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Mémoire-de-la-Littérature
29 mars 2011

Deux Antoine ... (II)

Mardi 22/3 à 17h30, Antoine Prost prend le relais. Depuis le temps que je lis de ses articles, ici ou là, et que j’ai sur mes étagères – mais où ? –  L’Enseignement en France (1800-1967), paru chez Armand Colin en 1968,  je le croyais plus âgé. Il est de 1933. Et il porte excellemment ses 78 ans, me semble-t-il. Il est vrai que la bascule est  à 80, pour la plupart de gens. Ce n’est pas le sujet.

 

Il était à la Sorbonne en 1966, comme assistant, et il s’est mis à l’Histoire de l’enseignement incité par “son maître”, René Rémond. Il le dit dès l’entrée. L’heure passera facilement. Il est aimable, sans aucune prétention; il bavarde sur et autour de la réforme Fouchet/Capelle de 1963 – Fouchet Christ-hi-han , comme disait le Canard enchaîné.

Il évoque ses sources:

-         les archives de Jacques Narbonne, conseiller du Général de Gaulle à l’Elysée (ce qui me fait penser, et jusqu’ici je n’y  avais pas prêté attention que Mitterrand se faisait conseiller entre autres par Guy Carcassonne).

-         Les archives de Matignon et, à Matignon, conseiller de Georges Pompidou, probablement de l’Inspecteur Général de l’Instruction Publique Henri Domerg (honnêtement, je n’ai pas entendu le nom cité par A.Prost, mais je pense que c’est bien celui-là, Henri Domerg ayant été chargé de mission pour les questions de l’Éducation nationale au cabinet de G.Pompidou de 1962 à 1968)

-         Les archives de la rue de Grenelle … de fait réduites, pour la période Fouchet (1962-1967) à des coupures de presse !

 

Il évoque Bertrand Girod de l’Ain (Le Monde) tenant la réforme Fouchet pour une nouvelle constitution de l’Enseignement.

Il parle de cette réforme comme de l’aboutissement d’évolutions datant des mises en place de Jules Ferry, révisées en 1902 (succès du bloc des Gauches aux élections législatives / Emile Combes président du Conseil / Fermeture des écoles religieuses n’ayant pas fait l’objet d’une autorisation …) et affirme qu’à tout bien considérer, nous en vivons encore les suites, les conséquences et les prolongements.

Il voit l’essor de l’école maternelle à partir de 1959 comme le paradigme d’un nouveau système éducatif.

De fait, son discours présente la réforme Fouchet/Capelle comme portant dans ses flancs le Collège unique dont on attribuera ensuite au seul René Haby  (1975) – abusivement ou peu s’en faut, semble-t-il dire -  la paternité.

Il souligne au passage l’ hostilité absolue de Georges Pompidou (littéraire) à l’idée de tronc commun que défendait le recteur Capelle (scientifique) et combien ces hommes (politiques) qui ont peu ou prou ouvert en tâtonnant la voie à la réforme Haby et à ses suites, en voulant une scolarité longue, jusqu’à seize ans, en redoutaient les conséquences. Symptomatique, la réflexion du Général de Gaulle: “On va absorber une masse de crédits pour absorber une masse de crétins”.

 

De Gaulle, dit-il, voulait une orientation impérative, par  quotas, sur la base des prévisions du Plan. Georges Pompidou adhère à l’idée, mais veut des examens rigoureux de sélection et non des quotas. Fouchet ne dit rien et traîne les pieds: il sait que la difficulté est là, qui tient à l’absence de débouchés à la sortie des études; alors on se lance dans le développement de l’enseignement technique, les IUT  (Instituts Universitaires de Technologie) sont créés en 1967, on spécialise les filières du lycée, séries A/B/C/D puis E; on lance une réforme des universités en 1966; on est en marche vers le système actuel….

Et on construit à tour de bras. Antoine Prost se dit fasciné par le côté BTP de la réforme. A. Compagnon soulignera dans le dialogue qui suivra que les entreprises n’étaient pas ou avec d’excessifs retards payées et que certaines feront faillite, imputant à Valéry  Giscard  d’Estaing la responsabilité d’une intendance refusant de suivre.

 

Il lâche au passage qu’on a su, et peu dit, que si le collège Pailleron avait brûlé, ce n’était pas seulement par mauvaise qualité des matériaux ou caractère hâtif de la conception – certes circonstances aggravantes - mais d’abord parce que des élèves y avaient mis le feu. Avec ce quasi aparté : “Mais c’est une autre histoire et nous ne sommes pas là pour en parler”, il ajoutera qu’il voit dans cette réforme gaullienne des années soixante l’origine de la violence scolaire . Cela aurait mérité des développements qui ne lui seront pas demandés. ….

 

La commission Lichnérowicz est évoquée, créée en 1966 et qui n’a pas fait partie des faits d’armes les plus brillants de ce mathématicien de haute volée.  Des remarques passent ainsi, incidemment, sans forcément s’articuler, autour des syndicats, qui sont en pleine restructuration, de l’AEERS, Association d’Études pour l’Extension de la Recherche Scientifique, de  Défense de la Jeunesse scolaire, association reconnue, fondée en 1963,  qui fait du lobbying au service de ses idées, reprochant à l’école primaire de porter atteinte à l’intégrité des enfants et préconisant une vaste réforme pédagogique, etc.,  toutes choses qui s’inscrivent dans un air du temps réellement ouvert au débat éducatif, avec des échanges au Parlement qui durent trois jours et une presse  dans le sens d’une opinion publique qui ne confond pas la rubrique Education avec celle des Chiens écrasés.

 

Au passage: … en cherchant  via Google  quelque chose à me mettre sous la dent concernant l’association Défense de la Jeunesse scolaire citée  par A.Prost, je tombe sur une affirmation de Célestin Freinet  qui me paraît  valoir son pesant de cacahuètes: “Ce n’est pas le jeu qui est naturel à l’homme, mais le travail. L’enfant ne joue que quand il ne peut pas travailler.” Ben voyons … Je pense qu’il doit falloir “contextualiser” la citation!

 

Une anecdote, in fine, dans le sens d’une audace  télévisuelle dont A.Prost semble penser qu’elle ne serait plus possible aujourd’hui: Christian Fouchet face à trois journalistes, dont Bertrand Girod de l’Ain, dans un débat du petit écran. Ça ronronne et on approche de la fin, et puis Girod de l’Ain questionne: “Comment expliquez-vous, au moment où le gouvernement affirme tant son souci de l’enseignement public, que tant de ses membres mettent leurs enfants dans le privé, à commencer par vous?

Fouchet aurait courageusement (?) fait face, arguant du contrat d’association, de l’égale qualification des maîtres et de leur contrôle par les mêmes corps d’inspection qui visitaient leurs collègues du public. Il y a là une attitude que j’ai personnellement toujours trouvé scandaleuse, inadmissible et, bien entendu, indéfendable.

 

Suivent quelques minutes, une bonne quinzaine en fait, d’un échange étonnamment détendu avec Antoine Compagnon que je ne reconnais pas, lui, dans mon souvenir des relances passées, si pesant et malhabile à la manœuvre lors de ces questionnements de fin de séminaire qu’il croit devoir s’imposer – et à nous – et qui lui sont d’évidence  un si pénible fardeau.

Là, non, on bavarde sans regarder sa montre. Ce sont les défections dans les rangs de l’amphi qui devront donner le signal de la retraite. Antoine Prost aura eu le temps de souligner ce dogme du système éducatif sur lequel s’arc-boutent les syndicats: La défense de l’emploi prime la défense du niveau.

Il semble favorable, pour le collège, à une certaine polyvalence des professeurs (avis personnel: sous réserve de préciser, il n’a pas tort) . Il semble aussi juger positivement l’initiative pédagogique La main à la pâte, que pilote de plus en plus l’Académie des Sciences et qui pour le peu que j’en sais, jouit de ma plus entière défaveur …

 

Il évoque anecdotiquement le recteur Antoine (et de trois … même si là, il s’agissait du patronyme. Prénom: Gérald), notable philologue et grammairien favorable, sans doute par dérision, à la création d’une association des Amis du Supin “en u”, dont il dit avoir tout oublié. Le supin est une forme latine, forme nominale figée d’un verbe, qui selon qu’elle est “en um” ou “en u”, fonctionne comme complément d’un verbe de mouvement pour signifier un but: Spectatum veniunt  (Ils/Elles viennent pour voir; spectare=voir) ou comme complément d’un adjectif: Difficile dictu (Difficile à dire; dictare= dire).

 

Le “Bon…” compagnonnesque de clôture des débats est quand même toujours là.

 

Quel Bilan, sur le fond?

 

L’impression peut-être d’une sorte de fatalité de la dégradation du service public d’éducation. Inadapté aux évolutions postérieures à la seconde guerre mondiale qui se sont mises en route en même temps que la démographie déployait sa croissance, le système n’a pas su être repensé jusqu’au bout et les velléités des années 1960 – en elles-mêmes plutôt positives – du recteur Capelle conseillant Christian Fouchet – que par parenthèse Antoine Prost a présenté comme un mystère sans vraiment exclure qu’il ait pu être un parfait imbécile, fort de ses silences – ont débouché au gré des contraintes et autres frilosités politiques sur une côte mal taillée dont nous continuons à souffrir.

 

La double exigence d’un enseignement pour tous et d’un élitisme en quelque sorte pour chacun, poussé à explorer et puis épanouir son excellence individuelle, n’a été ni pleinement comprise –  voir l’atroce mot cité de De Gaulle, amusant mais impardonnable  - ni bien sûr, dès lors, assumée. Et nous en sommes toujours là, droite et gauche confondues.

Seule la mise en place d’une dichotomie équilibrée du parcours scolaire, à mi-temps pour tous et mi-temps pour chacun, à mi-temps d’apprentissage collectif d’une base de connaissances, de comportements et de compétences communes sous la houlette de pédagogues polyvalents et bien formés et à mi-temps d’émergence des excellences individuelles dans des parcours choisis, à progression par unités de valeur cumulables, confiés à des spécialistes disciplinaires, permettra de renouveler le processus de formation initiale.

Bien entendu dans le cadre d’établissements autonomes, gérés pédagogiquement et fonctionnellement  par de véritables équipes éducatives, appliquant des projets locaux cohérents, dirigés par des chefs d’établissement élus au sein de ces équipes et par elles pour des mandats limités dans le temps .

Bien entendu avec une refonte totale des Corps d’inspection  dans le cadre de missions entièrement renouvelées d’impulsion et d’animation, de guidage et de soutien, de conseil et  de suivi des projets d’établissement.

Bien entendu avec  une progression de l’élève au long du cursus en continu, la notion de redoublement vidée de son sens par la construction ininterrompue, chacun à son rythme, d’un livret personnel d’unités de valeur signant un profil de sortie optimisant les qualités propres de l’élève sans référence à des examens (Brevet, Baccalauréat, etc.) dès lors supprimés.

Bien entendu avec une revalorisation sociale du métier d’enseignant à la hauteur de ses missions en même temps qu’une redéfinition complète du metier, comme d’ailleurs des modes de fonctionnement des établissements, lieux d’accueil et de travail à animation et encadrement maximisés au long d’une semaine, puis d’une année scolaire redéfinies dans le sens  d’une prise en charge à la fois plus équilibrée et plus complète des élèves.

Etc.

À préciser, bien sûr.

 

Tout aurait pu être pensé dans ce sens depuis les années soixante, et nous n’en serions pas où nous en sommes. Je suis entré dans la carrière au premier octobre 1966, fraîchement libéré de mes obligations militaires. Il ne fallait pas longtemps pour se faire une religion, et dans l’esprit  que je viens de dire, tant les problèmes étaient évidents. Mais le sympathique balancier de 1968, qui pouvait ouvrir des espoirs, mal géré, est reparti dans l’autre sens. Et la totale autant qu’attristante impréparation de la gauche mitterrandienne,  en mai 1981, n’a rien rattrapé. L’Education, incontournable creuset de l’avenir, attend toujours sa remise en forme, son Arlésienne.

On parlait de supin tout à l’heure; en latin, on apprend très vite une règle, fort  applicable à cette Arlésienne évoquée :

Timeo ne non veniat: Je crains qu’elle ne vienne pas. Tristesse du réformiste.

Timeo ne veniat: Je crains qu’elle ne vienne. Angoisse du politique, tant elle serait porteuse de difficultés. Plutôt la réélection que la réforme, en somme.

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Commentaires
L
J'ai lu tout récemment les dogmes des Freinet (Élise et Célestin), et je vous le confirme : ils marchaient sur la tête en matière de puériculture et d'éducation. Un vrai délire à deux, pourrait-on dire.
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