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Mémoire-de-la-Littérature
9 avril 2022

TOMBÉ SAÜL, RELEVÉ PAUL ...

 

F

BouquinNous sommes voisins, sans nous connaître. Le titre était intrigant. J'ai eu la curiosité d'aller voir. Déjà, sur France-inter, le 28 mars, elle avait été l'invitée d'Augustin  Trapenard. Augustin! Pour dialoguer avec elle et à propos de ce livre presque saint, c'était incontournable.

On peut réécouter (33 minutes):

https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-du-lundi-28-mars-2022

Déçu qu'elle n'en dise rien, justement, de son  livre, ni Trapenard d'ailleurs. Mais elle récite, quasi parfaitement, les vers touchants d'Etienne Jodelle, poète du XVI° siècle, Comme un qui s'est perdu

Car qu'a-t-elle poursuivi avec cette brève en même temps que longue recension de souvenirs, d'images, avec ce discret bestiaire des accompagnants de saints pour elle familiers, entrelacé d'ego-histoire, dans une progression  toute en sauts et gambades?

Dans l'itinéraire dramatique d'un roman, on perd l'auteur, on suit l'intrigue. Dans un objet littéraire qui ouvre d'abord une fenêtre sur un moi, se pose la question: Pourquoi?

 Il y a, au début, le chemin de Damas, qui donne à ce travail son titre. Et d'intéressantes réflexions. Nous picorons ensemble. Saül se convertit en Paul, et Claudel, de ce fait, surgit derrière un pilier de Notre-Dame. Péguy, plus loin, ce répétitif Péguy que mon professeur de lettres, en seconde, qui me croyait ce que je faisais semblant d'être, prétendait aussi obstinément que vainement me faire aimer. Je passe sur Hugo et l'ouverture des misérables. Lui aussi avait à Notre-Dame son pilier sur lequel nul jamais n'a pu trouver l' Ἀνάγκη (Ananké) qu'il affirmait y avoir lu. Ceci, cela, et puis Jérôme et son lion et puis d'autres et des tableaux que j'ai cherchés pour les comparer à leurs descriptions, tout un petit arsenal de représentations. Une blague africaine soudain, au milieu du sérieux des allusions bibliques : https://twitter.com/mbeatowe/status/1220080979097915392?lang=fr  (pour contester l'hypothèse d'un Adam et d'une Eve africains)

Etc.

C'est un festival d'anecdotes. Et Dieu, partout. Cela se lit sans déplaisir et on s'y convertit ici ou là notoirement, comme Max Jacob, dont l'homosexualité bénéficie de la part du créateur d'un traitement bienveillant que souligne Florence Delay : Dieu, qui connaît nos goûts avait choisi pour messager un jeune ange très élégant  (…) Vu d'abord de dos, sa longue chevelure tombant sur les épaules, puis se tournant, vêtu d'une longue robe de soie jaune clair, ornée de parements bleu clair, debout dans une campagne qui - comble de délicatesse - était le paysage agrandi d'une aquarelle que Max lui-même avait peinte quelques mois plus tôt. Les références se succèdent, Dieu parle décidément à beaucoup de monde. On voit passer Pierre Reverdy, les Maritain, mari et femme, Bernanos, tant d'autres, chacun dans un dialogue qui lui est propre et je regarde éberlué s'établir la médiation compréhensive de Florence Delay en faveur de toutes ces exigences métaphysiques dont l'inquiétude m'est si étrangère, dont les interrogations me sont si hermétiques, dont les questionnements me paraissent si absurdes, si dénués du moindre sens.

Que tout cela me semble vain! Cela ne leur suffit donc pas, de vivre?

Et soudain beaucoup de colombes, dont les battements d'ailes n'empêchent heureusement pas l'auteur de dormir : … mon sommeil étant remarquable. Blaise Pascal écarte fugacement le rideau (Joie, joie, joie, pleurs de joie) et Apollinaire est convoqué pour quelques vers regrettables, prouvant que son expressivité peut quelquefois tutoyer le niveau du concours de poésie de la RATP :

C'est le Christ qui monte au ciel mieux que

  les aviateurs

Il détient le record du monde

   pour la hauteur.

On sent chez Florence Delay comme une nostalgie de la messe en latin (la laideur des nouveaux cantiques) et la douleur des églises fermées dont les cloches ne sonnent plus, pincement au cœur que je partage tant, toute mécréance bue, je demeure sensible au charme éternel de leur clair-obscur, dans la fraîcheur qu'elles délivrent au temps des chaleurs écrasantes de l'été et qu'elles offrent à mes recueillements pensifs et ébahis devant une foi dont je ne comprends aucun des fondements. Claudel réapparaît, qui veut substituer au Γνῶθι σεαυτόν (Connais-toi toi-même) socratique un Oublie-toi toi-même qui confine à l'absurde.

Etc. Le coq à l'âne continue ainsi jusqu'à la fin. Après tant de saints accompagnés de tel ou tel animal, j'ai regretté que Giraudoux qui était venu au début du livre et réapparaît sur le tard n'ait pas amené avec lui le chien virtuel qu'il s'était inventé et dont il faisait état avec le plus grand sérieux. On finit sur un joli conte d'un conteur indien, un Swampy Cree.

À SUIVRE : un petit effort iconographique autour des références de Florence Delay. Les passages en italique sont extraits de son livre.

Capture d’écran 2022-04-06 à 21Voici  Saül de Tarse, tout seul dans un admirable tableau du Parmesan, à terre, presque déshabillé, son cheval cabré derrière lui (…) la selle du cheval ressemble à une peau de panthère blanche tachetée de noir, et tout regarde dans toutes les directions, Paul, le cheval, les taches comme autant d'yeux de panthère.

Qu'a-t-il donc d'admirable, ce cheval aux proportions absurdes, au fessier non pas même musculeux mais rebondi comme un gros ballon gonflé à l'hélium, avec sa tête minuscule et son corsage indéfendable de travesti ? Et Paul, presque déshabillé? Non, mais bizarrement accoutré, dans des voilages incongrus sauf à s'accorder au côté gay de la vêture du cheval. Son épée est au sol, il n'eut jamais de baudrier? Drôle de tenue de voyage …

 

caravage-paul-chemin-de-damasLors d'un séjour à Rome, j'allai revoir à Saint-Louis-des-Français les tableaux du Caravage et particulièrement La Conversion de Saint-Paul.  Du corps cloué à terre, bras grands ouverts, de la présence énorme du cheval vu de dos, sans selle, comme s'il avait été monté à cru, de l'enchevêtrement des jambes, on déduit la brutalité de la chute.

Au moins, Saül est-il en tenue plus adéquate et son cheval plus convaincant. L'enchevêtrement des jambes? Je ne le vois guère. C'est plutôt la placidité du palefrenier qui me frappe, plus soucieux du cheval que du cavalier, et le visage calme de Paul où aucune crispation ne vient à l'appui des deux bras étendus.

Le Paul du Parmesan est dans l'interrogation, celui du Caravage n'est que dans la chute.

 

Ci-après: Quand Jérôme avec [le lion] revint dans son monastère, les moines furent terrorisés; En témoigne un merveilleux Carpaccio à la chapelle des Esclavons à Venise. Dans un envol de robes blanc et noir ils s'enfuient, tandis que les animaux présents dans la cour (pintade, lièvre, paon, chevreuil, castor, antilope, et j'en passe) poursuivent leur journée tranquille comme s'ils n'étaient plus guère menacés.

                  Carpaccio- Jérome

LION

L'envol des tonsurés donne effectivement un peu de mouvement à la scène, mais que ce malheureux lion en forme de gros caniche est laid, loin de la noblesse du modèle, sur les talons du vieillard bossu !

 À la suite, Carpaccio toujours, après cette notation : … [Quand] Jérôme travaille dans sa cellule, un encrier à la main, un pinceau dans l'autre, le lion veille et surveille, tel le petit chien qui contemple, extasié, Augustin en extase dans le tableau de Carpaccio intitulé La vision d'Augustin.

St Augustin - Carpaccio

Extasié, le petit chien ? Le tableau est célèbre et ne me touche pas, sauf l'interprétation qu'on en donne, qui m'amuse, rejoignant la surprise de Saül; mais Augustin n'est pas tombé  de sa chaise:

À complies, donc juste au lever du jour, Jérôme meurt à Jérusalem. Au même instant, dans sa cellule d’Hippone, Augustin médite … sur la nature de la béatitude des saints ravis en Jésus-Christ, avant de rédiger un court exposé à l’intention de Sulpice Sévère. Comme il souhaite demander à Jérôme son avis sur cette question ardue, il prend une feuille de papier, une plume et un encrier pour lui écrire une lettre. À peine a-t-il tracé quelques mots qu’une lumière ineffable accompagnée d’un parfum indiciblement suave, pénètre dans sa cellule. Bien entendu, il ignore la mort de Jérôme. Grande est sa surprise quand une voix portée par cette lumière lui dit qu’il est plus facile de mettre l’océan dans un petit récipient, de serrer la terre dans sa main ou d’arrêter les étoiles que de décrire la béatitude quand on ne l’a pas éprouvée, car celui qui parle la connaît actuellement. Augustin demande en tremblant qui vient de parler et la voix lui répond que c’est Jérôme. 

(source ici : https://journals.openedition.org/rhr/4183)

Le miracle de saint Paul sur l'île de Malte, un peu plus loin …Paul ayant ramassé une brassée de bois sec pour alimenter le feu, une vipère en surgit qui s'accrocha à sa main. Il secoua la vipère dans le feu et n'en éprouva aucun mal. Ceux qui s'attendaient à le voir enfler et s'effondrer de mort subite considérèrent la chose comme un miracle. (…) Les contorsions du reptile sont particulièrement effrayantes dans le tableau de David Teniers l'Ancien (…) [qui] est au musée de l'Ermitage. Ah bon?

David Teniers l'Ancien - St Paul - Miracle Malte

(…) Au Louvre, on peut voir la scène peinte par Marten de Vos et par Claude Verdot.

Chez tous, on distingue bien mal le serpent, un peu mieux effectivement chez le premier … Dans le commentaire annexe de Florence Delay, je me demande s'il faut lire une interprétation sexuelle : Le reptile rampe ou s'enroule du début de la Genèse à la fin de l'Apocalypse (…) Le bruit court qu'il effraie davantage les femmes que les hommes. À cause de sa forme et de sa longueur variable, de son venin, ou de ses prétendus bienfaits.

Marten de Vos - St Paul à Malte          Claude Verdot

 Marten de Vos (détail)                                             Claude Verdot (détail)

Gustave Flaubert a vingt-quatre ans lorsqu'il découvre à Gênes le tableau de Breughel (…) La tentation de Saint Antoine. Il m'a l'air bien indifférent (ci-dessous), Antoine, plongé dans sa lecture au sein d'un grouillement de petits personnages absurdes et je m'interroge sur la fascination de Flaubert. Florence Delay aussi, semble-t-il: Quel lien singulier unit l'ermite de Croisset à l'ermite de la Thébaïde? Une histoire de cochon, peut-être, présent dans les deux premières versions du texte de Flaubert et disparaissant dans la dernière.  Mais on tomberait dans l'analyse du texte et Florence Delay n'y va pas (Une référence possible, pour se faire une idée : https://www.persee.fr/doc/etnor_0014-2158_1990_num_39_2_1926).

Tentation St Antoine-Breughel

Annonciation et Pietà. Histoire de colombes. Si la chrétienté a accepté que Marie soit enceinte par l'opération du Saint-Esprit, c'est aux peintres de la Renaissance que revient le mérite d'avoir introduit l'Esprit-Saint sous forme d'une colombe dans la scène fameuse de l'Annonciation. À peine discernable au-dessus de Marie dans le Fra Angelico du couvent San Marco (c'est-à-dire pour moi, pas discernable du tout !), très présente chez Fra Filippo Lippi, au milieu du tableau qui se trouve à Munich et où Dieu le Père, perché en haut à gauche, semble l'envoyer droit sur la jeune fille (soit).

Fra Angelico-Annonciation- San Marco       Annonciation- Fra Filippo Lippi

         Fra Angelico                                                             Fra Filippo Lippi

(…) Dans la Pietà ronde de Jean Malouel, au Louvre, une toute petite colombe, sans nimbe et de profil, paraît s'envoler de la barbe blanche du Père et se prendre dans les épines de la couronne du Fils [il faut des yeux de lynx pour la voir mais bon, elle y est ] . Une colonne autrement vigoureuse préside au Prado, à la Trinidad du Greco inspirée d'une gravure de Dürer: au ciel, sur un nuage, escortée par six anges, elle abrite la douleur du Père qui tient dans ses bras le cadavre du Fils. Toujours au Prado, un bouleversant tableau de Ribera. La scène est un ciel où un vieillard assis sur un trône tient la tête du cadavre  de son fils sur les genoux, la main posée sur ses cheveux. Entre leurs visages, une colombe étend ses ailes , mouvement repris et élargi par les bras du Christ, grandes ailes mortes. Dans la Trinité du maître de Flemalle (à l'Ermitage), les trois sont rassemblés sur un trône abrité par un dôme ou une tente blanche. Sur le bras droit du Père, plus sévère qu'affligé, repose le torse du Fils. Une colombe hausse les ailes  entre leurs visages, menaçante comme un oiseau de proie.                                   Dans l'ordre :

Piétà ronde, Malouel  Trinidad_El_Greco

Ribera- Prado  Robert Campin-Le maître de Flemalle- Ermitage

                                               ********************************

Et le poème d'Etienne Jodelle (1532-1573), récité chez Augustin Trapenard :

Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde

Loin de chemin, d’orée et d’adresse, et de gens :

Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents,

Se voit presque engloutir des grandes vagues d’onde :

Comme un qui erre aux champs, lors que la nuit au monde

Ravit toute clarté, j’avais perdu longtemps

Voie et route et lumière, et presque avec le sens,

Perdu longtemps l’objet, où plus mon heur se fonde.

Mais quand on voit, ayant ces maux fini leur tour,

Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour,

Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire.

Moi donc qui ai tout tel en votre absence été,

J’oublie, en revoyant votre heureuse clarté,

Forêt, tourmente et nuit, longue, orageuse, et noire.

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