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Mémoire-de-la-Littérature
30 décembre 2010

Juste avant Compagnon ... deux mots d'Anselm Kiefer

Je m’en voudrais de ne pas honorer un commentaire interrogatif longtemps laissé de côté. La proximité de la première leçon d’Antoine Compagnon me pousse à laver ma conscience de ce retard. Non que j’aie grand chose à narrer ou à apporter, le sujet m’étant assez équilatéral, comme disait le regretté Frédéric Dard. Non, simplement, question posée, réponse due, d’autant que l’effort à faire n’est après tout pas immense.

J’avais vu passer un article de Philippe Dagen, dans Le Monde, qui rendait compte de la leçon inaugurale d’Anselm Kiefer  au Collège de France. Je ne connais pas l’artiste. J’avais parcouru ça en travers, retenant vaguement que ce provocateur (voir la notice tirée du Net plus bas) avait « paru embarrassé par la pompe académique du Collège ».

Mais voilà qu’on me sollicite sur ladite inaugurale leçon. Elle est en ligne sur le site du Collège. Je vais voir. Oui, bon, bof, peut-être, pourquoi pas, etc. Je ne suis pas, de fait, outre mesure choqué. Le discours, sympathiquement hésitant, Kiefer, très correctement francophone, se voyant néanmoins obligé de lire son texte, traduit de l’allemand, ne me semble pas délivrer des vérités très exceptionnelles sur l’art ou sur l’artiste.

Il cite Goethe. Puis il étonne Philippe Dagen en évoquant une pratique « autrichienne » que je crois pourtant avoir été fort à la mode à la fin du XIX° siècle, assurément en Angleterre et peut-être plus modérément chez nous, consistant à équiper les cercueils de clochettes extérieures (la version de Kiefer est un peu différente mais identique dans l’esprit) reliées au défunt et permettant à celui-ci, s’il ne l’avait pas été tout à fait, de le faire savoir  en temps utile.

Le public avait été très impressionné, à l’occasion d’ouvertures exigées par quelque circonstance d’enquête ou autre,  en apprenant qu’on avait retrouvé plusieurs malheureux dans des positions invraisemblables laissant à penser à des convulsions d’asphyxie « post-inhumatoire ». Etc.

Ma commentatrice, elle, s’étonne de la péroraison. Elle en réprime un rire. Je l’écoute deux fois. J’en conviens, le discours de Kiefer  sur les modalités d’auto-transformation des œuvres abandonnées (ou volontairement recluses) au fond des greniers sombres ou dans des malles sans fond, est digne d’Edgar Poe. Ainsi donc, à les empiler, à les oublier, on leur donne une chance d’évoluer, de devenir autres, ou elles-mêmes, et puis, le jour venu , de nous appeler, de nous faire signe et, agitant leur clochette, de nous apprendre qu’elles vivaient encore et même qu’elles avaient à notre insu prospéré, nourries de silence et de méditation, rendues à ce  que nous ne savions pas qu’elles pouvaient devenir et qu’elles avaient enfin réalisé, soucieuses de nous le manifester, comme ces enfants qui n’ont que la hâte de montrer à leurs parents des prouesses qui n’étaient plus attendues.

Bon, j’ai poétisé ….

… car c’est vrai, le discours final de Kiefer pouvait, avec un peu de mauvais esprit,  davantage prêter le flanc à la franche rigolade. Mais enfin, à regarder quelques-unes de ses œuvres telles que reproduites sur le net, demeure malgré tout l’impression d’un artiste qui pourrait valoir mieux qu’un discours en français traduit de l’allemand et assorti in fine d’une présentation caricaturale du dialogue de l’artiste avec ses travaux inachevés et auto-achevés.

Kiefer1                        Kiefer2

                                       Kiefer3

Au vu des trois « témoignages » ci-dessus, je suis quand même porté à plus d’indulgence qu’à la sortie de l’exposition de Jean-Michel Basquiat , autre artiste majeur ( ?), fracassant et contemporain qui m’a donné, examinant l’accrochage du Grand Palais,  quelque urticaire.

Et puis, quand même, Anselm Kiefer a cité Proust. Dans l’appropriation de l’œuvre artistique par celui qui la regarde, voire qui la construit (work in progress) il s’est référé à la première rencontre de Saint-Loup et de Rachel. Et pour cela, il lui sera beaucoup pardonné ….

La page de la Recherche citée (partiellement)  par Anselm Kiefer :

(In Le côté de Guermantes) 

« Mais le commencement de cette représentation m’intéressa encore d’une autre manière. Il me fit comprendre en partie la nature de l’illusion dont Saint–Loup était victime à l’égard de Rachel et qui avait mis un abîme entre les images que nous avions de sa maîtresse, lui et moi, quand nous la voyions ce matin même sous les poiriers en fleurs. Rachel jouait un rôle presque de simple figurante, dans la petite pièce. Mais vue ainsi, c’était une autre femme. Rachel avait un de ces visages que l’éloignement—et pas nécessairement celui de la salle à la scène, le monde n’étant pour cela qu’un plus grand théâtre—dessine et qui, vus de près, retombent en poussière. Placé à côté d’elle, on ne voyait qu’une nébuleuse, une voie lactée de taches de rousseur, de tout petits boutons, rien d’autre. A une distance convenable, tout cela cessait d’être visible et, des joues effacées, résorbées, se levait, comme un croissant de lune, un nez si fin, si pur, qu’on aurait souhaité être l’objet de l’attention de Rachel, la revoir autant qu’on voudrait, la posséder auprès de soi, si jamais on ne l’avait vue autrement et de près. Ce n’était pas mon cas, mais c’était celui de Saint–Loup quand il l’avait vue jouer la première fois. Alors, il s’était demandé comment l’approcher, comment la connaître, en lui s’était ouvert tout un domaine merveilleux—celui où elle vivait—d’où émanaient des radiations délicieuses, mais où il ne pourrait pénétrer. Il sortit du théâtre se disant qu’il serait fou de lui écrire, qu’elle ne lui répondrait pas, tout prêt à donner sa fortune et son nom pour la créature qui vivait en lui dans un monde tellement supérieur à ces réalités trop connues, un monde embelli par le désir et le rêve, quand du théâtre, vieille petite construction qui avait elle-même l’air d’un décor, il vit, à la sortie des artistes, par une porte déboucher la troupe gaie et gentiment chapeautée des artistes qui avaient joué. Des jeunes gens qui les connaissaient étaient là à les attendre. Le nombre des pions humains étant moins nombreux que celui des combinaisons qu’ils peuvent former, dans une salle où font défaut toutes les personnes qu’on pouvait connaître, il s’en trouve une qu’on ne croyait jamais avoir l’occasion de revoir et qui vient si à point que le hasard semble providentiel, auquel pourtant quelque autre hasard se fût sans doute substitué si nous avions été non dans ce lieu mais dans un différent où seraient nés d’autres désirs et où se serait rencontrée quelque autre vieille connaissance pour les seconder. Les portes d’or du monde des rêves s’étaient refermées sur Rachel avant que Saint–Loup l’eût vue sortir, de sorte que les taches de rousseur et les boutons eurent peu d’importance. Ils lui déplurent cependant, d’autant que, n’étant plus seul, il n’avait plus le même pouvoir de rêver qu’au théâtre devant elle. Mais, bien qu’il ne pût plus l’apercevoir, elle continuait à régir ses actes comme ces astres qui nous gouvernent par leur attraction, même pendant les heures où ils ne sont pas visibles à nos yeux. Aussi, le désir de la comédienne aux fins traits qui n’étaient même pas présents au souvenir de Robert, fit que, sautant sur l’ancien camarade qui par hasard était là, il se fit présenter à la personne sans traits et aux taches de rousseur, puisque c’était la même, et en se disant que plus tard on aviserait de savoir laquelle des deux cette même personne était en réalité. Elle était pressée, elle n’adressa même pas cette fois-là la parole à Saint–Loup, et ce ne fut qu’après plusieurs jours qu’il put enfin, obtenant qu’elle quittât ses camarades, revenir avec elle. Il l’aimait déjà. Le besoin de rêve, le désir d’être heureux par celle à qui on a rêvé, font que beaucoup de temps n’est pas nécessaire pour qu’on confie toutes ses chances de bonheur à celle qui quelques jours auparavant n’était qu’une apparition fortuite, inconnue, indifférente, sur les planchers de la scène. »

NOTICE « NET » (à partir sauf erreur de Wikipedia) :

Anselm Kiefer, né le 8/3/1945 à Donaueschingen est un artiste plasticien contemporain allemand qui vit et travaille en France depuis 1993.

Anselm Kiefer naît et grandit dans la région frontalière du lac de Constance et de la Forêt-Noire aux confins de la Suisse, de l'Autriche et de la France, dont la culture l'influença plus particulièrement[]. Il étudie tout d'abord le droit, la littérature et la linguistique, avant de s'orienter vers l'art en fréquentant, en 1966, les académies de Fribourg-en-Brisgau, Karlsruhe et Düsseldorf[]. En 1969, il se rend célèbre dans le milieu artistique en se prenant en photo, faisant le salut nazi dans de grandes villes d'Europe. Sa volonté est de réveiller les consciences en affirmant que le nazisme n'est pas mort mais que le sujet reste occulté : « Étudiant en droit j'avais des professeurs brillants et fascistes. À l'école le sujet était évoqué pendant deux semaines. À la maison on ne l'évoquait pas. » Il étudie également de 1970 à 1972 avec Joseph Beuys à la Kunstakademie de Düsseldorf, et devient un des plus importants artistes allemands de l'après-guerre. Dans les années 1980, Anselm Kiefer travaille à Buchen dans le Bade-Wurtemberg. Depuis 1993, il habite et travaille en France, d'une part à Barjac dans le Gard, où il a transformé une friche industrielle en un vaste espace de travail de 35 hectares appelé La Ribaute, et d'autre part à Croissy-Beaubourg en Seine-et-Marne où il a son atelier[]. Pour ce dernier site, Anselm Kiefer a acheté à la Samaritaine, filiale du Bon Marché, son bâtiment d'entrepôt/logistique d'une surface d'environ 35 000 m2 « afin d'y exercer son activité artistique et d'y entreposer ses œuvres monumentales ».

Pour l'année 2010, il est chargé de l'enseignement de la chaire de « Création artistique » du Collège de France.

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