Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mémoire-de-la-Littérature
16 décembre 2021

MAIKESKIDI ?

web-jp-dupuy Il me semble sérieusement inquiet, Jean-Pierre Dupuy.

Né en 1941.

Polytechnicien brillant (sorti dans le Corps des Mines), il s'est voué à la philosophie qu'il a enseignée aux USA et son attention s'est beaucoup portée sur les sciences cognitives et sur les catastrophes.

Impressionnante notice Wikipédia.

Et? .... Une amie m'a en passant signalé un de ses bouquins, La marque du sacré, référence récupérée dans le cadre d'un cycle de conférences philosophiques .

Chez Flammarion. 9 €. Je pouvais tenter l'aventure.

C'est tout plein d'étonnants aveux.  

Chantre d'un christianisme affirmé comme supérieur à toute autre forme de connaissance, chrétien intellectuel  (et non intellectuel chrétien, c'est lui qui nuance) déclaré, Jean-Pierre Dupuy a enraciné la réflexion de toute une vie, la sienne, dans ce terreau inattendu qu'est Vertigo, d'Alfred Hitchcock (Kim Novak, James Stewart). Tiré d'un roman de Boileau-Narcejac, D'entre les morts, c'est l'histoire effectivement fascinante des tragiques et sauf erreur platoniques amours de Scottie Ferguson et de Judy Barton. Gavin Elster, vieil ami de Scottie, veut se débarrasser de sa richissime épouse. Il lui invente des pulsions suicidaires et engage son vieux Scottie pour surveiller celle qu'il lui présente comme sa femme dépressive, Madeleine, et qui est en réalité sa maîtresse Judy, grimée à l'identique. Un montage diabolique adossé aux vertiges dont souffre Scottie permet à Gavin de liquider effectivement sa vraie femme en faisant croire à Scottie qu'il vient d'assister à son suicide, mimé sous ses yeux par la fausse Madeleine et vraie Judy. 

Mais le destin veille tandis que le temps passe. Et quand Scottie au sortir d'une profonde dépression - car bien sûr, Cupidon ne l'a pas épargné et il est tombé follement amoureux et croit-il réciproquement de Judy/Madeleine - croise dans la rue la fausse Madeleine redevenue vraie Judy qui, débarrassée de ses oripeaux de grande bourgeoise, de sa blondeur factice et de son tailleur gris le plus strict, est revenue à son auburn naturel et à sa gouaille populaire, sans comprendre ce qui se passe, envahi d'une pulsion de réminiscence dont le sens lui échappe, il la poursuit et n'a de cesse de la reconstruire à l'image de sa morte. Au moment d'y arriver, une imprudence de Judy dessille ses yeux, et dans l'ébranlement psychologique qui s'ensuit, les circonstances s'enchaînent pour que se remettent en place les conditions même du faux suicide qui va alors se résoudre en véritable mort.

Le film est réellement fascinant (très recommandé, bien que je vienne honteusement de le divulgâcher), et nous étions tous à l'époque amoureux de Kim Novak. Mais Jean-Pierre Dupuy est allé beaucoup plus loin, spectateur névrotique de cette oeuvre d'Hitchcock regardée en boucle pendant plus de soixante ans et inspiratrice revendique-t-il de tout son travail philosophique au sein duquel la disparition programmée/déprogrammable de l'humanité n'est que la métonymie (ici le substitut, l'image, la transposition) de la mort de Madeleine. Effarante interprétation.

Convoquant Heidegger et trois des élèves de celui-ci, Hans Jonas, Hannah Arendt, Gunther Anders, sans oublier ses deux maîtres, Ivan Illitch (l'homme pour qui l'automobile nuit au transport, l'école nuit à l'éducation et la médecine nuit à la santé) et René Girard (l'inventeur du désir mimétique - je désire ce que je vois désiré par un autre), Jean-Pierre Dupuy réussit ce tour de force de mettre Hiroshima et Nagasaki sous le patronage de la disparition-retour de Madeleine.  Il est vrai qu'il a une pratique de la flèche du temps qui lui permet de renverser le principe de causalité et de faire du passé, la conséquence de l'avenir.

Il y a dans ce bouquin quelques passages encore assez clairs et intéressants, mais majoritairement, on (je) nage dans la confusion mentale. Le christianisme surplombant annoncé au début n'est finalement guère lisible, présent, génant. Les très nombreuses affirmations qui dénoncent les interprétations de grands noms de la philosophie, renvoyant par exemple Durkheim et Bourdieu à leurs faibles limites dans des démonstrations en trois points, ne m'ont rien démontré. Pour se placer sous l'égide de Tintin, autre grand référent, personnel cette fois, confronté à sept ans à l'opacité d'un texte, on se flagelle devant l'insuffisance de ses moyens, à soixante-dix-sept ans, on se demande si on n'est pas devant une imposture.

Jean-Pierre Dupuy voit du théologique partout - mais on (je) comprend(s) très mal en quoi cela ici consiste - et accuse les commentateurs en masse des grandes catastrophes du monde, de la Shoah au 11 septembre en passant par la guerre froide et la bombe atomique, de n'y avoir rien compris pour ne l'avoir pas vu, comme lui.

Moi, j'ai vu en son temps Kim Novak, et je m'en suis remis.

VERTIGO

Publicité
Publicité
Commentaires
Mémoire-de-la-Littérature
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité