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Mémoire-de-la-Littérature
11 décembre 2023

ANDROMAQUE - RACINE - THÉÂTRE DE L'ODÉON

Capture d’écran 2023-12-11 à 17

Résumé de la pièce:

LA VEUVE DE TOTOR A BIEN DU CARACTÈRE

ET VEUT SAUVER LE FILS SANS INSULTER LE PÈRE.

MAIS PYRRHUS DONT LE SORT DE TOUS LES DEUX DÉPEND

PYRRHUS, ÉNAMOURÉ OBSESSIONNELLEMENT

DE LA BELLE TROYENNE À SES ARDEURS RÉTIVE

ET QU'IL VEUT SE TAPER PUISQU'ELLE EST SA CAPTIVE,

EMPÊTRÉ D'UNE HERMIONE AUX EXIGEANTS PENCHANTS

QUI N'EN A QUE POUR LUI ET GÉMIT CONSTAMMENT

QUAND IL FAIT LA GIROUETTE AUX HUMEURS DE LA VEUVE,

PRÉFÉRANT UN VIEUX POT À UNE CROUPE NEUVE,

PYRRHUS TROP HÉSITANT, PALINODIE CRUELLE,

DEVANT UN NŒUD GORDIEN QUI N'EST QU'UNE FICELLE,

VA PÉRIR SOUS LES COUPS D'UN ORESTE DÉMENT,

COUSIN GERMAIN TROP MAL AIMÉ, TROP MAL AIMANT,

D'HERMIONE QUI VEUT DE L'AUTRE LA CONQUÊTE

ET PAR SES OUI-MAIS-NON LUI FAIT PERDRE LA TÊTE.

L'ENGRENAGE EST LANCÉ ET SUR PYRRHUS SANGLANT,

HERMIONE SE TUE,

ANDROMAQUE TRIOMPHE,

ORESTE FAIT SA MALLE

ET LE RIDEAU DESCEND.

 

CRITIQUE ( TRÈS INJUSTE ...):

                                                                             Peut-on encore aujourd'hui jouer Racine? La question se pose après la représentation. La critique du montage de Stéphane Braunschweig  (Le Masque et la Plume, Le Monde, Le Figaro, pas mal d'autres consultés ... ) est bonne, très bonne même. Et pourtant. Un grand disque au sol, spongieux, imbibé d'eau, couleur sang, et quatre acteurs principaux: Bénédicte Cerutti (Andromaque), Chloé Réjon (Hermione), Alexandre Pallu (Pyrrhus) et Pierric Plathier (Oreste). On lit dans Les Echos : "Tous s'affrontent comme des soldats ivres de passion, de jalousie et de ressentiment. Stéphane Braunschweig a choisi d'aborder Andromaque (1667) comme une pièce de guerre, de fouiller les plaies ouvertes de la tragédie de Racine et d'exprimer toute la sauvagerie nichée derrière l'élégance des alexandrins." Ah bon?

Alexandre Pallu qui apparaît plutôt retour de Woodstock que du sac de Troie s'installe immédiatement comme une sorte d'anti-personnage. Vu de haut (deuxième balcon de face, première rangée), calvitie en marche, cheveux longs filasses, vêture clochardisée, on cherche dans ce quadra qui fait quinqua le fils triomphant d'Achille dont on ne peut croire que celui-ci, nécessairement cacochyme vu l'âge du fils, brillait encore deux ou trois ans plus tôt par ses exploits guerriers, terrassant en particulier un valeureux Hector paradoxalement jeune et pourtant du même âge que lui, père du petit Astyanax dont ce Pyrrhus-Pallu pourrait être grand-père. Il y a là un sac de noeuds chronologique qui ébranle fortement les fondations de la représentation. 

Après les terribles massacres perpétrés lors de la prise de Troie consécutive à la ruse du Cheval éponyme dans le ventre duquel il était, épouvantable bain de sang où il prit plus que sa part, égorgeant le vieux roi Priam et sa plus jeune fille, Polyxène, coupable d'avoir aimé son Achille de père et par avance esquissé la possible union d'une troyenne (Polyxène avant Andromaque) et d'un grec (soit papa avant lui), jetant du haut des tours un bébé innocent substitué par sa mère à Astyanax, fils d'Hector,  Pyrrhus-Pallu, dégrisé, nous arrive frappé d'une fatigue immense et d'une sorte de syndrome de Stockholm, passé sous la coupe d'Andromaque, prêt à toutes les trahisons, et surtout semble-t-il à faire la sieste. Un sursaut, acte 3, scènes VI et VII. Se jetant à quatre pattes dans la flaque de sang scénique aux pieds d'Andromaque, le comédien éclaboussé-éclaboussant donc réveillé parvient quelques instants à une forme de vérité expressive qui le rapproche du texte.

Tout le monde récite et on s'ennuie un peu. Oreste mollassonne sa passion pour Hermione, grand hésitant, partant battu, guère foudre de guerre, amoureux maladroit, échine courbée, incertain, "oui sans doute j'y vais" puis "merde j'y comprends plus rien". On démêle mal chez lui la différence entre "Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?" et "Non mais, Allo, quoi!" façon Nabila.

Baudelaire a commis dans Le cygne, un assez mauvais quatrain sur Andromaque :

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée

Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,

Auprès d'un tombeau vide en extase courbée,

Veuve d'Hector hélas, et femme d'Hélénus.

Cela ne vaut pas tripette et en plus, il faut expliquer Hélénus, qui serait un troyen faisant partie du lot (du butin) attribué à Pyrrhus et qui aurait épousé Andromaque après la mort de celui-ci, s'attachant avec elle à reconstituer une petite communauté troyenne en Epire (Pyrrhus était roi d'Epire). Glissons.

Andromaque vaut mieux que ça et seul, l'incipit octosyllabique du poème de Baudelaire, lui rend sa dimension dans sa nudité: Andromaque je pense à vous. Moi aussi. Et je me suis toujours demandé si, victime de ce penchant des femmes pour les vainqueurs, l'Andromaque racinienne n'était pas intérieurement sensible à cette bravache hellène qui avait égorgé sa famille et se jetait maintenant à ses pieds quand elle lui dit :

Vous ne l'ignorez pas, Andromaque sans vous

N'aurait jamais d'un maître embrassé les genoux.

(...)                Je me suis quelquefois consolée

Qu'ici plutôt qu'ailleurs le sort m'eût exilée ;

Qu'heureux dans son malheur, le fils de tant de rois,         (elle parle de son fiston)

Puisqu'il devait servir, fût tombé sous vos lois.

                                                                                 Depardieu dirait : La salope!

Bénédicte Cerutti est assez neutre. Ce qu'elle fait est à peu près atone, mais le texte ne la porte pas. Sa retenue est un choix peu spectaculaire. Pourrait-il  s'expliquer par une hésitation intime? C'est un personnage qui devrait être, dans ce sens, davantage travaillé.

L'Hermione de Chloé Rejon manque par trop de folie. Voilà, Oreste et elle, un couple de cinglés. On n'en sent rien. J'en veux pour preuve son "Qui te l'a dit?", réplique d'une densité dramatique exceptionnelle et qui a, de façon affligeante mais révélatrice, provoqué l'hilarité de la salle. Elle exigeait sa sidération!

Il faudrait tout reprendre. La direction d'acteurs de Stéphane Braunschweig les a fourvoyés. Rattrapable pour Oreste et les deux femmes, qu'on sortirait énergiquement de la narcolepsie, l'affaire exigerait un traitement plus drastique pour Pyrrhus dont la nécessaire incarnation par un physique juvénile à la musculature fringante semble peu compatible avec l'attribution du rôle à Michel Houellebecq.

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