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Mémoire-de-la-Littérature
4 février 2008

Séminaire n° 3

Petites sociologies proustiennes
Jacques Dubois - Université de Liège

Mardi 29 janvier 2008
Amphithéâtre Marguerite de Navarre
17h30 - 18h30

Rendre immédiatement l’hommage qu’il mérite à Monsieur Jacques Dubois, d’ailleurs inhabituellement salué, à la fin de son exposé, par des applaudissements qui signaient un indiscutable courant de sympathie.

Modestie du ton, gourmandise du texte et une simplicité de parole que n’a que de temps en temps biaisée le souci - pour tenir dans le cadre horaire imposé - de revenir à des notes qui paraissaient du coup trop “écrites” et plus “froides”. Mais quel saut qualitatif global au sortir du déroulé halluciné du séminariste hélas “lambda”, hanté par le “paraître savant” (et, j’en suis persuadé, l’étant, mais sans savoir le “contrôler”) et nous livrant, hors d’haleine, dix fois le contenu du raisonnable d’un exposé de 45 minutes.

Jacques Dubois, donc, vint....
Brève présentation de Compagnon: Grand connaisseur du roman réaliste, de Zola et de la littérature policière (Édition Simenon dan la Pléiade) ... et puis surtout deux livres qui l’ont attaché: Pour Albertine- Proust et le sens du social (1997) et Stendhal, une sociologie romanesque (2007) ..

Note: On trouve sur le Net un article intéressant croisant J.Dubois, Proust et Stendhal à l’adresse (http://contextes.revues.org/document221.html)

Dubois évoque Barthes, d’abord et son jugement: Proust est plus sociologique qu’on ne dit .... ajoutant que cette relative originalité dans l’énoncé est aujourd’hui un acquis. Mais parler d’une Sociologie chez Proust pose une telle question qu’il va réduire le propos et limiter le questionnement, se contentant de mettre l’affaire au pluriel et d’en évoquer quelques “petites”... Juxtaposition justifiée par les moyens dont dispose le romancier pour s’attaquer au social et qui relèvent du singulier, du concret, du parcellaire, du local. Il évoque un jugement de Bourdieu dont je n’ai que l’ossature, en substance: ... il n’existe pas de meilleure attestation que le littéraire est différent du scientifique que la concentration dans une seule image de toute la complexité que les scientifiques s’emploient au contraire à déployer ...
En tout cas s’il existe une sociologie de Proust, elle est (a) spontanée et (b) décrit sur un mode personnel des microcosmes autonomes, faisant sociologie des bains de mer, ou de Combray, etc. ...
Proust est quelqu’un pour qui l’univers social existe, mais un univers qu’il cerne sur des focalisations bien précises, sur des champs scéniques bien délimités, comme la soirée chez la duchesse de Guermantes au début de Sodome et Gomorrhe réduite à la mise en œuvre de stratégies de capture ou de défense d’un rang. Proust emprunte deux voies majeures dans ses observations et ses analyses:
(a) l’étude des rapports de domination, de pouvoir;
(b) l’examen des réseaux d’appartenances, de dotations, d’héritage, de transmission des ascendants vers les descendants

Sur le point (a) ...

Jacques Dubois se réfère au travail de Catherine Bidou-Zachariasen: “Proust sociologue” (Éd. Descartes & Cie) qui présente la Recherche sous l’angle d’une étude sociologique où apparaît le renversement des influences à travers une lutte de Salons (Duchesse de Guermantes / Princesse de Guermantes / Odette / Mme Verdurin - le local transcendé par une construction globale), où l’obsession est de s’assurer le pouvoir pour fixer les goûts; une lutte dont ce sera paradoxalement le salon Verdurin qui sortira vainqueur, parce que ce salon bourgeois aura su miser sur les avant-gardes, utiliser la culture et la modernité pour adhérer en cynique au bouillonnement nouveau qui traverse la société quand se délite le primat de l’affiliation au pouvoir symbolique du vieux corps aristocratique. “Les théories et les écoles - J.Dubois cite une phrase (une maxime!) de Sodome et Gomorrhe - comme les globules et les microbes s’entredévorent et assurent par leur lutte la continuité de la vie”.

Derrière le ridicule et qui porte au sourire, comme, lors de la visite à la Raspelière des Cambremer, propriétaires du Château, aux Verdurin, qui l’ont loué, la dispute au sujet de la décoration de la maison, Catherine Bidou voit une véritable bataille, un coup de force. J.Dubois ébauche une citation que je donne ici entière: “Il (le marquis de Cambremer) pouvait pourtant se trouver dépaysé, car Mme Verdurin avait apporté quantité de vieilles belles choses qu’elle possédait . À ce point de vue, Mme Verdurin, tout en passant aux yeux des Cambremer pour tout bouleverser, était non pas révolutionnaire mais intelligemment conservatrice, dans un sens qu’ils ne comprenaient pas. Ils l’accusaient aussi à tort de détester la vieille demeure et de la déshonorer par de simples toiles au lieu de leur riche peluche, comme un curé ignorant reprochant à un architecte diocésain de remettre en place de vieux bois sculptés laissés au rencard et auxquels l’ecclésiastique avait cru bon de substituer des ornements achetés place Saint-Sulpice”.

J.Dubois insiste: ... il y a une lutte féroce entre les clans et entre les individus dans cette soirée à La Raspelière où se côtoient l’aristocratie (M. de Charlus), les nobliaux de province (M. et Mme de Cambremer), la bourgeoisie (les Verdurin), les artistes (Morel) et ... le narrateur qui, dit-il, constitue une classe sociale à lui tout seul! La confrontation, en apparence pittoresque et sur le fond très dure, fait ressortir les mécanismes sociaux.
Il dit: ... le grand sociogramme romanesque fonctionne chez Marcel Proust et - schéma construit par Italo Calvino - les personnages circulent aux points spatio-temporels d’un vaste réseau qui, selon celui de ces points qu’ils occupent, les démultiplie.

Sur le point (b) ...

Jacques Dubois parle d’un savoir “en acte” à travers ce jeu qui fascine Proust des appartenances, des héritages, à travers la façon dont ils se transmettent et sont reçus (il évoque Albertine recueillant des expressions transmises par sa mère). Proust dit-il aime à se perdre dans les chaînes causales, dégageant des lois paradoxales, lisant le présence du social dans l’individu, un social qui finalement s’y dissout avec et dans le psychique (...et il fait référence au sociologue (américain ou canadien) Erving Goffman (mort en 1968) et à son ouvrage: Mises en scène de la vie quotidienne: Présentation de soi / Rites d’interaction (ou Interactions en public) )

Retour à un article de Barthes de 1974 (repris dit-il dans sa (ou ses) Recherche(s) de Proust au Seuil, Coll. Points [... et il faudra aller voir]) et accent mis sur le phénomène de renversement ou d’inversion (sans connotation sexuelle précise-t-il) qu’on rencontre et dont le narrateur fait plusieurs fois l’expérience dans Sodome et Gomorrhe au moment “d’entrer en connaissance” avec une personne, un personnage. Il prend pour exemple typique l’entrée en scène de la princesse Sherbatoff. Je donne l’extrait [non lu]:

Premier contact....“N’ayant rien trouvé, nous montâmes dans un compartiment où était déjà installée une dame à figure énorme, laide et vieille, à l’expression masculine, très endimanchée, et qui lisait la Revue des Deux Mondes. Malgré sa vulgarité, elle était prétentieuse dans ses gestes, et je m’amusai à me demander à quelle catégorie sociale elle pouvait appartenir; je conclus immédiatement que cela devait être quelque tenancière de grande maison de filles, une maquerelle en voyage. Sa figure, ses manières le criaient. J’avais ignoré seulement jusque-là que ces dames lussent la Revue des Deux Mondes”.

... et ensuite, trente-cinq pages plus loin, la surprise:

“Il nous emmena tous à la recherche de la princesse Sherbatoff. Il la trouva dans le coin d’un wagon vide en train de lire la Revue des Deux Mondes. Elle avait pris depuis de longues années, par peur des rebuffades, l’habitude de se tenir à sa place, de rester dans son coin, dans la vie comme dans le train, et d’attendre pour donner la main qu’on lui eût dit bonjour. Elle continua à lire quand les fidèles entrèrent dans le wagon. Je la reconnus aussitôt; cette femme qui pouvait avoir perdu sa situation mais n’en était pas moins d’une grande naissance, qui en tout cas était la perle d’un salon comme celui des Verdurin, c’était la dame que dans le même train, j’avais cru, l’avant-veille, pouvoir être une tenancière de maison publique”.

Cadrage : La princesse Sherbatoff, “qui depuis longtemps n’était plus reçue par personne”, fréquente en fait essentiellement le salon Verdurin dont elle est “la fidèle-type”, et sinon, tôt le matin, la grande duchesse Eudoxie, qui en fait “ne la laissait venir que de très bonne heure , quand l’Altesse n’avait auprès d’elle aucun des amis à qui il eût été aussi désagréable de rencontrer la princesse que cela eût été gênant pour celle-ci”. Il y a là un petit incident amusant. J.Dubois, bonhomme, trébuche sur le nom de la grande duchesse, commençant par la dire “Élodie”, avant, rattrapé par Compagnon, de la rebaptiser Eudoxie. Son hésitation et son “merci” plein de gentillesse m’ont semblé fort touchants venant d’un spécialiste.

Roland Barthes, dit-il, revenant à l’article de 1974, a analysé cette rencontre: surprise et comble, situation d’une grande dame qui passe pour “minable”. Barthes qui prend d’autres exemples: M. Verdurin, variant dans ses présentations de Cottard selon l’interlocuteur, magnifiant le docteur s’il pense que l’autre ne le connaît pas, le dévaluant s’il le croit connu; ou bien Odette, supérieure dans son milieu, bête chez les Verdurin ...
Barthes parle de la portée sociale de ce type de phénomène de renversement, affirmant que dès le moment où le lecteur a repéré ces inversions, il va les instituer en règle déductive et les anticiper. Il parle (Barthes) d’une pandémie de cette “figure” dans la Recherche mais recommande de ne pas l’investir de trop de contenu, et surtout pas de contenu moral. Ainsi de la princesse Sherbatoff qui restera, dit-il, marquée d’une ambivalence: certes princesse, mais gardant néanmoins, dans le prolongement du premier contact, une dimension “maquerelle”.... en venant à dire que plus que le sens, c’est le discours qui compte, un discours qui suscite (ou s’investit en) une jubilation “érotique” ... [Je reproduis ici mes notes en l’état, sous réserve d’une fiabilité correcte de la saisie, et sans commentaires (faute à ce jour d’avoir pris connaissance de l’article de Barthes)]

Et on passe à l’exemplier ....

J.Dubois renonce - l’heure avance - à exploiter chacun des six passages de Sodome et Gomorrhe qu’il a retenus. Il en souligne le principe commun: mise en scène d’une personne tiraillée entre deux “postulations”, deux “situations”, deux “projections” et qui va se diriger (ou l’être) vers une solution boiteuse, biscornue, interprétable en dernier mot comme un “ratage”.
Il lit son exemple (1):

“C'était un de ces hommes à qui leur expérience professionnelle consommée fait un peu mépriser leur profession et qui disent par exemple: “Je sais que je plaide bien, aussi cela ne m'amuse plus de plaider”, ou: “Cela ne m'intéresse plus d'opérer; je sais que j'opère bien”. Intelligents, artistes, ils voient autour de leur maturité, fortement rentée par le succès, briller cette “intelligence”, cette nature “d'artiste” que leurs confrères leur reconnaissent et qui leur confère un à-peu-près de goût et de discernement. Ils se prennent de passion pour la peinture non d'un grand artiste, mais d'un artiste cependant très distingué, et à l'achat des oeuvres duquel ils emploient les gros revenus que leur procure leur carrière. Le Sidaner était l'artiste élu par l'ami des Cambremer, lequel était du reste très agréable. II parlait bien des livres, mais non de ceux des vrais maîtres, de ceux qui se sont maîtrisés. Le seul défaut gênant qu'offrît cet amateur était qu'il employait certaines expressions toutes faites d'une façon constante, par exemple: "en majeure partie”, ce qui donnait à ce dont il voulait parler quelque chose d'important et d'incomplet”...

... et le juge “féroce”, tout en se posant la question de savoir si apprécier Le Sidaner (un suiveur de Monet, dit-il) mérite tant d’indignité... Proust, souligne-t-il, par une succession de coups d’épingle, aggrave progressivement le cas de son malheureux et nous met devant deux logiques sociales distinctes, pas forcément concurrentes, ni opposées, mais qui néanmoins dans leurs relatifs antagonismes, construisent un individu social boiteux, dans un compromis bancal.
On passe au (2):

"M. de Vaugoubert se dandinant (par un excès de politesse qu'il gardait même quand il jouait au tennis où à force de demander des permissions à des personnages de marque avant d'attraper la balle, il faisait inévitablement perdre la partie à son camp) [...]"

Il commente: “Joli, très joli” ... ajoutant qu’il y a ici encore deux logiques et que, diplomate inverti qui veut cacher ses goûts, Vaugoubert en arrive au ratage en se surexposant quand il croît s’effacer sous le rideau de fumée de politesses hyperboliques
Exemple (5) qu’il avoue savourer avec des délicatesses de gourmet:

"C'était l'époque où les gens bien élevés observaient la règle d'être aimable et celle dite des trois adjectifs. Mme de Cambremer les combinait toutes les deux. Un adjectif louangeur ne lui suffisait pas, elle le faisait suivre (après un petit tiret) d'un second, puis (après un deuxième tiret) d'un troisième. Mais ce qui lui était particulier, c'est que, contrairement au but social et littéraire qu'elle se proposait, la succession des trois épithètes revêtait dans les billets de Mme de Cambremer l'aspect non d'une progression, mais d'un diminuendo"

...en référence à quoi il s’était amusé à ouvrir son exposé en avouant qu’il était - de cette invitation au Collège de France - “ravi, heureux, content ...”; et rappelant qu’ailleurs, à propos de Saint-Loup, apparaît le “diminuendo” de qualités “uniques, rares, réelles”.... Mme de Cambremer mésuse même, dit-il de deux règles, ajoutant à l’incompréhension de celle des trois adjectifs, l’inutile abus du tiret.
Enfin il lit le (6):

"Ne quittant la lecture de Stuart Mill que pour celle de Lachelier, au fur et à mesure qu'elle croyait moins à la réalité du monde extérieur, elle [Mme de Cambremer jeune] mettait plus d'acharnement à chercher à s'y faire, avant de mourir, une bonne position. Éprise d'art réaliste, aucun objet ne lui paraissait assez humble pour servir de modèle au peintre ou à l'écrivain. Un tableau ou un roman mondain lui eussent donné la nausée; un moujik de Tolstoï, un paysan de Millet étaient l'extrême limite sociale qu'elle ne permettait pas à l'artiste de dépasser. Mais franchir celle qui bornait ses propres relations, s'élever jusqu'à la fréquentation des duchesses, était le but de tous ses efforts, tant le traitement spirituel auquel elle se soumettait par le moyen de l'étude des chefs-d'œuvre, restait inefficace contre le snobisme congénital et morbide qui se développait chez elle. Celui-ci avait même fini par guérir certains penchants à l'avarice ou à l'adultère auxquels étant jeune elle était encline, pareil en cela à ces états pathologiques singuliers et permanents qui semblent immuniser ceux qui en sont atteints contre les autres maladies"

Toute une partie de ce développement, commente-t-il, relève des renversements “barthésiens”. Et il parle de chiasme [dans l’esprit plus que dans la lettre; figure de style de type ABBA : “Gourmand de tout, de tout insatiable” (ex pris dans Ronsard; Contre les bûcherons de la Forêt de Gastine)]

Exemples laissés de côté, faute de temps:

(3): “À ce moment le repas fut interrompu par un convive que j'ai oublié de citer, un illustre philosophe norvégien qui parlait le français très bien mais très lentement, pour la double raison, d'abord que l'ayant appris depuis peu et ne voulant pas faire de fautes (il en faisait pourtant quelques-unes), il se reportait pour chaque mot à une sorte de dictionnaire intérieur; ensuite parce qu'en tant que métaphysicien, il pensait toujours ce qu'il voulait dire pendant qu'il le disait, ce qui, même chez un Français, est une cause de lenteur. C'était du reste un être délicieux, quoique pareil en apparence à beaucoup d'autres, sauf sur un point. Cet homme au parler si lent (il y avait un silence entre chaque mot) devenait d'une rapidité vertigineuse pour s'échapper dès qu'il avait dit adieu. Sa précipitation faisait croire la première fois qu'il avait la colique ou encore un besoin plus pressant"

(4): “La princesse était fort riche; elle avait à toutes les premières une grande baignoire où, avec l'autorisation de Mme Verdurin, elle emmenait les fidèles et jamais personne d'autre. On se montrait cette personne énigmatique et pâle qui avait vieilli sans blanchir, et plutôt en rougissant comme certains fruits durables et ratatinés des haies. On admirait à la fois sa puissance et son humilité, car ayant toujours avec elle un académicien, Brichot, un célèbre savant, Cottard, le premier pianiste du temps, plus tard M. de Charlus, elle s'efforçait pourtant de retenir exprès la baignoire la plus obscure, restait au fond, ne s'occupait en rien de la salle, vivait exclusivement pour le petit groupe qui un peu avant la fin de la représentation se retirait en suivant cette souveraine étrange et non dépourvue d'une beauté timide, fascinante et usée. Or, si Mme Sherbatoff ne regardait pas la salle, restait dans l'ombre, c'était pour tâcher d'oublier qu'il existait un monde vivant qu'elle désirait passionnément et ne pouvait pas connaître; la “coterie” dans une “baignoire” était pour elle ce qu'était pour certains animaux l'immobilité presque cadavérique en présence du danger"

.... exemples sur lesquels la même grille d’analyse s’appliquait.

Il conclut...
... le texte a une portée discrètement satirique, l’anecdote proustienne n’est pas anodine. La cruauté, soulignant les ratages du paraître social, n’est pas niable. Il (J.Dubois) a souhaité présenter la technique de mise en œuvre de ce soulignement: un trajet narratif qui “fait figure” et débouche sur un étonnement final, avec intercalation de réflexions en chaîne, sur un principe de boule de billard.
La sociologie proustienne s’appuie sur, met en évidence, des destins perturbés portés par des personnalités hybrides chez qui les incompatibilités ne se surmontent pas. Et il re-convoque la jeune Mme de Cambremer, la princesse Sherbatoff, leur ajoutant le philosophe norvégien, figure de l’exemple (non lu) n°4, dont il dit que son “être” est “antiphrastique” [...c’est à dire relève de l’antiphrase, figure de style consistant à employer un mot ou une locution dans un sens contraire à son sens véritable, à dire l’inverse de ce qu’on veut laisser entendre. L’adéquation de ce terme à la situation décrite ne me saute pas aux yeux sauf à ne le lire que comme éclairage un peu pédant des incohérences de comportement du personnage et du hiatus d’une activité pensante réputée profonde à son incarnation dans une élocution, une gestuelle, ridicules. Façon aussi de se moquer de la philosophie. Arrivé là dans le commentaire, force est de constater qu’antiphrastique est évidemment ... plus court!]

Le ratage, en termine-t-il, fait rire, révélateur d’un boitement, appuyé sur des détails réducteurs - la marquise douairière de Cambremer salive, la jeune ressemble à une galette normande - démultiplié lors de la soirée à la Raspelière; il y a là une véritable tératologie proustienne, une galerie de monstres. Et de renvoyer, dernier ratage cité, à l’arrivée de M. de Charlus, passant du mépris de ses a priori contre les Verdurin au plaisir dégagé par la chaleur du lieu ... [Je me contente ici de recopier mes notes; je n’ai pas assez le passage en tête pour risquer un avis]

Échange avec A. Compagnon .....
Outre - et c’est quasiment à mon sens un hommage! - que Compagnon s’est dispensé de son compulsif: “Bel exposé, vraiment”, le court débat qui clôt la prestation de J.Dubois m’a semblé plus “senti”, plus “sincère” que d’habitude, y compris dans ses tâtonnements mal structurés et ses affirmations - questions - réponses aux implications logiques aléatoires, aux suites inabouties, en suspens. Verbatim :

A.C. ... ces renversements que vous dites sans contenu moral (la princesse Sherbatoff, etc.) ? Il y a pourtant là des exemples liés à un trouble de l’identité, débouchant sur des bévues. Peut-on ne pas lier cela à une vérité cachée, à un contenu nécessairement moral? J’ai du mal à “séparer”...
J.D. ... oui, peut-être. Mais ces exemples sentent la fabrication; ce sont des gens fragiles, troublés, et on peut penser que Proust, au fond, s’attendrit ...
A.C. ... ne serait-ce que dans le souci de l’observation de leurs boiteries ...
J.D. ... mais on ne sait pas qui les remarque, sinon le narrateur ...
A.C. ... donc, révélant une fêlure de l’être,tout ça relève quand même du “moral”. L’amateur de Le Sidaner est un “célibataire de l’art” ...
J.D. ... certes, Mme de Cambremer jeune est ridicule, mais elle est aussi victime d’une violence sociale; et il y aura Saniette ...
A.C. ... et il y a le lapsus social du narrateur vis à vis de Norpois dans l’épisode du baisement de main esquissé, qui est un vrai faux pas de sa part ...
J.D. ... À la Raspelière, dans la scène ridicule de la dispute sur la décoration du lieu, le narrateur dit son mot qui va à l’encontre des deux avis qui s’opposent. Il dit qu’entrant dans la galerie, il s’est cru à la mairie et tout le monde lui tombe sur le dos. Pourquoi a-t-il dit cela?
A.C. ... oui, il est sensible à l’insignifiant, au médiocre - son éloge du morceau de lustrine verte bouchant un carreau cassé, une amorce avortée d’ailleurs dans le sens des révélations du Temps retrouvé ...
J.D. ... mais ça reviendra
A.C. ... non, on n’y revient pas, jamais. C’est une bavure de l’auteur. C’était une amorce dans la série des intermittences. En même temps, c’est l’amorce d’une autre esthétique. Ce qui ouvrirait sur un contenu moral... La question que vous soulevez est troublante, avec sa référence à Barthes ...
J.D. ... oui, Charlus à la Raspelière pense entrer dans un mauvais lieu. Mme Verdurin pense inviter la femme d’Elstir, ce qui donne une connotation “bordel”. Au fond, les Verdurin sont passés - si vous acceptez l’expression - “putassiers” ...
A.C. ... et j’ai aimé votre citation de Calvino, ses déplacements spatio-temporels, qui comptent plus que les identités... Donc, ces petites sociologies, elles ont bien des relents moraux .

Il y a comme un sourire collectif dans l’amphi. On sent que Compagnon a voulu avoir quoi qu’il en soit le dernier mot. Petit blanc ...
Pas de relance. On remue les pieds. On se lève. The end.

Note additionnelle:

Je donne le passage de la Raspelière autour de cette affaire de lustrine verte et de galerie / mairie.

“Je ne touchai pas plus les Cambremer que Mme Verdurin par mon enthousiasme pour leur maison. Car j’étais froid devant les beautés qu’ils me signalaient et m’exaltais de réminiscences confuses; quelquefois même je leur avouais ma déception, ne trouvant pas quelque chose conforme à ce que son nom m’avait fait imaginer. J’indignai Mme de Cambremer en lui disant que j’avais cru que c’était plus campagne. En revanche, je m’arrêtai avec extase à renifler l’odeur d’un vent coulis qui passait par la porte. “Je vois que vous aimez les courants d’air” me dirent-ils. Mon éloge du morceau de lustrine verte bouchant un carreau cassé n’eut pas plus de succès. “Mais quelle horreur!” s’écria la marquise. Le comble fut quand je dis: “Ma plus grande joie a été quand je suis arrivé. Quand j’ai entendu résonner mes pas dans la galerie, je ne sais pas dans quel bureau de mairie de village, où il y a la carte du canton, je me crus entré”. Cette fois, Mme de Cambremer me tourna résolument le dos”

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