,

Je guette, obéissant à mes humeurs fatales

Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

*

Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,

Eponine ou Laïs! Monstres brisés, bossus

Ou tordus, aimons-les! Ce sont encor des âmes,

Sous des jupons troués et sous de froids tissus.

 *

Ils rampent, flagellés par les bises iniques,

Frémissant au fracas roulant des omnibus,

Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,

Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus (…)

 *

A.C. repense au poème en prose Les bons chiens, où il est question des ravines sinueuses des immenses villes. Sinon, ce sont les sacs brodés de fleurs ou de rébus qu'il veut, annonce-t-il,  analyser de plus près.

Engouement d'époque pour les rébus qui décorent jusqu'aux emballages de bonbons. Il y a bien sûr une physiologie du rébus (1842) comme il y a une physiologie du poète (due à Edmond Texier, qu'A.C. projette, caricaturé par Daumier à sa table de travail – dessin non retrouvé), illustrée par le même Daumier, dont un chapitre est consacré aux poètes "rébusiens", que Texier traite de "Béranger du diablotin", où le diablotin désigne ici la devise qui accompagnait certains produits de confiserie en même temps que la confiserie elle-même, avec renvoi à Béranger (Pierre Jean de, 1780-1855), chansonnier prolifique à l'immense renommée.

Baudelaire, malgré la mode des rébus, savait qu'il surprendrait en utilisant le terme et il s'en justifie auprès de Hugo à qui il dédie le poème. Il a d'ailleurs ensuite successivement rédigé deux notes d'explications - mais qui n'ont in fine pas été intégrées aux éditions successives du poème – se référant aux gravures de mode et au Journal des dames et des modes, de Pierre Antoine Leboux de La Mésangère (propriétaire), qui fut très important dans la première moitié du XIX° siècle (journal disparu en 1839).  Baudelaire en a été friand, pensant en 1859 se lancer dans un essai sur la mode, alors qu'il s'était replié à Honfleur où il rédigeait ce qui allait faire partie de ses derniers textes et où il se faisait envoyer par Poulet-Malassis des numéros de la revue.

Petit topo sur Pierre de la Mésangère, professeur de Belles lettres et de Philosophie au collège de La Flèche reconverti dans la mode et les mœurs après la Révolution …

A.C. insiste sur le goût pour la mode sous le Directoire – période de liberté retrouvée après la simplicité égalitaire imposée par la Révolution et la Terreur - et disserte sur les petits sacs à main (des sacs à ouvrage) qui fleurissaient au bras des dames: des réticules, vocable plaisamment ensuite transformé en ridicule. Cette mode est contemporaine de celle de l'album, L'Album amicorum ou Le Chiffonnier sentimental. L'apparition du réticule compenserait la suppression des poches des vêtements.

A.C. exhibe un texte d'un correspondant d'Etienne de Jouy : … précisément la même chose. Chaque femme est inséparable de son "ridicule". Bien plus, ces deux objets, loin de s'exclure, se sont liés jusqu'à se confondre. Un Album et un "ridicule" ne font plus qu'un. Renfermé dans le "ridicule", l'Album marche avec nos petites maîtresses, semblable à ces livres d'Heures que nos grand-mères faisaient porter dans des sacs de velours quand elles allaient à la paroisse. Le dirons-nous, enfin? Puisque, pour adapter le ridicule à cet usage, on a été forcé d'en changer la forme et la capacité, en prenant les Album, nos dames n'ont fait que changer de ridicules. L'un dans l'autre, ils se produisent dans toutes les sociétés. "Ne ferez- (…)

Nombreux sont les sacs à ouvrage dans le Journal des dames et des modes dans les numéros duquel A.C. reconnaît s'être plongé, avec de belles planches, dit-il, déplorant qu'elles n'aient pas été signées, planches dont il projette quelques exemplaires, les assortissant de commentaires éventuellement érudits. Visiblement, ce défilé de mode lui plaît beaucoup!

Une seule de ces gravures en réalité, annonce-t-il, montre un rébus: un  nombre 100 suivi de la lettre D et du dessin d'une tour, un phonétique "Sans détour" qui pourrait bien être – commentaire de Baudelaire lui-même -  de nature galante.

Je note au passage que Compagnon a parlé fautivement du chiffre 100. J'avais déjà fait les années précédentes la remarque. Les seuls chiffres sont {0,1,2,3,4,5,6,7,8,9}, tout le reste est nombre. Mais nul ne s'en soucie et la mauvaise habitude est acquise.

Adolphe Granier de Cassagnac, à qui Hugo fera obtenir la légion d'honneur, par ailleurs auteur d'une importante Histoire du Directoire (1851), apparaît, qui consacre un chapitre à la révolution dans le costume, et y décrit "la déplorable bigarrure de quelques robes d'après les gravures exactes et authentiques du Journal des dames et des modes", jouant sur les mots pour dire que les coquettes ajoutent leur ridicule (le sac) au ridicule (dans la tenue) de leurs rivales. Granier de Cassagnac décrit longuement quelques robes, et A.C. lit avec gourmandise une description: Robe de linon, à longues manches. Sur le côté extérieur des manches, et sur le bas de la robe, garniture de grecques pourpres; énorme sac à ouvrage, nommé Balantine (A.C. signale que, semblable à la sabretache (la sacoche) du hussard, la Balantine pend à la ceinture et du coup "balle", d'où son nom), carré-long, bordé de franges d'or, avec des peintures étrusques, figures rouges sur fond noir. Jambes et pieds nus, sandales de pourpre. Des bagues aux doigts des pieds. Collier de camées. Cheveux courts à bouillons ou à coques, dits à la Caracalla.

La coiffure à la Caracalla, c'est la coiffure de Mme Tallien, de Joséphine de Beauharnais, de Mme Visconti, les trois grâces du Directoire, … et de Caracalla,  éponyme et cruel, qui régnait sur l'Empire romain au début du III° siècle (de l'ère chrétienne).

Pendant ce temps, A.C., charmé, nous en ressert une autre : Robe de linon, sur transparent rose. Mantelet en mousseline claire, garni de dentelles. Souliers en maroquin vert. Voile blanc, à l'Iphigénie, soutenu par deux bandeaux en feuilles de laurier. Ridicule énorme, à rébus, brodé en soie, ainsi formulé : le chiffre 100, un D majuscule, une tour, lisez: Sans détour. Nous y voilà. En tout cas, le nombre-chiffre, eût-il dû s'en démarquer, n'était pas ici de lui!

Arsène Houssaye décrit à l'identique Mme Tallien en un quasi plagiat de Granier de Cassagnac : Celle-ci, c'est Madame Tallien, c'est Térézia Cabarrus, devenue la femme d'un Alcibiade d'occasion. L'Espagnole s'est faite Grecque à travers la Révolution française. Sa robe est de linon blanc sur transparent rose; le mantelet en mousseline claire. Combien de Walter Rayleigh jetteraient leur manteau dans le ruisseau pour épargner une tache aux souliers de maroquin bleu outremer! Incessu patuit dea! [Sa démarche la désigne comme déesse – citation de Virgile] Combien, pour épargner une injure à ces bas blancs à coins cramoisis, qui moulent un  chef-d'œuvre à la Praxitèle! Où l'artiste l'a-t-il donc vue? Elle porte un voile blanc, comme Iphigénie, elle qui joue dans son salon les reines de Sophocle et les amantes d'Euripide. Deux bandeaux en feuilles de laurier soutiennent le voile d'Iphigénie, et je ne sais trop si l'on n'évoque pas la fille d'Agamemnon  et la fiancée d'Achille; il suffirait de quelques vers de Racine pour y faire croire. Mais Houssaye passe sous silence le sac à rébus, qu'il devait trouver vulgaire.

Ce  "100 D  images"   d'ailleurs, souligne Compagnon, est et demeure le rébus archétypique, celui qu'on trouve dans tous les dictionnaires, le rébus idéal, renvoyant par ailleurs à l'expression latine nudis rebus agere, qu'A.C. rend par, justement, agir sans détour, en profitant pour rappeler que Pierre de la Mésangère fut dans une existence antérieure à ses activités de directeur d'un journal de mode, professeur de rhétorique et par ailleurs l'auteur d'un Dictionnaire des proverbes français dont il projette l'article Rébus., où se lit : Il fut un temps où les écrans étaient chargés de rébus: on en a mis, il y a quelques années, sur les sacs à ouvrage de nos dames. Celui que les brodeuses se plaisaient davantage à reproduire, offrait le nombre 100 [le nombre ! Ah, le brave homme!], la lettre D, et une tour; ce qui voulait dire, sans détour.

Mais A.C., pourtant tout fier de sa trouvaille, et se vantant de cette pierre (l'exploration du réticule à rébus) apportée aux futures éditions des Fleurs du mal, ne veut pas en rester là. Il souhaite encore creuser le sillon et se demande si en fait, les petites vieilles de Baudelaire, accoutrées de leur sac à rébus, ne seraient pas des chiffonnières. Comme disait ma regrettée belle-mère à la moindre de mes saillies, Mais où va-t-il chercher tout ça?

Avouant dans sa quête maintes pérégrinations internétisées, il nous propose parmi ses découvertes sherlockholmesques un article (non signé) du Figaro (un numéro de l'année 1835) avec ce paragraphe : La chambre d'artiste doit s'enfouir sous la crasse comme une ruine des vieux temps; elle recueille les ordures des autres, va quelquefois les chercher loin, et en fait les plus doux ornemens. Ce sont ça et là des tessons de vaisselle, des ustensiles inaccoutumés, des débris de friperie, des rebus jetés à la borne, un lambeau de damas, une trompette, un briquet rouillé, et, par exemple, autant de charogne que possible; des tibias, des fémurs, des crânes, des fœtus sans eau-de-vie, de petits squelettes d'enfants en bas âge, et si l'on peut aussi, une tête de cheval; cela est du meilleur effet. On a là tout le système du chiffonnage …. Il y sera plus loin question (non projeté) d'immondice, de cloaque, de rats, de vermine .

 

Chambre de Baudelaire

 

Hôtel Pimodan

Cela fait penser, dit A.C., à la chambre de Baudelaire, à l'hôtel Pimodan, sur l'île Saint-Louis et à la caricature d'Emile Durandeau, Les nuits de monsieur Baudelaire, qui n'avait guère plu au poète et était accompagnée d'un texte de Banville décrivant le grabat, la guenille, la tête de mort, la cornue, l'ibis, le chiffon, le bouquin, la malle, le rat, le balais, le chat, le diable en ombre de chat, description proche de celle du Figaro, tandis que le tout était qualifié de taudis de chiffonnier alchimiste.

L'hôtel Pimodan était au 17 Quai d'Anjou et Baudelaire  y loua entre 1843 et 1845, au second étage, un petit appartement donnant sur le quai et dont le loyer annuel était de 350F. C'est dans ce lieu, face à la Seine, que lui vint le poème Invitation au voyage. Le Club des Haschischins  se réunissait dans l'hôtel Pimodan: Baudelaire, Nerval, Gautier, Delacroix, Daumier, Balzac y dégustaient le "dawamesc". Le peintre Ferdinand Boissart et Meissonnier fréquentèrent aussi l'endroit. Dans ce club très spécial, on goûtait à une sorte de confiture, mélasse faite d’un mélange de chanvre indien, de miel et de pistaches et Théophile Gautier écrivait que "sa digestion vous plongeait dans une hébétude délicieuse mais fatale "… L'auteur anonyme de l'article du Figaro était de fait Théophile Gautier. Notant que dans l'article, Gautier - ou le typographe - orthographie encore au pluriel rebuts en rebus (comme d'ailleurs ornements en ornemens) installant là le rapprochement rebut-rébus, A.C. va vite à des remarques que, dans mes propres et si minimes pérégrinations enquêtrices, j'ai retrouvées dans son Été avec Baudelaire:

Gautier  […] parlait de "rebus jetés à la borne", toujours la borne du chiffonnier. Les petits sacs des petites vieilles n'auraient-ils pas eux aussi été ramassés au coin de la borne?

Gautier était lui aussi sensible au jeu de la boue et de l'or, de l'auréole et de l'ordure, par exemple dans la description d'une "Vanité" baroque, l'un des Deux tableaux de Valdes Léal, poème recueilli dans España en 1845 et admiré par Baudelaire:

{La main de l'inconnu, la main que Balthazar

Vit écrire à son mur des mots compris trop tard,

Apparaît soutenant des balances égales:}

Un des plateaux chargé de tiares papales,

De couronnes de rois, de sceptres, d'écussons;

L'autre, de vils rebuts, d'ordure et de tessons.          

Tout a le même poids aux balances suprêmes.

{Voilà donc votre sens, mystérieux emblèmes!

Et vous nous promettez pour consolation,

La triste égalité de la corruption!}

Là, A.C. a coupé, en gros, mais dans l'Été avec Baudelaire, il allait plus loin, continuant :

"Rebut ou rébus? Ces deux mots qui se suivent dans le dictionnaire me trottaient dans la tête, avec leur énervante homophonie et leur équivalence virtuelle. D'autant que l'on ne sait jamais si l'on doit prononcer le s de "rébus" ou s'il faut le laisser muet comme dans "ananas". N'est-il pas mieux, plus correct, de dire "rébu" comme "zébu", en tout cas au singulier (un "rébu", des "rébus"), comme dans certaines régions et même si le mot vient d'un ablatif latin? Dans Les Petites Vieilles, "rébus" rime toutefois avec "omnibus". Baudelaire s'amuse à introduire un néologisme, issu lui d'un datif, dans la poésie lyrique, mais je ne crois pas qu'on ait jamais prononcé "omnibu", même chez la duchesse de  Guermantes où le snobisme voulait qu'on tût les consonnes finales.

J'en étais là de mes hésitations lorsque je consultai le Dictionnaire universel de la langue française de Pierre-Claude-Victoire Boiste (1823) revu en 1834 par Charles Nodier, fameux chiffonnier littéraire, et tombai sur ceci:

***  --- Rébus, s.m. Rebus. Jeu de mots; allusions équivoques; calembourgs; représentation des objets substitués aux       mots, à l'aide de l'équivoque; (figuré, familier) mauvaises plaisanteries. Mettez les rébus au rebut.

   --- Rebut, s.m. Contemptio. Action de rebuter; ce qui a été rebuté (mettre au rebut; choses de rebut)  ***

Cet usuel contient d'ailleurs un dictionnaire des rimes, qui fait rimailler "rébus" et "omnibus".

Ainsi, le rébus est un calembour, une mauvaise plaisanterie, et il existait un calembour sur le rébus qui le mettait au rebut. Pas de doute: sous le rébus il y a le rebut; Les Petites Vieilles étaient des chiffonnières, ou bien elles avaient trouvé au rebut leurs sacs brodés de rébus."

Il puise là-dedans et, au passage, s'autorise une plaisanterie sur les bons latinistes, qui ne prononceraient jamais "rébus" le datif/ablatif de "res", sauf à vouloir passer pour des … "ignoramus" ou "ignoranus" (je n'ai pas su distinguer à l'oreille). Ignoranus, ignoramus, vraiment? Molière s'amusait d'ignorantus, ignoranta, ignorantum dans son Malade imaginaire. Mais "ignoranus/ignoramus"? Quelle référence? Les dictionnaires donnent ignoramus (de fait première personne du pluriel, au présent, du verbe ignorare) pour désigner un(e) ignorant(e) dans la langue de Shakespeare et le rappeur sulfureux Eminem, utilise ignoranus dans une au moins de ses chansons, avec le même sens. Curieux.

Puis on en appelle à Prarond, poète ami de Baudelaire, pour une pièce d'un recueil collectif – intitulé fort précisément Vers, pièce que Jules Mouquet attribuait à Baudelaire, et qui met en scène un poète romantique dont tous les mots, comme il se doit pour un poète romantique, souligne A.C., mentent. Le terme de "rébus" y figure déjà pour y  rimer avec "abus":

Ses yeux pleurent à sec; romantiques et froids,

Ses vers sur le papier tombent de tout leur poids;

Son cerveau sonne creux, mais, à défaut d'idées,

Sa verve dans les mots prend de larges coudées;

Il altère leur titre en d'étranges abus:

Chaque vers qu'il enfante est un sombre rebus,

Chaque phrase une énigme, un jeu de patience,

A damner Despréaux et sa haute science.

Il s'agit, je suppose, de Nicolas Boileau-Despréaux, c'est-à-dire, Boileau. Du même recueil, et de Levavasseur, A.C. extrait ensuite ceci, dont il trouve les rimes baudelairiennes :

Du sonnet, moi j'ai la manie,

J'aime calembourgs et rébus,

J'aime la royauté bannie,

J'invoque Pégase et Phœbus.

*

Je dis au soir ma litanie,

Et mon feutre insulte Gibus;

Je compterais pour avanie

De m'encaisser en omnibus.

 *

Que l'on me fronde ou qu'on me loue,

Devant notre siècle de boue,

Je me couvre d'un air hautain,

 *

Et si j'étais moine, ou bien prêtre,

Je sais ce que je voudrais être:

Abélard ou l'abbé Cotin.

Gabriel Gibus (Limoges, 14 octobre 1800 – Poissy, 6 octobre 1879), inventeur du chapeau du même nom ! Charles Cotin, dit l'abbé Cotin (1604-1682), qui fit une traduction - tirant sur la galanterie d'époque - du Cantique des cantiques et qu'on donne pour modèle du Trissotin des Femmes savantes.

Donc, dit A.C., dans le même recueil, "rébus" peut aussi bien rimer avec "abus" qu'avec "omnibus".

Il veut conclure, sur le fond de son cours, revenant sur ce qui l'a mu dans la définition de son étude. A relire Baudelaire, il a pris de plus en plus ses distances avec Walter Benjamin, qui met tant d'idéologie dans ses approches, puis, au-delà, il pense, au terme de son cours, avoir davantage donné de sens à de nombreuses expressions baudelairiennes, les avoir éclairées.

Au-delà encore, il se demande si le chiffonnier, à l'étudier, ne lui apparaîtrait pas comme une sorte d'idéal type du XIX° siècle, avec un âge d'or qui démarre en 1822, et il rappelle diverses caricatures du début des années 1820 construisant un mythe qui prendra fin avec la commune, les années 1870, le siège de Paris et la nécessité de nettoyer la capitale, dans une durée de vie qui coïncide en gros avec celle de Baudelaire.

Evoquant les Halles de Baltard, hélas dit-il détruites, il parle de l'inauguration "de ce qu'on appelle je crois un Canopée", masculinisation absurde (par confusion - à psychanalyser! - avec un canapé?) et pseudo-coquetterie qui tombe à plat et le fait apparaître hors-sol quand les médias ne bruissent que de la Canopée des Halles (d'ailleurs fort réussie). 

Etc. Il déroule sur ses vingt dernières minutes de parole une sorte d'éloge funèbre du chiffonnier, point d'orgue d'un cours dont je continue à me demander ce qu'il avait de réellement littéraire, en un exposé de sociologie entrelardé de références iconographiques. On voit passer quelques gravures, supplémentaires ou déjà projetées, et un texte de Huysmans à propos de La rentrée des chiffonniers de Raffaëlli – Raffaëlli que Degas surnommait le Raphaël des chiffonniers - incarnant, au moment même de la disparition de ceux-ci, l'acmé de leur apparition en peinture:

rafaelli

Un autre peintre, vraiment moderne celui-là, et qui est de plus un artiste puissant, c'est M. Raffaëlli. Ses deux toiles de cette année sont absolument excellentes. La première représente un retour de chiffonniers. Le crépuscule est venu. Dans l'un de ces mélancoliques paysages qui s'étendent autour du Paris pauvre, des cheminées d'usine crachent sur un ciel livide des bouillons de suie. Trois chiffonniers retournent au gîte, accompagnés de leurs chiens. Deux se traînent péniblement, le cachemire d'osier sur le dos et le 7 en main; le troisième les précède, courbé sous la charge d'un sac.

J'ai vu au Salon peu de tableaux qui m'aient aussi douloureusement et aussi délicieusement poigné. M. Raffaëlli a évoqué en moi le charme attristé des cabanes branlantes, des grêles peupliers en vedette sur ces interminables routes qui se perdent, au sortir des remparts, dans le ciel. En face de ces malheureux qui cheminent, éreintés, dans ce merveilleux et terrible paysage, toute la détresse des anciennes banlieues s'est levée devant moi. Voilà donc enfin une œuvre qui est vraiment belle et vraiment grande.

Le chiffonnier est mort? Il renaît un peu dans les romans de cette fin du XIX° siècle, mais en homme du passé. Des titres à succès : La hotte du chiffonnier, cinq éditions entre 1885 et 1910, Les rois du ruisseau, de Georges Renault.   Il subsiste en poésie, allégorie du poète, on le retrouve chez le jeune Mallarmé :

Dans un de ces faubourgs où vont des caravanes

De chiffonniers se battre et baiser galamment

Un vieux linge sentant la peau des courtisanes

Et lapider les chats dans l'amour s'abîmant,

J'allais comme eux.

Ou chez Tristan Corbières :

C'est le Styx asséché: le chiffonnier Diogène,

Sa lanterne à la main, s'en vient errer sans gêne.

Le long du ruisseau noir, les poètes pervers

Pêchent: leur crâne creux leur sert de boîte à vers.

Sans oublier, bien sûr, Lautréamont, Les chants de Maldoror :

Voyez ce chiffonnier qui passe, courbé sur sa lanterne pâlotte; il y a en lui plus de cœur que dans tous ses pareils de l'omnibus. Il vient de ramasser l'enfant; soyez sûr qu'il le guérira, et ne l'abandonnera pas, comme ont fait ses parents. Il s'enfuit !... Il s'enfuit !... Mais de l'endroit où il se trouve, le regard perçant du chiffonnier le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière !... (il s'agit d'un enfant, tombé d'un omnibus)

Quelques années plus tard, l'expression au coin de la borne ne dit plus rien à personne.

En fait, il repasse en revue les axes de son cours dans ce qui ressemble à un plaidoyer pro domo. Aurait-il eu des critiques de fond qui l'auraient touché? Pas sûr. Il détaille sur les spécificités du métier de chiffonnier, dans ce qu'il a d'étroit, à ne pas confondre avec celui de fripier, de marchand d'habits, va chercher Les Météores de Michel Tournier (1975)  le personnage de l'oncle Alexandre, le dandy des gadoues, puis un souvenir de la semaine précédente où il était en Russie et où on lui a cité Anna Akhmatova (1889-1966) disant : Si vous saviez seulement sur quelles balayures poussent les vers, toute honte mise à bas, ce qui lui donne l'occasion de dire que le chiffon n'a pas à Saint-Pétersbourg la même généalogie qu'à Paris ou à Londres, et que le terme de chiffonnier ne connaît pas de traduction littérale en russe .  

A.C. évoque alors les photographies célèbres d'Atget, dont on lui parle chaque fois qu'il avoue faire un cours sur la chiffonnerie, mais qui dit-il ne l'intéressent pas, car ne concernant pas la période qu'il a voulu analyser. Il en projette néanmoins quelques unes ...

Atget Chiffonniers 1Atget-Chiffonnier 2

.... tandis qu'une recherche rapide sur le Net rend évident le fait qu'Atget n'avait pas que cette source d'inspiration. Mais pas de projection, là. 

 Nu 0 d'Atget Nu d'Atget

Pour terminer, A.C. défend l'idée selon laquelle, c'est en accord avec l'air du temps qu'il se retrouve parler de chiffonniers, car après un siècle de plongée dans l'oubli, nous sommes revenus, affirme-t-il, au temps des déchets, avec l'émergence d'une économie du recyclage, d'une économie circulaire. Il évoque le film d'Agnès Varda, Les glaneurs et la glaneuse, sorti en 2000, nous montrant le recyclage contemporain. Et dit-il, en l'occurrence, c'est Varda, la glaneuse, recyclant, justement à son usage, l'assimilation du chiffonnier au poète. Il rappelle que le préfet Poubelle en son temps en voulait trois (je parle bien sûr … des poubelles) pour un tri de qualité, qu'il a fallu un siècle pour y parvenir et qu'à Genève, ce n'est pas moins de neuf récipients qui accueillent aujourd'hui les résultats d'un tri aussi pointilleux qu'helvétique.

Ainsi, dit-il, le retour du glanage renouvelle notre lecture de la poésie de Baudelaire . Tout ça me semble bien tiré par les cheveux.  Il fait décidément feu de tout bois!

                             Rue Sourdis

Mais conclut-il, il faut se dépêcher (cette hâte me reste un peu obscure, se dépêcher de faire quoi ?) car, souvenez-vous d'une image montrée lors de mon premier cours, la ruelle Sourdis – et il projette deux photographies de type avant-après (je ne peux en mettre qu'une, la seconde lui est sans doute personnelle) - cette belle ruelle Sourdis, entre la rue Charlot et la rue Pastourelle, du côté des Archives … où il est retourné ces derniers jours, pour la trouver défigurée.

Finalement, il faut se dépêcher de cultiver la nostalgie. Réponse à ma question. Tout fout le camp, ma bonne dame ….

Applaudissements.

Ite! Missa est.

Tout au long de l'année j'ai suivi cette affaire

Et puis, j'ai plus ou moins résumé le discours.

Ah! Qu'il m'a semblé long et filandreux, ce cours,

Et combien m'a coûté le souci de bien faire!

Mais nous sommes rendus! Le chiffon a vécu!

La patience a payé et a l'ennui vaincu.

 *

Que va pour l'an prochain nous concocter A.C.?

Vais-je sottement suivre? Ou bien dirai-je: Assez!

Collège de France

Publicité
Publicité
Commentaires
Mémoire-de-la-Littérature
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité