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Mémoire-de-la-Littérature
31 janvier 2011

Pourquoi tant d'amour?

                                                          CompagnonFlou

Etonnante cette Antoniomania qui enfle médiatiquement ces dernières semaines. C’est un billet dans Le Monde daté de jeudi 20 janvier dernier qui m’en a mieux fait prendre conscience. Le titre : ‘‘66, année séminale’’. Franck Nouchi consacrait sa chronique hebdomadaire au cours d’Antoine Compagnon. Je lis.

En fait, franchi l’incipit – ‘‘S’il vous arrive de passer le mardi après-midi du côté du Collège de France, à Paris, vous serez sans doute surpris de voir plusieurs centaines de personnes, le plus souvent la cinquantaine passée, attendre sagement sur le trottoir (…)’’ - outre quelques indications factuelles  tirées des éléments mis en ligne sur le site du Collège, l’article renvoie essentiellement à un autre, d’Edouard Launet, paru dans Libération le mardi 18 précédent. Article copieux et – on peut je pense encore le trouver sur internet (liberation.fr) où je suis immédiatement allé le lire – fort intéressant. Documenté. La filiation barthésienne d’A.C. est passée sous silence mais on a quelques détails à la fois sur son parcours de formation et sur les prémices de son cours du moment, enraciné dans un séminaire qu’il a animé en octobre dernier à  Stanford  (Californie) sous l’intitulé : « 1966 : la Seconde Révolution française ». Le survol prospectif auquel se livre Edouard  Launet donne à penser ou qu’il a assisté au premier cours, ou qu’il se l’est fait raconter.

Et puis, voilà que jeudi 27/1 dans la matinée, au moment du café-croissant, la bande-annonce (quotidiennement déjantée) sur France-Inter de l’émission 5-7 Boulevard de Philippe Collin m’apprend qu’Antoine Compagnon sera l’un des deux invités du jour (avec pour « autre »  Michel Pastoureau) cependant  qu’en ramassant un peu plus tard dans ma boîte à lettres le numéro du Point de la semaine -  grand sujet :  Ceux qui massacrent l’école - je trouve, le feuilletant, en page 61 et l’annexant en totalité, une interview pédagogique de notre héros, dont la photographie ci-dessus.

Bref, Antoine Compagnon est un must.

Sur l’interview accordée au Point, on ne peut lui donner tort de rappeler que ‘‘l’école de la III° République laissait tomber les cancres’’. Reste à se demander si celle d’aujourd’hui ne les fabrique pas. Elle ne semble guère, en tout cas, en favoriser l’éradication. Avec cette remarque seconde que ‘‘cancre’’ est un terme qui risque fort en ces temps de vocabulaire euphémisé d’en choquer quelques-uns tandis que sur le fond le débat des définitions reste ouvert : ‘‘Qu’est-ce qu’un cancre ?’’. C’est un peu la poule et l’œuf cette affaire. Le cancre préexiste-t-il à l’école ou est-ce l’école qui préexiste au cancre ?

Sur le fond, les réflexions d’Antoine Compagnon sont plusieurs fois justes, même si je leur reproche toujours d’être marquées de cette urbanité qui semble le caractériser et qui me paraît trop éloignée de la sainte colère pour qu’elles soient suffisamment entendues :

-         Jacobinisme excessif et improductif

-         Manque d’autonomie des établissements

-         Manque de conviction des acteurs

… tout cela est exact. 

Mais lorsque, s’attachant à faire remonter au rapport Ribot de 1899 ( !) des prises de conscience dont les fruits seraient de nature à résoudre les problèmes récurrents du système éducatif, Antoine Compagnon évoque :

-         le renforcement de la direction des établissements

-         une spécialisation moins étroite des maîtres

-         l’insuffisance du travail en équipe

-         l’intervention des proviseurs dans le recrutement des professeurs

-         la redéfinition des services autrement qu’en termes d’heures d’enseignement

il soulève de vraies difficultés et pointe de mauvaises pistes.

La question de la direction des établissements est un question délicate  car, toute précaution de style écartée, les chefs d’établissement sont, plus souvent que la solution, le problème et la question prioritaire n’est pas de renforcer leur pouvoir, mais de remettre à plat leur fonction et leur mode de désignation, en amont d’une autonomie locale qu’ils ne sauraient pas, aujourd’hui et en l’état, piloter.

La question de la spécialisation des maîtres est mal posée, sans l’intégrer à une refonte du système où la polyvalence de certains maîtres pour la prise en charge d’un certain volet de la formation doit  cohabiter avec le renforcement exigeant de la compétence académique de maîtres spécialistes de leur discipline pour d’autres volets.

Parler de l’insuffisance du travail en équipe, ce qui se couple avec l’exigence d’une redéfinition des services, exige absolument des développements précis, dont la méthodologie d’une émergence desdites équipes et, pour en guider les autonomies, la question retrouvée des chefs  d’établissements  et la remise à plat des corps d’inspection.

Voilà, pour faire vite …

Et j’en profite pour dénoncer la médiocre pour ne pas dire indigne proposition de Luc Chatel quand il évoque une prime aux recteurs  ou aux chefs d’établissement. Je ne supporte pas cette conception politique visant à faire courir après des gratifications pécuniaires individualisées des personnels qui doivent bénéficier de salaires à la hauteur de leurs responsabilités mais dont le sens du service public et le sens de l’intérêt général font - par définition - de la conscience intime qu’ils ont d’y travailler au mieux de leurs forces l’exigeante et noble et suffisante récompense.

Cela dit, A.C. semble sans illusion quant à la prise en charge et à bras le corps du problème par les politiques : ‘‘Pour l’instant, l’école ne semble pas une priorité de la campagne [présidentielle] qui s’annonce.’’ Hélas.

Pour ce qui est de son intervention dans le cadre du 5-7 Boulevard de jeudi dernier, j’ai écouté Antoine Compagnon ‘‘en différé’’, hier je crois, via le site de France-Inter. Je suppose qu’il a repris et résumé quelques thèmes de ses premières leçons :

-         son envie déjà ancienne de consacrer un cours à une année

-         1966 comme première année post-césure, celle créée par la mise en ballotage du Général par Mitterrand en décembre 1965, avec  ainsi la prise d’élan de ce dernier vers mai 1981

-         1966 grande année littéraire (il a cité en particulier  Blanche ou l’oubli), grande année cinématographique (il cite Godard) , grande année Gainsbourg (qu’il a toujours aimé)

Il a déjà pointé 1966 comme année proustienne importante dans un article écrit il y a vingt ans ; il dit : ‘‘Proust partait à la conquête d’un nouveau public ; la Recherche passait en édition de poche»

Anecdote personnelle : Proust effectivement n’avait pas l’oreille de l’université au début des années 1960 ; je me souviens encore, et encore avec étonnement (nous étions deux enthousiastes de la Recherche ), de la déception de mon épouse qui, cherchant un sujet de diplôme de troisième cycle, préalable obligé à l’inscription aux concours de recrutement, avait eu un entretien  - sauf erreur, je ne voudrais pas insulter sa mémoire - avec  Raymond Picard , spécialiste de Racine tout récemment nommé à la Sorbonne,  qui l’avait dissuadée de choisir Proust (« … il n’y a pas (ou plus ?) grand chose à en dire » ( !)) et dirigée vers le Francion de Charles Sorel, dont nous ignorions alors jusqu’à l’existence. Cela dit, l’ouvrage est picaresque à souhait et elle s’y était fort amusée.

Questionné sur ses préfaces aux Cahiers de Maurice Barrès, tomes I et II parus, il y en aura trois, A.C. en recommande la lecture, tant, au-delà des aspects détestables de l’homme par exemple lors de l’affaire Dreyfus, l’écrivain a nourri, grand styliste de la langue française, les années de formation de Proust, de Mauriac, de Malraux, d’Aragon : ‘‘ils  ont appris à écrire chez  Barrès’’.

On ne pouvait, de là, que glisser vers la polémique Céline, et l’affaire de sa « célébration-non-célébration-2011 ». A.C. s’en tient à la banalité de bons sens – que je partage entièrement – sur l’antisémite qu’on ne saurait « célébrer » et sur le géant des lettres françaises du XX° siècle, seul vrai compagnon de Proust, qu’on ne saurait oublier. Au passage, il rend un hommage appuyé à son ex-collègue Henri Godard, auteur de la notice sur Céline initialement prévue en accompagnement de la célébration et qu’il a trouvée tout à fait équilibrée. Question au fond de vocabulaire, dit-il. Il faudrait renoncer à parler de « célébration » sans négliger de pointer annuellement, avec les nuances qui s’imposent, avec les mises au point nécessaires, ces caractères et ces talents qui ont fait le rayonnement culturel de la France. Parler de « Commémoration » ?

Questionné pour finir sur le rayonnement culturel de la France, justement, il tient à préciser que s’il n’est pas aujourd’hui au plus haut, il peut suffire d’un grand écrivain. Avant Proust, depuis Zola, c’était quand même un peu le creux de la vague, dit-il… Serait-on aujourd’hui de nouveau en 1912 (à la veille de 1913 et de la Recherche…) ? Qui peut le dire ?

A mi-parcours, Philippe Collin avait essayé de poser la question : « Pourquoi tant de succès à vos cours, Antoine Compagnon ? Votre érudition, soit, votre charisme, soit, est-ce suffisant ?Un engouement pour les sixties et une nostalgie? …»

A.C. ne veut y voir ‘‘qu’une demande de littérature’’. Il dit : ‘‘Il y avait autant de monde l’an passé pour Montaigne’’.

Oui. Pourquoi tant d’amour ? La réponse, sauf micro-trottoir en sortie de cours ou questionnaire plus sérieux et plus exhaustif, n’est pas évidente. Au début, il y a eu Proust. Et puis, Mémoire de la littérature, c’était quand même un beau tire. Mais ensuite. Le doute s’est introduit, une petite lassitude instillée, chez certains et chez moi. Mais les autres, les fidèles, les inconditionnels ?

Et si cette réponse elle était pour partie dans la remarque d’Edouard Launet (son article dans Libération) : « Antoine Compagnon organise au pays de la littérature de jolis voyages lors desquels il tient à la fois le micro et le volant. Il délaisse volontiers les autoroutes pour les chemins vicinaux, s’arrête quand bon lui semble, repasse dix fois au même endroit s’il le juge utile, transforme son auditoire en assemblée de gros chats ronronnants sur le tissu bleu et le bois blond des amphis (…) De tout cela, qu’a-t-on retenu ? une petite musique  (…) »

L’éloge n’est-il pas un peu ambigu ? A.C. comme doux chantre d’une culture un brin sédative ? En sous-préfet aux champs des prairies littéraires ? Un gendre idéal, attentif et même attentionné, qui raconte si bien des histoires de coin du feu, tandis qu’une douce somnolence nous envahit? Un tour-opérateur  apaisé et apaisant ? Hum …

J’ai perdu le contact l’an passé.

C’est dit, demain 1er Février, je fais une exception, j’y retourne. Faut revoir ça une fois encore! Il paraît qu’on reparlera de Proust et de sa modernité retrouvée de 1966. En être !

Et puis après, séminaire oblige, il y a Genette.

J’ai lu quatre ou cinq articles de Figures I ce matin. Comme mise en jambes. Fameux.

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Commentaires
M
c'est une excellente idée d'avoir repris votre commentaire et d'avoir parlé de ce téléfilm assez nul malgré des qualités visuelles<br /> Tâchez de continuer !!<br /> merci d'avoir eu le courage d'y retourner.
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