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Mémoire-de-la-Littérature
6 avril 2010

Séminaire Compagnon du 30 Mars 2010

Dominique Fernandez : Enquête sur le père.

Dernier séminaire de la session 2009-2010. Antoine Compagnon fera encore cours le 06 Avril, mais en solo. C’est Dominique Fernandez qui clôt le chapitre des invités. En dilettante, comme il se doit. Souriant, détendu, plaisant, presque juvénile. Il n’est pas là pour exposer, mais pour tenir salon. Il n’a pas révisé. La rafle du Vel d’Hiv ? En 41 ? Mouvements de protestation dans la salle. Ah, c’est 42 ? Oui, bon, 42. La presse ces derniers jours n’était remplie que de cela, du film de Rose Boch sur les événements des 16 et 17 juillet 1942. Pas fait attention sans doute… Et l’arrivée à Balbec de ce personnage de la Recherche, là, mais si, on ne connaît que lui, ah ! je n’ai plus le nom… On veut l’aider. Albertine ? Non, non. Charlus ? Non. Saint-Loup ? Oui, voilà, Saint-Loup. Il est un peu ailleurs, Fernandez. Il prépare un Dictionnaire amoureux de Stendhal. Il sort d’un Tolstoï. Et avant, objet surtout de la séance, il y a eu Ramon. Conversation à bâtons rompus avec un Compagnon ma foi presque fluide sinon naturel dans le questionnement.

J’ai déjà dit sur Ramon ce que je croyais avoir à en dire. La chronique est du dix janvier dernier. J’y renvoie. Dominique Fernandez ne va faire tout du long que reprendre, en s’en tenant le plus souvent à l’esquisse, diverses anecdotes du livre. Avec au passage un lapsus qui lui fait compter Paul Doumer au nombre des soupirants de la mère de Ramon, JeanneGenitrix dit D.Fernandez - quand il veut parler de Paul Deschanel. Conteur très plaisant, il devrait quoi qu’il en soit, je pense, s’être attiré à l’issue de cette séance quelques lecteurs supplémentaires.

Il y a eu aussi deux ou trois apports, en termes d’information.

Factuels, d’abord, sur la prochaine sortie du livre en édition de poche, avec des augments : Dominique Fernandez ne cesse depuis la parution de Ramon chez Grasset de recevoir des documents complémentaires apportés souvent par des internautes naviguant autour des thèmes du livre. Une démarche qu’il apprécie d’autant plus qu’il a horreur des bibliothèques et se garde bien d’y aller fouiner. Il a ainsi appris il y a quinze jours qu’après la Libération de Paris (le 24 août 1944), quatre ou cinq « types » ont débarqué rue Saint-Benoît avec l’intention de tuer Ramon … décédé trois semaines plus tôt. On lui a aussi dit qu’un mandat d’arrêt involontairement post mortem avait été délivré.

Quand il évoque la grande figure de Paul Desjardins, professeur à l’Ecole Normale Supérieure et - au-delà de la relation extraordinaire qu’il entretint avec Liliane, sa mère – sa place dans l’imaginaire des Sévriennes, Dominique F. m’étonne en débordant les indications de son livre pour aller jusqu’à évoquer « les suicides de jeunes filles qu’il y a eu à Pontigny » (où Desjardins avait fondé des Décades qui furent accessoirement l’écrin des débuts amoureux et réciproquement éblouis de ses parents).

Il rajoute un détail amusant. Il avait une dizaine d’années à la mort de Paul Desjardins et , accompagnant sa mère pour un dernier hommage, on lui avait demandé : « Veux-tu voir le corps ? », à quoi, tant le bonhomme l’impressionnait, il se souvient avoir répondu : « Oui, mais je ne voudrais pas le déranger ».

On apprend aussi que s’il a tiré beaucoup sinon l’essentiel de ses informations des carnets que sa mère a tenus au jour le jour pendant soixante ans, il n’a pas franchi jusqu’ici l’obstacle psychologique de leur lecture au-delà de l’année 1944. Elle a dû y parler de moi, sourit-il. Elle était sans doute horrifiée par mes premiers livres. Antoine Compagnon se précipite et tend une visible perche en direction d’une possible autorisation d’accès à lui consentie. Dominique Fernandez ne relève pas.

Notation intéressante, il s’est aperçu, mais après coup, et il le lit à travers la trajectoire de son père, ce faisceau de dons brillants, cette montée en gloire, et puis ces choix hasardeux, aberrants, inexpliqués sinon inexplicables qui poussent à l’autodestruction et à l’abîme, au fond, que ces basculements de l’éloge à l’opprobre, cette recherche du désastre, il les a beaucoup poursuivis à travers les personnages qui ont inspiré ses romans, Le Caravage, Le dernier Médicis (Jean-Gaston, mort en 1737 – Amateur de laideurs, d’orgies avec des voyous, une mort ignoble, dit D.F., au point qu’on ne l’a pas mis au tombeau sous sa dalle, aux côtés de ses illustres prédécesseurs, mais enterré dans un sous-sol), Winckelmann (Johann Joachim, 1717-1768 . Archéologue et historien de l’art allemand), Tchaïkovski, Pasolini … Il dit cela, D.F., et le disant, il ne peut ignorer que ce qui lie, aussi, les figures citées, c’est leur homosexualité . Et qu’il a intitulé un chapitre de l’évolution de Ramon : L’hypothèse homosexuelle . Et que – je l’ai relevé ailleurs – alors que Compagnon lui dit « Pourtant, Tolstoï, c’est une vie réussie » et qu’il répond : « Oui, ayant écrit Ramon, je me suis peut-être débarrassé de cette fascination pour l’échec », il a intercalé, dans son Tolstoï aussi, une hypothèse homosexuelle (là je parle de seconde main ; cf. la recension de Robert Solé dans Le Monde)…. Dimension probablement à côté de l’autre essentielle, n’en eût-il rien dit, de ses centres d’intérêt biographiques.

Tout le reste au fond … est dans le livre. Et je ne crois pas trahir en me défaussant sur le compte-rendu que j’en ai fait. Compagnon s’est attaché à obtenir quelques réactions complémentaires sur les raisons qui ont conduit Dominique Fernandez à cette enquête sur Ramon, sur le temps qu’il lui a fallu pour s’y résoudre (Pourquoi quarante ou cinquante ans après ?), avec toujours cette tentation de l’uchronie (la réécriture de l’histoire à partir d’un épisode inversé) : Et s’il n’était pas mort en 1944 ? Mais il n’y a rien à répondre.

« Une intelligence hors pair alliée à un caractère faible / une mère castratrice qui l’a ‘‘privé’’ de la montée au front en 14-18 et de l’accession peut-être à l’âge adulte / un échec conjugal qui signe l’impossibilité de mettre ses actes en accord avec ses théories (sur la personnalité) … », le fils voudrait pouvoir exonérer le père de bien des choses en reportant sur les femmes le poids de ses mauvais choix, mais ces hypothèses n’expliquent qu’une partie de la faillite globale et il le sait et le dit.

Et puis … Mais non, décidément, il faut aller au livre.

Un regret d’auditeur. J’espérais un échange autour de convergences possibles, regardant Ramon Fernandez d’une part et Bernard Faÿ de l’autre. Plusieurs sont évidentes et nous avions les deux auteurs sous la main. J’ai rendu compte (billet du 11/12/2009) de l’essai de Compagnon, dans lequel il évoque d’un mot le Ramon de D.F. Derechef, j’y renvoie.

Mais là, non. Aucune allusion. Curieux ?

Pudeur de la part de Compagnon, ne voulant pas réorienter vers lui le travail de l’invité ? Peut-être, plus probablement, suspicion de non-lecture par D.F. de son essai et donc inutilité du débat. Et puis, il se serait senti juge et partie.

Logique, finalement, l’évitement.

C’eût été le cas échéant à Dominique Fernandez de faire l’ouverture.

Je reste avec mes regrets, et comme on dit souvent chez moi, je n’en pense pas moins.

Ah! Et j’allais oublier ! Une confidence gourmande, que dis-je, un scoop ! Un universitaire (alsacien me semble-t-il) aurait déniché dans Philippe Sauveur - esquisse d’un premier roman inachevé de Ramon Fernandez qui traitait de l’homosexualité, manuscrit disparu, miraculeusement retrouvé dans un grenier d’Auxerre en 1991 (tous détails dans Ramon) et restitué à D.F. - quelques lignes très voisines de l’apparition de Saint-Loup à Balbec dans la Recherche. Or, Proust avait lu ce manuscrit ! Sauf erreur, une étude est en préparation. Compagnon a su rester beau joueur, consentant sur le ton de la plaisanterie un modeste et souriant  : « Proust plagiaire de Ramon … »

Mais lui non plus n’a pas dû en penser moins…

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