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Mémoire-de-la-Littérature
2 février 2022

RETOUR À REIMS - DIDIER ERIBON

Retour à Reims Didier EribonDidier Eribon est né en 1953 - Mentor  de deux (plus) jeunes intellectuels comme lui philosophes / sociologues, Geoffroy de Lagasnerie, né en 1981 avec qui il est pacsé depuis 2003 et Edouard Louis, né en 1992, de son vrai nom Eddy Bellegueule, il forme avec eux un trio de penseurs aux prises de position radicales  qui, la sociologie et d'une certaine façon l'homosexualité au poing, avance sur les chemins d'une dénonciation-critique sans concession des rapports dominants-dominés.

Le médiatisation de Lagasnerie et d'Edouard Louis m'avait laissé d'eux quelques notions, je me souviens en particulier d'un passage que j'avais trouvé insupportable d'autosatisfaction provocatrice du premier sur france-inter, mais, bien qu'ayant le titre Retour à Reims dans l'oreille, je ne savais qu'à peine l'existence de Didier Eribon.

Une circonstance familiale m'a fait lire le bouquin, publié je crois en 2009. J'ai mis une quarantaine de pages à décider qu'il allait finalement m'intéresser. Autobiographe, Eribon y pratique une sorte d'ego-sociologie qui à partir du noyau familial s'efforce de rayonner pour atteindre à une généralité où, adossé à des convergences qu'il trouve tant chez Annie Ernaux que chez quelques écrivains américains de moi pour plusieurs inconnus, il tâche de décrire les souffrances intimes de la trahison de classe à laquelle, s'arrachant à son milieu d'origine, il s'est à la fois voué et condamné.

Intéressant par ses références où l'on croise Bourdieu et Michel Foucault, menant de front la description d'un parcours intellectuel de transfuge qui cohabite avec une immersion parallèle progressive dans le milieu et la culture gays, le livre où la figure du père et sans doute plus encore de la mère sont des chevilles essentielles, s'il parvient bien à souligner les interrogations de l'auteur ne me donne pas le sentiment de constituer un apport nouveau au problème des déterminismes sociaux. On le lit comme un témoignage de plus, qu'on ne saurait dire inutile, mais qui émane surtout d'une nécessité interne, un geste de libération thérapeutique, relevant de la plus répandue des pulsions : le souci de se raconter.

Ceci posé, j'ai voulu toutefois chercher quelques éléments complémentaires sur internet et je suis tombé sur un passage de Didier Eribon à Apostrophes, à la fin des années 1980, où il était reçu pour le livre qu'il a consacré à Michel Foucault (https://www.youtube.com/watch?v=kLA2Xklj1kU). C'est (c'était, alors) un beau jeune homme commentant d'une voix posée, sans prétention aucune, quelques aspects de son travail en réponse aux questions de Pivot (qui le présente en le prénommant Daniel !) et il m'est apparu touchant, car je voyais simultanément, en filigrane, ce qu'il dit de ses difficultés psychologiques de la période dans Retour à Reims. Quelques agacements que j'avais conçus  se sont dissous devant cette image fragile et j'ai, beaucoup plus facilement qu'à la lecture, été pris d'une certaine empathie très étrangère à mes réactions habituelles. Il y avait soudain là une fragilité assez attendrissante. Cet extrait des archives de l'INA s'est trouvé par ailleurs suivi d'un entretien avec Didier Eribon (sous le titre Se conquérir soi-même?) qui doit dater de moins de dix ans (https://www.youtube.com/watch?v=Doux5yIj8v4; interviewer: Jean Cornil, personnalité politique belge, très bien) où il reprend  les thèmes qu'il développe dans Retour à Reims et dans d'autres de ses ouvrages (en particulier semble-t-il Réflexions sur la question gay et La société comme verdict). Eribon ne regarde pas l'interlocuteur en face, contrairement à Cornil, beaucoup plus frontal, comme s'il était gêné, petit garçon, ce qui crée une impression désagréable, mais le contenu est tout à fait intéressant.

Et l'on voit dans ces deux documents se confirmer l'articulation, évidente dans Retour à Reims, de la pensée et du travail de Didier Eribon autour des deux pôles que sont sa relation à la fois intime et analytique à la classe ouvrière, dont il est issu et dont le sort (et le questionnement) ne le quitte pas, et sa situation d'homosexuel, à ce titre profondément marqué par le statut et le mal-vivre de cette communauté, dont il affirme qu'elle se constitue ou plutôt que ses membres se constituent par et contre le choc de l'injure, qui est son lot quasi quotidien. Cette douleur gay, intégrée, est une constante et il s'y réfère dans Apostrophes à propos de Michel Foucault qu'il évoque délivré en partie par la libération sexuelle de 1968 mais hanté toute sa vie (sa tentative de suicide de 1948 à l'Ecole normale supérieure, avant d'autres) par le poids de son orientation.

Finalement, ces deux documents/vidéos ont pesé dans le sens d'une réévaluation a posteriori de mon intérêt pour Retour à Reims en en réorganisant le discours autour de l'effort d'une personnalité lucide pour s'arracher à son milieu d'origine tout en s'attachant à en analyser les problèmes au sein d'une analyse globale des rapports sociaux, un effort mené dans les chaînes  parallèles d'une orientation sexuelle assumée en même temps que  socialement et douloureusement contraignante.

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