LEÇON N° 8 – Mardi 7/3/2017
DIFFAMATION & DUEL ………..
La leçon n'est pas inintéressante du tout à écouter. Simplement, je me demande quel rapport ce cours d'histoire autour de l'évolution des lois sur la presse depuis 1819 a vraiment avec De la Littérature comme sport de combat. Au fond, c'est l'intitulé du cours qui est inadapté. Autant aurait valu titrer : "L'espace journalistique et littéraire de 1820 à 1870 : éléments"
Là, on a tournicoté – a dit d'entrée A.C. - autour des "vicissitudes de la liberté d'expression". Pendant une heure. À l'issue de quoi, et ayant cité le sociologue Gabriel Tarde (1843-1904; Études pénales et sociales) selon lequel, si l'on en croyait la littérature, "au XIX° siècle, il y avait eu plus de duels que d'adultères", Antoine Compagnon a renvoyé à la séance suivante, probablement, un survol des duels littéraires du siècle (?).
Il a énoncé : La polémique littéraire devient meurtrière.
Incidemment, il souligne que le duel n'étant nulle part cité dans la loi sous la Restauration, les blessures ou même la mort consécutives à un duel ne pouvaient pas valoir de poursuites à leur auteur, précisant qu'il n'y avait eu évolution sur ce point qu'en 1837, sous la Monarchie de Juillet .
On a esquissé un lien entre le régime politique et la pratique du duel comme règlement des affrontements, en partant de 1651 et de l'édit de Louis XIV (sous Mazarin) édicté cette année-là . Extrait :
(…) Nous voulons et ordonnons que celui qui s’estimant offensé, fera un Appel à qui que ce soit pour soi-même, demeure déchu de pouvoir jamais avoir satisfaction de l’offense qu’il prétendra avoir reçue ; qu’il soit banni de notre Cour, ou de son pays durant l’espace de deux ans pour le moins ; qu’il soit suspendu de toutes ses charges, et privé du revenu d’icelles durant trois ans ; ou bien qu’il soit retenu prisonnier six mois entiers, et condamné de payer un amende à l’Hôpital du lieu de sa demeure, ou de la Ville la plus prochaine, qui ne pourra être de moindre valeur que le quart de tout son revenu d’une année. Permettons à tous Juges d’augmenter lesdites peines […] Que celui qui est appelé, au lieu de refuser l’Appel et d’en donner avis à nos Cousins les Maréchaux de France, ou aux Gouverneurs, ou nos Lieutenants généraux en nos Provinces, ou aux Gentilshommes commis ainsi que nous lui enjoignons de faire, va sur le lieu de l’assignation, ou fait effort pour cet effet, il soit puni des mêmes peines de l’appelant. (…)
Selon A.C., les fluctuations du nombre de duels sont directement liées au caractère autoritaire (diminution) ou libéral (augmentation) du régime. Efficacité des interdits jusqu'à la Révolution de 1789, puis recrudescence sauf sous l'Empire, explosion à la Restauration…
Passée l'introduction du cours, je n'ai plus retenu que quelques citations et références. On a démarré avec un "mot" prêté à nombre de figures politiques, de Talleyrand à Clémenceau et qu'A.C. a mis dans la bouche du Prince Napoléon (cousin germain de Napoléon III, ridiculisé par le diminutif de Plon-Plon), lançant au Sénat, le 1er septembre 1869, à propos du futur senatus consulte du 8 septembre:
Permettez-moi de vous rappelez un mot d’un homme d’Etat dont je reconnais les mérites sans partager toutes ses idées : "On peut tout faire, disait-il, avec les baïonnettes, excepté s’asseoir dessus." Eh bien, je crois qu’on peut tout faire avec le despotisme, excepté le faire durer.
Le sens même de l'aphorisme ne m'est pas très clair, au delà de la boutade. Pour A.C. il y a identification avec l'affirmation de Bulwer-Lytton The pen is mightier than the sword, ce qui ne me saute pas aux yeux! On a eu ensuite :
Chateaubriand dans les Mémoires d'Outre-Tombe.
Le 21 Octobre, l'abbé de Montesquiou présenta la première loi au sujet de la presse; elle soumettait à la censure tout écrit de moins de vingt feuilles d'impression; M. Guizot élabora cette première loi de liberté. A.C. souligne la pointe d'ironie.
La période de la Restauration – Les lois sur la presse de 1819 : C'est sous l'influence du Garde des Sceaux, Hercule de Serre, que sont votées des lois instaurant une liberté de la presse conforme aux revendications de 1789, à la fois libérale et maîtrisée. Elles sont proclamées en avril-mai.
La première innovation, qui n'en est pas moins l'une des plus importantes, est que l'on définit clairement les types de délits que peut encourir la presse; regroupés en quatre catégories distinctes :
- l'offense à la personne royale (on ne peut s'attaquer directement au roi)
- la provocation publique aux crimes et aux délits
- tout outrage aux bonnes mœurs ou à la morale publique
- la diffamation et l'injure publique
On inverse la procédure de saisie qui ne pourra se faire que postérieurement à la publication de l'article, et non avant la publication, comme anciennement défini.
Stendhal et la Calomnie – in Racine et Shakespeare.
Un homme qui veut une place met une calomnie dans les journaux; vous la réfutez par un modeste exposé des faits: il jure de nouveau que sa calomnie est la vérité et signe hardiment sa lettre; car, en fait de délicatesse et de fleur de réputation, qu'a-t-il à perdre ? Il vous somme de signer votre réponse; là commence l'embarras. Vous aurez beau donner des raisons péremptoires, il vous répondra; il faudra donc encore écrire et signer, et peu à peu vous vous trouverez dans la boue. Le public s'obstinera à vous voir à côté de votre adversaire.
Verlaine, lettre à Le Pelletier, en 1872, de Londres, où il se trouve avec Rimbaud.
Certes oui, je vais me défendre comme un beau diable, et attaquer moi aussi. J’ai tout un paquet de lettres, tout un stock « d’aveux » dont j’userai, puisqu’on me donne l’exemple. Car je sens qu’à ma très sincère affection, tu en as été témoin cet hiver, succède un parfait mépris, quelque chose comme le sentiment des talons de bottes pour les crapauds. Et je te remercie de prendre mon parti, et je t’en félicite, cela prouve en faveur de ta vieille amitié d’abord, ensuite de ta judiciaire.
Oh ! quel déballage de bêtise, de naïveté dans la ruse, d’ignorance dans la cuistrerie ! Je te raconterai, un autre jour, mon entrevue à Bruxelles avec ma femme. Je ne me suis jamais senti disposé à psychologiférer, mais là, puisque l’occasion m’est offerte, le mémoire que je suis en train de préparer pour l’avoué sera la maquette d’un roman dont j’ordonne les matériaux présentement.
Mon cas avec Rimbaud est très curieux également et légalement. Je nous analyserai aussi, dans ce livre très prochain ; et rira bien qui rira le dernier. À ce propos, la preuve en matière de diffamation est admise maintenant en France, je crois ?
Sur cette affaire de "preuve de la vérité du fait diffamatoire", A.C. souligne qu'elle ne peut être apportée que dans des cas si restreints et à des conditions si particulières que cela revient à pouvoir la considérer comme non autorisée (on peut se reporter à cet article technique )
Il insiste sur la différence entre calomnie (le fait dénoncé est faux) et diffamation (le fait dénoncé peut être vrai).
Il énonce en latin quelques principes de droit :
Exceptio veritatis : exception de vérité qui énonce les cas où la preuve de la diffamation est acceptée
Veritas convicii non excusat injuriam: l'exactitude de la diffamation ne dispense pas le diffamateur des conséquences judiciaires du tort qu'il a fait en diffamant.
Veritas convicii excusat injuriam: principe contraire du précédent!
A.C. évoque le Tribunal des maréchaux de France, ou tribunal du point d'honneur, juridiction d'Ancien régime ayant compétence pour connaître de "toutes affaires d’injures et de provocations à duel impliquant des gentilshommes, civils et militaires, français et étrangers", et souligne dans le Misanthrope, la convocation d'Alceste devant ce tribunal, après la plainte d'Oronte. Il redonne quelques répliques de l'affaire du sonnet et je la remets ici en entier, tant elle est plaisante:
Le Misanthrope – Molière – Le Sonnet d'Oronte
ORONTE
J'ai su là-bas, Monsieur, que, pour quelques emplettes,
Éliante est sortie, et Célimène aussi ;
Mais comme l'on m'a dit que vous étiez ici,
J'ai monté pour vous dire, et d'un cœur véritable,
Que j'ai conçu pour vous une estime incroyable,
Et que, depuis longtemps, cette estime m'a mis
Dans un ardent désir d'être de vos amis.
Oui, mon cœur au mérite aime à rendre justice,
Et je brûle qu'un nœud d'amitié nous unisse :
Je crois qu'un ami chaud, et de ma qualité,
N'est pas assurément pour être rejeté.
C'est à vous, s'il vous plaît, que ce discours s'adresse.
ALCESTE
A moi, Monsieur ?
ORONTE
A vous. Trouvez-vous qu'il vous blesse ?
ALCESTE
Non pas ; mais la surprise est fort grande pour moi,
Et je n'attendais pas l'honneur que je reçois.
ORONTE
L'estime où je vous tiens ne doit point vous surprendre,
Et de tout l'univers vous la pouvez prétendre.
ALCESTE
Monsieur…
ORONTE
L'État n'a rien qui ne soit au-dessous
Du mérite éclatant que l'on découvre en vous.
ALCESTE
Monsieur…
ORONTE
Oui, de ma part, je vous tiens préférable,
A tout ce que j'y vois de plus considérable.
ALCESTE
Monsieur…
ORONTE
Sois-je du ciel écrasé, si je mens !
Et pour vous confirmer ici mes sentiments,
Souffrez qu'à cœur ouvert, Monsieur, je vous embrasse,
Et qu'en votre amitié je vous demande place.
Touchez là, s'il vous plaît. Vous me la promettez.
Votre amitié ?
ALCESTE
Monsieur…
ORONTE
Quoi ? vous y résistez ?
ALCESTE
Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me voulez faire ;
Mais l'amitié demande un peu plus de mystère,
Et c'est assurément en profaner le nom
Que de vouloir le mettre à toute occasion.
Avec lumière et choix cette union veut naître ;
Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître ;
Et nous pourrions avoir telles complexions,
Que tous deux du marché nous nous repentirions.
ORONTE
Parbleu ? c'est là-dessus parler en homme sage,
Et je vous en estime encore davantage :
Souffrons donc que le temps forme des nœuds si doux ;
Mais, cependant, je m'offre entièrement à vous ;
S'il faut faire à la cour pour vous quelque ouverture,
On sait qu'auprès du Roi je fais quelque figure ;
Il m'écoute ; et dans tout, il en use, ma foi !
Le plus honnêtement du monde avecque moi.
Enfin je suis à vous de toutes les manières ;
Et comme votre esprit a de grandes lumières,
Je viens, pour commencer entre nous ce beau nœud,
Vous montrer un sonnet que j'ai fait depuis peu,
Et savoir s'il est bon qu'au public je l'expose.
ALCESTE
Monsieur, je suis mal propre à décider la chose ;
Veuillez m'en dispenser.
ORONTE
Pourquoi ?
ALCESTE
J'ai le défaut
D'être un peu plus sincère en cela qu'il ne faut.
ORONTE
C'est ce que je demande, et j'aurais lieu de plainte,
Si, m'exposant à vous pour me parler sans feinte,
Vous alliez me trahir, et me déguiser rien.
ALCESTE
Puisqu'il vous plaît ainsi, Monsieur, je le veux bien.
ORONTE
Sonnet… C'est un sonnet. L'espoir… C'est une dame
Qui de quelque espérance avait flatté ma flamme.
L'espoir… Ce ne sont point de ces grands vers pompeux,
Mais de petits vers doux, tendres et langoureux.
(À toutes ces interruptions il regarde Alceste.)
ALCESTE
Nous verrons bien.
ORONTE
L'espoir… Je ne sais si le style
Pourra vous en paraître assez net et facile,
Et si du choix des mots vous vous contenterez.
ALCESTE
Nous allons voir, Monsieur.
ORONTE
Au reste, vous saurez
Que je n'ai demeuré qu'un quart d'heure à le faire.
ALCESTE
Voyons, Monsieur ; le temps ne fait rien à l'affaire.
ORONTE
L'espoir, il est vrai, nous soulage,
Et nous berce un temps notre ennui ;
Mais, Philis, le triste avantage,
Lorsque rien ne marche après lui !
PHILINTE
Je suis déjà charmé de ce petit morceau.
ALCESTE
Quoi ? Vous avez le front de trouver cela beau ?
ORONTE
Vous eûtes de la complaisance ;
Mais vous en deviez moins avoir,
Et ne vous pas mettre en dépense
Pour ne me donner que l'espoir.
PHILINTE
Ah ! qu'en termes galants ces choses-là sont mises !
ALCESTE (bas)
Morbleu ! vil complaisant, vous louez des sottises ?
ORONTE
S'il faut qu'une attente éternelle
Pousse à bout l'ardeur de mon zèle,
Le trépas sera mon recours.
Vos soins ne m'en peuvent distraire :
Belle Philis, on désespère,
Alors qu'on espère toujours.
PHILINTE
La chute en est jolie, amoureuse, admirable.
ALCESTE (bas)
La peste de ta chute ! Empoisonneur au diable,
En eusses-tu fait une à te casser le nez !
PHILINTE
Je n'ai jamais ouï de vers si bien tournés.
ALCESTE
Morbleu !…
ORONTE
Vous me flattez, et vous croyez peut-être…
PHILINTE
Non, je ne flatte point.
ALCESTE (bas)
Et que fais-tu donc, traître ?
ORONTE
Mais, pour vous, vous savez quel est notre traité :
Parlez-moi, je vous prie, avec sincérité.
ALCESTE
Monsieur, cette matière est toujours délicate,
Et sur le bel esprit nous aimons qu'on nous flatte.
Mais un jour, à quelqu'un, dont je tairai le nom,
Je disais, en voyant des vers de sa façon,
Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire ;
Qu'il doit tenir la bride aux grands empressements
Qu'on a de faire éclat de tels amusements ;
Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages,
On s'expose à jouer de mauvais personnages.
ORONTE
Est-ce que vous voulez me déclarer par là
Que j'ai tort de vouloir… ?
ALCESTE
Je ne dis pas cela.
Mais je lui disais, moi, qu'un froid écrit assomme,
Qu'il ne faut que ce faible à décrier un homme,
Et qu'eût-on, d'autre part, cent belles qualités,
On regarde les gens par leurs méchants côtés.
ORONTE
Est-ce qu'à mon sonnet vous trouvez à redire ?
ALCESTE
Je ne dis pas cela ; mais, pour ne point écrire,
Je lui mettais aux yeux comme, dans notre temps,
Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.
ORONTE
Est-ce que j'écris mal ? et leur ressemblerais-je ?
ALCESTE
Je ne dis pas cela ; mais enfin, lui disais-je,
Quel besoin si pressant avez-vous de rimer ?
Et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer ?
Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livre,
Ce n'est qu'aux malheureux qui composent pour vivre.
Croyez-moi, résistez à vos tentations,
Dérobez au public ces occupations ;
Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que dans la cour vous avez d'honnête homme,
Pour prendre, de la main d'un avide imprimeur,
Celui de ridicule et misérable auteur.
C'est ce que je tâchai de lui faire comprendre.
ORONTE
Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre.
Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet… ?
ALCESTE
Franchement, il est bon à mettre au cabinet.
VOILÀ – J'ai écouté la leçon sans déplaisir, et c'est … avec plaisir que j'ai relu Molière !