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Mémoire-de-la-Littérature
13 février 2017

SUSPENSION DE SÉANCE - CHARLES DEMAILLY

Goncourt

Charles Demailly

A_Wrona

Adeline Wrona est Professeur des Universités (Paris-Sorbonne).

Son édition annotée de Charles Demailly est tout à fait passionnante.

De fait, Antoine Compagnon a indiqué le livre, dès la première leçon je crois, comme faisant partie des lectures recommandées en marge de son cours. J'avais commandé, reçu, mais en termes de lecture, différé. La suspension des cours pendant deux semaines était l'occasion idéale pour passer de l'intention à l'action.

J'ai eu un peu de mal au début, trouvant confus dans les dialogues et l'excès de personnages et il a fallu franchir le tiers de l'ouvrage pour que l'intérêt cristallise. Mais l'effort est payé de retour. C'est tout à fait intéressant et, à ne lire qu'ensuite (surtout!), la présentation d'Adeline Wrona est très éclairante, qui explique par la conception de l'ouvrage mes problèmes … d'échauffement.

Sans doute, le texte est très daté, plus me semble-t-il que d'autres romans pourtant ses contemporains, mais cela a un petit charme qui agit, à la longue. On reconnaît quand même des formulations descriptives parfois hugoliennes, des contournements d'intrigue qui m'ont fait penser au Maupassant de Bel-Ami et des efforts de stylisation d'une prémonition aussi maladroite que proustienne, on subit un certain nombre de monologues pérorants, de temps en temps, on tombe dans la logorrhée, mais ce faisant, quoi qu'il advienne, on est tout à fait pris.

Et surtout, il y a tant d'adéquation au contenu du cours d'A.C. que je regrette qu'il n'ait pas purement et simplement consacré l'année à l'analyse de ce seul bouquin.

Quelques notes de lecture?

Chapitre XXIV . "Charles sortit du café Riche avec l'impression que son livre serait maltraité par la critique : il ne se trompait pas." Suit une longue présentation des caractéristiques de l'activité critique précise et bien venue.

Chapitre XXVII: Description de la barbe d'un personnage secondaire. Morceau de bravoure : "Mais j'avais à vous dire … Charvin m'a promis un article pour vous dans sa revue … mais, vous savez, on ne sait jamais avec lui … Ce n'est pas un homme, c'est une barbe, et quelle barbe!  Charvin parle dans cette barbe, jure dans cette barbe, pense dans cette barbe! Il se réfugie dans cette barbe, il y remonte! Ses créanciers n'ont jamais pu le trouver dans cette barbe, ses amis ne sont pas toujours sûrs de l'y rencontrer! …C'est une barbe dodonienne, où il se fait souvent du bruit, jamais de réponse! Une barbe supérieure à la parole : elle a été donnée à Charvin pour déguiser la sienne! … Ah! Cette barbe! … elle a tout fait pour lui, son mariage, sa revue, sa position. Sa barbe! Elle a été un instant une opinion politique … Je vous dis que cette barbe est une providence, un paravent, un asile, un mur, un rempart américain en balles de coton! C'est la barbe merveilleuse, le chapeau de Fortunatus, le sourcil de Jupiter, les cheveux de Samson, et le masque de Sieyès! … Dans un moment d'expansion, Charvin m'a avoué qu'il ne changerait pas sa barbe contre des lunettes! – Vous connaissez cette barbe impénétrable?

- Charvin? Oui … l'homme distrait, mélancolique, ennuyé, endormi, envolé, ne visant à rien et grimpant à tout … (…)

- C'est un peu cela et ce n'est pas cela. Mais moi, je sais le faire descendre de sa barbe".

A propos de dodonienne, Adeline W. précise : "qui évoque les oracles énigmatiques délivrés par les chênes de Dodone, dans la Grèce antique". Farce en un acte de 1712, due à un Thomas-Simon Gueulette, Le chapeau de Fortunatus est une parade,  divertissement sur l'avarice et la duperie où joue un rôle un certain chapeau magique.

Chapitre XXXIV. Autre morceau de bravoure à la fin de ce chapitre, sur la province cette fois: "La province, mon cher Chavannes, la province! … Il faut être taillé comme vous pour y rester une intelligence, un homme, une pensée. Et encore vous, vous habitez la campagne. Mais la vraie province, la petite ville! … En y réfléchissant , je crois que j'en mourrais. Je passe des heures à la fenêtre: je vois des gens, jamais un passant, - il n'y a pas de passant en province: un passant est toujours quelqu'un! – jusqu'aux chiens, mon ami, qui sont des chiens de chef-lieu de canton! .. A Paris, ils ne se connaissent pas, ils ont des affaires, vous n'en verrez jamais trois ensemble; - ici il y en a une dizaine qui se réunissent tous les jours sur la place , - et c'est la seule société de la ville … Peut-être y a-t-il deux France, Paris et le reste … Avez-vous remarqué que les murs ont en province des ombres particulières, des ombres qui vous font froid dans le dos comme des ombres de la rue des Postes? – J'ai lu un journal de l'endroit: il annonce les réceptions au baccalauréat des indigènes .. La province est une steppe où on sème des fonctionnaires et où il pousse des impôts. Les femmes y naissent provinciales, c'est tout dire … Un pays impossible, inventé par les sous-préfets, et où il y a des gens qui devinent les rébus de l'Illustration! Je n'exagère rien. – Avez-vous jamais songé à cette chose horrible qui peut être : un receveur des contributions sans vocation? … Mais non, cela n'est pas: il y a un Dieu."

Chapitre XXXVIII . Un sourire: "Il se mit, pendant plusieurs jours, à rendre des visites à des amis qui ne le voyaient pas deux fois par an chez lui, à des parents au vingtième degré qui, ne se rappelant pas trop s'ils l'avaient jamais vu, le trouvaient bien grandi."

"La" femme,  dans ses spécificités génériques, est un standard misogyne d'époque qui inonde le roman. Par exemple:

Chapitre XLVI. "En un mot, les premières investigations de Charles, ou plutôt les premières indulgences de son amour, rencontraient en Marthe tout ce qu'il pouvait exiger d'elle dans le domaine des facultés morales de la femme; au-delà de cela, dans l'ordre des idées supérieures à la nature du sexe de Marthe, dont l'homme entretient la femme un peu de la même façon qu'il parle à un oiseau, et sans réclamer bien officiellement le concours de son intelligence, Charles jugeait Marthe capable de remplir parfaitement ce rôle que l'ironie d'un penseur de ses amis assignait à la femme, le rôle de Jean de la Vigne, ce petit bonhomme de bois auquel l'escamoteur adresse la parole, si bien qu'au bout de quelques instants il semble au public, à l'escamoteur lui-même, et presque au petit bonhomme de bois, que le dialogue existe."  On aura compris qu'un escamoteur, c'est ici un ventriloque.

L'abécédaire de Compagnon s'égrène tout du long: épigramme, guerre du pamphlet, puff, puffiste, etc.  incluant même des retours sur le cours 2016 : "Et Charles marchait, poursuivi par un petit bruit sec, une sorte de claquette : le bruit du crochet des chiffonniers contre leur hotte." (Chap. LXXIV)

Soudain, je m'arrête sur une phrase où me semble résonner un vers de À une passante:

Chapitre LXXXVIII. "… dans le cœur de son lecteur ici, là-haut, au loin, souvent tout près de lui , sans qu'il le sache"

Et il me semble entendre, derrière le crypto-alexandrin : " ici, là-haut, au loin, souvent tout près de lui" , les sonorités de Baudelaire :  "Ailleurs, bien loin d'ici! Trop tard! Jamais peut-être!"

UN BILAN? Typiquement, la mise en évidence d'un des avantages que je trouve à m'imposer les leçons du mardi. Il finit par en sortir des lectures que je n'aurais pas, de moi-même, faites et que j'estime fructueuses.

                                                           Et alors, pourquoi pas, Manette Salomon? 

 Manette-Salomon

Corot

 

 

 

 

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