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Mémoire-de-la-Littérature
22 février 2023

PROUST ECRIVAIN - COLL. AU COLL. DE FRANCE.

 

Proust écrivain

Colloque organisé par Antoine Compagnon et Matthieu Vernet.

https://www.college-de-france.fr

Référence directe:  https://www.college-de-france.fr/agenda/colloque/proust-ecrivain

C'était les 19 et 20 janvier derniers, sous la houlette d'Antoine Compagnon (et alii).

J'ai eu, dans un emploi du temps chargé, l'opportunité d'aller entendre A.C. le vendredi mais ensuite, tranquillement, par petits bouts, j'ai tout écouté sur internet, prenant, sans aucun souci de restitution, quelques notes correspondant seulement à l'humeur d'un ressenti d'observation . C'est un petit vrac d'impressions décousues qui me fera un souvenir. Voici.

 Antoine Compagnon assure brièvement le lancement, aimable et comme à l'accoutumée, tiré à quatre épingles. Son ambition, dans le rapprochement qu'il fait avec le colloque Proust à l'ENS  de janvier 1972 qui fut (il était élève en deuxième année à l'Ecole Polytechnique) sa première expérience du genre et dont la table ronde conclusive rassemblait entre autres Gérard Genette, Jean-Pierre Richard, Roland Barthes et Gilles Deleuze, me semble une très audacieuse gageure. De Genette d'ailleurs, il reprend sans le dire le résumé admirablement lapidaire de la Recherche, l'intégrant dans l'objectif collectif de ces quarante-huit heures qu'il ouvre, indiquant qu'il s'agira ici collectivement de tâcher de montrer et de comprendre comment Marcel devient écrivain.

Emmanuelle Kaës, université de Tours, assure l'entame.

Survol des années d'école de Proust. Le niveau de sa production scolaire est étonnant, ponctué par les critiques excessives et assassines d'Alphonse Darlu qu'il eut à Condorcet en Philosophie. Le niveau de réflexion, la fermeté de pensée de ce lycéen sont fascinants dans leur incroyable maturité.

Mais ... la jeune universitaire ouvre la liste des lecteurs d'exposé qui ne laissent pas à la pensée de l'auditeur sa place, dans un déroulé de la réflexion qui n'autorise pas la compréhension complète. Festina lente ! Mais non, "ils" en sont (presque) tous là. On a préparé, on expédie, on galope.   

Jean-Yves Tadié (qu'on ne présente pas à des proustiens) suit. Intitulé provocateur : Proust champion de la phrase courte. Il ne cesse d'envoyer des piques - parfaitement à l'aise et nageant dans Proust comme un poisson dans l'eau - à travers quelques allusions, parfois transparentes, aux effondrements du temps (né en 1936), ainsi lors d'une remarque générale sur les coupables de certaines défaites du style,  prix Nobel compris (Annie Ernaux, of course, je bois du petit lait). Il pétille d'humour, un peu desservi par une émission phonique à géométrie variable. Cette histoire de phrase courte me fait penser que je viens de lire une récente réédition d'un petit livre de Florence Delay - collègue d'A.C. à l'Académie française et ma voisine d'immeuble, ce qui fait de moi un lecteur contraint - titré Zig-zag, consacré à la forme courte (sentences, aphorismes, maximes, mots, traits, formules ...) dont je n'ai pas cerné la nécessité. Passons.

Christophe Pradeau, qui vient d'obtenir son habilitation à diriger des recherches est l'intervenant suivant. Un cours sérieux mais trop lu, bien construit mais trop magistral, qui suit les apprentissages de Proust dans des revues. Ça va trop vite. On écoute mais on reste en surface. Faiblesse aussi de l'auditeur qui perçoit néanmoins un parcours, un cheminement, la voie vers le roman, la trajectoire.

Relais passé à François Proulx. Université de l'Illinois, celle même de Philip Kolb. Les amis d'écriture. Soit. Jeune. Très bon français avec léger accent outre atlantique. Il lit, of course hélas, son exposé mais c'est tout à fait intéressant, peut-être insuffisamment réorganisé, structuré, réarticulé en raisonnement. Je crois comprendre qu'il s'agit de souligner un processus  au long duquel Proust part de projets d'écriture à vision collective qui échouent successivement mais par un phénomène de resserrement progressif vont converger vers l'auteur unique, solitaire. On pointe là-dedans un virage : 1906.

Gisèle Sapiro , à peu près l'âge de ma fille. ENS Lyon, agrégation de Lettres modernes, sociologue école Bourdieu. Trop rapide. Je glane deux dates et trois nombres : Académie française fondée en 1635, Académie Goncourt en 1903. Tirages l'année du Goncourt de Proust, 1919 : A l'ombre des jfef... 6600; Les croix de bois, 40 000; L'Atlantide, 150 000. Effectivement ! L'exposé est très intéressant, mais ça sprinte à l'excès.

Francesca Lorandini arrive d'Italie, l'accent de charme en bandoulière. Elle lit mais de façon assez vivante là où d'autres débitent. Agréable. L'exposé me semble court et reste plus sur la description extérieure du parcours de réussite de Proust sur le chemin de la notoriété que sur son explication, ou alors en mettant en avant ses techniques de réseautage et d'invitations mondaines. Alors, en quelque sorte, il s'infiltre. Cela dit, on ne voit pas du coup la montée d'un talent. Et elle ne parvient pas à rebondir sur les questions de Christophe Pradeau.

Matthieu Vernet , maître de conférences à la Sorbonne et que j'ai vu sauf erreur en collaborateur tout au long des années d'enseignement d'A.C. au Collège. Aisance moyenne dans l'exposé. L'impression d'avoir suivi avec intérêt et la certitude qu'il ne m'en restera rien. Le questionnement à suivre de Christophe Pradeau est assez pénible dans ses hésitations d'expression. C'est étonnant comme ces spécialistes sont peu à l'aise dans l'ensemble avec l'oral. Il vaut mieux qu'ils se cantonnent à leur Olympe, dans une classe de lycée, ils se feraient laminer!

Françoise Leriche n'est plus professeur à l'Université de Grenoble . Spécialiste de la correspondance de Proust. Comment Proust récrit la genèse de son oeuvre et construit son propre mythe dans ses lettres. Ouf!

Qu'est-ce que c'est que ça s'il vous plaît? C'est le titre (Cyrano de Bergerac - Rostand) . Je n'ai pas pu résister.

L'expression accroche. Donc, Proust s'est forgé volontairement d'abord une image de grand malade qui va se retourner contre lui après le Goncourt de 1919. Il craint alors de passer pour décadent, sensible qu'il est aux attaques du camp Dorgelès et s'affirme maintenant moins reclus, moins souffreteux. Il veut devenir visible et qu'on le reconnaisse comme un dreyfusard de la première heure, engagé, actif ! Il va s'attacher à créer un mythe générique, martelant que son ouvrage est composé avec rigueur, et de longtemps achevé, d'avant guerre même, la fin rédigée avant le début, le dernier chapitre avant le premier (ou juste après, il fluctue selon l'interlocuteur). Intéressant. Intéressé.

Adam Watt, professeur à l'Université d'Exeter. J'ai été très intéressé et .. je n'ai rien noté! Son accent le catalogue agréablement mais son français est excellent. Une petite confusion au passage entre adhésion et adhérence. On avait rectifié.

Nathalie Mauriac-Dyer, directrice de recherche au CNRS. Son élocution un peu hésitante manque de dynamisme. Dommage. Le discours autour des Sentiments filiaux d'un parricide est assez tâtonnant . Finalement, de quoi faut-il frémir? C'était l'intitulé de l'intervention: Frémir en 1907. Elle s'en est expliquée. Plus prémices de la Recherche que frisson d'horreur devant l'acte de HVB. Du coup je suis allé relire l'article de Proust. Et il ne m'inspire pas grand-chose, sinon un étonnement certain devant cette sorte de plaidoirie en défense au bénéfice d'un meurtrier qui n'aurait eu que le tort d'assumer en un instant le lent assassinat de toute mère par tout fils. Le paradoxe n'est pas soutenable. HVB a bien fait de se tuer.

Le court échange qui suit l'exposé, avec Matthieu Vernet et A.C. est presque plus éclairant que l'exposé lui-même. J'y apprends anagnorisis (ἀναγνώρισις), découverte tardive d'une identité que l'on n'a pas su percevoir de prime abord. Et que cet article est à considérer, le premier geste d'écriture après la mort de sa propre mère, comme fondateur dans le parcours de Proust vers le roman.

Max McGuiness est Teaching fellow à l'Université de Dublin. Encore un francophone émérite avec pointe d'accent britannique. J'admire ces performances linguistiques, moi qui peine tant à indiquer aux touristes anglais dans leur langue le chemin du Panthéon quand, m'arrêtant sur le Boul'mich, ils me le demandent!

Proust et la bataille journalistique. Je ne retiens pas grand-chose sinon que le fond de la querelle semble l'accusation faite à Proust de ne remplir la Recherche que de l'accumulation de broutilles tirées de sa propre vie mondaine. Je n'ai pas dû être attentif et je soupçonne quelques injustes somnolences devant l'iMac.

Elisabeth Ladenson enseigne à Columbia University. Son intervention est un bonheur tant elle tranche, bien qu'elle lise,  par son allant, son humour, sa vivacité. Son français accentué à l'américaine est impeccable. Une impression de grande fraîcheur, c'est dynamique et enlevé! Un plaisir. Proust et les écrivaines? On s'en fout un peu. Ce qui compte, c'est la savante gaîté de l'intervenante.

Paola Cattini lui succède qui enseigne à l'Université Roma III. Plutôt jeune et un très bon français teinté d'accent italien. Hélas, je me suis un peu assoupi dans une atmosphère d'exposé qui me semblait pourtant intéressante. Il y a eu ensuite une ou deux questions, mais je n'étais pas entièrement réveillé. Proust botaniste et mystique. Je suis passé à côté.

Dernier intervenant, Antoine Compagnon himself. Mort à jamais? Qui peut le dire? A.C. est toujours à ce point impeccablement semblable à lui-même que chaque fois qu'il intervient, c'est curieusement au tombeau d'Edgar Poë que je pense : Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change. Je le vois professer au Collège de France depuis 2005. Il semble inaltérable. L'image de Barrès, notre jeune homme, c'est aussi un peu lui. Son exposé est intéressant. Avec la fascination de penser que le jour même de sa mort, Proust dictait encore à Céleste des ajouts sur celle de Bergotte (témoignage de François Mauriac). Comme JY Tadié avait taclé Annie Ernaux, A.C.  ramène allusivement d'entre les morts François Mitterrand et les forces de l'esprit auxquelles celui-ci se référa lors de son ultime intervention télévisée.

Je suis surpris du repentir qu'il formule à propos de la lecture qu'il estime aujourd'hui erronée (et à laquelle il associe Matthieu Vernet) d'un passage  manuscrit de Proust ...

Le QUI erroné... où, pour l'édition des essais dans la Pléiade, ils ont lu un pendant que lui est laissée (...) une oeuvre éternelle aussi, rectifié ci-contre.

Sur le manuscrit projeté, il ne semble pourtant pas y avoir d'ambiguïté de forme. De sens c'est autre chose, et peut-être la cause de l'hésitation. Avec aussi cette question : Faut-il une suspension, fût-elle provisoire, du matérialisme pour travailler à la production d'une oeuvre éternelle? 

Est évoquée enfin la localisation incertaine du petit pan de mur jaune dans le tableau de Vermeer que Proust n'a vu qu'en mai 1921, ce qui fait de la mort de Bergotte un additif rédactionnel très ultime.

Petit pan de mur jaune

Et j'en passe, la mort d'Elstir, celle de Vinteuil, les trois grands artistes de la Recherche. Bien.

La table ronde enfin et ses preux chevaliers : Alain Finkielkraut, Philippe Lançon, Nathalie Azoulai, Yannick Haenel.

Je trouve A.C. très maladroit - il lance l'affaire - lorsqu'il présente Nathalie Azoulai comme un second choix, faute d'avoir obtenu l'accord d'Annie Ernaux, qui pour refuser s'est abritée derrière une antérieure participation (le 19 février 2013) à son  séminaire centrée sur le personnage de Françoise. Ledit second choix d'ailleurs le relève, probablement un peu vexée. Un peu agaçante peut-être d'ailleurs, Nathalie Azoulai, dans son propos liminaire, ramenant trop Marcel à elle qui au fond ne l'a lu que deux fois (!).

 Finkielkraut est touchant, qui prend la parole avec une sincérité un peu hallucinée pour quelques mots sur l'amour et le désaccord de Proust et d'Emmanuel Berl. Je le trouve vieilli, ce sempiternel colérique, condamné - handicapé par une perte d'audition que ne parvient pas à compenser entièrement Matthieu Vernet qui s'est placé à sa droite pour jouer les amplificateurs - à quelques décalages à la fois un peu attristants et comiques. La disposition en ligne des quatre intervenants ne lui facilite pas la tâche. Pour une table ronde, il aurait mieux valu une table vraiment ronde!

 Yannick Haenel fait une belle et audacieuse intervention qui souligne et surligne sexe et sensualité dans la Recherche, mettant au fil de ses trois lectures (à 18 ans, à 30 ans, à 55 ans) le projecteur sur un cunnilingus de berge de fleuve apprécié  d'Albertine, sur la découverte avec Gilberte des sources de la Vivonne au début du Temps retrouvé avec petit lavoir et effervescence de bulles,  enfin sur le jet d'eau éjaculatoire d'Hubert Robert à la soirée Guermantes. Dans la suite, il réinterviendra excellemment, avec une richesse d'images et de vocabulaire réjouissante, trouvant avec aisance  les meilleurs chemins d'expression juste de sa pensée.  Et puis cette notation décisive à laquelle j'applaudis des deux mains: chez Proust, c'est le bruissement de la phrase qui compte.

 Jolie et très personnel enchaînement de Philippe Lançon qui s'efforce de lier son expérience en chirurgie (de fait l'impact du drame de Charlie hebdo) avec d'autres aspects de sa vie dans la lumière réfléchie par la Recherche sur son vécu, la découvrant et la lisant dans la bibliothèque de ses parents, dans sa chambre d'étudiant ... Il livre une sorte de témoignage sur le thème "ma vie réfléchie par Proust". Saisissant.

 CONCLUSION ? Rien de l'ordre du savant, mais dans ce défilé de personnalités, sous les contraintes de l'exercice, il est amusant de voir combien  se seront détachés pour moi et que je ne connaissais pas, Elisabeth Ladenson pour cette sorte de sincérité sans fard hésitante et parfois d'expression malhabile qui a donné à toutes ses prises de parole, outre son exposé (on l'a un peu vue en maître de cérémonie à moment donné), une très rafraîchissante projection, et Yannick Haenel, pour son brio. Touché aussi par Philippe Lançon. Et puis je ne dirai rien de plus, tant depuis 2005 j'en ai dans mes comptes-rendus de leçons trop dit, d'Antoine Compagnon, qui soudain, image curieuse, m'apparaît au milieu de cette galerie de portraits avec des aspects de ce déphasage qui marquait tant, dans quelque contexte qu'il fût, à l'écran, Paul Meurisse.

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F
Je précise que je suis toujours Professeur en exercice à l'Université de Grenoble. Encore un peu de temps avant la retraite ! -- Françoise Leriche
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