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Mémoire-de-la-Littérature
25 janvier 2008

Séminaire n° 2

Mardi 22 / 1 / 2008 17h30 - 18h30 Proust et l’écriture du mensonge Luc Fraisse - Université Strasbourg II / Marc Bloch ... Waterloo de la prise de notes ou Défaite de la pensée? ... Ce fut une épreuve. Et là, maintenant, je suis depuis plus de deux heures à relire mes notes (enfin, notes ....) en me battant les flancs pour y trouver une logique interne, la possibilité d’une reconstruction synthétique, l’espoir d’un cheminement constructif, l’étincelle illusoire d’un travail utile à entreprendre .... Antoine Compagnon commence par présenter Luc Fraisse, physique m’a-t-il semblé très Troisième République et moustache volontiers rieuse, avant de l’ honorer, une heure plus tard, de son mécanique: “Bel exposé ...” qui finalement, d’expérience, relève non pas de l’expression d’un jugement de valeur, mais du T.O.C. (Trouble Obsessionnel Compulsif). On m’a rapporté, comme cela, à Toulouse, un chef d’établissement qui ne savait pas terminer ses phrases par autre chose que: “... sauf erreur ou omission” et, se présentant un jour au ministre en visite flanqué de l’Inspecteur d’Académie, s’était brièvement incliné en annonçant: “Robert X ..., sauf erreur ou omission”. Luc Fraisse, thèse datant de la fin des années 1980, solide et abondant contributeur à la littérature essayiste proustienne, s’est chargé ce soir du mensonge et en esquisse quelques coquetteries verbales liminaires. Soit. Citation de Proust en ouverture, dont il n’énonce que le début: “Le mensonge est essentiel à l’humanité. Il y joue peut-être un aussi grand rôle que la recherche du plaisir et d’ailleurs est commandé par cette recherche”. On ment, dit-il, toute sa vie. Soit. Truisme. Et dès lors, pour commencer par la fin, ont-ils passé leurs derniers moments à mentir, A.Compagnon - L.Fraisse, duettistes, dans l’échange traditionnellement lénifiant qui nous tient hebdomadairement lieu de débat? Cet exercice convenu, est-ce un échange de civilités “faux-cul” - de mensonges de sociabilité donc - ou la recherche sincère d’un terrain de discussion? Là, ils se sont mollement interrogés sur le point de savoir si les “mensonges de la Recherche ” s’étendaient, dans l’abondante correspondance de Proust, en “mensonges sur la Recherche “, avec ce codicille (de Compagnon, obtenant un rire d’impuissance de Fraisse): "Et si ce que nous disons mensonge n’est qu’une reconstruction a posteriori à laquelle le locuteur ou le scripteur croit? S’il n’y a pas tactique, volonté de trucage, peut-on parler à son propos de mensonge?" Ce qui suit est noté je crois sans omission, en temps réel: - L.F.: Il faudrait - je l’ai escamoté dans mon exposé - établir une échelle fine des mensonges - A.C.: Et Deleuze? Quid de Deleuze et de ses pages pertinentes sur la vertu heuristique, épistémique du mensonge? [Note: Personnellement, je n’ai rien en tête là-dessus; on pourrait tâcher de relire l’essai de Deleuze: Proust et les signes (P.U.F. / Collection “À la pensée”/ ... je vois au dos du livre qu’il valait 12 F en 1972!) qui ouvre son chapitre Signe et vérité sur cette affirmation: “La Recherche du temps perdu, en fait, est une recherche de la vérité. Si elle s’appelle recherche du temps perdu, c’est seulement dans la mesure où la vérité a un rapport essentiel avec le temps...”] - L.F.: Oui ... mais c’est que le Temps perdu se retourne en Temps retrouvé ... - A.C.: Il n’y aurait pas de “Recherche” sans le mensonge comme outil et .... La suite s’enlise. L’échange décousu s’interrompt: trois secondes passent, un peu lourdes... Le temps comprend qu’il lui faut se suspendre ... et le “Bien, je crois que nous allons en rester là” de Compagnon est le glas attendu, traditionnel et espéré d’une “comédie du sujet épuisé” qui au fond ne satisfait personne. Ce dialogue édifiant, lacunaire et vain est tout à fait caractéristique de l’a-structuration des fins de séance, avec ce sentiment de deux noyés qui s’enfoncent lentement , tandis que des bulles continuent un instant encore à venir crever en surface et que nous les perdons de vue ... Mais reprenons le fil et Luc Fraisse au début. Bien qu’affirmant - on vient de le voir - qu’il avait négligé la question de l’établissement d’une “échelle des mensonges”, L.F. semble pourtant avoir cherché à tourner autour en termes au moins de “types de mensonges”: selon le menteur, sa position théorique, ses objectifs, son environnement, son statut, ses repentirs .... le tout dans la perspective d’un cadrage de l’affaire référé à la Recherche, avec installation de strates de mensonges et intervention de Proust comme sujet, comme écrivain en général, comme auteur de ladite Recherche en particulier, démiurge ayant engendré un monde de personnages gravitant autour d’un narrateur, qui se démarque d’eux bien qu’en faisant partie, les observe en entomologiste, analyse leurs mensonges, n’évite pas les siens, dont l’auteur est (ou pas toujours) maître tout en étant, auteur, susceptible de produire d’autres mensonges distincts, ne relevant néanmoins pas forcément de lui-même parce que par ailleurs sujet-Proust, etc. Dans un tel maillage où des psychologies différentes se construisent et s’analysent à travers des délégations de fonctionnement qui émanent de la volonté première d’un sujet qui se regarde en observant la démultiplication de sa propre parthénogenèse, il est difficile de produire - à bride abattue et dans les successives vagues d’un brassage d’idées articulées sur des objets de réflexion et de référence sans cesse modifiés - un discours linéaire, limpide, calme et clair. On se retrouve donc en face d’un patchwork d’aspect quasi-aléatoire croisant, sous forme assez souvent d’affirmations lapidaires, les points de vue de l’architecte à l’œuvre (la Recherche est une Cathédrale), des structures qu’il crée et qu’il anime, du truchement qu’il mandate pour les disséquer (le narrateur), du marionnettiste au repos qu’il est à l’extérieur de l’œuvre (Proust distinct de l’auteur de la Recherche), et de l’environnement culturel qui fait qu’il est qui il est et que nous pouvons en parler, ou plus exactement que Luc Fraisse peut en parler, superposant sa voix à toutes celles sur lesquelles il glose. Sachant que là-dedans, tout le monde, plus ou moins, ment? À côté des mensonges qu’il liste: social, inconscient, jaloux, snob, inverti, de défense, d’attaque, de dissimulation, de dévoilement ... Luc Fraisse s’attache au mensonge de l’écrivain, chez qui il rencontre un romancier dogmatique, soucieux de mener à son terme sa construction cathédrale et de lui donner la dimension philosophique d’une quête de vérité (voir Deleuze) qui ne convainc pas l’œil critique d’un Julien Gracq: “...Proust pensait que sa gloire allait se jouer sur la découverte de quelques lois psychologiques...”, un écrivain qui installe ses propres contradictions d’observateur: “L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu’en soi, et en disant le contraire, ment” (Albertine disparue), un écrivain-philosophe qui circule dans l’univers romanesque qu’il a créé, y rencontre partout des mensonges et y lit de simples erreurs, s’ils sont délivrés de la faute, de la culpabilité, y lit d’autres fois les signes d’une limitation provisoire de l’intelligence, et y lit peut-être toujours une imperfection dans l’attente de sa perfection. Luc Fraisse convoque Swann: “Pour quelle autre vie réservait-il de dire enfin sérieusement ce qu’il pensait des choses, de formuler des jugements qu’il pût ne pas mettre entre guillemets, et de ne plus se livrer avec une politesse pointilleuse à des occupations dont il professait en même temps qu’elles sont ridicules?” (Du côté de chez Swann) Menteur, mieux que Swann, provisoire, le narrateur dit-il pourra au moins lui, un jour, nous parler sans guillemets de politesse, disposera effectivement, lui, d’une autre vie, à “retrouver”... Ce narrateur, qui chemine en philosophe - avec aussi ses faiblesses, ses petitesses, quand il se venge (de ses impuissances?, de ses propres insincérités?) en dénonçant tous les mensonges de Mme Verdurin -, c’est un spiritualiste sans au-delà, un immanentiste, qui veut prouver le mouvement en marchant et affirmer la vérité en la construisant, romanesquement ..... Et s’ensuit un enchaînement probablement coordonné mais dont je ne perçois et garde qu’une succession d’énoncés égrenés dont le sens ne m’est pas toujours clair, comme un empilement hasardeux à la logique globale incertaine: -Le mensonge est particulier, la vérité est générale - Le philosophe-narrateur, dans son dogmatisme, quoique détenant la vérité, doit accepter de mentir, vivant en société - Amicus Plato sed magis amica veritas [énoncé aristotélicien: Éthique à Nicomaque] (J’aime Platon, mais plus encore la vérité) - Mensonge et vérité: question de regard, de portée du regard; télescope de la vérité et microscope du mensonge - La vérité s’aperçoit à claire-voie -Le mensonge dans la Recherche, conçu par un littérateur-philosophe, dans un contexte moral problématique - le romancier emprunte à La Rochefoucauld sa hantise d’être dupe, ou se montre comme un Protagoras réaménagé .. Nul n’est menteur volontairement Le “Protagoras réaménagé” me laisse quand-même rêveur... Simple allusion à un sophisme renouvelé? Allusion plus précise au contenu du dialogue de Platon? Le “Nul n’est menteur volontairement” renvoie-t-il explicitement au socratique: “Nul n’est méchant volontairement”? D’où implicitement: “Si le mal est un raté de la volonté de bien faire, le mensonge peut être un raté de la volonté de bien dire? Un raté de la vérité?” - La chimère nervalienne comme mensonge à soi-même librement consenti est partout présente [ Sylvie? Ou plutôt du côté des poèmes, des Chimères? El Desdichado: "Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé ..." ? Artémis: "La treizième revient ... C’est encor la première ..." ? Etc. ?] - Proust épistolier, distribuant des contre-vérités à ses contemporains, démarche intuitive consistant à adopter les contenus que l’on abhorre pour mieux les connaître - Il faut avoir vécu dans l’erreur pour accéder à la vérité - Image d’un narrateur laissant en silence croître l’ivraie et le bon grain ensemble, en attendant le tri, dans une mise en scène d’un scepticisme étiré [Joli le “scepticisme étiré”: mais encore ?] - Triade platonicienne: Vrai, Bien, Beau ... Et? - En contexte schopenhauerien, sauf en musique, la vérité ne peut s’incarner que via le mensonge ... [ interrogation personnelle: influence de Schopenhauer sur Proust? Ici comme non-kantien, hostile à la morale de Kant, jugée trop rationnelle?] - Bergson distinguant le mensonge de l’intelligence ... (la suite est perdue) - Bonne connaissance, chez Proust , des thèses psychophysiologiques contemporaines; connaissance de Ribot ... [Note: Théodule Ribot (1839-1916). Philosophe passé à la Psychologie; tenant de l’insuffisance de l’introspection, défend les apports de la méthode externe: observation et mesure des phénomènes nerveux, psychologie comparée ... Ribot en outre a écrit un essai sur ... Schopenhauer] Au sortir de là - mais guère plus “lisible” - un assez long temps sur le travail de l’écrivain: -À partir du pastiche d’abord: forme de mensonge littéraire patenté, avec pour mémoire L’Affaire Lemoine par exemple, dont le personnage (réel) principal est déjà un menteur. Et Luc Fraisse évoque Bloch (un passage du Temps retrouvé), dont Françoise s’inquiète: “Elle se fâchait seulement que je racontasse d’avance mon article à Bloch, craignant qu’il me devançât, et disant: “Tous ces gens-là, vous n’avez pas assez de méfiance, c’est des copiateurs”. Et Bloch se donnait en effet un alibi rétrospectif en me disant chaque fois que je lui avais esquissé quelque chose qu’il trouvait bien: “Tiens, c’est curieux, j’ai fait quelque chose de presque pareil, il faudra que je te lise cela”. Il n’aurait pas pu me le lire encore, mais il allait l’écrire le soir même...” - À partir du passage (évoqué, non lu) de Du côté de chez Swann où le narrateur parle de constructions virtuelles faussées d’entités (de villes) inconnues à partir de leur nom: “Mais si ces noms absorbèrent à tout jamais l’image que j’avais de ces villes (...) ils eurent (...) pour conséquence de la rendre plus belle, mais aussi plus différente de ce [qu’elles] pouvaient être en réalité et, en accroissant les joies arbitraires de mon imagination, d’aggraver la déception future de mes voyages” . Luc Fraisse dit: Quimperlé, Pont-Aven ... et glisse. “Quimperlé (...) mieux attaché, et depuis le moyen âge, entre les ruisseaux dont il gazouille et s’emperle en une grisaille pareille à celle que dessinent, à travers les toiles d’araignée d’une verrière, les rayons de soleil changés en pointes émoussées d’argent bruni”. Lu? Peut-être la toute fin (?) ... - Il parle des apparentements, de la généalogie proustienne des “phrases” de Vinteuil, d’une construction plus ingénieuse que “sentie” et en évoque Romain Rolland et Jean-Christophe... (détails non notés) - Revenant sur le passage de La Prisonnière déjà donné en leçon III par A.C. (Laclos et Mme de Genlis, portraits croisés de deux oppositions entre la vie et l’œuvre: un bon mari / une œuvre perverse - une attitude indigne / des contes moraux), il s’étonne par ailleurs (ou fait semblant) d’une prise de position (dans une correspondance, mais n’y ment-il pas?) de Proust au bénéfice de l’éclairage de leurs œuvres par la vie des écrivains, pour rétablir une vérité que fardent les mensonges de leur production. Il dit: “L’auteur du Contre Sainte-Beuve! Etonnant?” Et on repart dans l’affirmatif lapidaire-lacunaire juxtaposé: - L’exercice du mensonge est chez l’écrivain à la fois sous contrôle et en liberté - La vérité n’a pas besoin d’être dite pour exister, au risque de l’incompréhension ou de la mésinterprétation: évocation du geste de Gilberte dans le petit raidillon de Tansonville - Il y a des mensonges musicaux: Chopin (Passage non lu) [et j’ajoute, en donnant l'extrait... ou au moins des sournoiseries: “... les phrases au long col sinueux et démesuré de Chopin, si libres, si flexibles, si tactiles, qui commencent par chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de leur départ, bien loin du point où on pouvait espérer qu’atteindrait leur attouchement, et qui ne se jouent dans cet écart de fantaisie que pour revenir plus délibérément - d’un retour plus prémédité, avec plus de précision, comme sur un cristal qui résonnerait jusqu’à faire crier - vous frapper au cœur”. ] - Les blancs narratifs de Flaubert dans L’éducation sentimentale .... - Essor de l’autobiographie fictive: mensonge scandaleux de l’art dans l’autofiction (! ou ?) - Le narrateur: “Celui qui dit je et n’est pas toujours moi” [J’ajoute, en marge: à la fois évident, nécessaire et peut-être à mi chemin entre la désespérance existentielle du “Je est un autre” de Rimbaud, et la facétie romanesque du “L’autre comme moi” de Saramago] Préoccupation de la vérité du roman et de ses rapports avec la vérité? Luc Fraisse souligne le choix par l’écrivain du passage par la forme romanesque pour établir ses vérités, mais évoquant des situations (non précisées davantage) où le héros ment à une menteuse supposée afin de faire naître le vrai, il introduit des remarques en cascade qui font une prise de notes inexploitable pour présenter un raisonnement. Livraison brute: - Âpre combat de l’optimisme et du pessimisme - Âpre combat du mensonge romanesque et de la vérité esthétique - Quand le narrateur proclame: “Je ne suis pas romancier”, il veut souligner sa vocation philosophique et affirmer qu’il ne fait pas qu’inventer - C’est l’épaisseur des mensonges environnants qui donne au narrateur sa propre épaisseur Deux citations nettes émergent malgré tout, qu’il lit: (a) Le passage (La Prisonnière) inscrivant l’accession de Charles Haas à une gloire posthume dans son statut de modèle d’un personnage de roman (il prêta quelques traits à Swann; Proust l’a connu chez Mme Straus, fille d’Halévy, le compositeur-auteur de La Juive, qui avait eu Georges Bizet comme élève ... et gendre, car Mme Straus en était la veuve): “Et pourtant, cher Charles Swann [lire Haas], que j’ai si peu connu quand j’étais encore si jeune et vous près du tombeau, c’est déjà parce que celui que vous deviez considérer comme un petit imbécile a fait de vous le héros d’un de ses romans, qu’on recommence à parler de vous et que peut-être vous vivrez. Si dans le tableau de la rue Royale, où vous êtes entre Galliffet, Edmond de Polignac et Saint-Maurice, on parle tant de vous, c’est parce qu’on voit qu’il y a quelques traits de vous dans le personnage de Swann” Le “raccord” avait été fait, très allusivement, dans le côté de Guermantes: “Swann était habillé avec une élégance qui (...) associait à ce qu’il était ce qu’il avait été. (...) il portait un tube gris d’une forme évasée que Delion ne faisait plus que pour lui, pour le prince de Sagan, pour M. de Charlus, pour le marquis de Modène, pour M. Charles Haas et pour le comte Louis de Turenne”. (b) Le début du second des deux passages, celui en “coup de chapeau” aux Larivière, déjà présenté en Compte-rendu de Philippe Chardin: “Dans ce livre où il n’y a pas un seul fait qui ne soit fictif, où il n’y a pas un seul personnage à clefs, où tout a été inventé par moi selon les besoins de ma démonstration ...” Pas de clefs dans le roman? De (a) à (b), la plume bifurque, avec effet boomerang, dit L.Fraisse ... Puis il enchaîne sur “ le jeu des voix narratives, et ces aveux dans La Prisonnière, relatif à des choix inévitables nécessitant le mensonge”. Et il lit: “Mes paroles ne reflétaient donc nullement mes sentiments. Si le lecteur n’en a que l’impression assez faible, c’est qu’étant narrateur je lui expose mes sentiments en même temps que je lui répète mes paroles. Mais si je lui cachais les premiers et s’il connaissait seulement les secondes, mes actes, si peu en rapport avec elles, lui donneraient si souvent l’impression d’étranges revirements qu’il me croirait à peu près fou. Procédé qui ne serait pas, du reste, beaucoup [plus?] faux que celui que j’ai adopté, car les images qui me faisaient agir, si opposées à celles qui se peignaient dans mes paroles, étaient à ce moment-là fort obscures ; je ne connaissais qu’imparfaitement la nature suivant laquelle j’agissais ; aujourd’hui, j’en connais clairement la vérité subjective”. Mais il est déjà loin, reparti dans la saccade, et moi notant, découragé, ceci où je ne perçois pas de commentaire articulé et dont je livre le vrac: - Être de fuite - Espoir que fait lever la sonate de Vinteuil - Illuminations de l’art - La mise en scène du mensonge nes serait-elle pas un “thérapie” du snob? - Ces phrases échangées, pleines de fausseté, avec Gilberte, avec Albertine, ne donnent-elles pas, inversées, la vérité? - Le mensonge chez Proust n’est pas social, mais psychologique, témoin la réapparition de Mme Verdurin en Guermantes - La révélation du mensonge vaut pour la conflagration intime qu’elle provoque dans la conscience du sujet - Le romancier est souvent naïf - Y a-t-il un snobisme de l’utilisation du mensonge, voire, l’utilisation du mensonge ne s’identifie-t-elle pas au snobisme? Une petite remarque, incidente, me retient: Luc Fraisse évoque le jeu qu’instaure le narrateur avec son lecteur. Proust postule qu’il dira tout, mais - analogie avec la cathédrale où une petite statue ciselée à trop grande hauteur échappera à tout examen à l’œil nu - il emploiera (Côté des Guermantes) des détours de phrase dont le dévoilement sera presque impossible au lecteur. Malheureusement je n’ai pas noté ni surtout souvenir qu’il y ait eu exemple ... Dommage ... Il évoque encore la nécessité pour le narrateur de mentir: “Prêcher le faux pour savoir le vrai” ... Et puis je l’entends lire, et peut-être en rapport avec cela (vrai/faux), rapprocher / confronter deux passages: “Si mes parents m’avaient permis, quand je lisais un livre, d’aller visiter la région qu’il décrivait, j’aurais cru faire un pas inestimable dans la conquête de la vérité” d’une part, et: “Je savais que les pays n’étaient pas tels que leur nom me les peignait” de l’autre.... et de là enchaîner sur un point de technique du récit, disant que le narrateur ralentit avant d’arriver à la vérité et donnant comme exemple deux situations: - Dans Combray, le passage d’ailleurs magnifique déjà exploité l’an dernier dans le cours: “Il y a bien des années de cela. La muraille de l’escalier où je vis monter le reflet de sa bougie n’existe plus depuis longtemps. En moi aussi bien des choses ont été détruites que je croyais devoir durer toujours et de nouvelles se sont édifiées donnant naissance à des peines et à des joies nouvelles que je n’aurais pu prévoir alors, de même que les anciennes me sont devenues difficiles à comprendre. Il y a bien longtemps aussi que mon père a cessé de pouvoir dire à maman: “Va avec le petit”. La possibilité de telles heures ne renaîtra jamais pour moi. Mais depuis peu de temps, je recommence à très bien percevoir, si je prête l’oreille, les sanglots que j’eus la force de contenir devant mon père et qui n’éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En réalité ils n’ont jamais cessé; et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches des couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir”. - Dans la troisième partie de Du côté de chez Swann - et autre morceau de bravoure - l’attente des conditions climatiques de la venue de Gilberte aux Champs-Élysées: “Devant la fenêtre, le balcon était gris. Tout d’un coup, sur sa pierre maussade je ne voyais pas une couleur moins terne, mais je sentais comme un effort vers une couleur moins terne, la pulsation d’un rayon hésitant qui voudrait libérer sa lumière. Un instant après, le balcon était pâle et réfléchissant comme une eau matinale, et mille reflets de la ferronnerie de son treillage étaient venus s’y poser. Un souffle de vent les dispersait, la pierre s’était de nouveau assombrie, mais, comme apprivoisés, ils revenaient; elle recommençait imperceptiblement à blanchir et par un de ces crescendos continus comme ceux qui, en musique, à la fin d’une Ouverture, mènent une seule note jusqu’au fortissimo suprême en la faisant passer rapidement par tous les degrés intermédiaires, je la voyais atteindre à cet or inaltérable et fixe des beaux jours, sur lequel l’ombre découpée de l’appui ouvragé de la balustrade se détachait en noir comme une végétation capricieuse, avec une ténuité dans la délinéation des moindres détails qui semblait trahir une conscience appliquée, une satisfaction d’artiste, et avec un tel relief, un tel velours dans le repos de ses masses sombres et heureuses qu’en vérité ces reflets larges et feuillus qui reposaient sur ce lac de soleil semblaient savoir qu’ils étaient des gages de calme et de bonheur”. Parle de “moments de méditation” pour lire ceci, dans la Prisonnière: “Mais alors, autant que par l’identité que j’avais remarquée tout à l’heure entre la phrase de Vinteuil et celle de Wagner, j’étais troublé par cette habileté vulcanienne. Serait-ce elle qui donnerait chez les grands artistes l’illusion d’une originalité foncière, irréductible, en apparence reflet d’une réalité plus qu’humaine, en fait produit d’un labeur industrieux? Si l’art n’est que cela, il n’est pas plus réel que la vie, et je n’avais pas tant de regrets à avoir”. L’écrivain, dit-il, suit son plan et organise sa progression, comme dans la tragédie classique, en utilisant le monologue délibératif. Et il reste sur le thème du support de réflexion musical pour renvoyer à la rencontre de Charlus et de Jupien dans la cour de l’hôtel de Guermantes: "Telle, toutes les deux minutes, la même question semblait intensément posée à Jupien dans l’œillade de M. de Charlus, comme ces phrases interrogatives de Beethoven, répétées indéfiniment, à intervalles égaux, et destinées - avec un luxe exagéré de préparations - à amener un nouveau motif, un changement de ton, une “rentrée” ...”. De même, crois-je l’entendre dire, sur l’amplitudedu roman, sur toute sa longueur, l’auteur prépare une révélation. La fin se hâte vers son terme. On parle d’une lettre de Proust à Jacques Rivière, dans laquelle il s’explique sur sa volonté de ne pas annoncer d’emblée sa quête de vérité; on entend dire: Kant, puis: “Si l’amour est mensonge, son contraire (?) la jalousie, pourrait bien être vérité”; on reconnaît au narrateur le droit de mentir pour garder sa situation de héros et je trouve trace d’une triade non commentée: mensonges-écrivain dogmatique-impératif catégorique ... Une lettre à Rosny aîné est évoquée, où tout des datations avancées par Proust en termes de genèse de son travail est réputé faux; et de là suit un assez copieux extrait, non noté par moi mais lu par Fraisse, de Proust entre deux siècles (A. Compagnon) sur le maquillage de la création littéraire. Et on conclut sur un repentir, ou une précaution. S’excusant de la prégnance de son intitulé, Luc Fraisse veut se défendre d’une interprétation de son exposé qui conduirait à un Proust essentiellement mythomane. Forfaiture, dit-il, que de prétendre réduire la Recherche au déploiement de ses mensonges, et tel ne fut pas son dessein. Ce qui me laisse malgré tout une question: Quel que fut son dessein, puisque sur lui je m'interroge, fut-il bien ... dessiné? Il y a eu du matériau, que j’ai tâché de rassembler, mais on est encore au brouillon, il me semble.
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Commentaires
N
Pourtant, quarante ans après on peut dire que sous la plage il y a de gros pavés encore
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J
Très belle, l'image des noyés et des bulles qui remontent. Luc Fraisse est cette année président du CNU 9e section : vous en faites un juste quoique sommaire portrait. Aucun stylo ne doit dépasser la ligne. Le problème global de la critique proustienne, est que depuis l'"énantiologie" de Barthes, et le colloque sur la Surprise, indépendamant des recherches de génétique textuelle, plus rien ne semble vraiment novateur.
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N
J'étais bien assise dans l'amphi Marguerite de Navarre, ce mardi, de 17h30 à 18h30 et M. A. Compagnon a bien annoncé le Séminaire de M. Fraisse.<br /> Je n'ai pas dormi, contrairement à certaines personnes âgées de mon entourage.<br /> Pourtant, au bout du compte, je vais vous dire:<br /> "M. Fraisse a fait une lecture sur le mensonges de Proust, à cette heure et en ce lieu??" Ah,comme c'est étrange, car je n'ai rien "entendu", et mon époux qui se tenait à mes côtés et était toute ouïe lui aussi,n'a rien "entendu",lui non plus..."<br /> Et nous sommes rentrés, démoralisés mais aussi fort en colère contre cette nouvelle génération qui se plaisait à nous démontrer que nous étions des imbéciles, alors que les Vernant, De Romilly, Tadié, Serres, De Gennes et autres nous avaient si longtemps rendus plus intelligents!<br /> Nous n'avions qu'un espoir, attendre les compte-rendus de nos blogueurs préférés pour que "tout ne soit pas perdu"<br /> Encore mille fois "merci"
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