Morales de Proust - Leçon IV [1] - Échauffements ...

Echauffement de l'un ....

Quand on a comme moi passionnément aimé l’école, et que cette passion continue, quand on l’a parcourue et labourée, enseigné puis enseignant, des deux côtés de cette relation du maître à l’élève qui fut autrefois celle du maître au disciple - et qui hélas, ici ou là, est en train de se dégrader en l’affrontement du bouffon et de la caillera -, s’apprêter à suivre un cours, c’est renouer avec l’émotion; et pénétrer dans un amphi, c’est pousser la porte d’une église. On sort son bloc-notes comme on ouvre un missel, mais les pages sont vierges et l’on attend l’officiant pour pouvoir y reporter la sanctifiante parole .....

Bon, tout ça est assez théorique... et dans les faits, on s’énerve parce qu’on ne trouve plus de place dans un amphi bondé, on s’agace parce qu’en passant à une nouvelle page on a perdu le fil du discours, on déprime parce qu’on ne comprend plus, soudain, ce qui est raconté, on a chaud, quelquefois une vague migraine ou un voisin qui prétend s’octroyer l’accoudoir, le stylobille n’écrit plus, le portable que l’on a docilement mis en mode silencieux - mais il y a toujours deux ou trois insoumis, plus loin, qui feront dans l’heure nuisance - se met à vibrer dans la poche: Qui m’appelle? Ma femme? Elle sait bien que je ne suis pas joignable!... Le fils? Il le sait aussi, mais comme il est moins respectueux... Il n’a pas terminé ses rendez-vous et me requiert pour aller chercher ses gosses à l’école? Comment donc - comme disait fort méchamment Céline, qui n’appréciait guère Marcel ou du moins le moquait - “proustifier” en paix?

Ce jeudi 24/1, justement, je les avais les gosses. Journée de grève éducative et pas de service minimum où ils sont ... Récupérés en fin de matinée, embarqués pour midi au Quick - toute diététique oubliée et “la plus grande aire de jeu de Paris!” Diable... De fait, ils ont adoré.. - avant de les prendre sous le bras pour faire quelques courses et puis filer au Luxembourg.
Seulement voilà, dans les courses, il y avait un saut prévu à la Librairie Compagnie, rue des Écoles: chercher (puis trouver!) Le chien des Baskerville et, ceci expliquant cela, le dernier opus de Pierre Bayard (L’homme qui vous apprend à parler des livres que vous n’avez pas lu), L’affaire du chien des Baskerville. La librairie fait sa pub par mail et j’avais reçu l’information: Bayard vient y faire un speech promotionnel (mais c’est un locuteur disert et intéressant, avec un bon zeste d’humour et de provocation) la semaine prochaine .... Ça se prépare! Enfin, si Compagnon m’en laisse le temps!

Or justement il était à la librairie, Compagnon, lui aussi. Ce n’est pas une blague. Client suivant, derrière moi, deux livres de poche à la main et deux connaissances, sauf erreur, à l’attendre. Amusant. Plus grand de près que de loin, moins soigné dans sa tenue (m’a-t-il paru) que sur l’estrade du mardi, encore juvénile certes, mais moins jeune. Un Compagnon zoommé en quelque sorte.

Il ne me connaît pas mais j’ai eu, sottement, le regard insistant, et comme un grand médiatisé ou un homme d’église, il a tacitement accepté l’hommage, allant même, à mon assez potache - comme un gamin de troisième qui rencontrerait son prof en ville, quand j’ai presque dix ans de plus que lui ... : “Tiens, Monsieur Compagnon, nous fréquentons la même librairie?” (dont on aura noté au passage la grande originalité!), jusqu’à m’honorer de l’onction d’un aimable “Bonjour” tandis que, soucieux de ne pas l’importuner plus avant et rassemblant ma triple marmaille, je lui cédais la place sans autre commentaire et vidais les lieux...

Pour le retrouver aujourd’hui, mais en étant assis à mon bureau, cinq feuillets de notes à la main et l’obligation d’un compte-rendu dont le travail douloureux sur le séminaire, pour une fois fait préalablement, me rend la perspective ... nuageuse. On y va quand-même?

Amphithéâtre Marguerite de Navarre
Mardi 22 / 1 / 2008 . 16h30 - 17h30

Echauffement de l'autre ....

Il avait une cravate foncée à rayures bordeaux, Compagnon, ce dernier mardi.... C’est déjà un début! Pour la suite, changeons un peu; je vais laisser là les transitions et tâcher d’isoler les coups de projecteur successifs de ce cours, copieux, réservant pour la conclusion, si j’y arrive, l’effort de la synthèse organisée.

Et tout d'abord, un démarrage prudent ...

On avait terminé la leçon III en y ayant introduit le conflit de deux systèmes moraux:

- Le “rationnel” (qu’il dirait presque Virgilien), dans lequel la morale s’énonce et se définit en mots, en aphorismes et en rigueur. Allusion au “Trahit quemque voluptas” explicatif qui a traversé les mardis précédents
- L’intuitif, celui qui fait pleurer non seulement Margot mais le narrateur, qu’effare une lacrymalité qu’il ne s’explique pas.

Toutefois dans la proximité quasi-redondante des deux passages utilisés sur ce dernier volet, l'intuitif, autour de l’homosexualité révélée de Saint-Loup (cf. Leçon III, partie II), on pourrait aussi voir les approximations d’un texte qui n’a pas été entièrement retravaillé, amendé, le balbutiement d’un effort de mise au point inachevé, laissant la porte ouverte à des hypothèses de révision qui auraient pu déboucher, réalisées, sur d’autres lectures, d’autres analyses. Au crédit de telles hypothèses et au discrédit du maintien de la quasi-redondance soulignée, les reproches de Proust à Péguy et à sa prose au ressassement lancinant: “L’eau bout à 100 degrés, et l’ayant dit, il n’y a rien à ajouter...”.

Le parapluie littéraire est ouvert ... En piste...
Et à suivre ...

Comments

[nico]

à cent degrés Celsius à condition qu'elle soit pure et qu'elle soit en ébullition sous une pression atmosphérique normale de 101 325 Pascals...Donc il "y avait à ajouter"
Par ailleurs Proust était plutôt bien renseigné en sciences physiques