De Pierre Jourde à/s le C.R. de son Séminaire.
J'ai reçu de Pierre Jourde le courrier reproduit ci-après que je mets en ligne avec son accord. Il me semble tout à fait enrichissant et intéressant que l'auteur et/ou conférencier concerné décide ainsi de réagir à la trace, forcément subjective, que l'on a retenue de son travail.
Qu'il soit donc ici remercié pour ses réactions. Et que le lecteur fasse son miel de tout cela.
************
De Pierre Jourde à .... (Site:Mémoire-de-la-littérature)
Cher Monsieur,
Je vous remercie de cette attention, de ce long commentaire, et de toutes les bonnes choses que vous me dites. Cela dit, si vous me le permettez, j'aimerais commenter quelques points. Il me semble, sans vouloir vous blesser, que vous avez tendance à tirer des conclusions hâtives, et à manquer parfois de rigueur. J'ai été amené à déplorer à quel point les journalistes écrivaient légèrement. Dommage qu'internet ne relève pas le défi de l'exactitude, ou du moins du doute.
Dans le désorde donc, ces questions parfois secondaires, parfois plus importantes :
-Au nom de quel savoir remettez-vous en cause ce que je raconte dans "Le Tibet sans peine "? J'y suis aussi scrupuleusement exact que ma mémoire et mes carnets me le permettent. Vous m'obligeriez en acceptant ce que j'y dis, par ailleurs plus marqué au sceau de l'autodérision que de la vantardise. Oui, j'ai traversé l'Himalaya dans cette tenue, que voulez-vous que je vous dise, je n'allais pas écrire le contraire. Je ne crois pas d'ailleurs avoir fait là un travail purement de "potache". C'est amusant comme en France on considère qu'un texte où il y a de l'humour ne peut pas être sérieux.
-Où avez-vous pris que j'arrivais de Grenoble ? Je n'y enseigne pas (mais à l'antenne de Valence), je n'y habite pas, et de toutes façons je suis en congé sans solde depuis cinq ans. Je ne me suis pas blessé dans les Alpes.
- Pourquoi ces spéculations creuses sur mes relations avec Compagnon ? Je le connais depuis quinze ans, comme collègue, nous avons des amis communs et nous appartenons à la même association (Qualité de la Science Française). Voilà tout. Quant aux "amitiés, même ténues" qui figureraient sur mon site, et que je "n'épargnerais pas", sachez que n'y figurent pratiquement que des très proches, qui pour la plupart ont publié, c'est à dire fort peu par rapport à l'ensemble de mes amis, sans parler des amours, absentes. Vous écrivez bien vite...
-Contrairement à ce que vous écrivez, je n'ai nullement raconté le fait divers, ni l'audience, vous avez dû rêver. J'ai mentionné au passage leur existence, ce qui n'est pas pareil, et me suis concentré sur la vie paysanne comme non authentique, mais aussi imaginaire que toutes les vies - ce qui n'est nullement une critique.
-Mon exposé ne contenait aucun jugement de valeur sur Berthe et Jacky, ni positif ni négatif. Ces deux personnes étaient mortes au moment de l'affaire : elles auraient eu du mal à être appelées à la barre ! Quelle capacité d'invention est la vôtre ! Je les aimais profondément, d'ailleurs, et elles me le rendaient. Quoi qu'il en soit, je ne me serais pas permis de régler un contentieux durant ce séminaire, il a dû vous échapper que je n'attaquais personne, sinon moi-même. Il s'agissait de montrer, à travers ces deux personnes, les illusions du discours sur l'authenticité paysanne. Mais si vous m'avez compris, l'absence d'authenticité est un trait de nos vies à tous, cela n'a rien à voir avec une accusation ou une imaginaire "flèche du Parthe".
-Quant aux "citations hors contexte et tronquées", je l'ai tellement entendue, celle-là, qu'elle devient fatigante. C'est devenu un vrai cliché du commentaire. Comme vous êtes léger... Vous savez, à l'université, lorsqu'on interprète un texte, on s'appuie sur des citations. Et la définition même de la citation, c'est qu'elle est découpée dans le texte. Détachée du contexte, donc. Votre formule n'a de valeur que si mes citations déforment l'esprit du texte où elles sont prises. Elle est régulièrement employée, cette formule, par les gens qui font ce dont crève la critique depuis des lustres : parler d'autre chose que du texte. Moi, j'ai fait le pari du retour au détail du texte. Comment dès lors me passer de citations ? En revanche, créditez-moi d'une chose : lorsque je cite, c'est longuement, souvent, et de manières très diverses ; passages entiers, relevés lexicaux ou syntaxiques, etc. C'est à dire, de quoi donner l'idée la plus juste possible d'un style. Si vous estimez qu'une seule de mes citations, dans La Littérature sans estomac, trahit le sens ou l'esprit général du livre que je commente, je vous prie de me le montrer. Mais attention : cela vous contraindra à la précision.
Bref, si je vous sais gré de votre intérêt, et même de votre sympathie, je suis assez surpris de cette légèreté, qui aboutit à déformer mon propos, non pas par des interprétations de votre part, mais simplement par des suppositions non fondées ou par défaut d'attention. De sorte que, dans l'ensemble, j'ai le sentiment de n'avoir pas été compris du tout. Si la critique pouvait éviter les à peu près, comme on avancerait...
Bien à vous,
PJ