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Mémoire-de-la-Littérature
12 avril 2007

Retour: Leçon inaugurale ... (II)

SUITE DU : COMMENT?.... ET MAINTENANT: POURQUOI PARLER DE LITTÉRATURE ?.... ... et Compagnon poursuit: “Après comment, pourquoi parler, parler encore, de la littérature française, moderne et contemporaine, en ce début du XXI° siècle? Quelle(s) valeur(s) la littérature peut-elle créer et transmettre, dans le monde actuel? Quelle place dans l’espace public? Est-elle profitable dans la vie? Pourquoi défendre sa présence à l’école? Une réflexion franche sur les usages et le pouvoir de la littérature me semble urgente à mener”. Et il cite Italo Calvino, écrivant en 1985, peu avant sa mort: “Si j’ai confiance en l’avenir de la littérature, c’est qu’il existe des choses, je le sais, que seule la littérature peut offrir par ses moyens propres”. Compagnon veut tâcher de reprendre ce credo à son compte, redemander - et y répondre - s’il y a vraiment encore des choses auxquelles, seule, la littérature permette d’accéder, si elle est indispensable ou si elle est remplaçable.... Calvino, dit-il, parlait encore comme Proust dans le Temps retrouvé: “La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature”. La réalisation de soi, jugeait Proust, a lieu non pas dans la vie mondaine mais dans la littérature, non seulement pour les écrivains qui s’y vouent en entier, mais aussi pour le lecteur qu’elle émeut, le temps qu’il s’y adonne. Par l’art seulement, poursuivait Proust, nous pouvons sortir de nous, voir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Aux yeux de Calvino, souligne Compagnon, la suprématie de la littérature était indubitable, c’est pourquoi, vue d’aujourd’hui, il semble que la distance fut moins grande entre lui et Proust qu’elle ne s’est creusée entre nous et les dernières avant-gardes qui maintenaient très haut l’exigence de la littérature, difficile, et croyaient en elle comme en un absolu. Car dit-il, le lieu de la littérature s’est amenuisé dans notre société depuis une génération, à l’école où les textes documentaires mordent sur elle, ou même l’ont déjà dévorée, dans la presse, où les pages littéraires s’étiolent, durant les loisirs, où l’accélération numérique morcelle le temps disponible pour les livres, si bien que la transition n’est plus assurée entre la lecture enfantine, qui ne se porte pas mal, et la lecture adolescente, jugée ennuyeuse parce qu’elle requiert de longs moments de solitude immobile. Du point de vue savant, la philologie faisait depuis le début du XIX° siècle l’hypothèse de l’unité constitutive d’une langue, d’une littérature et d’une culture, ensemble organique identifié à l’esprit d’une nation et ensemble dont la littérature, entre les racines linguistiques et les frondaisons culturelles fournissait le noble tronc. D’où, l’éminence prolongée de l’étude littéraire, voie royale vers la compréhension d’une culture dans son intégralité. Or, souligne-t-il, ce modèle philologique a été ébranlé, d’un côté parce que d’autres représentations culturelles, comme les images, fixes ou mobiles, se sont imposées auprès de la littérature et qu’elles n’ont pas été jugées moins recevables, de l’autre parce que l’association entre la culture et la nation n’a plus été perçue en termes aussi étroits ni aussi déterminants. La littérature elle-même, la littérature vivante, semble parfois douter de son bien fondé face aux discours rivaux et aux techniques nouvelles, non seulement, vieille querelle, les sciences exactes et sociales, mais aussi l’audiovisuel et le numérique. Il développe son constat: ... depuis la modernité, la littérature est entrée dans l’ère du soupçon, mais cette époque fut longtemps celle d’une prodigieuse fécondité et d’un extraordinaire culte de la littérature, quand aujourd’hui, elle se heurte à une indifférence croissante. Et l’on croise même une haine de la littérature considérée comme une intimidation et un facteur de fracture sociale. Et il questionne: “La littérature n’est-elle pas la langue de l’allusion? Pour l’entendre, il faut ‘en être’ comme on disait chez Mme Verdurin; l’allusion, c’est donc l’exclusion”. Compagnon poursuit: “L’amoindrissement de la culture littéraire ne trace donc pas [ et je m’interroge sur la logique de ce “donc” là ...] pour nous un avenir impossible; c’est pourquoi, auprès de la question traditionnelle: Qu’est-ce que la littérature?, question théorique, ou historique, se pose aujourd’hui plus sérieusement la question critique et politique: Que peut la littérature? Autrement dit: La littérature, pour quoi faire? Et tant pis si, se risquant à y répondre, on a l’air naïf ou démodé, après des années de colloques théoriques sur la littérarité, qualité de la forme qui établit la littérature en tant que la littérature, plutôt que sur la fonction cognitive, éthique, ou publique de la littérature”. Je saute une incidente où Compagnon se félicite de l’affluence, qu’il juge démentir le relatif pessimisme de son propos, et présente, aux exilés en salle de télévision pour cause d’amphithéâtre non extensible, ses excuses désolées.... Il reprend, s’interroge encore sur la pertinence de la littérature dans la vie, sa force de plaisir, de connaissance, d’évasion, d’action. Questions d’autant plus impérieuses que la foi dans le progrès, dit-il, fait relâche, qui l’avait emportée, suivant là un élan qui a pris, avec les avant-gardes, la forme du toujours moins, purification du roman et de la poésie, concentration de chaque genre sur lui-même, réduction de chaque médium à son essence. Précisément: “On ne regardait pas en arrière, ni de côté, le bas-côté de l’autre littérature, la littérature de boulevard, celle qui se lit. Toute mention du pouvoir de la littérature était alors jugée obscène car il était entendu que la littérature ne servait à rien et que seule comptait sa maîtrise sur elle-même. Mais dans notre époque de latence, l’évolutionnisme sur lequel la littérature s’est reposée durant un bon siècle semble révolu. À la fin de sa vie, dans un de ses derniers cours, Roland Barthes cherchant une tierce forme littéraire et s’éloignant des avant-gardes, espérait l’avènement de ce qu’il appelait un optimisme sans progressisme. Mais si son histoire, son progrès, son mouvement autonome ne légitiment plus la littérature, comment fonder son autorité?” Plusieurs définitions remarquables du pouvoir de la littérature , poursuit-il, on été données dans l’histoire. Sont-elles encore nouvelles? Nous lisons parce que même si lire n’est pas indispensable pour vivre, la vie est plus aisée, plus claire, plus ample pour ceux qui lisent que pour ceux qui ne lisent pas. En un sens élémentaire d’abord: renseignements, modes d’emploi, ordonnances, journaux, bulletins de vote, voire ... littérature! Mais ensuite, au sens où la culture littéraire fut longtemps censée rendre meilleur, donner une vie meilleure. Il cite Francis Bacon(1561-1626): “La lecture rend un homme complet; la conversation rend un homme exercé, et l’écriture rend un homme exact. Par conséquent, si un homme écrit peu, il a besoin d’une grande mémoire; s’il confère peu, il a besoin d’un esprit rapide; s’il lit peu, il a besoin de beaucoup d’hypocrisie, pour paraître savoir ce qu’il ne sait pas”. Suivant Bacon, proche en cela de Montaigne, ajoute Compagnon, la lecture nous évite d’avoir à recourir à la ruse, la sournoiserie et la fourberie, elle nous rend donc sincères, véritables, en un mot, meilleurs. Il veut rappeler brièvement quelques explications familières du pouvoir de la littérature, se reportant pour la première à Aristote, contredisant Platon et réhabilitant la poésie au titre de la “vie bonne” . Pour Aristote, c’est grâce à la “mimésis” (on dira aujourd’hui “représentation” ou “fiction” plutôt qu’imitation, précise-t-il) que l’homme apprend, donc par l’intermédiaire de la littérature entendue comme fiction. Représenter pense Aristote est une tendance naturelle aux hommes, qui les différencie des autres animaux. À travers cette représentation, ils commencent à apprendre. La littérature ainsi plaît [par inclination] et instruit [de fait]. Plus avant dans la Poétique, la catharsis, purification, épuration des passions par la représentation, a pour résultat une amélioration de la vie privée et publique: la littérature a un pouvoir moral. D’Horace (1er siècle av. J.C.) à Quintilien (1er siècle ap. J.C.), dit Compagnon, et jusqu’au classicisme français, la réponse restera la même: la littérature instruit en plaisant, suivant la théorie pérenne du “dulce et utile”. Il cite La Fontaine: “Les fables ne sont pas ce qu’elles semblent être / Le plus simple animal nous y tient lieu de maître / Une morale nue apporte de l’ennui / Le conte fait passer le précepte avec lui / En ces sortes de feintes il faut instruire et plaire / Et conter pour conter me semble peu d’affaire”. Le conte, la feinte, la fiction, dit-il, instruisent moralement. Prototype du roman réaliste, poursuit-il, Manon Lescaut leur conserve ce rôle. Son “avis de l’auteur” argumente en ce sens: “Outre le plaisir d’une lecture agréable, on y trouvera peu d’événements qui ne puissent servir à l’instruction des mœurs et c’est rendre à mon avis un service considérable au public que de l’instruire en l’amusant”. Prévost, dit Compagnon, insiste sur le désaccord qu’on rencontre chez les hommes entre leur connaissance et leur observation des règles. On ne peut réfléchir, dit Prévost, sur les préceptes de la morale sans être étonné de les voir à la fois estimés et négligés et l’on se demande la raison de cette bizarrerie du cœur humain qui lui fait goûter des idées de bien et de perfection dont il s’éloigne dans la pratique, contradiction de nos idées et de notre conduite qu’il explique par le fait que les préceptes n’étant que des principes vagues et généraux, il est très difficile d’en faire une application particulière au détail des mœurs et des actions. C’est pourquoi, dit Prévost, l’expérience et l’exemple guident la conduite mieux que les règles; mais l’expérience dépend de la fortune, il ne reste donc que l’exemple qui puisse servir de règle à quantité de personnes dans l’exercice de la vertu et telle est l’utilité du roman: chaque fait qu’on y rapporte est un degré de lumière, une instruction qui supplée à l’expérience. La littérature, formalise Compagnon, est un supplément. Il poursuit: “Peu éloigné en réalité de l’Abbé Prévost, Robert Musil soutiendra au début du XX° siècle que l’art représente non pas abstraitement mais concrètement, non pas le général mais des cas particuliers dont la sonorité complexe englobe aussi de vagues notions générales. Avec la littérature, le concret se substitue à l’abstrait, l’exemple à l’expérience, pour inspirer des maximes générales ou du moins une conduite conforme à de telles maximes”. Pour conclure sur ce point: “Pas de meilleure définition du roman que celle de l’Abbé Prévost et les philosophes contemporains du tournant éthique ne la désavoueraient pas”. NOTE. “Les philosophes contemporains du tournant éthique ..” ? Schématiquement, semble-t-il, les philosophes des prises de conscience du XX° siècle, de l’après Shoah à l’après Goulag etc... Les philosophes qui, comme Levinas, ne cessent de reprendre et de repenser la phrase de Dostoïevski: "Nous sommes tous responsables de tout et de tous devant tous. Et moi plus que tous les autres”. Cela posé, et - comme disait San Antonio - entre nous et la tour Montparnasse, je ne vois pas limpidement l’intérêt profond de cette référence aux “philosophes contemporains du tournant éthique” pour valider une définition du roman qui me paraît bien engoncée dans une approche bigote de l’exposé des passions. Il me semble par ailleurs très amusant, si on “focalise” sur la règle: “Instruire en amusant”, de constater qu’il n’y a là rien d’autre que le slogan accusé d’être la ligne de conduite pernicieuse et responsable des effondrements éducatifs actuels du courant post-soixante-huitard des “pédagogues”, en butte aux attaques haineuses du courant adverse, “républicain”, qui clame haut et fort, d’abord “qu’on n’est pas là pour rigoler”, ensuite la nécessité d’en revenir à des démarches classiques, plus respectueuses prioritairement des apports de cette culture française où Manon Lescaut a sa - d’ailleurs juste - place. Mais je sens qu’on va m’accuser d’amalgame et de mauvaise foi, celle qui ne sauve pas ... “UNE DEUXIÈME DÉFINITION DU POUVOIR DE LA LITTÉRATURE ...” Compagnon est reparti, après la brève parenthèse d’un verre d’eau: “Une deuxième définition du pouvoir de la littérature, apparue avec les lumières, approfondie par le romantisme, fait d’elle non plus un moyen d’instruire mais un remède. Elle libère l’individu de sa sujétion aux autorités, pensaient les philosophes, elle le guérit de l’obscurantisme religieux. La littérature, instrument de justice et de tolérance, et la lecture, expérience de l’autonomie, contribuent à la liberté et à la responsabilité de l’individu, toutes valeurs des lumières qui présidèrent à la fondation de l’École républicaine et qui expliquent le privilège que celle-ci conféra au XVIII° siècle au détriment du XVII°, à Voltaire contre Bossuet. Sartre lui-même, fidèle à cet esprit des lumières, imputait encore en 1964 à la littérature le pouvoir de nous faire échapper aux forces d’aliénation et d’oppression. La littérature est d’opposition; elle a le pouvoir de contester la soumission au pouvoir; contre-pouvoir, elle révèle toute l’étendue de son pouvoir quand elle est persécutée. Il en résulte un paradoxe bien connu, à savoir que la liberté ne lui est pas toujours propice, puisqu’elle la prive des servitudes auxquelles résister. Antidote à la fragmentation de l’expérience subjective qui a suivi la révolution industrielle et la division du travail, l’œuvre romantique a prétendu restaurer l’unité des communautés, des identités et des savoirs, et par là, racheter la vie. Comme l’annonçait Woodsworth [William; 1770-1850] au début du romantisme: ‘En dépit des choses devenues silencieusement insensées et des choses violemment détruites, le poète lie ensemble par la passion et par la connaissance le vaste empire de la société humaine comme il se répartit sur toute la terre et dans tous les temps’. La littérature d’imagination, justement parce qu’elle est désintéressée, une finalité sans fin, ainsi que l’art se définit depuis Kant [Emmanuel; 1724-1804], acquiert un intérêt à nouveau paradoxal; si elle seule peut tenir lieu de lien social, c’est en effet au nom de sa gratuité ou de sa largesse, dans un monde utilitaire caractérisé par les spécialisations productives. L’harmonie de l’univers est restaurée par la littérature car sa propre unité est attestée par la complétude de sa forme, typiquement celle du poète lyrique; et dans la lecture, la conscience trouve un accord pleinement vécu avec le monde. Ainsi la littérature, à la fois symptôme et solution du malaise dans la civilisation, dote-t-elle l’homme moderne d’une vision qui porte au delà des restrictions de la vie journalière. Mais tout remède peut empoisonner; soit il guérit, soit il intoxique, soit encore il guérit en intoxiquant, tel le remède dans le mal, suivant le beau titre de Jean Starobinski. On se rend malade de littérature, comme Mme Bovary. La littérature affranchit de la religion, mais elle devient un opium, c’est à dire une religion de substitution suivant la vision marxiste de l’idéologie. Telle est l’ambivalence de tout supplément. On s’est donc rebellé contre la récupération de la littérature, l’embrigadement des écrivains au service de la nation. Mais comme cette résistance confirmait le désintéressement de la littérature, elle accroissait paradoxalement sa vertu et renforçait finalement la confiance que la société longtemps a pu placer en sa capacité thérapeutique”. Compagnon boit. Ne pas voir là une accusation d’éthylisme. Il s’agit d’eau et d’une pause. Les longues périodes assèchent ... PROFITONS-EN POUR DISCUTER UN PEU: .... Il a l’art des “donc” qui surprennent. Tout ça fait un peu fouillis. Voyez le dernier alinéa. Quid de ce: “On s’est donc rebellé etc.” ? Sur quelle logique d’argumentation s’articule ce “donc”- là? Il y a beaucoup plus “association-glissement” d’idées , où le mot “marxiste” qui précède de peu l’a renvoyé aux littératures officielles de l’ex-URSS, que conséquence du paragraphe précédent. Sur le souvenir des leçons à suivre, on a d’ailleurs le sentiment qu’il y a là - paradoxalement, pour quelqu’un dont la formation initiale a été fortement marquée par la rigueur scientifique - une constante, une tendance à raisonner non par enchaînement, mais par proximité, dans un mouvement fait de ricochets où l’aléatoire joue un rôle essentiel et où, finalement, la ligne du discours se construit de proche en proche et beaucoup en marge de la volonté consciente du locuteur, qui fait confiance à ce qui pourrait être son “daïmon” ou, au choix, son “Jiminy-le-criquet “, ce qui le situerait quelque part entre Socrate, respectueusement, ou irrespectueusement,Pinocchio ... À SUIVRE ...........
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