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Mémoire-de-la-Littérature
1 mars 2017

SEMINAIRE N°6 – HUGOLÂTRERIES.

Frank Laurent

Nous ne l'espérions plus, mais enfin il advint

Et nos trépignements ne furent donc pas vains.

La mise en ligne de ce séminaire est intervenue étonnamment tard, lundi seulement (ou dimanche?) il me semble.  Rapidement écouté ce matin. L'exposé se suivait facilement, je l'ai trouvé intéressant et les applaudissements, francs et nourris, qui l'ont salué abondaient dans mon sens. Compagnon, en les évoquant en introduction de son dialogue terminal avec l'intervenant, a d'ailleurs – volontairement? – souligné en creux l'enthousiasme médiocre qu'avait suscité au moins le précédent, sinon d'autres.

On a parlé des Châtiments, volée-de-bois-vert-post-coup-d'Etat-du-2-décembre.

 

 "Mon livre avance. J'en suis content ... je crois que ce sera une revanche de l'intelligence contre la force brutale. Encrier contre canon. L'encrier brisera les canons", écrit Hugo à sa fille Adèle à propos de son projet de rédaction d'une œuvre en prose à laquelle il pense dès les premiers jours de son exil à Bruxelles dans les premiers mois de 1852.

L'animosité est ancienne. Il semble bien qu'Hugo ait eu des ambitions politiques sur le modèle de celles de Lamartine et que la montée en puissance de Louis-Napoléon Bonaparte dans les débuts de la Deuxième République, en les réduisant à néant, l'ait un peu chatouillé. C'est du moins ce dont l'accuse Charles de Montalembert, Pair de France, membre des assemblées constituante et législative de la Deuxième République, membre du Corps législatif du Second Empire quand il s'écrie : "C'est le discours d'un homme qui a vainement cherché, depuis trente ans, à être ministre!", après l'intervention d'Hugo à la tribune de l'Assemblée - une intervention semble-t-il interminable (huit heures (?)) - contre la révision de la constitution et la prorogation de la Présidence de Louis-Napoléon, en juillet 1851.  C'est là qu'Hugo prononce ceci, qui deviendra célèbre :

Quoi ! Parce que, après dix ans d’une gloire immense, d’une gloire presque fabuleuse à force de grandeur, Napoléon, à son tour, a laissé tomber d’épuisement ce sceptre et ce glaive qui avaient accompli  tant de choses colossales, vous venez, vous, vous voulez, vous, les ramasser après lui comme il les a ramassés, lui, Napoléon, après Charlemagne, et prendre dans vos petites mains ce sceptre des Titans, cette épée des géants! Pour quoi faire? Quoi? Après Auguste, Augustule! Quoi! Parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que nous ayons Napoléon le Petit!

C'est la première occurrence de "Napoléon le Petit" .

Les Châtiments développeront, en vers ….

Jusqu'à Jersey, Hugo distingue la poésie de la littérature militante. À  la boue et au sang, à la guerre: la prose; aux les ailes de l'esprit: la poésie, comme un repos du guerrier. Mais tout change dans les semaines de son arrivée à Jersey. Il l'écrit à Hetzel, son éditeur. La prose du pamphlet ne suffit pas, il faut jeter dans la bataille ce corps d'élite qu'est la poésie. Il n'a rien produit de versifié depuis treize ans, mais le souffle renaît: il écrira plus de six mille vers en moins de six mois. Et la formulation est violente. Hetzel s'en émeut. Hugo s'explique dans une lettre à ce dernier du 6 février 1853:

Je veux avoir un jour le droit d'arrêter les représailles, de me mettre en travers des vengeances, d'empêcher s'il se peut, le sang de couler, de sauver toutes les têtes, même celle de Louis-Napoléon Bonaparte. Or, ce serait un pauvre titre que des rimes modérées. Dès à présent, comme homme politique, je veux semer dans les cœurs, au milieu de mes paroles indignées, l'idée d'un châtiment autre que le carnage. Ayez mon but présent à l'esprit : clémence implacable.

Magnifique argumentation et superbe oxymore.  

Cette violence indignée des Châtiments, quelques-uns, à gauche même, la lui reprocheront ensuite (Jules Guesde, Paul Lafargue) mais resteront isolés, et au moment des funérailles d'Hugo, Prosper-Olivier Lissagaray, figure républicaine et auteur - dit Franck Laurent - de la première histoire sérieuse de la Commune, affirmera : "Il a rempli de son contingent notre cartouchière".

Digression (personnelle) : si je situais assez bien Guesde, j'étais plus flou sur Paul Lafargue. À y aller voir, j'ai retrouvé la fin étonnante et que j'avais sue puis oubliée de l'auteur du Droit à la paresse, par ailleurs gendre de Karl Marx dont il a épousé la seconde fille, Laura. Il avait lui-même fixé à soixante-dix ans son espérance de vie et, le terme arrivant, il s'est suicidé avec son épouse, en se justifiant dans une courte lettre : "Sain de corps et d'esprit, je me tue avant que l'impitoyable vieillesse qui m'enlève un à un les plaisirs et les joies de l'existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres." Assez exceptionnel.

Par ailleurs, Prosper-Olivier Lissagaray a été fiancé avec Eléanor,  fille cadette de Karl Marx, et a donc failli être en quelque sorte le beau-frère de Paul Lafargue (les fiançailles ont été rompues), lequel désapprouvait cette relation, car Lissagaray avait le double de l'âge de sa promise  

A propos de la profusion de patronymes qui traversent les Châtiments, Franck Laurent évoquera la nécessité aux yeux d'Hugo de nommer pour sortir d'une responsabilité collective anomique (sans structures, sans règles) ouvrant la porte à la guerre civile, là où la désignation explicite de coupables ouvre la porte à des procès . Il rapproche cela de la période de la Libération et du souci du Général de Gaulle d'éviter les règlements de comptes aveugles par des mises en accusation ciblées. 

Deux textes majeurs ont été mis en avant. Le premier, datant d'Août 1830, d'Auguste Barbier (1805-1882), est relatif aux Trois Glorieuses (27, 28 et 29 juillet 1830. Le remplacement de Charles X par Louis-Philippe), intitulé La Curée. Il était admiré de Lamartine, favorable à sa méthode, parce que, prenant le contrepied de ce que je viens d'évoquer, la critique s'y interdisait l'attaque ad hominem. Dans le second texte, extrait des Châtiments, la virulence d'Hugo s'exprime. Ils ont leurs beautés tous les deux, à des degrés différents, aussi, bien que longs, je les donne, pour conclure,  en entier. 

Delacroix_La_liberté_guidant_le_peuple

LA CURÉE

I

Oh ! lorsqu'un lourd soleil chauffait les grandes dalles

Des ponts et de nos quais déserts,

Que les cloches hurlaient, que la grêle des balles

Sifflait et pleuvait par les airs ;

Que dans Paris entier, comme la mer qui monte,

Le peuple soulevé grondait,

Et qu'au lugubre accent des vieux canons de fonte

La Marseillaise répondait,

Certes, on ne voyait pas, comme au jour où nous sommes,

Tant d'uniformes à la fois ;

C'était sous des haillons que battaient les cœurs d'homme

C'étaient alors de sales doigts

Qui chargeaient les mousquets et renvoyaient la foudre ;

C'était la bouche aux vils jurons

Qui mâchait la cartouche, et qui, noire de poudre,

Criait aux citoyens : Mourons !

II

Quant à tous ces beaux fils aux tricolores flammes,

Au beau linge, au frac élégant,

Ces hommes en corset, ces visages de femmes,

Héros du boulevard de Gand,

Que faisaient-ils, tandis qu'à travers la mitraille,

Et sous le sabre détesté,

La grande populace et la sainte canaille

Se ruaient à l'immortalité ?

Tandis que tout Paris se jonchait de merveilles,

Ces messieurs tremblaient dans leur peau,

Pâles, suant la peur, et la main aux oreilles,

Accroupis derrière un rideau.

III

C'est que la Liberté n'est pas une comtesse

Du noble faubourg Saint-Germain,

Une femme qu'un cri fait tomber en faiblesse,

Qui met du blanc et du carmin

C'est une forte femme aux puissantes mamelles,

À la voix rauque, aux durs appas,

Qui, du brun sur la peau, du feu dans les prunelles,

Agile et marchant à grands pas,

Se plaît aux cris du peuple, aux sanglantes mêlées,

Aux longs roulements des tambours,

À l'odeur de la poudre, aux lointaines volées

Des cloches et des canons sourds ;

Qui ne prend ses amours que dans la populace,

Qui ne prête son large flanc

Qu'à des gens forts comme elle, et qui veut qu'on l'embrasse

Avec des bras rouges de sang.

IV

C'est la vierge fougueuse, enfant de la Bastille,

Qui jadis, lorsqu'elle apparut

Avec son air hardi, ses allures de fille,

Cinq ans mit tout le peuple en rut ;

Qui, plus tard, entonnant une marche guerrière,

Lasse de ses premiers amants,

Jeta là son bonnet, et devint vivandière

D'un capitaine de vingt ans

C'est cette femme, enfin, qui, toujours belle et nue,

Avec l'écharpe aux trois couleurs,

Dans nos murs mitraillés tout à coup reparue,

Vient de sécher nos yeux en pleurs,

De remettre en trois jours une haute couronne

Aux mains des Français soulevés,

D'écraser une armée et de broyer un trône

Avec quelques tas de pavés.

V

Mais, ô honte ! Paris, si beau dans sa colère,

Paris, si plein de majesté

Dans ce jour de tempête où le vent populaire

Déracina la royauté,

Paris, si magnifique avec ses funérailles,

Ses débris d'hommes, ses tombeaux,

Ses chemins dépavés et ses pans de murailles

Troués comme de vieux drapeaux ;

Paris, cette cité de lauriers toute ceinte,

Dont le monde entier est jaloux,

Que les peuples émus appellent tous la sainte,

Et qu'ils ne nomment qu'à genoux,

Paris n'est maintenant qu'une sentine impure,

Un égout sordide et boueux,

Où mille noirs courants de limon et d'ordure

Viennent traîner dans leurs flots honteux ;

Un taudis regorgeant de faquins sans courage,

D'effrontés coureurs de salons,

Qui vont de porte en porte, et d'étage en étage,

Gueusant quelque bout de galons ;

Une halle cynique aux clameurs insolentes,

Où chacun cherche à déchirer

Un misérable coin de guenilles sanglantes

Du pouvoir qui vient d'expirer.

VI

Ainsi, quand désertant sa bauge solitaire,

Le sanglier, frappé de mort,

Est là, tout palpitant, étendu sur la terre,

Et sous le soleil qui le mord ;

Lorsque, blanchi de bave et la langue tirée,

Ne bougeant plus en ses liens,

Il meurt, et que la trompe a sonné la curée

A toute la meute des chiens,

Toute la meute, alors, comme une vague immense,

Bondit ; alors chaque mâtin

Hurle en signe de joie, et prépare d'avance

Ses larges crocs pour le festin ;

Et puis vient la cohue, et les abois féroces

Roulent de vallons en vallons ;

Chiens courants et limiers, et dogues, et molosses,

Tout s'élance, et tout crie : Allons !

Quand le sanglier tombe et roule sur l'arène,

Allons, allons ! les chiens sont rois !

Le cadavre est à nous ; payons-nous notre peine,

Nos coups de dents et nos abois.

Allons! nous n'avons plus de valet qui nous fouaille

Et qui se pende à notre cou :

Du sang chaud, de la chair, allons, faisons ripaille,

Et gorgeons-nous tout notre soûl !

Et tous, comme ouvriers que l'on met à la tâche,

Fouillent ses flancs à plein museau,

Et de l'ongle et des dents travaillent sans relâche,

Car chacun en veut un morceau ;

Car il faut au chenil que chacun d'eux revienne

Avec un os demi-rongé,

Et que, trouvant au seuil son orgueilleuse chienne,

Jalouse et le poil allongé,

Il lui montre sa gueule encor rouge, et qui grogne,

Son os dans les dents arrêté,

Et lui crie, en jetant son quartier de charogne :

" Voici ma part de royauté "

*********************************

VH

ILS ONT VOTÉ! 

Ils ont voté! Troupeau que la peur mène paître

Entre le sacristain et le garde champêtre,

Vous qui, pleins de terreur, voyez, pour vous manger,

Pour manger vos maisons, vos bois, votre verger,

Vos meules de luzerne et vos pommes à cidre,

S'ouvrir tous les matins les mâchoires d'une hydre;

Braves gens, qui croyez en vos foins, et mettez

De la religion dans vos propriétés;

Âmes que l'argent touche et que l'or fait dévotes,

Maires narquois, traînant vos paysans aux votes

Marguilliers aux regards vitreux; curés camus

Hurlant à vos lutrins: Doemonem laudamus;

Sots, qui vous courroucez comme flambe une bûche;

Marchands dont la balance incorrecte trébuche;

Invalides, lions transformés en toutous;

Niais, pour qui cet homme est un sauveur; vous tous

Qui vous ébahissez, bestiaux de Panurge,

Aux miracles que fait cartouche thaumaturge

Noircisseurs de papier timbré, planteurs de choux,

Est-ce que vous croyez que la France, c'est vous,

Que vous êtes le peuple, et que jamais vous eûtes

Le droit de nous donner un maître, ô tas de brutes?

 

Ce droit, sachez le bien, chiens du berger Maupas,

Et la France et le peuple eux-mêmes ne l'ont pas.

L'altière Vérité jamais ne tombe en cendre.

La liberté n'est pas une guenille à vendre,

Jetée au tas, pendue au clou chez le fripier.

Quand un peuple se laisse au piège estropier,

Le droit sacré, toujours à soi-même fidèle,

Dans chaque citoyen trouve une citadelle;

On s'illustre en bravant un riche conquérant,

Et le moindre du peuple en devient le plus grand.

Donc, trouvez du bonheur, ô plates créatures,

A vivre dans la fange et dans les pourritures,

Adorez ce fumier sous ce dais de brocart,

L'honnête homme recule et s'accoude à l'écart.

Dans la chute d'autrui je ne veux pas descendre.

L'honneur n'abdique point. Nul n'a droit de me prendre

Ma liberté, mon bien, mon ciel bleu, mon amour.

Tout l'univers aveugle est sans droit sur le jour.

Fût-on cent millions d'esclaves, je suis libre.

Ainsi parle Caton. Sur la Seine ou le Tibre,

Personne n'est tombé tant qu'un seul est debout.

Le vieux sang des aïeux qui s'indigne et qui bout,

La vertu, la fierté, la justice, l'histoire,

Toute une nation avec toute sa gloire

Vit dans le dernier front qui ne veut pas plier.                                                                             

Pour soutenir le temple, il suffit d'un pilier;

Un Français, c'est la France; un Romain contient Rome,

Et ce qui brise un peuple avorte aux pieds d'un homme.

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