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Mémoire-de-la-Littérature
7 mai 2022

LE JEUNE HOMME & ANNIE ERNAUX

Capture d’écran 2022-05-06 à 17François Busnel recevait Annie Ernaux, ce mercredi 4 mai avec pour prétexte la sortie d'un très court récit (28 pages) consacré à la liaison de l'auteur au milieu des années 1990 avec un étudiant de trente ans son cadet (elle en avait cinquante quatre lors de leur rencontre). La mise en forme du récit, entamée quelques années après, en 1998, puis laissée de côté, a été reprise et menée à son terme à l'occasion du premier confinement du printemps 2019.

Il y a cinq ans, j'ai passé une nuit malhabile avec un étudiant qui m'écrivait depuis un an et avait voulu me rencontrer.

C'est l'incipit. Ce penchant jeuniste n'est pas nécessairement exclusif, mais Annie Ernaux s'y livre visiblement volontiers. Elle avait été l'invitée d'Antoine Compagnon, au Collège de France, lors d'un des séminaires qui suivaient les cours de celui-ci. C'était le 3 mars 2009. J'en avais rendu compte :

Séminaire n°9 - Mémoire-de-la-Littérature

Mardi 03/03/2009 - Annie Ernaux - Comme Mariella di Maio le 27 janvier dernier, Annie Ernaux arrive appuyée sur une canne anglaise. Curiosité du hasard. Elle est souriante et assez semblable à la photo de couverture de l'étude que lui a consacrée Francine Dugast-Portes dans la collection Ecrivains au présent, chez Bordas, une étude dont j'ai lu la première moitié avant de venir.

http://compaproust.canalblog.com

Or à peu de distance de là, dans la boulangerie-pâtisserie (Piccadis - 8 rue Gay-Lussac, Paris V° arrdt.) où j'ai mes habitudes, je l'ai retrouvée au bras d'une sorte d'étudiant à qui elle achetait un éclair au chocolat et auprès duquel, sur le trottoir, sortant quelques secondes après eux, je l'ai entendue, maternellement amoureuse, s'inquiéter de savoir s'il le trouvait bon. La réponse m'avait d'ailleurs semblé peu aimable, sur le ton du rabrouement.

Annie Ernaux a aussi commis en 2005 ou 2006 avec la complicité de Marc Marie, son amant de la période et son cadet de 22 ans, un petit livre, L'usage de la photo, qui m'avait (il me semble) assez irrité. L'entreprise consistait en la publication de photographies immortalisant des décors et rien que des décors, témoins, de reliefs de repas en vêtements en désordre abandonnés à la hâte sur le plancher, de la pulsion qui avait saisi les amants avant l'amour, avec commentaires et mises en situation alternativement rédigés.

Deux exemples ...

Je ne tiens pas la littérature d'Annie Ernaux dans la haute estime qui semble assez générale et j'avais je crois en son temps assez sévèrement chroniqué Les années. Elle y parle d'ailleurs quelque part, brièvement, et je le note dans la recension ci-après que je retrouve, du "jeune homme" .

Les Années - Annie Ernaux - AutreMonde

Attachant ? Par moments. Étonnant ? Plus ou moins, par référence à ce qu'on savait déjà de l'auteur, même si c'était assez peu, deux, trois livres. J'avais aussi lu en amont et en travers la critique d'Antoine Compagnon, professeur chargé de la Chaire de littérature moderne, qui y a fait allusion lors du Séminaire d'Annie Ernaux [au Collège de France - Mardi 03/03/009].

http://ednat.canalblog.com

Je n'aime pas Busnel, flagorneur, faussement gourmand, chafouin et autosatisfait, ce qui évidemment ne constitue pas un préalable idéal pour apprécier sa Grande librairie que du coup, j'évite. Mais enfin, je voulais (re)voir un peu Ernaux. Elle m'agace, mais, perversité assumée, je me plais à aller près d'elle m'agacer. Elle est par ailleurs assez plaisante "à l'oral", nettement moins provocatrice qu'à l'écrit, sa sexualité dérangeante moins en bandoulière, davantage tenue en lisière. Cela valait chez Compagnon, cela a valu de nouveau chez Busnel. Et j'ai fait ce matin un saut à la Librairie Compagnie (58, rue des écoles, 75005, Paris) pour m'offrir contre 8 € son récit amoureux. Étique.

Cela se lit en moins de temps que n'a duré l'émission de France 5. C'est un petit morceau d'a-littérature, trois fois rien. Il est évident que le manuscrit, signé (au hasard) Stéphanie Gauthier, n'aurait pas eu la moindre chance de connaître la publication. Mais quand on a atteint une certaine notoriété, tout, pour l'éditeur, fait ventre. Et bien sûr, Busnel d'admirer.

Souvent, j'ai fait l'amour pour m'obliger à écrire [... pour éprouver ...] la certitude qu'il n'y avait pas de jouissance supérieure à celle de l'écriture d'un livre. Quel aveu, dès la première page! Assez logique toutefois, dans le droit fil de l'épigraphe du récit : Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu'à leur terme, elles ont été seulement vécues. Cela, je peux l'entendre.

Pendant et/ou après l'amour, ils écoutent les Doors et Ernaux cite She lives in the Love Street, la chanson que Jim Morrison a consacrée à sa compagne Pamela Courson. Morrison a court vécu, de 1943 à 1971 et Pamela pareillement, de 1946 à 1974. Vu l'âge du jeune homme d'Ernaux et la nature des relations, une mauvaise langue aurait plutôt suggéré l'écoute de Just a gigolo, par Louis Prima ... Mais elle l'évoque sincèrement amoureux, ce qui se sent moins, dans le récit, de son côté. Il lui permet surtout  de revivre des impressions, des sensations qui effacent comme sur un palimpseste (l'image est d'elle-même) ce qu'elle est pour réécrire ce qu'elle fut: J'avais l'impression de rejouer des scènes et des gestes qui avaient déjà eu lieu, la pièce de ma jeunesse. Elle accommode à sa façon le mythe nietzschéen de l'éternel retour.

La relation est explicitement incestueuse, il l'appelle entre autres "la reum", c'est-à-dire en verlan djeune  "la mère" et elle jette effectivement sur lui le regard attendri d'une mère sur son incompréhensible ado, qu'elle voit lucidement tel qu'il est, fumeur de shit et tire-au-flanc, tenté sous son égide par le parasitisme social.

Nous allions voir les films dont le sujet était une liaison entre un garçon jeune et une femme mure. Est-elle allée voir, seule cette fois,  le récent film de Carine Tardieu, Les jeunes amants? Il est pour peu mais encore quadra (Melvil Poupaud), elle est septuagénaire (Fanny Ardant). Busnel n'a pas posé la question. Dommage.  [N]ous repérions immédiatement les couples semblables au nôtre. Entre eux et nous s'échangeaient des regards de connivence. Se sent-elle rétrospectivement en connivence, aujourd'hui, avec le couple Macron? Busnel n'a pas posé la question. Dommage.

Puis elle s'est lassée, sans employer le mot même. Elle avait fait d'une aventure une histoire, et nous le dit, mais avec peu à peu le sentiment que cette histoire devenait  sans fin (comme ce "jour sans fin" dans lequel en 1993, le film d'Harold Ramis avait plongé Bill Murray): De plus en plus, il me semblait que je pourrais entasser des images, des expériences, des années, sans plus rien ressentir d'autre que la répétition elle-même. (....) Cette sensation était un signe, celui que son [le jeune homme] rôle d'ouvreur du temps dans ma vie était fini. Le mien, d'initiatrice, dans la sienne, sans doute aussi.  Au suivant?

Vivre pour l'écrire, et puis l'écrire pour le revivre ?

Cela semble le choix ernaldien, une sorte d' À la recherche de l'homme perdu.

Peut-être le jeune homme, aujourd'hui quinqua, lira-t-il puis refermera-t-il le livre et, philosophe blasé, énoncera-t-il  seulement:  Gonflée, quand même, la vieille bique!

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