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Mémoire-de-la-Littérature
5 janvier 2012

Ouverture!

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Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche

Communiqué - 29 novembre 2011 - Laurent Wauquiez

Le Prix Claude Lévi-Strauss a pour vocation de reconnaître et de soutenir l'excellence dans le domaine des sciences humaines et sociales. Ce prix a été créé en 2009 par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et sa gestion en a été confiée à l'Académie des Sciences morales et politiques.

Le lauréat du prix en 2011 est le professeur de littérature française, Antoine Compagnon.

Diplômé de l'Ecole polytechnique (promotion 1970) et des Ponts et chaussées, docteur d'Etat ès Lettres, Antoine Compagnon a consacré ses travaux à la littérature française, à travers de nombreux ouvrages portant sur la théorie et l'histoire de la littérature et de la critique, ainsi que sur Proust, Baudelaire et la modernité.
Récompenser Antoine Compagnon, c'est rendre hommage à une recherche créative, qui sort des sentiers battus pour proposer de nouveaux modes d'approche et de pensée interdisciplinaires, conformément à l'esprit qui a présidé à la création du Prix Lévi-Strauss.

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                                                          J’ai découvert ceci la semaine dernière. Et c’est donc un Antoine Compagnon porteur d’une distinction supplémentaire qui ouvre sa session 2012 au Collège de France, consacrée à Baudelaire.

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L’amphithéâtre Marguerite de Navarre est complet. On dirige les arrivants de 16h15, dont je suis, vers la salle 4. Nous la remplirons à une petite soixantaine, vingt-six attablés, les autres sur des chaises et quelques fauteuils équipés de tablettes de prises de notes. J’ai pu m’approprier l’un d’eux. L’écran vidéo est allumé. La lumière est chiche, il faudra faire avec.

Le Maître commence avec quelques minutes d’avance, brushing parfait, égal à lui-même, inchangé.

La montre ôtée et posée devant lui, l’inévitable « Bonne-année-à-tous-et-merci-d’être-si-fidèles » énoncé, Antoine Compagnon tient d’abord à justifier son choix, à l’expliquer, au moins. Remords d’avoir fait de Baudelaire un grand absent de son Annus mirabilis ; 1966, année pourtant de la publication chez José Corti du livre de Charles Mauron, ‘‘Le dernier Baudelaire’’. Evocation de son actualité éditoriale: ‘‘La Folie Baudelaire’’, de Roberto Calasso, traduction publiée fin 2011 ; ‘‘Sous le signe de Baudelaire’’, d’Yves Bonnefoy, fin 2011 également ; réédition en janvier 2011, chez Gallimard , du Baudelaire de Georges Blin (professeur au Collège de France (1965-1988)) avec en annexe, des résumés (vivement conseillés) de ses cours (1965-1977). Compagnon évoque aussi son propre essai de 2003, publié aux Presses universitaires Paris-Sorbonne, ‘‘Baudelaire devant l’innombrable’’ [on le trouve, broché, à 33,00 € chez Amazon, ce qui m’a semblé rédhibitoire, mais également en lecture directe et gratuite sur le net via google-books] ; parue en janvier 2010 chez Arlea, la belle (dit Compagnon) biographie de Madeleine Lazard, ‘‘Un homme singulier, Baudelaire’’.

En termes d’ancrage chronologique et de centenaire (1866/67-1966/67), toujours au chapitre des motifs de repentir liés à son Annus mirabilis, il évoque les douloureux moments de Baudelaire à Bruxelles qu’il soutient d’extraits lus (lettre à la mère, lettre à Ancelle (son notaire), lettre à Charles Asselineau (ami fidèle)) ; il renvoie aussi au ‘‘beau’’ numéro du printemps 1967 de la RHLF (Revue d’Histoire Littéraire de la France). Il glisse à aujourd’hui, où 2012, clin d’œil de dérision, marque les 150 ans de la malheureuse candidature du poète à l’Académie française. Et puis, last but not least, tous les professeurs de littérature au Collège de France font un cours sur Baudelaire, donc …

Antoine Compagnon s’accorde deux mots encore avant d’aborder le vif du sujet, deux mots sur Baudelaire  taxé d’ irréductible (Georges Blin, mais aussi Michel Leiris) et de singulier (Madeleine Lazard), pour le créditer, d’ailleurs avec Chateaubriand, de ‘‘résistance moderne au moderne’’, parlant d’ambivalence, de réticence devant la ville haussmannienne, devant l’arrivée de la photographie, évoquant son adresse à Manet ( ‘‘Vous n’êtes que le premier dans la décrépitude de votre art’’ ), glissant de là à son attitude envers les femmes, classées (le terme est-il de Baudelaire ou de Compagnon ? il fait sursauter) parmi les ‘‘objets’’ sur lesquels s’exercent ses prises de position critiques … Il évoque en passant le goût du ‘‘dandy’’ Baudelaire pour les adjectifs ‘‘singulier’’ et ‘‘puissant’’, volontiers associés, pour qualifier Constantin Guys (‘‘Je veux entretenir aujourd’hui le public d’un homme singulier, d’une originalité si puissante et si décidée …’’ ; in Le peintre de la vie moderne), ou Charles Meryon  (‘‘Il y a quelques années, un homme puissant et singulier, un officier de marine …’’ ; in Salon de 1859). Un goût peut-être amer, car Baudelaire, s’il se percevait comme singulier, doutait d’être puissant. Il évoque enfin la répulsion répétitivement affirmée de Baudelaire pour la ‘‘face humaine’’, expression, dit-il, empruntée à Thomas De Quincey (1785-1859 ; ‘‘Confessions d’un mangeur d’opium anglais’’ – ‘‘De l’assassinat comme un des beaux-arts’’ …) qui en dénonçait la ‘‘tyrannie’’.

Tout cela est plaisant, disert, mondain, un peu brouillon-déstructuré, et bien dans la manière d’Antoine Compagnon qu’on retrouve comme on l’a laissé, plus contextualisateur de littérature qu’analyste des textes, mettant en situation, regardant le paysage, flânant sur le talus, dilettantisme documenté et dandysme cultivé. Une impression …

Ensuite on passe aux choses sérieuses  et à l’affirmation que le cours mettra beaucoup l’accent sur Le spleen de Paris , c’est-à-dire, les Petits poèmes en prose. J’ai eu la main heureuse en bouclant la veille mon très réticent billet sur le sujet. Si j’en crois les phrases d’introduction du sujet, il me reste à apprendre, au long des cours à venir, pourquoi j’ai mal et injustement jugé! ( ?)

Au départ, dit Compagnon, il y a une démarche parallèle à l’effort versifié des Fleurs du mal, pour dégager « autre chose » par le biais de la prose. C’est assez le sens des premières publications dans des revues et journaux de 1855-56 (les Fleurs du mal sont mises en vente le 25 juin 1857) ; mais après 1861, s’opère une inflexion de la démarche que soulignent de façon caractéristique trois textes de cette année-là, publiés dans la Revue fantaisiste que vient de fonder Catulle Mendès (entre autres à l’origine du mouvement littéraire du Parnasse dont il se fera l’historien) :  Les Foules, Les Veuves , Le Vieux Saltimbanque.

Sainte-Beuve ne s’y est pas trompé, dans l’article du Constitutionnel qu’il consacre à Baudelaire après sa candidature avortée de décembre 1861 à l’Académie française (au fauteuil de Lacordaire (1801-1861) ; prêtre  et dominicain, l’un des chefs de file du catholicisme libéral avec Lamennais et de Montalembert).  Compagnon relève qu’il y parle des Fleurs du mal comme d’un « kiosque singulier » et qu’il introduit l’expression, « la folie Baudelaire » qu’a reprise Roberto Calasso.

Problème de titre. Antoine Compagnon pense d’une part que dans l’expression « Petits poèmes en prose », « petit » est à prendre au sens anglo-saxon de « minor » (il évoque Edward Bulwer-Lytton (‘‘Les Derniers jours de Pompéi’’) et ses « minors prose poems »), ‘‘mineur’’ donc, et d’autre part – avec un numéro médiocrement convaincant de déplacement de l’accent tonique – qu’entre « poèmes » et « en prose », c’est sur « poèmes » qu’il faut, dans l’esprit de Baudelaire, insister. Il y aurait là des « poèmes », dont il se trouve qu’ils sont « en prose ». 

Tout cela dans un – me semble-t-il – trop long passage consacré à l’émergence définitive de l’intitulé global de ces cinquante tableaux (ou contes, ou billets) qui auraient dus dans les projets de Baudelaire être soixante, voire cent, voire deux cents ( !), avec indications sur les rares occurrences chez les auteurs français du recours à l’expression « petits poèmes en prose », rencontrée chez Rousseau par exemple, mais aussi chez d’autres, non précisés, surtout à propos d’auteurs étrangers (particulièrement, Ossian, le barde fantasmé du III° siècle né de l’imagination et du talent de l’écossais James Macpherson (1736-1796)).

On entend Compagnon, au sein de ses tentatives d’élucidation, évoquer la « procrastination » de Baudelaire (je rappelle qu’il s’agit de la tendance à différer, à remettre au lendemain) - il dit « Baudelaire procrastinateur » - et « l’accident de 1862 ». Il cite, consigné dans Fusées, « Aujourd’hui, 23 janvier 1862, j’ai subi un singulier avertissement, j’ai senti passer sur moi le vent de l’aile de l’imbécillité ». A cette date, et dans le cadre de la syphilis dont il est affecté, il s’agit de la première manifestation chez Baudelaire de l’atteinte neurologique qui entraînera en 1866 un ictus hémiplégique et en 1867, sa mort.

On passe à la réception critique des textes. Le Spleen de Paris (Les Petits poèmes en prose) est resté peu abordé jusqu’en 1975, pour devenir depuis un véritable boulevard d’études. L’un des derniers poèmes, Assommons les pauvres, est ainsi, au sein de toute la littérature française, le morceau littéraire le plus commenté de la dernière décennie ! Il y a eu, dit-il, globalement, un renversement de perspective dans l’interprétation de Baudelaire avec l’approche de Walter Benjamin (1892-1940). Je note qu’il prononce « Benyamin ».

Benjamin s’est passionné pour Baudelaire et en a traduit et analysé les textes dans une optique en rupture avec la vision a-politique comme a-philosophique qu’en avaient Paul Valery ou, plus proche de lui, Bertold Brecht. Il y a avec Benjamin une immersion du texte dans l’histoire, dans la réalité contemporaine, qui pèse sur le sens, et le Spleen de Paris devient porteur d’un message, émis par un Baudelaire conspirateur, crypto-révolutionnaire, tout entier habité par ses positions de 1848, quand sur les barricades, il appelait à fusiller son beau-père, la général Aupick, alors directeur de l’Ecole Polytechnique, un Baudelaire témoin à charge dans le procès intenté par le prolétariat à la classe dirigeante, un Baudelaire agent de la secrète insatisfaction de sa classe à l’égard de sa propre hégémonie, un Baudelaire derrière qui ne cesserait de se dresser l’ombre d’Auguste Blanqui (1805-1881), Blanqui ‘‘l’enfermé’’ (30 ans en prison !), le révolté infatigable, Blanqui et l’esprit de la Commune de Paris  ….

La thèse de Walter Benjamin, en tout cas son travail d’analyse-interprétation de Baudelaire, nul doute me semble-t-il qu’on va les retrouver au centre du travail à suivre d’Antoine Compagnon.

Benjamin n’est pas parvenu au bout de sa réflexion sur Baudelaire. Il a laissé des textes, importants, accessibles en français depuis 1959 et qu’on trouve chez Payot (1982) (Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme) et au Cerf (1989) (Passages parisiens). On peut dans l’immédiat lire avec intérêt sur le net  une présentation qui m’a paru fort intéressante de la pensée de Benjamin sur Baudelaire par Jean-Michel Palmier, professeur à la Sorbonne mort en 1998. L’adresse : http://remue.net/spip.php?article1947. C’est chez lui, et non dans la bouche de Compagnon, que j’ai trouvé la référence explicite à Blanqui. La référence au général Aupick est aussi un ajout, cette fois personnel.

Quoi qu’il en soit, ce Baudelaire engagé, c’est un Baudelaire reconstruit tant, pour ce qui le concerne, il a sans ambiguïté  souligné combien, après ses emballements de 1848, le coup d’état du 2 décembre 1851 l’avait « physiquement dépolitiqué » (lettre du 5 mars 1852 à son notaire, Maître Ancelle) et l’interprétation de Benjamin avant guerre, relayée dit Compagnon par la critique anglo-saxonne des années 1980-1990, avant de prendre pied dans la plus récente « lecture » française (post  2000) ne risque-t-elle pas de faire de Baudelaire – c’est moi qui parle, on nous l’expliquera mieux dans la suite, je suppose – un « malgré lui » de la révolution prolétarienne ?

L’heure tourne et Antoine Compagnon, cette année, ne semble pas disposé à substituer au non-séminaire de démarrage traditionnel de ses débuts d’enseignement annuel une deuxième heure de cours. Le laissant clairement entendre, il s’engouffre pour les dernières minutes qu’il s’accorde dans un survol explicatif du plus court des Petits poèmes en prose, celui intitulé Le Miroir. Je redonne le texte :

« Un homme épouvantable entre et se regarde dans la glace.

‘‘- Pourquoi vous regardez-vous au miroir, puisque vous ne pouvez vous y voir qu’avec déplaisir ?’’

L’homme épouvantable me répond : ‘‘- Monsieur, d’après les immortels principes de 89, tous les hommes sont égaux en droits ; donc je possède le droit de me mirer ; avec plaisir ou déplaisir, cela ne regarde que ma conscience.’’

Au nom du bon sens, j’avais sans doute raison ; mais au point de vue de la loi, il n’avait pas tort. »

Le commentaire d’Antoine Compagnon me paraît alambiqué, à la limite de ces explications qui alourdissent le texte. La rédaction est-elle au présent ? S’offre alors le choix entre l’indication d’un passé récent  et un présent « gnomique », énoncé d’une vérité universelle / intemporelle. Le refus de la lecture littérale lui impose de bâtir des approfondissements, de traduire l’énoncé proposé en symboles. Il en voit au moins deux : Le miroir est le suffrage universel / Le miroir est le Journal, avec J majuscule, si vivement attaqué dans Mon cœur mis à nu où l’on lit : « Tout journal, de la première ligne à la dernière, n’est qu’un tissu d’horreurs (…) Et c’est de ce dégoûtant apéritif que l’homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l’homme. Je ne comprends pas qu’une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût. »

Il ne s’agit pas ici, dit Compagnon, d’une « chose vue », mais d’une interprétable métaphore, et l’homme épouvantable, c’est celui, générique, des « droits de l’homme ».

Le texte est sans nul doute la parabole certaine de toute situation dans laquelle nous pourrions être surpris à nous complaire bien qu’elle nous soit apparemment  défavorable, ce qui renvoie à toute perversité, incompréhensible pour qui ne la partage pas. Mais faut-il, au-delà, pour « néologiser » comme Baudelaire, « politiquer » l’affaire ? On peut aussi bien renvoyer à un quelconque masochisme, à un quelconque goût pour l’auto-flagellation, et même ne voir dans l’appel aux grands principes de 89 qu’un clin d’œil moqueur pour draper d’une dignité incongrue la revendication d’un gamin qui se curerait le nez en repoussant toute remarque d’un « Ce n’est pas le tien et je t’emmerde ». 

La lecture d’Antoine Compagnon est intéressante, mais il se pourrait bien qu’elle soit « extrapolante » et gratuite. Un homme laid se regarde dans un miroir. Pour justifier ce comportement que l’observateur juge aberrant, il en appelle à sa conscience et aux droits de l’homme.  On peut en faire ce qu’on veut, ou une pochade, et re-titrer alors ce (très) « petit poème » : ‘‘Portrait d’un juriste pervers’’.

Tombé en allant vérifier la citation de Mon cœur mis à nu sur ce détail amusant : à Bruxelles, Baudelaire a pratiqué L’Hôtel du Grand Miroir. Peut-être y a-t-il côtoyé un client particulièrement laid qui …..

Affaire à suivre.

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Commentaires
N
en effet, c'est agréable , mais bon, le Bel Antoine aura-t-il quelque idée nouvelle sur la poésie (en prose donc peut-être " mineure") de Baudelaire?<br /> <br /> je compte beaucoup plus sur la prestation d'Yves Bonnefoy demain<br /> <br /> Merci cher collègue de math de nous faire d'aussi fidèles et documentés compte-rendus
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