Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mémoire-de-la-Littérature
29 juin 2009

Deux Non-Biographies Référencées [I] …

Antoine Compagnon, dans une présentation de l’hiver relative aux fluctuations du courant autobiographique, s’est référé – entre autres – successivement à Enfance, de Nathalie Sarraute et à Le miroir qui revient, d’Alain Robbe-Grillet. Ce qui faisait une bonne raison pour les aller lire car, force est de l’avouer, ils étaient du peuple immense des ouvrages de moi ignorés.

J’ai dû me livrer à l’exercice début Mai, je crois, en prenant, fort sérieusement, quelques notes.

Ledit exercice est d’ailleurs fort intéressant aussi parce qu’il permet, allant au texte, de s’interroger sur les modes d’assimilation-restitution de Compagnon, tant parfois (pas pour le Sarraute, sur lequel il n’a pas digressé, mais pour le Robbe-Grillet) il retient un détail dont l’exposé isolé qu’il en fait, pour qui n’a pas lu l’ensemble, pervertit entièrement  ce qu’on découvre ensuite, y allant voir, être l’esprit sinon le sens de l’ouvrage.

Je me contenterai, ici, d’une remise en forme de mes notations courantes (qui ont couru … comme les pages se tournaient). Sarraute, puis Alain R-G.

ENFANCE – Folio n° 1684 . Le copyright est de 1983.

J’ai mis du temps à rentrer  dans l’affaire. Pour être exact, 84 pages (sur 277). Je m’ennuyais. Et puis, tout en haut de la page 85, une notation qui fait déclic, d’apparence assez anodine, de portée profonde, et qui m’a renvoyé à quelques obsessions pédagogiques sans doute : « … Il referme le cahier, il me le rend et il dit : ‘‘Avant de se mettre à écrire un roman, il faut apprendre l’orthographe …’’ ».

Un sentiment de délivrance s’ensuit, chez l’enfant, la fillette, qui vient de soumettre son cahier d’essai à ‘l’oncle’, un cahier où elle a échafaudé une histoire de belle ‘‘princesse géorgienne coiffée d’une toque de velours rouge d’où flotte un long voile blanc (…) enlevée par un djiguite sanglé dan sa tunique noire’’  et où se meurt ‘‘un pâle jeune homme aux boucles blondes , allongé près d’une fenêtre d’où il voit les montagnes du Caucase [qui] tousse [tant que] du sang  apparaît sur le mouchoir qu’il porte à ses lèvres’’. 

Et ce sentiment de délivrance que décrit Sarraute, enfant libérée soudain du poids des poncifs, détermine (peut-être seulement chez moi) une modification dans l’attitude de lecture et initie un réel intérêt pour la densité par là dévoilée du texte.

Une riche dissertation succède d’ailleurs immédiatement à cette scène, autour de la beauté de sa mère (pages 91 et sq) et de sa propre fascination pour les ‘‘mauvaises idées’’ – en l’occurrence, comme point de départ, celle-ci, qu’une poupée vue dans une vitrine était ‘‘encore plus belle’’ que celle qui lui donnait la main : « Comme elle est belle … je ne peux m’en détacher, je serre plus fort la main de maman , je la retiens pour que nous puissions rester là encore quelques instants, pour que je puisse encore regarder dans la vitrine cette tête … la contempler … ».

On retrouve là ces obsessions enfantines où le ‘‘mal penser’’ s’installe en opposition à toutes les injonctions des adultes, toutes les attitudes conventionnelles (ici : quand on aime sa mère, on trouve que c’est elle la plus belle…) qu’ils affirment indispensables et je me suis fort amusé à retrouver dans mes souvenirs oubliés, remontant d’une enfance à cursus catholique obligé jusque vers  douze ans et la  ‘‘première communion’’, le gamin que je fus, agenouillé pour recevoir l’hostie dans la petite église de Pessac (Gironde), effrayé d’être incapable d’écarter  de son imagination les plus épouvantables blasphèmes qu’il puisse concevoir parce qu’on lui en avait présenté l’éventualité comme de nature à le mettre dans un état de péché mortel au moment de ‘‘recevoir le corps sacré du Christ’’.  Misère …

Il faut bien reconnaître que comme on ne peut pas toujours naviguer à hauteur de l’universel, l’émotion naît souvent d’une circonstance faisant écho à des préoccupations personnelles ou d’une analogie familiale. J’ai rencontré ma vieille tante Georgette au détour des pages 170-171. La scène est très jolie :

« J’avais beau essayer de me rappeler comment il fallait raisonner, je ne parvenais pas à trouver le nombre de litres d’eau que déversaient des robinets ou bien ces terribles heures d’arrivée des trains qui se croisent … Mon père trouvait ces nombres en un instant par le mystérieux, miraculeux procédé de l’algèbre … ‘‘Voici quel doit être le résultat … Mais toi, il faut que tu l’obtiennes par l’arithmétique … Et ça, moi, on ne me l’apprenait pas’’. Et nous voici tous deux nous efforçant, mon père assis auprès de moi à son bureau et moi cherchant à retrouver  ce que la maîtresse a expliqué … (…) ».

Dans sa cuisine de Tarbes, rue du Corps-Franc Pommiès, Georgette, en préparant les repas, a fait travailler, parmi les épluchures diverses et jusqu’à un âge avancé, les générations successives de ses petits neveux, perdant avec les années son arithmétique  - elle qui avait failli devenir institutrice, et puis… - s’entêtant à résoudre avec ce qui lui en restait les problèmes qu’ils ramenaient de l’école. Voyons, disait-elle, l’énoncé : « Une ménagère a acheté une même quantité de drap et de toile pour 547,20 francs [fin des années 1940 !]. Combien a-t-elle acheté de mètres de chaque étoffe si le drap coûte 14,25 francs  le mètre,  et la toile le cinquième du prix du drap ?»

Qu’auraient voulu la maîtresse… et Georgette ? Si la toile coûte le cinquième du prix du drap, le total coûtant 547,20 francs, il suffit de faire six parts de ce total, une pour la toile et cinq pour le drap. Or : 547,20 :6=91,2 . La toile a coûté 91,20 francs et le drap 456 francs. À 14,25 francs le mètre, il y a donc 32 mètres de drap (456 :14,25=32) et par suite 32 mètres de toile.

Tandis que le papa aurait dit, comme les petits neveux, de plus en plus ‘‘modernes’’ de la tante Georgette :

Soit M le nombre de mètres de drap. Soit D le prix du drap et T le prix de la toile, mesurés en francs. On a le système de relations :

T=D/5

D=14,25xM

T+D=547,20

On en déduit : T+D= D/5+D=6D/5 ; 6D/5 = 547,20 d’où D=547,20x5/6=456 ; et comme D=14,25xM, on pose : 14,25xM=456 d’où : M=456/14,25=32.

M=32, il y a bien 32 mètres de drap (et de toile)

L’arithmétique élémentaire de nos grands aînés a toujours eu peur de ces ‘‘inconnues’’ dont s’est tout de suite nourrie l’algèbre … Elle n’avait pas tort, l’arithmétique, sur ces questions si simples.

J’ai été touché, ex-bon élève, par le fol investissement scolaire de cette petite Nathalie Sarraute :

« …

L’école dominait ton existence … elle lui donnait un sens, son vrai sens, son importance… Quand tu t’es sentie malade, tu avais la rougeole, tu as prié le Ciel …

Oui, c’est comique, je l’implorais de me laisser vivre jusqu’à ce que ‘‘je sache tout’’

… »

Etc. Ce sont, comme cela, de jolies notations qui jusqu’au bout m’ont retenu. Ou des curiosités (Your step-mother : Votre belle-mère. Tout le monde le connaissait peut-être, ce terme anglais, mais pas moi …).

Un autre souvenir de CM2 m’est remonté (pages 207 et sq) quand est  narré cet épisode rédactionnel:

« Vous raconterez votre premier chagrin. ‘‘Mon premier chagrin’’ sera le titre de votre prochain devoir de français.

(…)

… cette rédaction-là ou ce devoir de français ressort parmi les autres. Dès que la maîtresse nous a dit  d’inscrire sur nos cahiers ‘‘Mon premier chagrin’’, il n’est pas possible que je n’aie pas ressenti … je me trompais rarement… que c’était ‘‘un sujet en or’’… j’ai dû voir étinceler dans une brume lointaine des pépites… les promesses de trésor… »

Il me semble, pour moi, et je croyais depuis longtemps avoir oublié son nom, que l’instituteur s’appelait Arnaud, Monsieur Arnaud. Je revois la salle de classe de Pessac et même la table à laquelle j’étais installé, dans la rangée de droite quand on faisait face au maître, une table au bord de l’allée de séparation avec la rangée suivante, à sa gauche. Nous devions décrire une scène familiale, un épisode où l’on avait éprouvé particulièrement un sentiment rassurant d’appartenance au groupe. J’avais décrit une veillée autour du feu de cheminée, posé les personnages et le décor, la grande cuisine de campagne, le bruit du vent et de la rivière dehors, le crépitement des bûches … mais les sentiments, comment décrire les sentiments ? Et soudain cette pirouette dont je n’attendais rien, comme un pis-aller pour éviter la honte de ne savoir que dire : ‘‘  et j’éprouvais, dans cet instant, un sentiment de bonheur,  de bien-être, indéfinissable.’’ Ah ! cet ‘‘indéfinissable’‘… j’ai entendu, stupéfait, Monsieur Arnaud s’en gargariser à la remise des devoirs, m’en féliciter comme d’une finesse d’analyse psychologique rare, quand il n’y avait là, au fond, et je le savais bien, éberlué dans ma sincérité enfantine par l’éloge, que l’aveu de la plus totale impuissance.

C’est peut-être, pour en finir, dans ses rapports avec Ponson du Terrail que j’ai trouvé une de mes meilleures occasions de sourire à la lecture de ces souvenirs :

« On a mis dans ma chambre une vieille commode (…) [ses] tiroirs (…) contiennent plusieurs énormes volumes (…) c’est un roman de Ponson du Terrail, Rocambole.

Tous les sarcasmes de mon père… ‘‘C’est de la camelote, ce n’est pas un écrivain, il a écrit… je n’en ai, quant à moi, jamais lu une ligne… mais il paraît qu’il a écrit des phrases grotesques… ‘Elle avait  les mains froides comme celles d’un serpent…’, c’est un farceur, il se moquait  de ses personnages, il les confondait, les oubliait, il était obligé pour se les rappeler de les représenter par des poupées qu’il enfermait dans ses placards, il les en sortait à tort et à travers, celui qu’il avait fait mourir, quelques chapitres plus loin revient bien vivant… tu ne vas tout de même pas perdre ton temps…’’ Rien n’y fait… dès que j’ai un moment de libre, je me dépêche de retrouver ces grandes pages gondolées, comme encore un peu humides, parsemées de taches verdâtres, d’où émane quelque chose d’intime, de secret … »

Délicieux passages. Il y en avait eu d’autres. Etc.

Ce livre, qui avait failli, pour commencer, me tomber des mains, m’a enchanté. Pourquoi en dire autre chose ?

Notice du Robert (1975)

Ponson du Terrail  (Pierre Alexis, vicomte ). Romancier français (Montmaur, près de Grenoble, 1829 – Bordeaux, 1871). Il se tourna vers les lettres en 1850, acquit la notoriété avec  Les coulisses du monde (1853) et devint un fournisseur extrêmement fécond de romans feuilletons dont il menait avec  brio les intrigues échevelées et extravagantes. Sa série romanesque Les drames de Paris (publ. 1884) connut un succès prodigieux ; peu soucieux de vraisemblance et de psychologie, Ponson du Terrail y campait un type d’aventurier qui devint très populaire, le mystérieux Rocambole.

Publicité
Publicité
Commentaires
Mémoire-de-la-Littérature
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité