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Mémoire-de-la-Littérature
23 mars 2011

Deux Antoine pour le prix d'un ... est-ce une affaire?

Collège de France: Cours &Séminaire du 22/03/2011
Volet I
 
À 16h25, je suis en salle Hallbwachs où le cours est retransmis en vidéo. Il y a encore beaucoup de places libres. Le temps que je m’installe, un écran fixe annonce Le masque et la plume du 5/2/1967 : “Sartre en question”, avec Michel Polac, François Châtelet, Jean-Pierre Faye et François Wahl. Que du beau monde, comme on dit. Leur échange est en bruit de fond.
 
J’ai eu Châtelet comme prof en classe de Spéciales, année scolaire 1962-63, à Louis-le-Grand. Réputation de grand professeur et d’alcoolique. J’ignore pourquoi il avait accepté cette heure hebdomadaire de philosophie qui n’en était pas une, devant un public peu concerné mais nombreux, nous étions 52 ou 56, je ne sais plus, dans cette classe. Autres temps. J’ai gardé le souvenir d’une tête de lion et d’une voix plutôt douce. C’était une conversation à sens unique et à bâtons rompus, dans mon souvenir, sans aspérités et qui ne m’a sur le fond laissé aucune trace.
 
Ça cause de Sartre, dans le poste. Antoine Compagnon arrive, se pose, et attend. Il a ses notes, qu’il tapote, et à sa droite, un ordinateur portable, ouvert, auquel il jette un œil. On dirait qu’il cherche une contenance, mains jointes, sourire, les lunettes très en avant sur le nez. Ça cause toujours. Un air soucieux lui vient, impatience? Il remonte ses chaussettes, se gratte derrière l’oreille droite, attend encore un peu, puis tend le bras vers l’ordinateur et coupe le son. En fait, c’était lui le maître du temps. Il est 16h35.
 
Il dit deux mots du cours précédent, hostilité de Foucault envers Sartre jusqu’en 1966 ... Je n’en étais pas, distanciation, terra incognita ... On lui a écrit depuis la semaine dernière. Pour lui reprocher une progression dont l’étape N n’ouvre aucune perspective sur ce que sera l’étape N+1. Il assume, work in progress, travail en cours, lui non plus ne sait pas en N de quoi N+1 sera  fait. Plus ou moins convaincant, sans doute en partie vrai, mais en partie seulement. Autre critique qu’il a reçue: la science n’aurait pas la place qu’elle mérite dans ce survol de l’an 66. Il fait vaguement amende honorable et s’abrite mollement de quelques références qu’il aurait faites  et que peut-être du coup il refait à Jacques Monod et François Jacob.
 
Une allusion passe à Simone de Beauvoir pour Les belles images et à Aragon pour Blanche ou l’oubli, dont il a précédemment parlé. Ma voisine de droite a le volume sur les genoux en édition de poche. Jamais lu. À faire. Il dit: “65-66, c’est l’année de la mort de l’homme et de l’antihumanisme théorique, avec Althusser”. Il dit: “Althusser et Foucault ont remplacé Sartre”. Il dit aussi qu’il va parler de l’UEC  (Union des Étudiants Communistes). Puis revient à Althusser pour annoncer que le cours du jour va s’intéresser à ses relations avec Jacques Lacan. Association étrange. Ils s’échangent des étudiants. C’est Althusser qui a envoyé Jacques-Alain Miller à Lacan. Là, en 66, c’est la troisième année à Ulm du séminaire de Lacan, réfugié à l’ENS à la suite de ses conflits avec les instances freudiennes. Althusser et Levi-Strauss assisteront à une ou deux séances du séminaire. Ils trouveront ça incompréhensible, ce qui ne semble pas les empêcher de soutenir l’abscons pérorant. Me rappelle ma grand-mère et son jugement sur les hommes politiques: “On sait pas ce qu’ils disent, mais ils parlent bien”. Levi-Strauss, fort de son expérience d’ethnologue, a retrouvé là quelques caractéristiques des pratiques chamanistes.
Une correspondance s’installe, entre Lacan et Althusser. Lacan laconique. Althusser prolixe, expliquant Lacan à Lacan.
Evocation de La science et la vérité, qui serait issu de ce séminaire de 65/66. On peut consulter (lire?) la leçon inaugurale de celui-ci  à l’adresse suivante : http://www.web.mdx.ac.uk/cahiers/pdf/cpa1.1.Lacan.pdf ,  et adhérer du coup aux incompréhensions de Levi-Strauss et d’Althusser.
 
Je reçois soudain un SMS qui me distrait. J’avais heureusement pensé à couper le son en entrant dans la salle. Après avoir constaté qu’il ne m’était pas même destiné, je refais surface pour entendre parler d’une reprise en main de l’UEC par le PC. Il est question de Marc Kravetz.
NDLR:Ce dernier officie aujourd’hui sur France-Culture. Cinq minutes quotidiennes, du lundi au jeudi (11h15-11h20): L’histoire du jour. En 1966, il avait 24 ans et s’était formé à l’ENS de Saint-Cloud.
 
J’ai l’impression que la salle s’ennuie ferme. Mon voisin de gauche s’est endormi sur ses notes.
 
Antoine Compagnon en est à l’UEC, tentée par le PC italien. Publication d’une revue: Clartés. Mais il me semble qu’on a reculé d’un ou deux ans. Nombreux articles et surtout, organisation d’un colloque à  la Mutualité, Que peut la littérature?, en 1964, avec  Sartre, Beauvoir, des ou les membres de Tel Quel. La tendance  italienne est éliminée en 65, après la chute de Kroutchev. Les orthodoxes reprennent l’affaire en main.
 
On s’emmerde de plus en plus dans l’amphi. Ou alors j’extrapole.
 
Publication des Cahiers Marxistes-Léninistes (on est revenu au premier  trimestre 1964-65; la chronologie est un peu déroutante). Garaudy et Althusser s’écharpent poliment. Petit topo d’Antoine Compagnon sur Garaudy: “Professeur de philosophie, philosophe officiel du PC, député, sénateur, il a été le collègue de Michel Foucault à Clermont-Ferrand, puis à Poitiers”. L’affaire est haletante.
On arrive au comité central d’Argenteuil en 66. Althusser critique la notion d’humanisme socialiste. Il faut dit-il avancer dans la voie d’un antihumanisme théorique. Une diatribe violemment antisartrienne. Sartre n’a rien compris. À rien. Et L’être et le néant n’est qu’un roman. 
Dans la foulée, Althusser publie trois volumes: Pour Marx et Lire le Capital (2 tomes). Et puis il entre dans une dépression profonde, poursuivi par une terreur qui tient à leur réception potentielle, à l’idée qu’il s’y est dévoilé, à l’impossibilité de supporter l’idée même des thèses qu’il a essayé d’y soutenir. Il faut l’hospitaliser en psychiatrie. C’est une habitude chez lui ...
 

NDLR: Notes brutes que ce qui précède. Pour moi, Althusser reste le meurtrier maniaco-dépressif d’Hélène Rytmann, sociologue et son infortunée épouse, étranglée au petit matin du 16/11/1980 dans leur appartement de fonction de l’ENS, rue d’Ulm.  Et ceci occulte entièrement ce que je pourrais penser de sa pensée. Il a essayé de se justifier/expliquer dans une autobiographie réputée délirante et publiée deux ans après sa mort, début des années 1990: L’avenir dure longtemps. Pas pour tout le monde, a dû penser sa femme, ou ce qu’il en restait. Analysé par Eric Marty qu’on a vu l’an passé ou il y a deux ans en séminaire, avec Claude Lanzmann sauf erreur, le livre conduit le lecteur critique à cette conclusion que, homme et œuvre mêlés, la folie a été de part en part la seule véritable pensée d’Althusser. À partir de là ... On pourra lire un article d’information de Dominique Dhombres sur cette affaire à l’adresse: http://psychamarx.blogspot.com/2006/07/7-heures-le-dimanche-16-novembre-1980.html

 
J’ai ensuite encore pris quelques notes décousues, au fil des énoncés de Compagnon. Il y est question de Waldeck-Rochet, comme premier leader communiste à s’être médiatisé, primo-utilisateur de la faucille et du marteau dans une émission de télévision. J’entends “prémices du programme commun”. J’entends “Il faut trancher  la crise de l’UEC”, et aussi “ Aragon dénonce Althusser pour ses références maoïstes dans un discours au Comité Central d’Argenteuil”, contre les conclusions duquel se déchaînera  le petit cercle de la rue d’Ulm avec Benny Levy en tête, clamant que Le Marxisme n’est pas un Humanisme.
Et puis j’entends parler de dissidence lacanienne et de fondation des Cahiers pour l’analyse. Après quoi, A.C. déplore de ne plus avoir le temps d’aborder les écrits de Lacan, mais se console de ce que lors de son séminaire, Elisabeth Roudinesco a ouvert cette voie et défriché le terrain. Il se contente donc de rappeler la volonté de Lacan de réagir à une publication de Paul Ricœur  qu’il accusait de plagiat et de lui voler indûment ses angles d’attaque linguistiques.
“Je suis celui qui a lu Freud”, disait Lacan. Sous-entendu, sans doute: ... et le seul à avoir compris. On termine à 17h35, en apprenant qu’en traversant la cour de l’ENS-Ulm, les jeunes gens venus de chez Althusser pour pousser la porte du séminaire de Lacan allaient tirer  dans les années suivantes ce dernier vers l’extrême gauche.
 
Pas bien clair, ni passionnant, ni mieux que plus ou moins journalistique, tout ça.
Pas de quoi se plaindre non plus:  Je suis sorti indemne.
Je venais voir un peu ce que j’avais raté en suspendant pour l’année en cours mon assidue assiduité, déjà fort entamée l’année précédente. Ma foi, pas grand-chose qui me fasse naître du regret. Compagnon se maintient en forme, mais pour raconter quoi? Et moi je me noie dans le fond et vais aux endormissements.
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Commentaires
S
Pas d'idée à ce jour.<br /> En fait je tire l'essentiel de mon information du site du Collège ...<br /> Mais si d'aventure ... je ne manquerais pas d'en parler.<br /> Bien à vous pour vos aimables voeux, et réciproquement.
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N
C'est ce que dit A.Daudet en rentrant à Champrosay en calèche après avoir vu le Manon Lescaut du Grand V.Hugo<br /> c'est ce que nous pouvons dire dans un soupir après un cours d'A.C. au collège de France et je frémis quand je cherche l'explication à ce fidèle engoûment de foules.<br /> Avez-vous une idée de ce que nous "raterons" l'an prochain, en n'allant qu'en "pointillés" et pour "vérification", l'écouter?<br /> bonnes vacances dans notre sud ouest , cher sejan
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L
En tout cas, tous les gens qui ont côtoyé Paul Ricœur en disent le plus grand bien.
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