Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mémoire-de-la-Littérature

23 janvier 2024

FINKIELKRAUT - Pêcheur de perles

                           Pêcheur de perles

La quatrième de couverture se lit mal, ci-dessus. Inspiré par diverses citations empruntées à des auteurs variés, A.F. nous y déclare ...

Dans leur sillage, j'ai essayé de penser à nouveaux frais l'expérience de l'amour, la mort, les avatars de la civilité, le destin de l'Europe, la fragilité de l'humour, le monde comme il va et surtout comme il ne va pas.

"Penser à nouveaux frais" ... L'objectif me semble assez immodeste. D'autant que le résultat n'est pas bouleversant. Disons, "Donner en son état présent, mon avis sur ...". Savoir ce que Finkielkraut pense n'est pas en soi inintéressant. Ce n'est pas non plus décisif. Assurément curieux pour ce qui est de l'amour. Très curieux. Une quasi expérience mystique. Et qui suscite une question: Qu'en dit Sylvie Topaloff, l'aimée, destinataire des éloges et des sentiments d'un coeur en bandoulière qui ne recule devant presqu'aucune impudeur?

Le reste est plus attendu.

Sur la mort? La peur d'Alzheimer, essentiellement. Une crainte que je ne partage pas.  

Sur le premier contact? L'autorité désarmée du visage m'interdit de me répandre dans le monde comme "une force qui va" (...) Ce n'est pas, nous dit Lévinas, la peur de l'Autre qui arrête l'élan de la liberté et civilise l'individu, c'est la honte devant lui. (...) Après vous , Monsieur: priorité d'autrui, lui toujours avant moi, humanité comme animalité déraisonnable ou rationalité comme une nouvelle raison.  C'est quand même bien compliqué. Et pour finir, un couplet sur l'insupportable nouveau bonjour, le bonjour égalitaire, indifférencié, pétulant des courriels. Là, je partage assez. 

L'Europe? Je passe, j'y suis peu sensible.

L'Ecole? Ah, l'école ... Oui, bien sûr, mais la difficulté, sur ces questions, n'est pas de constater pour déplorer, mais de proposer pour avancer et ici, rien. Absolument rien! Etrange tout de même ce silence des prospectives - car Finkielkraut n'est pas le seul -, étrange et désolant.

Assez peu de choses au fond, ensuite. Quelques formules amusantes, quelques antipathies solides (Greta Thunberg, Annie Ernaux, ...) qui ne me sont d'ailleurs pas, ces antipathies, antipathiques. Des allergies en somme, nombreuses, souvent compréhensibles, mais qui ne débouchent que sur des déplorations, qui ne construisent pas, qui soulagent, seulement.

On peut être à la fois à peu près d'accord avec presque tout, et regretter  de n'avoir pas, livre fermé, le sentiment d'avoir avancé. Finkielkraut n'aime plus l'époque et se persuade qu'elle le lui rend bien. On sent qu'il n'est pas en opposition frontale avec nombre des glissements du temps, mais qu'il se raidit contre la radicalité excessive des critiques, contre le fanatisme de dénonciations dont il pourrait sans doute partager les premiers pas (sur le féminisme, aussi bien que la relecture critique du passé, sur la douleur des minorités, ...) mais dont les absurdes développements le laissent, plein d'une rage impuissante, au bord du chemin.

Le chapitre sur l'humour (en particulier de France-inter ... Ah! Charline Vanhoenacker, Guillaume Meurice, vous n'êtes pas nommés, mais que vos oreilles sifflent ...) est bien venu. Il y a là des excès tout à fait déplacés et le désigné Frédéric Fromet est à juste titre explicitement pointé pour une de ses souvent ridicules  - et là injustifiable - contorsions. Rien dans les sarcasmes  à juste titre  évoqués n'aide à penser. On peut s'amuser d'un persiflage intelligent qui dénonce et se moque de l'esprit de sérieux, des sottes prétentions, des abus de tous ordres. La grossièreté imbécile et systématisée dégrade.

La défense et illustration de Renaud Camus m'a étonné. Pratiquement à l'index des médias "main street", pour jargonner comme A.F. n'aime pas, je n'ai de lui que la lecture de deux romans ("La vie du chien Horla" et "Loin") dont mon souvenir est simplement qu'ils n'étaient pas désagréables, et quelques minutes de "tourne page" dans une librairie d'un tome de son journal qui m'avaient particulièrement indisposé par leur lourde charge de ce qui me semblait de la pornographie homosexuelle et dissuadé d'aller plus avant. Sexagénaire courtois, il était venu participer à un séminaire d'Antoine Compagnon au Collège de France en 2010 dont j'avais rendu compte (http://compaproust.canalblog.com/archives/2010/03/22/17317485.html) et dont, sauf à me relire, il ne m'est rien resté. Oui, la vigoureuse défense de Finkielkraut m'a surpris, mais je manque trop de références solides sur l'écrivain et l'aura sulfureuse de l'homme me bloque.

 La longue litanie des agacements en quoi se développe pour finir le chapitre qu'ouvre Paul McCartney (I believe in yesterday) est souvent pertinente:

Le bac c'était mieux quand ce n'était pas une blague

Ennuyeux, c'était moins pénible que chiant

L'auteur des Bijoux de la Castafiore, c'était mieux que le papa de Tintin

La conversation dans les cafés, c'était mieux avant la musique d'ambiance

L'égalité, c'était mieux avant l'écriture inclusive

Agatha Christie, c'était mieux avant sa réécriture arc-en-ciel

Le surmoi, c'était mieux avant Greta Thunberg

Etc.

Enfin bref, ça se lit pour ce que c'est. Non pas une nouvelle avancée sur les sentiers annoncés de l'amour, de la mort et autres grandes et petites questions, mais plutôt le remuement amer de l'impuissance un peu navrée de qui constate que l'époque lui échappe et que le chemin qui lui reste à parcourir il lui faudra le parcourir assez seul, avec le soutien incertain de quelques chers fantômes, Hanna Arendt, Milan Kundera, Philip Roth, d'autres, plus anciens, et la nostalgie d'un temps où il pouvait essayer de penser avec l'espoir peut-être d'être compris.

J'espère qu'il saura s'appliquer la mise en garde d'Alphonse Allais, qu'il cite pour d'autres et qui m'a beaucoup plu : Ne nous prenons pas au sérieux, il n'y aura aucun survivant.

Publicité
Publicité
13 janvier 2024

BONNE ANNÉE !

Marcel

Albertine

 

 

Marcel contemplant, songeur, Albertine ....

11 décembre 2023

ANDROMAQUE - RACINE - THÉÂTRE DE L'ODÉON

Capture d’écran 2023-12-11 à 17

Résumé de la pièce:

LA VEUVE DE TOTOR A BIEN DU CARACTÈRE

ET VEUT SAUVER LE FILS SANS INSULTER LE PÈRE.

MAIS PYRRHUS DONT LE SORT DE TOUS LES DEUX DÉPEND

PYRRHUS, ÉNAMOURÉ OBSESSIONNELLEMENT

DE LA BELLE TROYENNE À SES ARDEURS RÉTIVE

ET QU'IL VEUT SE TAPER PUISQU'ELLE EST SA CAPTIVE,

EMPÊTRÉ D'UNE HERMIONE AUX EXIGEANTS PENCHANTS

QUI N'EN A QUE POUR LUI ET GÉMIT CONSTAMMENT

QUAND IL FAIT LA GIROUETTE AUX HUMEURS DE LA VEUVE,

PRÉFÉRANT UN VIEUX POT À UNE CROUPE NEUVE,

PYRRHUS TROP HÉSITANT, PALINODIE CRUELLE,

DEVANT UN NŒUD GORDIEN QUI N'EST QU'UNE FICELLE,

VA PÉRIR SOUS LES COUPS D'UN ORESTE DÉMENT,

COUSIN GERMAIN TROP MAL AIMÉ, TROP MAL AIMANT,

D'HERMIONE QUI VEUT DE L'AUTRE LA CONQUÊTE

ET PAR SES OUI-MAIS-NON LUI FAIT PERDRE LA TÊTE.

L'ENGRENAGE EST LANCÉ ET SUR PYRRHUS SANGLANT,

HERMIONE SE TUE,

ANDROMAQUE TRIOMPHE,

ORESTE FAIT SA MALLE

ET LE RIDEAU DESCEND.

 

CRITIQUE ( TRÈS INJUSTE ...):

                                                                             Peut-on encore aujourd'hui jouer Racine? La question se pose après la représentation. La critique du montage de Stéphane Braunschweig  (Le Masque et la Plume, Le Monde, Le Figaro, pas mal d'autres consultés ... ) est bonne, très bonne même. Et pourtant. Un grand disque au sol, spongieux, imbibé d'eau, couleur sang, et quatre acteurs principaux: Bénédicte Cerutti (Andromaque), Chloé Réjon (Hermione), Alexandre Pallu (Pyrrhus) et Pierric Plathier (Oreste). On lit dans Les Echos : "Tous s'affrontent comme des soldats ivres de passion, de jalousie et de ressentiment. Stéphane Braunschweig a choisi d'aborder Andromaque (1667) comme une pièce de guerre, de fouiller les plaies ouvertes de la tragédie de Racine et d'exprimer toute la sauvagerie nichée derrière l'élégance des alexandrins." Ah bon?

Alexandre Pallu qui apparaît plutôt retour de Woodstock que du sac de Troie s'installe immédiatement comme une sorte d'anti-personnage. Vu de haut (deuxième balcon de face, première rangée), calvitie en marche, cheveux longs filasses, vêture clochardisée, on cherche dans ce quadra qui fait quinqua le fils triomphant d'Achille dont on ne peut croire que celui-ci, nécessairement cacochyme vu l'âge du fils, brillait encore deux ou trois ans plus tôt par ses exploits guerriers, terrassant en particulier un valeureux Hector paradoxalement jeune et pourtant du même âge que lui, père du petit Astyanax dont ce Pyrrhus-Pallu pourrait être grand-père. Il y a là un sac de noeuds chronologique qui ébranle fortement les fondations de la représentation. 

Après les terribles massacres perpétrés lors de la prise de Troie consécutive à la ruse du Cheval éponyme dans le ventre duquel il était, épouvantable bain de sang où il prit plus que sa part, égorgeant le vieux roi Priam et sa plus jeune fille, Polyxène, coupable d'avoir aimé son Achille de père et par avance esquissé la possible union d'une troyenne (Polyxène avant Andromaque) et d'un grec (soit papa avant lui), jetant du haut des tours un bébé innocent substitué par sa mère à Astyanax, fils d'Hector,  Pyrrhus-Pallu, dégrisé, nous arrive frappé d'une fatigue immense et d'une sorte de syndrome de Stockholm, passé sous la coupe d'Andromaque, prêt à toutes les trahisons, et surtout semble-t-il à faire la sieste. Un sursaut, acte 3, scènes VI et VII. Se jetant à quatre pattes dans la flaque de sang scénique aux pieds d'Andromaque, le comédien éclaboussé-éclaboussant donc réveillé parvient quelques instants à une forme de vérité expressive qui le rapproche du texte.

Tout le monde récite et on s'ennuie un peu. Oreste mollassonne sa passion pour Hermione, grand hésitant, partant battu, guère foudre de guerre, amoureux maladroit, échine courbée, incertain, "oui sans doute j'y vais" puis "merde j'y comprends plus rien". On démêle mal chez lui la différence entre "Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?" et "Non mais, Allo, quoi!" façon Nabila.

Baudelaire a commis dans Le cygne, un assez mauvais quatrain sur Andromaque :

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée

Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,

Auprès d'un tombeau vide en extase courbée,

Veuve d'Hector hélas, et femme d'Hélénus.

Cela ne vaut pas tripette et en plus, il faut expliquer Hélénus, qui serait un troyen faisant partie du lot (du butin) attribué à Pyrrhus et qui aurait épousé Andromaque après la mort de celui-ci, s'attachant avec elle à reconstituer une petite communauté troyenne en Epire (Pyrrhus était roi d'Epire). Glissons.

Andromaque vaut mieux que ça et seul, l'incipit octosyllabique du poème de Baudelaire, lui rend sa dimension dans sa nudité: Andromaque je pense à vous. Moi aussi. Et je me suis toujours demandé si, victime de ce penchant des femmes pour les vainqueurs, l'Andromaque racinienne n'était pas intérieurement sensible à cette bravache hellène qui avait égorgé sa famille et se jetait maintenant à ses pieds quand elle lui dit :

Vous ne l'ignorez pas, Andromaque sans vous

N'aurait jamais d'un maître embrassé les genoux.

(...)                Je me suis quelquefois consolée

Qu'ici plutôt qu'ailleurs le sort m'eût exilée ;

Qu'heureux dans son malheur, le fils de tant de rois,         (elle parle de son fiston)

Puisqu'il devait servir, fût tombé sous vos lois.

                                                                                 Depardieu dirait : La salope!

Bénédicte Cerutti est assez neutre. Ce qu'elle fait est à peu près atone, mais le texte ne la porte pas. Sa retenue est un choix peu spectaculaire. Pourrait-il  s'expliquer par une hésitation intime? C'est un personnage qui devrait être, dans ce sens, davantage travaillé.

L'Hermione de Chloé Rejon manque par trop de folie. Voilà, Oreste et elle, un couple de cinglés. On n'en sent rien. J'en veux pour preuve son "Qui te l'a dit?", réplique d'une densité dramatique exceptionnelle et qui a, de façon affligeante mais révélatrice, provoqué l'hilarité de la salle. Elle exigeait sa sidération!

Il faudrait tout reprendre. La direction d'acteurs de Stéphane Braunschweig les a fourvoyés. Rattrapable pour Oreste et les deux femmes, qu'on sortirait énergiquement de la narcolepsie, l'affaire exigerait un traitement plus drastique pour Pyrrhus dont la nécessaire incarnation par un physique juvénile à la musculature fringante semble peu compatible avec l'attribution du rôle à Michel Houellebecq.

20 octobre 2023

SAMUEL PATY, DOMINIQUE BERNARD, L'ECOLE

         Samuel PatyDominique Bernard

 

La mort de Samuel Paty le 16 octobre 2020 a été un choc sans précédent auquel l'Etat n'a pas alors, ni depuis, su répondre. Celle de Dominique Bernard, le 13 octobre dernier, vient nous le rappeler. Dans les deux cas, les congés de Toussaint jetteront sur le drame les prémices du retour à l'inaction. Une légion d'honneur accrochée au cercueil et bienvenue à la reprise de la routine.

Derrière ces drames, individuellement épouvantables, l'inaptitude et l'incapacité de l'Etat à saisir la portée réelle de la question éducative veillent, dans le souci maintenu de la poursuite du même, tant les effraie la perspective des nécessaires renouvellements, la perspective de l'indispensable reconstruction exhaustive d'un système de formation dont ces morts terribles ne sont que l'un des aspects marginaux de l'échec global.

Même au niveau des symboles, le compte n'y est pas. En octobre 2020, il me paraissait évident que Samuel Paty exigeait un deuil national de quelques jours et l'obligation pour tous les élèves et les personnels des établissements d'éducation du port dans l'enceinte de ces établissements d'un brassard noir jusqu'aux congés de Noël. Cette exigence, devant les inerties qui ont suivi, est aujourd'hui usée.

Il faut pourtant, dans de telles circonstances, une réaction absolument collective et absolument forte, immédiatement symbolique, puis obstinément fonctionnelle, témoigner du choc, analyser sa portée, dégager les axes d'une réponse, mobiliser les moyens, déclencher la réplique.

Une action aujourd'hui de court terme symbolique et efficace - On ne peut pas continuer "comme avant", on ne peut plus continuer "comme ça"  - peut être de banaliser dans tous les établissements publics et sous contrat  les sept matinées de lundi du deuxième demi-trimestre qui va commencer le six novembre, pour les consacrer à une prise de parole encadrée des élèves. On peut imaginer un dispositif demandant la présence effective de tous les personnels enseignants afin de garantir un minimum de deux interlocuteurs adultes par classe. L'échange serait à centrer sur l'actualité du monde comme il va, proche ou lointain, à partir des événements de la semaine précédente et en l'adossant d'abord aux interrogations des élèves. L'établissement est une communauté éducative qui, à travers les élèves, s'élargit aux parents, et c'est dans un tel dialogue régulier que peuvent et s'installer la prise de conscience collective des problèmes et se cerner les blocages individuels à traiter. On parle à tout propos de libérer la parole.  À l'école aussi une part des problèmes est là, et il ne faut pas en avoir peur.

Au-delà … tout restera à faire. Nous sommes des spécialistes des pleurs et des hommages. Ils ne rebâtissent rien. À chaque problème, nous appliquons une rustine. Il faut repenser l'édifice dans son ensemble. Le suggérer, puis esquisser des pistes, c'est s'assurer qu'on ne sera pas écouté tant l'immensité de la tâche décourage le politique. Elle excède notablement la responsabilité gestionnaire d'un ministre. Elle exige l'engagement total de l'Etat. Peut-on imaginer, quand seront retombés les youyous des pleureuses, un programme pour 2027 qui ne soit que cela : Reconstruire la Nation et Construire l'Avenir par la Reconstruction de l'Ecole?

29 mars 2023

COLETTE DU TEMPS DE CLAUDINE

CL à l'ECl à PCl en MCl s'en va

La M de Cl En attendant mieux, un petit tour du côté de Claudine dans AutreMonde: http://ednat.canalblog.com ...

Publicité
Publicité
22 février 2023

PROUST ECRIVAIN - COLL. AU COLL. DE FRANCE.

 

Proust écrivain

Colloque organisé par Antoine Compagnon et Matthieu Vernet.

https://www.college-de-france.fr

Référence directe:  https://www.college-de-france.fr/agenda/colloque/proust-ecrivain

C'était les 19 et 20 janvier derniers, sous la houlette d'Antoine Compagnon (et alii).

J'ai eu, dans un emploi du temps chargé, l'opportunité d'aller entendre A.C. le vendredi mais ensuite, tranquillement, par petits bouts, j'ai tout écouté sur internet, prenant, sans aucun souci de restitution, quelques notes correspondant seulement à l'humeur d'un ressenti d'observation . C'est un petit vrac d'impressions décousues qui me fera un souvenir. Voici.

 Antoine Compagnon assure brièvement le lancement, aimable et comme à l'accoutumée, tiré à quatre épingles. Son ambition, dans le rapprochement qu'il fait avec le colloque Proust à l'ENS  de janvier 1972 qui fut (il était élève en deuxième année à l'Ecole Polytechnique) sa première expérience du genre et dont la table ronde conclusive rassemblait entre autres Gérard Genette, Jean-Pierre Richard, Roland Barthes et Gilles Deleuze, me semble une très audacieuse gageure. De Genette d'ailleurs, il reprend sans le dire le résumé admirablement lapidaire de la Recherche, l'intégrant dans l'objectif collectif de ces quarante-huit heures qu'il ouvre, indiquant qu'il s'agira ici collectivement de tâcher de montrer et de comprendre comment Marcel devient écrivain.

Emmanuelle Kaës, université de Tours, assure l'entame.

Survol des années d'école de Proust. Le niveau de sa production scolaire est étonnant, ponctué par les critiques excessives et assassines d'Alphonse Darlu qu'il eut à Condorcet en Philosophie. Le niveau de réflexion, la fermeté de pensée de ce lycéen sont fascinants dans leur incroyable maturité.

Mais ... la jeune universitaire ouvre la liste des lecteurs d'exposé qui ne laissent pas à la pensée de l'auditeur sa place, dans un déroulé de la réflexion qui n'autorise pas la compréhension complète. Festina lente ! Mais non, "ils" en sont (presque) tous là. On a préparé, on expédie, on galope.   

Jean-Yves Tadié (qu'on ne présente pas à des proustiens) suit. Intitulé provocateur : Proust champion de la phrase courte. Il ne cesse d'envoyer des piques - parfaitement à l'aise et nageant dans Proust comme un poisson dans l'eau - à travers quelques allusions, parfois transparentes, aux effondrements du temps (né en 1936), ainsi lors d'une remarque générale sur les coupables de certaines défaites du style,  prix Nobel compris (Annie Ernaux, of course, je bois du petit lait). Il pétille d'humour, un peu desservi par une émission phonique à géométrie variable. Cette histoire de phrase courte me fait penser que je viens de lire une récente réédition d'un petit livre de Florence Delay - collègue d'A.C. à l'Académie française et ma voisine d'immeuble, ce qui fait de moi un lecteur contraint - titré Zig-zag, consacré à la forme courte (sentences, aphorismes, maximes, mots, traits, formules ...) dont je n'ai pas cerné la nécessité. Passons.

Christophe Pradeau, qui vient d'obtenir son habilitation à diriger des recherches est l'intervenant suivant. Un cours sérieux mais trop lu, bien construit mais trop magistral, qui suit les apprentissages de Proust dans des revues. Ça va trop vite. On écoute mais on reste en surface. Faiblesse aussi de l'auditeur qui perçoit néanmoins un parcours, un cheminement, la voie vers le roman, la trajectoire.

Relais passé à François Proulx. Université de l'Illinois, celle même de Philip Kolb. Les amis d'écriture. Soit. Jeune. Très bon français avec léger accent outre atlantique. Il lit, of course hélas, son exposé mais c'est tout à fait intéressant, peut-être insuffisamment réorganisé, structuré, réarticulé en raisonnement. Je crois comprendre qu'il s'agit de souligner un processus  au long duquel Proust part de projets d'écriture à vision collective qui échouent successivement mais par un phénomène de resserrement progressif vont converger vers l'auteur unique, solitaire. On pointe là-dedans un virage : 1906.

Gisèle Sapiro , à peu près l'âge de ma fille. ENS Lyon, agrégation de Lettres modernes, sociologue école Bourdieu. Trop rapide. Je glane deux dates et trois nombres : Académie française fondée en 1635, Académie Goncourt en 1903. Tirages l'année du Goncourt de Proust, 1919 : A l'ombre des jfef... 6600; Les croix de bois, 40 000; L'Atlantide, 150 000. Effectivement ! L'exposé est très intéressant, mais ça sprinte à l'excès.

Francesca Lorandini arrive d'Italie, l'accent de charme en bandoulière. Elle lit mais de façon assez vivante là où d'autres débitent. Agréable. L'exposé me semble court et reste plus sur la description extérieure du parcours de réussite de Proust sur le chemin de la notoriété que sur son explication, ou alors en mettant en avant ses techniques de réseautage et d'invitations mondaines. Alors, en quelque sorte, il s'infiltre. Cela dit, on ne voit pas du coup la montée d'un talent. Et elle ne parvient pas à rebondir sur les questions de Christophe Pradeau.

Matthieu Vernet , maître de conférences à la Sorbonne et que j'ai vu sauf erreur en collaborateur tout au long des années d'enseignement d'A.C. au Collège. Aisance moyenne dans l'exposé. L'impression d'avoir suivi avec intérêt et la certitude qu'il ne m'en restera rien. Le questionnement à suivre de Christophe Pradeau est assez pénible dans ses hésitations d'expression. C'est étonnant comme ces spécialistes sont peu à l'aise dans l'ensemble avec l'oral. Il vaut mieux qu'ils se cantonnent à leur Olympe, dans une classe de lycée, ils se feraient laminer!

Françoise Leriche n'est plus professeur à l'Université de Grenoble . Spécialiste de la correspondance de Proust. Comment Proust récrit la genèse de son oeuvre et construit son propre mythe dans ses lettres. Ouf!

Qu'est-ce que c'est que ça s'il vous plaît? C'est le titre (Cyrano de Bergerac - Rostand) . Je n'ai pas pu résister.

L'expression accroche. Donc, Proust s'est forgé volontairement d'abord une image de grand malade qui va se retourner contre lui après le Goncourt de 1919. Il craint alors de passer pour décadent, sensible qu'il est aux attaques du camp Dorgelès et s'affirme maintenant moins reclus, moins souffreteux. Il veut devenir visible et qu'on le reconnaisse comme un dreyfusard de la première heure, engagé, actif ! Il va s'attacher à créer un mythe générique, martelant que son ouvrage est composé avec rigueur, et de longtemps achevé, d'avant guerre même, la fin rédigée avant le début, le dernier chapitre avant le premier (ou juste après, il fluctue selon l'interlocuteur). Intéressant. Intéressé.

Adam Watt, professeur à l'Université d'Exeter. J'ai été très intéressé et .. je n'ai rien noté! Son accent le catalogue agréablement mais son français est excellent. Une petite confusion au passage entre adhésion et adhérence. On avait rectifié.

Nathalie Mauriac-Dyer, directrice de recherche au CNRS. Son élocution un peu hésitante manque de dynamisme. Dommage. Le discours autour des Sentiments filiaux d'un parricide est assez tâtonnant . Finalement, de quoi faut-il frémir? C'était l'intitulé de l'intervention: Frémir en 1907. Elle s'en est expliquée. Plus prémices de la Recherche que frisson d'horreur devant l'acte de HVB. Du coup je suis allé relire l'article de Proust. Et il ne m'inspire pas grand-chose, sinon un étonnement certain devant cette sorte de plaidoirie en défense au bénéfice d'un meurtrier qui n'aurait eu que le tort d'assumer en un instant le lent assassinat de toute mère par tout fils. Le paradoxe n'est pas soutenable. HVB a bien fait de se tuer.

Le court échange qui suit l'exposé, avec Matthieu Vernet et A.C. est presque plus éclairant que l'exposé lui-même. J'y apprends anagnorisis (ἀναγνώρισις), découverte tardive d'une identité que l'on n'a pas su percevoir de prime abord. Et que cet article est à considérer, le premier geste d'écriture après la mort de sa propre mère, comme fondateur dans le parcours de Proust vers le roman.

Max McGuiness est Teaching fellow à l'Université de Dublin. Encore un francophone émérite avec pointe d'accent britannique. J'admire ces performances linguistiques, moi qui peine tant à indiquer aux touristes anglais dans leur langue le chemin du Panthéon quand, m'arrêtant sur le Boul'mich, ils me le demandent!

Proust et la bataille journalistique. Je ne retiens pas grand-chose sinon que le fond de la querelle semble l'accusation faite à Proust de ne remplir la Recherche que de l'accumulation de broutilles tirées de sa propre vie mondaine. Je n'ai pas dû être attentif et je soupçonne quelques injustes somnolences devant l'iMac.

Elisabeth Ladenson enseigne à Columbia University. Son intervention est un bonheur tant elle tranche, bien qu'elle lise,  par son allant, son humour, sa vivacité. Son français accentué à l'américaine est impeccable. Une impression de grande fraîcheur, c'est dynamique et enlevé! Un plaisir. Proust et les écrivaines? On s'en fout un peu. Ce qui compte, c'est la savante gaîté de l'intervenante.

Paola Cattini lui succède qui enseigne à l'Université Roma III. Plutôt jeune et un très bon français teinté d'accent italien. Hélas, je me suis un peu assoupi dans une atmosphère d'exposé qui me semblait pourtant intéressante. Il y a eu ensuite une ou deux questions, mais je n'étais pas entièrement réveillé. Proust botaniste et mystique. Je suis passé à côté.

Dernier intervenant, Antoine Compagnon himself. Mort à jamais? Qui peut le dire? A.C. est toujours à ce point impeccablement semblable à lui-même que chaque fois qu'il intervient, c'est curieusement au tombeau d'Edgar Poë que je pense : Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change. Je le vois professer au Collège de France depuis 2005. Il semble inaltérable. L'image de Barrès, notre jeune homme, c'est aussi un peu lui. Son exposé est intéressant. Avec la fascination de penser que le jour même de sa mort, Proust dictait encore à Céleste des ajouts sur celle de Bergotte (témoignage de François Mauriac). Comme JY Tadié avait taclé Annie Ernaux, A.C.  ramène allusivement d'entre les morts François Mitterrand et les forces de l'esprit auxquelles celui-ci se référa lors de son ultime intervention télévisée.

Je suis surpris du repentir qu'il formule à propos de la lecture qu'il estime aujourd'hui erronée (et à laquelle il associe Matthieu Vernet) d'un passage  manuscrit de Proust ...

Le QUI erroné... où, pour l'édition des essais dans la Pléiade, ils ont lu un pendant que lui est laissée (...) une oeuvre éternelle aussi, rectifié ci-contre.

Sur le manuscrit projeté, il ne semble pourtant pas y avoir d'ambiguïté de forme. De sens c'est autre chose, et peut-être la cause de l'hésitation. Avec aussi cette question : Faut-il une suspension, fût-elle provisoire, du matérialisme pour travailler à la production d'une oeuvre éternelle? 

Est évoquée enfin la localisation incertaine du petit pan de mur jaune dans le tableau de Vermeer que Proust n'a vu qu'en mai 1921, ce qui fait de la mort de Bergotte un additif rédactionnel très ultime.

Petit pan de mur jaune

Et j'en passe, la mort d'Elstir, celle de Vinteuil, les trois grands artistes de la Recherche. Bien.

La table ronde enfin et ses preux chevaliers : Alain Finkielkraut, Philippe Lançon, Nathalie Azoulai, Yannick Haenel.

Je trouve A.C. très maladroit - il lance l'affaire - lorsqu'il présente Nathalie Azoulai comme un second choix, faute d'avoir obtenu l'accord d'Annie Ernaux, qui pour refuser s'est abritée derrière une antérieure participation (le 19 février 2013) à son  séminaire centrée sur le personnage de Françoise. Ledit second choix d'ailleurs le relève, probablement un peu vexée. Un peu agaçante peut-être d'ailleurs, Nathalie Azoulai, dans son propos liminaire, ramenant trop Marcel à elle qui au fond ne l'a lu que deux fois (!).

 Finkielkraut est touchant, qui prend la parole avec une sincérité un peu hallucinée pour quelques mots sur l'amour et le désaccord de Proust et d'Emmanuel Berl. Je le trouve vieilli, ce sempiternel colérique, condamné - handicapé par une perte d'audition que ne parvient pas à compenser entièrement Matthieu Vernet qui s'est placé à sa droite pour jouer les amplificateurs - à quelques décalages à la fois un peu attristants et comiques. La disposition en ligne des quatre intervenants ne lui facilite pas la tâche. Pour une table ronde, il aurait mieux valu une table vraiment ronde!

 Yannick Haenel fait une belle et audacieuse intervention qui souligne et surligne sexe et sensualité dans la Recherche, mettant au fil de ses trois lectures (à 18 ans, à 30 ans, à 55 ans) le projecteur sur un cunnilingus de berge de fleuve apprécié  d'Albertine, sur la découverte avec Gilberte des sources de la Vivonne au début du Temps retrouvé avec petit lavoir et effervescence de bulles,  enfin sur le jet d'eau éjaculatoire d'Hubert Robert à la soirée Guermantes. Dans la suite, il réinterviendra excellemment, avec une richesse d'images et de vocabulaire réjouissante, trouvant avec aisance  les meilleurs chemins d'expression juste de sa pensée.  Et puis cette notation décisive à laquelle j'applaudis des deux mains: chez Proust, c'est le bruissement de la phrase qui compte.

 Jolie et très personnel enchaînement de Philippe Lançon qui s'efforce de lier son expérience en chirurgie (de fait l'impact du drame de Charlie hebdo) avec d'autres aspects de sa vie dans la lumière réfléchie par la Recherche sur son vécu, la découvrant et la lisant dans la bibliothèque de ses parents, dans sa chambre d'étudiant ... Il livre une sorte de témoignage sur le thème "ma vie réfléchie par Proust". Saisissant.

 CONCLUSION ? Rien de l'ordre du savant, mais dans ce défilé de personnalités, sous les contraintes de l'exercice, il est amusant de voir combien  se seront détachés pour moi et que je ne connaissais pas, Elisabeth Ladenson pour cette sorte de sincérité sans fard hésitante et parfois d'expression malhabile qui a donné à toutes ses prises de parole, outre son exposé (on l'a un peu vue en maître de cérémonie à moment donné), une très rafraîchissante projection, et Yannick Haenel, pour son brio. Touché aussi par Philippe Lançon. Et puis je ne dirai rien de plus, tant depuis 2005 j'en ai dans mes comptes-rendus de leçons trop dit, d'Antoine Compagnon, qui soudain, image curieuse, m'apparaît au milieu de cette galerie de portraits avec des aspects de ce déphasage qui marquait tant, dans quelque contexte qu'il fût, à l'écran, Paul Meurisse.

21 décembre 2022

MAIS ENCORE !!

 

Ernaux

Ceci n'est pas un film. Et je n'en ferai pas une chronique. Mais quand même ...
Annie Ernaux, qui poursuit avec le succès nobélisé déjà dénoncé son entreprise sidérante de promotion de la médiocrité en littérature nous livre ici, assorti d'un commentaire fleurant bon la nostalgie de comptoir, un montage d'archives familiales de mauvaise qualité, remarquable par sa banalité absolue. Endossant le rôle de la récitante, elle y distille sur un ton lugubre l'habituelle et lancinante litanie de ses frustrations, précédées de nouveau de son affligeant Montjoie! Saint-Denis! personnel : Venger ma race!
Annie Ernaux, on l'aura compris, me donne des boutons et me procure à chaque nouvel opus la satisfaction masochiste d'aller les gratter jusqu'au sang.
9 décembre 2022

ANNIE ERNAUX DANS SON TEXTE

Annie Ernaux

 

Venger ma race! … Ô l'absurde vouloir! Annie Ernaux, aureolée de Nobel,  a donc consacré ce mercredi 7 décembre, à Stockholm, son discours de réception à la justification de cette clameur guerrière et dérisoire, pimentée au titre de variante comme de complément d'un aussi sot Venger mon sexe!

Navrants slogans.

La médiocrité était ainsi à l'honneur en Suède et l'universalisme se perd. Annie Ernaux ne sait pas s'arracher au remâchement, à la sempiternelle rumination d'aigreurs personnelles accumulées tout au long d'un parcours qu'elle réduit à la marche victimaire d'une mal née, au mauvais endroit, dans le mauvais milieu, héritière malgré elle de ce qu'elle veut décrire comme une longue lignée d'humiliés, de ceux qu'elle s'acharne à présenter comme tels là où pourrait se lire noblesse, courage et même grandeur des petites destinées.

Étonnant discours, morne et plat, qui égrène et redit et s'afflige. Moi et mon triste destin, moi écrasée par le couple, la maternité, l'enseignement, l'intendance, moi et ma déchirure sociale, et puis, soudain, moi et mon sursaut, ma nécessité de dire, de témoigner, moi, la transfuge de classe salvatrice, moi qui vais donner aux exclus qui m'ont précédée et engendrée cette parole qu'ils n'ont pas eue et pour cela, enfin, moi qui vais parler … de moi.

Annie Ernaux a réussi cette prouesse de mener au plus haut une carrière littéraire tout entière vouée au touillage continuel d'un même fond de vieilles rancœurs existentielles tristement comme fréquemment relevé de quelques confidences et souvenirs sexuels délavés.

Pas de quoi nobéliser !

Son discours (positivement présenté) est ICI :

Prix Nobel : Écrire pour "Venger ma race et venger mon sexe", le discours poignant d'Annie Ernaux

" Par où commencer ? Cette question, je me la suis posée des dizaines de fois devant la page blanche. Comme s'il me fallait trouver la phrase, la seule, qui me permettra d'entrer dans l'écriture du livre et lèvera d'un seul coup tous les doutes. Une sorte de clef.

https://www.telerama.fr

 

7 septembre 2022

RELIRE "LE LYS DANS LA VALLÉE"

                       Balzac & Laure de Berny

Quand Balzac rencontre Laure de Berny, en 1821, elle a réellement le double de son âge et neuf enfants. Qu'il en ait découlé une passion partagée laisse sans voix. Et pourtant, ce grand amour fut et dura, sous une forme apaisée, jusqu'à la fin de La Dilecta à 59 ans, quand Honoré en avait 37.

Il y a un peu, beaucoup, de ces amours, au-delà d'extraordinaires transpositions, tout au long du Lys. J'ai adoré le roman à l'adolescence, lu en classe de seconde il me semble. Un enthousiasme auquel inconsciemment j'ai peut-être dû de tomber amoureux, la trentaine arrivant, d'une Henriette qui passait par là et à qui j'en ai imposé la lecture. Elle a résisté fort heureusement beaucoup mieux que Mme de Mortsauf à l'aventure.

Se replonger dans le livre plus de soixante ans plus tard est une expérience, et d'abord un profond étonnement. Comment se passionner à seize ans pour cette longue histoire, dont le narratif se réduit à peu de chose et qui se déploie dans de prodigieuses descriptions de bouquets floraux et de paysages de la Touraine alternant avec des discours boursouflés de bondieuseries et de vertu sublime? Et pourtant, le lycéen que j'étais y fut pris, ce dont le vieux lecteur que je suis ne se remet pas. Qu'est-ce donc qui m'a tant saisi, de cette scène liminaire au bal du duc d'Angoulème, devant ces "pudiques épaules qui avaient une âme" sur lesquelles Félix de Vandenesse se jette follement? Cette folie même peut-être? Je ne sais, mais cette audace insensée qui aura tant de conséquences m'avait plu. Le reste a suivi.

Les psychologies, là-dedans, ont-elles quoi qu'il en soit une réelle épaisseur? Tout est à ce point hypertrophié en même temps que schématisé, les comportements réduits au fond à peu de traits et victimes d'enflure, que l'on peine à lire là des réalités dans leurs inévitables hésitations, dans leurs fatals louvoiements. Les chairs, quoi qu'il en soit dit, ne frémissent pas, et les pensées restent figées dans des stéréotypes. Le temps passe, rempli de vide; Félix, à Clochegourde, aime, et ce n'est qu'un mot; Henriette n'est qu'une statue réservée, mystérieuse et au fond creuse, un mythe qui ne tient debout que parce qu'il ne s'engage rien. Peut-être est-ce le comte de Mortsauf, dans sa folie, qui est le plus humain, le plus incarné, le plus palpable. Lui au moins bouge, vit, au milieu de ses permanentes jérémiades. Les autres sont des figures, agissent en fonction de schémas convenus, confinent à l'archétype. Balzac essentialise, lady Dudley est d'abord anglaise et ensuite seulement elle-même, Henriette est elle-même, mais aussi la femme française, à l'opposé de l'anglaise, plus profonde et plus retenue et ça nous fait des pages, et ça nous fait des pages ... Les curés sont de saints hommes et les médecins sont profonds, justes et bons, etc. A y repenser, livre fermé, tout cela sonne bien faux . Le bon sens de Natalie de Manerville, destinataire de cette longue confession qu'est le Lys et qui renvoie le jeune Vandenesse, maintenant trentenaire et son larmoyant amant, à ses pusillanimités un peu vaines et pleines d'amour de soi, clôt judicieusement par une fin de non recevoir l'affaire.

La réalité de l'attachement bien terrestre de Balzac et de Laure de Berny, dans le soutien qu'elle lui a apporté, dans la tendresse qu'il lui a maintenue, vaut mieux que les flots éthérés de la passion non dite et non vécue de Félix et d'Henriette, noyée sous le torrent d'eau bénite de  leurs grands emportements, à l'inutile et absurde poursuite d'un rêve maintenu parce qu'inabouti. Sot Félix et pauvre Henriette.

22 juin 2022

WESTERNS ...

Haycox

C'est une relecture (cf. mon blog AutreMonde, article: En attendant Pap Ndiaye). Et j'ai bien fait. Le western est un genre difficile à l'écrit et autant j'ai, plus jeune, été passionné par sa représentation à l'écran, autant j'en ai assez peu lu. Un genre d'ailleurs qui a connu  un terrible passage à vide après l'acmé Sergio Leone sans pour autant négliger quelques magnifiques rebonds et, dans un renouvellement du style, par exemple, le formidable Little big man d'Arthur Penn, le très beau Danse avec les loups de Kevin Costner, les contributions d'Eastwood, Pale Rider, Impitoyable ou d'Ed Harris, Appaloosa. Mais côté bouquins, j'avais le sentiment d'un désert littéraire jusqu'à la découverte du magnifique Faillir être flingué, de Céline Minard, publié en 2013 chez Payot-Rivages, une épatante réussite.

Je raconte mal et ce n'est pas tout à fait ça. La véritable affaire, je la dois à Appaloosa. Le roman éponyme de Robert B. Parker a été une lecture d'été d'Ed Harris dans les années 2000. Il s'est entiché des personnages et des situations au point de vouloir les porter à l'écran, ce qu'il a fait, réalisé et interprété, embarquant dans l'aventure Viggo Mortensen, Jeremy Irons et Renée Zeilweger. J'ai été emballé dès la sortie et j'ai voulu remonter à la source, l'Appaloosa de Robert B. Parker. C'est le premier volume d'un cycle consacré à Virgil Cole et Everett Hitch, deux fines gachettes qui louent à des fins d'ordre public leurs compétences complémentaires aux municipalités en quête de marshals. Le cycle se poursuit avec Brimstone, Resolution et s'achève avec Blue eyed devil, pour cette simple raison que la mort de l'auteur, en 2010, a écrit le mot fin.

Ce n'est pas de la grande littérature, mais c'est formidablement attachant. Il y a là un mystère, tant le style est plat, sans effets, avec un vocabulaire simple, et une avancée essentiellement fondée sur des dialogues entre les deux héros où le "il dit / je dis" (c'est Hitch, le narrateur) est la cheville essentielle. Mais voilà, une petite magie opère, sans doute parce qu'il y a dans la personnalité des deux héros et dans la figure féminine qui s'y raccroche, Allie French, antihéroïne inattendue et omniprésente, la construction d'un groupe tragique constamment confronté à un destin qui n'est pas sans analogie avec celui de Sisyphe et qui, sous le convenu des classiques situations du western, introduit des affrontements psychologiques à l'originalité réelle et souvent touchante. Il n'y a pas à ce jour de traduction disponible.

Je m'y étais collé au début des années 2010, mais je n'avais sans doute pas heurté à la bonne porte et ma version de la quadrilogie est encore dans mes tiroirs. J'ai même écrit le cinquième volet, car il ne me semblait pas possible que Virgil Cole puisse survivre à son auteur et j'ai rédigé pendant l'été 2015 (ou 2016?), dans le sud de la France, un Hitch & Cole terminal sous la quasi dictée de Robert B. Parker.  

Dans les ressassements des confinements covidés de 2020, je suis un peu revenu là-dessus et c'est sans doute alors qu'à la lecture d'une interview ancienne de Bertrand Tavernier, j'en suis arrivé à Ernest Haycox et à ses Clairons dans l'après-midi, lus puis jusqu'à ces dernières semaines, oublié.

Je ne me souvenais même pas de l'articulation de la ligne narrative autour de la figure de Kern Shafter, pion obscur de la campagne déplorable qui conduira Georges Armstrong Custer à la tragédie de Little Big Horn, mais héros complexe au centre ou témoin de conflits individuels  qui dressent une peinture profonde des conditions de vie d'une compagnie militaire, dans l'hiver du Dakota,  au coeur d'un fort en territoire hostile. On entre là-dedans et on y reste ...

Indiscutablement, un riche et beau roman.

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 > >>
Mémoire-de-la-Littérature
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité