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Mémoire-de-la-Littérature
16 février 2020

J'AI LU RANCÉ, JE SUIS RINCÉ !

Capture d’écran 2020-02-16 à 13

C'est sur la demande insistante de l'abbé Seguin dont il était le pénitent  que Chateaubriand a entrepris à reculons sa Vie de Rancé. C'est à reculons qu'Antoine Compagnon s'y dirige et c'est à reculons que je l'ai lue. 

            Capture d’écran 2020-02-16 à 21

Les premières lignes de la présentation (ci-dessus) qu'en fait la revue Persée recoupent assez les impressions qu'on éprouve dès le premier plongeon dans l'oeuvre.

C'est effectivement assez bric-à-brac.

Mais on ne s'ennuie guère, tant l'auteur a le sens de la formule et le goût, finalement réjouissant, de l'anecdote piquante.

J'ai pris, ici ou là, quelques notes de lecture. Et au fond, témoignage à la volée de ce qui m'a arrêté, ou fait sourire, ou retenu, le mieux n'est-il pas encore que je me contente de les recopier, les commentant à peine ou pas en attendant les éclairages à venir, s'ils viennent un jour, d'Antoine Compagnon. Je les copie d'ailleurs sans avoir pour le moment lu - je me promets de le faire - dans son entier l'article de Persée (qu'on peut trouver ICI) . Il me sera éventuellement dans quelques jours l'occasion d'un codicille.

Les citations de Chateaubriand que j'ai relevées sont en italique.

On passa du crime à la gloire, de la république à l'empire. Hugolien, non?

La Grande Pastorale, le Père Joseph, Marion Delorme, sont des infirmités ensevelies avant celui auquel elles furent attachées. Aux yeux de Chateaubriand, trois faiblesses, semble-t-il du cardinal de Richelieu: ses prétentions littéraires, son éminence grise, sa maîtresse ...

Mademoiselle de Scudéry rimaillait, se moquant du Grand Condé qui, embastillé, cultivait des oeillets :

En voyant ces oeillets qu'un illustre guerrier

Cultive d'une main qui gagna des batailles

Souviens-toi qu'Apollon a bâti des murailles

Et ne t'étonne plus que Mars soit jardinier.

Joli ...

Madame Sand fait descendre sur l'abîme son talent, comme j'ai vu la rosée tomber sur la mer morte.

A propos des femmes tombées dans la religion, passé l'âge des plaisirs : La vieillesse est une voyageuse de nuit: la terre lui est cachée; elle ne découvre plus que le ciel.

Au sujet de Madame de Sévigné : On ne dit pas quelle fut sa parole fatidique: on aimerait à avoir un recueil des derniers mots prononcés par des personnes célèbres; ils feraient le vocabulaire de cette région énigmatique du sphinx par qui en Egypte l'on communique du monde au désert.

Peu encourageant : Heureux l'homme expiré en ouvrant les yeux! Il meurt dans les bras de ces femmes du berceau qui ne sont dans le monde qu'un soutien.

Les annales humaines se composent de beaucoup de fables, mêlées de quelques vérités.

Rancé, en amont de sa sainteté et dévasté par la mort de sa maîtresse, Madame de Montbazon, est soupçonné d'avoir obtenu sa tête, de l'avoir fait embaumer et de l'avoir plus tard  conservée à la Trappe, dans sa cellule. Nulle certitude, mais ...

Henri, prince Bourbon, que Chateaubriand vieilli visite à Londres, est le petit-fils exilé de Charles X. Il est duc de Bordeaux. Est-ce de lui qu'il s'agit dans cette chanson ?

"Le duc de Bordeaux ressemble à son père
Son père à son frère et son frère à mon cul.
De là je conclus que l' duc de Bordeaux
Ressemble à mon cul comme deux gouttes d'eau.
Taïaut! taïaut! taïaut!
Ferm' ta gueule répondit l'écho."

Je me souviens avoir chanté ça au collège.

Chateaubriand évoque la mort de Gaston d'Orléans, frère du roi, dans une formulation qui me contraint aux éclaircissements : Gaston était en danger; ce prince, si peu digne à Castelnaudary de la valeur du Béarnais, le parleur de la Fronde ne trouva pas un mot sur ses lèvres à dire à la mort: un spectre se tenait debout au pied de son lit, Montmorency sans tête lui demandait le talion.

Un article intéressant consultable dans lepoint.fr, ICI. Un complot hostile à Louis XIII où Gaston et Henri II de Montmorency sont impliqués. Une courte bataille, à Castelnaudary, où Montmorency se bat comme un lion et où Gaston qui le croit mort s'enfuit, et puis l'exécution à huis clos, le cimeterre préféré à la hache par le bourreau, dans le Capitole de Toulouse, du premier, le pardon au second. Quant à la loi du talion, je ne me souvenais plus qu'elle remontait au code d'Hammurabi, vers 1700 avant J.C.

Rancé est au chevet de Gaston mourant: Rancé se montra si touchant que chacun faisait des voeux pour l'avoir auprès de soi au moment suprême. Cela m'a rappelé l'époque où Guy Bedos faisait, lui, des vannes sur le professeur Léon Schwartzenberg, brièvement misistre délégué chargé de la santé en 1988 et connu pour son humanité: "Un homme avec qui c'est un plaisir de mourir".

La Trappe, avant Rancé : ... l'air n'était supportable qu'à ceux qui cherchaient à mourir.

Formule : Tout a changé en Bretagne, hors les vagues qui changent toujours.

Et aussi : Rompre avec les choses réelles, ce n'est rien; mais avec les souvenirs!

J'apprends l'existence et l'usage du verbe mugueter : faire la cour, séduire. Dans la même phrase, une antonomase : ... le lovelace, pour "le coureur de jupons". Richard Lovelace, poète anglais du XVII° siècle, transformé en séducteur cynique dans le roman de Samuel Richardson, Clarisse Harlow. Il s'agit ici du cardinal de Retz, dont Chateaubriand pointe la laideur et qui a droit à ce trait : ... les jeunes gens se demandaient comment cet avorton avait pu être quelque chose.

Déjà rencontré cité par A.C. mais incontournable, à propos du Déluge de Poussin: Ce tableau rappelle quelque chose de l'âge délaissé et de la main du vieillard: admirable tremblement du temps! Souvent les hommes de génie ont annoncé leur fin par des chefs d'oeuvre: c'est leur âme qui s'envole.

Mauvais esprit et perversité des citations sorties de leur contexte, non contextualisées ... Alors que Rancé vient de se plaindre de la société des hommes en termes vifs et a conclu : Fermons les yeux, ô mon âme, tenons-nous si éloignés de toutes choses que nous ne puissions les voir ou être vus, Chateaubriand commente : Après ces éjaculations, on surprenait le moine les yeux levés au ciel. De l'usage possible q'une telle phrase, isolée. Comme dirait Benjamin Griveaux : le monde est bien méchant.

Nostalgie et - pour nous - préciosité de l'adjectif : J'ai cru [...] revoir mes bois et mes étangs de Combourg le soir aux clartés allenties du soleil. Allenties !

Je note irrépréhensible comme contraire de répréhensible, et cette remarque stylistique : Le style de Rancé n'est jamais jeune, il a laissé la jeunesse à Madame de Montbazon. Dans les oeuvres de Rancé, le souffle du printemps manque aux fleurs;mais en revanche quelles soirées d'automne! qu'ils sont beaux ces fruits des derniers jours de l'année.

Egalement, ce jugement : Cette langue du XVII° siècle mettait à la disposition de l'écrivain, sans effort et sans recherche, les forces, la précision et la clarté, en laissant à l'écrivain [pourquoi cette lourde reprise, pourquoi pas simplement : en lui laissant?] la liberté du tour et le carcatère de son génie.

Plus loin : ... le ressac des flots du temps contre le rivage de l'éternité.

Et, amusant, ce jugement sur la Princesse de Clèves qui est : un charmant ouvrage de Madame de La Fayette.

Voilà. J'ai lu le texte sur l'ordinateur, via Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5787561g/f4.image.texteImage

Je pense qu'il s'agit de la première édition. j'en suis même certain. Non retouchée donc et recommandée par A.C.  C'est un vrai fourre-tout, mais c'est malgré tout un vrai plaisir. On est transporté au sein d'un style qui n'a plus cours, semé de brusqueries grammaticales et de ruptures de ton, de coqs-à-l'âne et de formules, de tournures un peu surannées mais au sein desquelles on ne peut se défendre d'une certaine jubilation. Très amusant.

Pour les allusions, les références, Google est d'un appréciable secours, car si Chateaubriand navigue comme poisson dans l'eau parmi ses anecdotes - qu'on dirait aujourd'hui people - et si ses souvenirs bibliques et mythologiques remontent sans effort à la surface, tout cela qui parlait au milieu cultivé contemporain, est désormais dans un brouillard dont le charme n'en appelle pas moins les mises à jour.

Par exemple, pour un seul membre de phrase ... au mur de Balthazar ... il faut faire resurgir de sa mémoire le "Mane, Thecel, Phares"  qui se hâte de s'en éloigner chaque fois  et qu'on a pourtant déjà rencontré dans la Recherche (voir ICI). D'où le tableau de Bertuzzi, ou ... l'évocation de Rembrandt.

                                Rembrandt-Belsazar

 

LE CODICILLE N'ATTENDRA PAS ....

L'annulation cet après-midi d'un rendez-vous de travail avec ma petite-fille (elle prépare (?) en candidate libre le baccalauréat littéraire et nous devions faire un peu d'Histoire) m'a donné l'opportunité immédiate de lire l'article de la revue Persée dont je parlais plus haut. Fernand Letessier, qui le signe, fut (mort en 1987) agrégé de grammaire et professeur de lettres au Lycée Montesquieu du Mans (Sarthe). Hommage à travers lui à ces obscurs professeurs de lycée portés par leur passion studieuse et que la jeunesse d'aujourd'hui, qui majoritairement ne l'est plus, a perdu la capacité d'apprécier et d'admirer dans leur obstination à expliquer et à transmettre.

Fermez le ban.

L'article est tout à fait intéressant. vraiment très recommandé. Je m'y suis plu à retrouver la plupart de mes impressions de lecture et à regretter d'avoir dans ma compilation - car je les avais comme lui remarqués, mais pas notés - négligé deux passages, l'un amusant, l'autre profond.

Songeant certainement à sa propre et peu enthousiasmante expérience de vie commune avec Mme de Chateaubriand, on lit cette affirmation de Rancé :

 

Capture d’écran 2020-02-17 à 15

 

 

 

 

 

 

celeste

 

 

 

 

Ceci, c'était l'amusant, et voici le profond : Le chevalier de Bouillon reçut six mille livres de pension. On élargissait dans la bourse du peuple la déchirure par où devait passer la France. On serait avisé de lire là un avertissement plus général et toujours d'actualité sur l'usage inconsidéré des deniers publics et ses conséquences à terme désastreuses.

Enfin,  cette analyse précieuse (cf. note ci-après) (où "notre livre" = la Vie de Rancé):

Capture d’écran 2020-02-17 à 16

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Note: L'attribution de ce jugement à Mallarmé est contestée. Voir le commentaire de Hans-Peter Lund.

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Commentaires
H
La dernière citation, donnée par F. Letessier dans son introduction à la Vie de Rancé (éd Didier, 1955, p. XLVI), n'est pas de Mallarmé, mais de Maurras. Une faute d'impression dans Trois idées politiques de Maurras pourrait faire croire qu'un certain passage cité par Maurras soit de Mallarmé. Il est en réalité de Maurras lui-même. Aucun lecteur familier de Mallarmé ne reconnaîtrait dans les lignes citées le style du maître du symbolisme.
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