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Mémoire-de-la-Littérature
4 novembre 2011

Baudelaire: incertaines prémices.

Il n’est pas interdit de commencer tout seul, enfin, de lire un peu. D’écrire, aussi.

Je connais très mal Baudelaire, de vagues souvenirs de Lycée, Mon cœur mis à nu à l’occasion d’une citation de Compagnon, voici un an ou deux (ou trois ?) ainsi prolongée. La biographie de Jean-Baptiste Baronian en collection Folio… informe sur le personnage et Baudelaire n’y est guère peint sous un jour sympathique. Le Baudelaire de Jean-Paul Sartre corrige un peu l’impression… 

Finalement, j’ai repris Les fleurs du mal.

Et toute  une gerbe de vers a pris et repris corps, est sortie de la brume, souvenirs enfouis que j’aurais été incapable de citer spontanément et qui manifestaient l’existence de beaucoup plus de traces subliminales que je ne m’y serais attendu. J’aurais parié pour la dizaine tout au plus, et soudain, combien d’autres …

Petite anthologie de bouts désaccordés, avec par ordre d’apparition :

*Au lecteur, pour le dernier vers :

Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère.

*L’Albatros, essentiellement les deux strophes extrêmes:

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers

(…)

Le poète est semblable au prince des nuées  (…)

Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

*Correspondances, bien sûr :

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers.

(…)

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants

(…)

Et d’autres corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,

Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,

Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

*Les Phares, pour Michel-Ange :

Michel-Ange, lieu vague où l’on voit des Hercules

Se mêler à des Christs, et se lever tout droits

Des fantômes puissants qui, dans les crépuscules

Déchirent leur suaire en étendant leurs doigts

*La vie antérieure, les deux premiers vers et puis deux autres, plus loin:

J’ai longtemps habité sous de vastes portiques

Que les soleils marins teignaient de mille feux

(…)

Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes

*L’homme et la mer, le premier vers, ressassé :

Homme libre, toujours tu chériras la mer

*Don Juan aux enfers, les deux strophes extrêmes :

Quand Don Juan descendit vers l’onde souterraine

Et lorsqu’il eut donné son obole à Charon,

Un sombre mendiant, l’œil fier comme Antisthène

D’un bras vengeur et fort saisit chaque aviron

(…)

Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre

Se tenait à la barre et coupait le flot noir,

Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,

Regardait le sillage et ne daignait rien voir.

*La beauté, pour deux vers :

Je suis belle, Ô mortels, comme un rêve de pierre

(…)

Je hais le mouvement qui déplace les lignes

*Sans titre, le numéroté XXXII, pour la violence inattendue de l’ouverture :

Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive,

Comme auprès d’un cadavre un cadavre étendu

*Le balcon, dernier vers :

Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !

*Harmonie du soir, pour deux vers :

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir

(…)

Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige

*L’invitation au voyage, évidemment :

Mon enfant, ma sœur,

Songe à la douceur,

D’aller là-bas vivre ensemble !

Aimer à loisir,

Aimer et mourir,

Au pays qui te ressemble !

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De tes traîtres yeux,

Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

*Chant d’automne, pour un vers, même si, à y réfléchir, ce suffixe ‘‘âtre’’… :

J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre

*Moesta et errabunda, pour le si souvent cité :

[Mais] le vert paradis des amours enfantines

*La cloche fêlée, pour les trois derniers vers et un, précédent, que j’ai, je l’avoue, ‘‘remanié’’ : 

Moi, mon âme est fêlée et sa voix affaiblie,

Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie,

Au bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts,

Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts.

*Spleen (LXXVI) pour son départ :

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans

*Spleen (LXXVIII), l’attaque et la dernière strophe :

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis

(…)

Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,

Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir

Vaincu, pleure, et l’angoisse, atroce, despotique,

Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

*Obsession, le premier vers :

Grands bois, vous m’effrayez  comme des cathédrales

 *L’héautontimorouménos, l’attaque et une strophe :

Je te frapperai sans colère

Et sans haine, comme un boucher,

Comme Moïse le rocher !

(…)

Je suis la plaie et le couteau !

Je suis le soufflet et la joue !

Je suis les membres et la roue,

Et la victime et le bourreau !

*A une passante, intégralement (presque):

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

Une femme passa, d’une main fastueuse

Soulevant, balançant, le feston et l’ourlet 

(…)

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair … puis la nuit ! Fugitive beauté

Dont le regard m’a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! Trop tard ! Jamais peut-être !

Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

Ô toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais ! 

*Seulement numéroté, C, La servante au grand cœur , le début :

La servante au grand cœur, dont vous étiez jalouse,

Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,

Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.

Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,

Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres

 (…)

Le crépuscule du matin, pour son premier vers :

La diane chantait dans les cours des casernes 

*Le voyage, pour quatre vers et puis, la fin :

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !

Le monde monotone et petit, aujourd’hui

Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image,

Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui.

(…)

Ô Mort, vieux Capitaine, il est temps ! levons l’ancre 

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !

Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,

Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

(…)

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

*Femmes damnées, pour trois vers :

On ne peut ici-bas contenter qu’un seul maître

(…)

Et le vent furibond de la concupiscence

Fait claquer votre chair ainsi qu’un vieux drapeau

*Les bijoux, bien entendu, les quatre premiers vers :

La très chère était nue, et connaissant mon cœur,

Elle n’avait gardé  que les bijoux sonores,

Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur

Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores.

Sinon ? Quelques remarques au passage, anecdotiques :

* Le poème XVI, Châtiment de l’orgueil . :

En ces Temps merveilleux où la Théologie

Fleurit avec le plus de sève et d’énergie,

On raconte qu’un jour un docteur des plus grands

(…) [suit l’évocation d’un prêche sublime, au terme duquel il]

S’écria, transporté d’un orgueil satanique :

« Jésus [Seigneur] Jésus, je t’ai poussé bien haut !

Mais si j’avais voulu t‘attaquer au défaut

De l’armure, ta honte égalerait ta gloire,

[Il ne te resterait plus  que le] dérisoire !

(…)

Immédiatement, sa raison s’en alla (…)

Dans le film de Patrice Leconte, Ridicule ( 1996), adapté par l’auteur lui-même d’un roman de Rémi Waterhouse, un abbé de cour, incarné par Bernard  Giraudeau, perd tout crédit – nous sommes sous Louis XVI, à Versailles - pour avoir cru faire un trait d’esprit supplémentaire, à l’issue d’une péroraison brillante prouvant l’existence de Dieu, en se vantant de ce qu’il aurait pu tout aussi brillamment démontrer le contraire. A remplacer le dernier vers cité par : ‘‘Immédiatement son crédit s’effondra’’ , on pourrait croire que le poème de Baudelaire a servi de canevas à cet épisode, important, du film.

** Dictame. Voilà un mot que Baudelaire semble goûter. C’est un terme botanique mais qu’il utilise (comme d’autres, Hugo, …) en un sens poétique, indiquant une consolation, un baume moral, un soutien spirituel, un délicat espoir, une valeur exquise,  …

***  Tout  entière ( poème XLI).

(…)

‘‘Parmi toutes les belles choses

Dont est fait son enchantement,

Parmi les objets noirs ou roses

Qui composent son corps charmant,

Quel est le plus doux ?’’ Ô mon âme !

Tu répondis [interrogé]

« Puisqu’en elle tout est dictame,

Rien ne peut être préféré. » (…)

En cette période du trentième anniversaire  de la mort de Georges Brassens (à Saint-Gély-du-Fesc, Hérault, dans la soirée du 29 Octobre 1981), comment ne pas rapprocher le thème de ce poème de celui, en tout point semblable, de la chanson Rien à jeter du robuste et si touchant  sétois:

Tout est bon chez elle, y’a rien à jeter,

Sur l’île déserte on peut tout emporter ! 

(…)

Avec, pour conclusion pudique :

Des charmes de ma mie,

J’en passe, et des meilleurs,

Vos cours d’anatomie

Allez les prendre ailleurs !

Brassens était lecteur de Baudelaire, peut-être l’idée de la chanson est-elle sortie du poème ?

****  L’irréparable (poème LIV), sursaut à ce vers particulièrement boiteux et mal venu :

Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane (…)

Et qui plus est, répété !

Le poème alterne alexandrins et octosyllabes. Et nous voilà encombrés d’un disharmonieux  pseudo douze/treize pieds qui s’intègre très mal à sa musique . « Dans quel philtre ou quel vin ou bien quelle tisane » eût moins égratigné l’oreille …

De toute façon, le poème ne m’a pas semblé bon.

***** Franciscæ meæ laudes (poème LX), en octosyllabes rimés et en latin. Une musique très sensible. Le texte a été sauf erreur mis en musique et interprété par Juliette. Il resterait à traduire ? Je risque une transposition, sans doute médiocrement fidèle –  bah ! qui ne tente rien …

Chanson pour Francisca 

Résonne de nouveau ma lyre,

Chante les perles de son rire,

Qu’elle égrène dans les bosquets,

De mon cœur désolé.

 

Que mes vers te soient des couronnes,

Délectable féminité,

Qui jamais aucun sens ne donne,

En mon cœur au péché.

 

Bienfaisants comme le Léthé,

Sont désaltérants tes baisers,

Lorsqu’en onde ils viennent rouler,

Sur mon cœur aimanté.

 

Dans la turbulence des vices,

J’étais éperdu, aveuglé,

Tu t’imposes, plus d’artifices,

A  mon cœur, Déité,

 

Telle l’étoile salvatrice,

Redonne vie au naufragé,

Les mains accrochées à la lice,

Et le cœur déchiré.

 

Ô réceptacle des vertus,

Source de toutes les jouvences,

Tes lèvres emplissent d’espérance,

Mon cœur qui s’était tu.

 

Tout l’immonde, tu l’as chassé,

Le plus grossier, tu l’as poli,

Le faible tu l’as raffermi,

En mon cœur pacifié.

 

Lorsque j’ai faim, tu me nourris,

Tu es de mes nuits la lumière,

Entre tes tendres mains j’ai mis,

Mon cœur, Sorcière.

 

Viens, redonne toute sa force

Impétueuse, son élan,

Par tes soins langoureux et lents,

A mon cœur, dure écorce.

 

Tes bras m’enveloppent ? Ondule !

Tout est avec toi pureté.

Nulle caresse ne recule !

Mon cœur est assoiffé.

 

De nul bijou jamais l’éclat,

De nul mets le goût délicat,

De nul vin l’ivresse n’alla,

Où tu transportes à chaque fois,

Mon cœur, ma Francisca.

******  L’irrémédiable . Poème LXXXIV.

Clin d’œil : Où l’on voit apparaître Bruce Willis !

Un navire pris dans le pôle,

Comme en un piège de cristal,

Cherchant par quel détroit fatal,

Il est tombé dans cette geôle

Piège de cristal est le titre français d’un film (1988) de John Mac Tierman (titre original Die hard) avec en vedette Bruce Willis dans le rôle du policier John Mac Lane qu’il allait reprendre encore à quatre reprises. Un divertissement  standard, bon pour une soirée télé avec les gosses … Le scénario est librement adapté d’un roman de Roderick Thorp (Nothing lasts forever [Rien ne dure éternellement]) et n’a qu’un lointain rapport avec le poème de Baudelaire, sinon que dans les deux cas, la situation semble sans issue ....

*******  J’avais oublié qu’un scapulaire était « un vêtement à capuchon et deux pans d’étoffe caractéristique de certains ordres religieux catholiques » (petit  Larousse de poche).

********  Dans  Le voyage, poème CXXVI, l’attaque de la partie III …

Etonnants voyageurs ! quelles nobles histoires

Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !

Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,

Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.

… est la raison sociale revendiquée du festival Etonnants voyageurs ! qu’a créé en 1990 à Saint-Malo l’écrivain Michel Le Bris, festival sous-titré « Quand les écrivains redécouvrent le monde ».

*********  De Phryné, que Baudelaire cite en trahissant l’Histoire (‘‘Lesbos où les Phrynés l’une l’autre s’attirent’’), il faut redire le joli parcours. Hétaïre (courtisane) la plus riche et célèbre d’Athènes au IV° siècle avant JC, maîtresse du sculpteur Praxitèle qui la prit pour modèle d’Aphrodite dit-on, accusée d’impiété, elle est acquittée par le tribunal des héliastes (l’Héliée, tribunal populaire d’Athènes; ses membres sont tirés au sort annuellement) lorsque son défenseur Hypéride, orateur célèbre, à bout d’arguments, dévoile devant ses juges son corps dans sa splendeur.

Dans le même poème (Lesbos), Baudelaire d’ailleurs fait référence (Lamartine, aussi, dans des vers qui n’en finissent pas  …) à une rumeur que les spécialistes (Le Robert) affirment infondée concernant Sapho, lui prêtant un amour aussi hétérosexuel que désespéré pour Phaon le mytilénien, dont la beauté conquérait toutes les femmes, amour qui, dédaigné, l’aurait conduite à se jeter  dans la mer du haut d’une falaise de Leucade, île ionienne :

[Et] Sapho qui mourut le jour de son blasphème,

Quand insultant le rite et le culte inventé,

Elle fit son beau corps la pâture suprême

D’un brutal dont l’orgueil punit l’impiété

De celle qui mourut le jour de son blasphème.

Voilà, pour un bref survol et un premier contact, totalement subjectif et limité, sans grand souci de modernisme ou d’antimodernisme. Sur ce point d’ailleurs, j’imagine qu’il va falloir aller beaucoup plus loin, reprendre les Petits poèmes en prose, lire de près la leçon d’esthétique personnelle des Salons, s’interroger sur la place des traductions de Poe

Allons, il y a des efforts complémentaires et préparatoires à faire … Même l’amateurisme a ses exigences.

Nous verrons.

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