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Mémoire-de-la-Littérature
10 février 2012

Michel Deguy: Un épouvantement ...

Michel_Deguy-de5e4      Séminaire du 31 Janvier 2012 – Ecoute Audio sur Site Collège.

 

La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse

Et qui dormait tranquille en dessous la pelouse,

Pourquoi donc, Ô Deguy vouloir la réveiller

Et d’un coup de jargon venir la re-tuer !

Ce séminaire m’a sidéré. Yves Bonnefoy avait déjà l’autre jour porté un rude coup à ma scolaire attente. Michel Deguy l’a achevée. La pauvre Mariette ne méritait pas, en récompense de sa maternelle sollicitude, le sort qu’il lui a fait. Et je  veux immédiatement dire combien je désapprouve Antoine Compagnon de cautionner une telle performance. Certes, il s’est prudemment gardé, l’heure dépassée aidant, d’engager un quelconque fer, mais je l’aurais aimé moins arrondi dans le départ et plus évidemment atterré. Aller promettre à Michel Deguy un doublement du temps une prochaine fois … Pour un doublement des dégâts ? Humour douteux.

Pourquoi gâcher une heure en élucubrations à peu près inintelligibles en première écoute et qui laissent plongé dans une stupeur interrogative à la seconde ? Pourquoi utiliser la cuistrerie incompréhensible comme voie d’accès à la mise en contexte d’un projet littéraire et à l’explication d’un texte dont la beauté émouvante et directe se noie dès lors dans de longs et pédants obscurcissements ?

Le séminaire de Michel Deguy s’est étalé, au propre et au figuré, sur 69 minutes. Gainsbourg y aurait peut-être vu un séminaire érotique. La Servante au grand cœur, outre quelques allusion dans le corps du propos, a personnellement bénéficié ( ?) des sept dernières minutes de la séance pour une explication de texte centrée ainsi introduite : « A cause de mon titre, je vais finir par, si vous me donnez encore sept minutes, La piéta Baudelaire. Ça va ? Antoine, je peux m’arrêter, bien entendu, mais ça serait dommage. Bien, puisque ça arrive, j’y vais. La piéta Baudelaire (…) » Mon Dieu ! Et dire qu’il aurait suffi qu’Antoine dise non pour surseoir à l’exécution. Enfin. On trouvera plus bas la transcription intégrale de ce morceau d’anthologie (j’ai passé plus d’une heure à en faire le relevé, mais je ne pouvais pas laisser ce mauvais coup s’évanouir sans traces).

Comme je l’évoquais, j’ai écouté deux fois le séminaire. Soyons honnête, une première fois, seulement les trente premières minutes, puis, ne voulant pas y croire, la seconde fois en totalité.

Ayant fixé dès le départ que le dispositif-clé de la prosodie française est l’amuissement du  ‘‘e’’ et la diérèse, cependant que, répondant entre ouï-dire et sens à de grandes injonctionsle vers en sentence ramasse son courage , dichter mut ( je le dis, dit-il, dans le mot de Hölderlin parce que je vais citer deux-trois fois Hölderlin) et fixe le cap de sa navigation ivre, Michel Deguy s’élance, en pointant d’abord, dans La mort des artistes (Fleurs du mal – poème 123 (CXXIII)), ce distique et plus encore son premier vers : Pour piquer dans le but de mystique nature / Combien, ô mon carquois, perdre de javelots ?

Ndlr : l’amuissement -qui vient du verbe amuïr, signifiant rendre muet - est l’atténuation, voire la disparition d’une unité phonétique, ici le ‘‘e’’. La diérèse, à l’œuvre dans ‘‘pieuse’’ à lire et entendre ‘‘pi-euse’’ , est le dédoublement d’une syllabe usuellement énoncée comme un bloc (lion devenant li-on) qui permet à un vers de ‘‘n’’ pieds … d’en compter ‘‘n+1’’.

Derrière cette affaire de mystique nature, Michel Deguy dévoile le but de la poésie, parlant de pensée refaite et d’acception en métamorphose, dans un cadre explicatif qu’il nie vouloir être critique, ou historien, ou théorétique, et qui pose l’hypothèse qu’une prise de relais en translatio [il s’agit bien de translatio, et non de translation, terme sans doute vulgaire] de la poétique baudelairienne au service d’une poétique contemporaine , continuée par tous les moyens ou énergies du désespoir, demande à celui qui en forme le projet de se faire destinataire de l’adresse du ‘‘Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse’’ en se mettant à la place et dans la  position de celle-ci, âme de Mariette et dans celle de Baudelaire comme nous y autorise le déictique puisque cette âme est aussi bien la sienne, je veux dire celle du poète qui se parle toujours en même temps à lui-même … ce qui bien sûr éclaire immédiatement ce qui va suivre ( !)

Ndlr (sources : net ; Larousse) : 1. la théorétique est une des trois divisions de la philosophie selon Aristote, les deux autres étant la pratique et la poétique. La théorétique (qui couvre la physique, les mathématiques et la théologie) ne s’intéresse pas à l’action ; elle concerne tout ce qui est relatif à la connaissance pure, à la spéculation, à la théorie … 2.les déictiques sont des unités linguistiques, indices personnels ou spatio-temporels, indices de la ‘‘monstration’’, inséparables du lieu, du temps et du sujet de l’énonciation (je, ici, maintenant). Leur valeur référentielle varie d’une situation d’énonciation à une autre. Les indices personnels : 1ère personne (je, me moi, nous, mon, ma, mes, notre, nos...), 2ème personne (tu, te, toi, vous, ton, ta, tes, votre, vos…). On ne peut pas savoir à qui ils réfèrent sans savoir au préalable qui est le locuteur et à qui il s’adresse. Les indices spatio-temporels : Mots et groupes de mots qui situent le message dans le temps et l’espace par rapport à l’énonciateur. On ne peut pas savoir à quoi ils réfèrent sans connaitre la position spatio-temporelle de celui qui parle. Marqueurs de temps : aujourd’hui, maintenant, demain, hier, avant, dans 2 jours... Marqueurs d’espace : ici, à côté... Les indices de la ‘‘monstration’’ : ce, cet, cette, ces, voici… Attention : Il ne faut pas confondre référence déictique et référence anaphorique - Dans l'exemple "Jeanne est née ici il y a trois ans", il n’est pas possible de savoir l’endroit ni la date de la naissance de Jeanne si on ne sait pas le lieu et l’année de l’énonciation. Il s’agit de références déictiques - Dans l'exemple "Jeanne est née au Canada en 2007’’, tout le monde sait à quoi réfèrent «canada» ou «2007». Il s’agit de références anaphoriques.

Avant de nous avouer que préparant son exposé, il s’est demandé « Que pourrais-je bien dire à ces âmes pieuses ? », Michel Deguy a le temps de mal lire ses notes ou, sous le coup de l’émotion, de perdre pour quelques secondes sa numération latine, et d’attribuer faussement au poème 42 (XLII) des Fleurs du mal le numéro 62 (LXII) et, sans erreur, le vers : Que diras-tu, ce soir, pauvre âme solitaire, pour en déduire en termes d’âmes  : donc, ou la mienne, la tienne, je veux dire celle de l’humain, survivant de l’arrière lecteur, arrière-arrière-arrière descendant du premier lecteur hypocrite, vocativé en 1861, celui pour lequel la piété n’a pas perdu tout sens et qui entra dans la scène de cette piéta déjà moderne in illo tempore et par laquelle la piété devient pitié.

Après la fugace évocation d’une sortie du religieux (…) démentie par tant d’intégrismes qu’il nomme 3ième modernité, dit la nôtre,  et affecte à un philosophe en lequel il faut assurément reconnaître Marcel Gauchet, Michel Deguy aborde le corps de sa préparation découpée en chapitres dont il énoncera les têtes, entre deux blancs. Il y en a eu neuf ou dix. Je vois que je n’en ai noté que quelques-unes : La dualité humaine et le but mystique / Le principe d’élévation /  Intuition et symbole / Le Monde va finir / L’ennui / La beauté en poème

Sa pensée est irrésumable, me semble-t-il, car elle navigue dans l’assertion vaticinante (pour spécialistes ?) au gré de formules plus ou moins claires d’où il ressort qu’il s’agirait pour commencer de se livrer à une lecture fidèle, au sens heideggerien de la lecture assidue en quête de leitmotives décisifs, eux mêmes choisis, isolés, montés en acrothèmes par la fréquentation de l’œuvre, et pour finir, au terme de quelques minutes qui m’ont semblé délirantes et ont été un peu saupoudrées d’allemand (Hölderlin nous fournissant en dichter comme en dichtung), se sont provisoirement achevées sur des questions de démolition ayant peu à voir avec le BTP,  mais beaucoup semble-t-il avec la prosodique, celle que Pierre Michon appelle la tringle, où l’on souligne le ‘‘dé’’ jusqu’au dédoublement du poème et du poème en prose ou disons comme tout à l’heure de la prose en poème de vers et du poème en prose hanté par le vers si je peux ainsi commencer à compliquer l’usage de prosimètre pour nos temps modernes.

Ndlr (source : net): 1. je n’ai pas élucidé ‘‘acrothème’’ ( ? : noté phonétiquement)…. 2. Le prosimètre est un texte, d’ancienne pratique, qui a connu un renouveau à la Renaissance et qui mélange prose et vers. Forme rare, le prosimètre aurait reçu ses lettres de noblesse de Boèce ( 470-525),  qui rédigea en prison sa Consolation de la Philosophie, alors qu’il attendait, disgracié après avoir occupé des fonctions importantes (élevé trois fois au Consulat),  son exécution. On peut citer sinon  la Bergerie de Rémy Belleau (1528-1577 ; poète de la Pléiade : Ronsard, Du Bellay, Peletier du Mans, Belleau, Antoine de Baïf, Pontus de Tyard, Etienne Jodelle) ou La Fontaine, qui a publié en 1669 un prosimètre, Les Amours de Psyché et Cupidon.

Que faire de l’invraisemblable fatras que je retrouve dans des notes pourtant littérales. Le verbatim fait croire à l’œuvre – c’est l’impression qu’il me laisse – d’un délirant qui rassemblerait, d’une vie antérieure où il côtoya la recherche en littérature, les bribes désaccordées d’un grand puzzle culturel dont il a perdu définitivement la logique d’assemblage. Je le relis en pédagogue effondré. Je crois entendre, à mes côtés, pleurer Nicolas Boileau (Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, etc.)

Quelques exemples au fil des pages ?

Baudelaire et la dualité (Bien / Mal, etc.): La dualité constituante est une contrariété  plus radicale qu’une contradiction autrement dit peut être dialectalisable au sens de la relation entre les deux côtés, relation dialogique dont les modes sont richement divers puisqu’ils peuvent prendre la forme tantôt de la symétrie ou dissymétrie, tantôt de l’antipolycité ou antinomique, tantôt de l’énantiomorphie  ou du renversement  ou de la réversibilité , disons plus mollement  en général des formes d’adversité ou de complicité.  Au sortir de quoi, quelques instants plus tard, on apprend digressivement que la prière à Mariette est une prière sans foi, pareille au couteau sans manche à qui manque la lame.

Ndlr. La polycité est un concept qu’on trouve chez Thomas Hobbes (1588-1679) et qui se réfère à la mise en présence ou en parallèle  d’un grand nombre d’entreprises ou de vendeurs, ou d’acheteurs. D’où l’antipolycité ? L’énantiomorphie est un procédé de mise en miroir, un effet d’inversion droite-gauche, et dans le domaine de l’écriture, un ‘‘verlan’’ globalisé. Ainsi : « esarhp enu eriaf ruop spmet ed sulp dnerp aleC »  est la version énantiomorphe de « Cela prend plus de temps pour faire une phrase ».

J’ai assez aimé ( !):

Notre infidélité infidèle, ce que j’ai appelé tout à l’heure palinodie, et que je fais mienne en l’aggravant, ce qui commande toute l’interprétation, consiste à consentir à cette théorie des deux moitiés tout en en modifiant les termes, voire en en échangeant la place. La partie changeante modale, moderne donc, peut-elle prendre la pace de la constance, on y trouverait nos nouvelles constantes, reliques changées en moyen d’interprétation ou interprétant, quant à la partie (ici un qualificatif ininterprétable, sonnant comme « sous la raille ») de la religion à laquelle appartenait l’artiste elle ne serait pas seulement reléguée aux antiquités peut-être irrelevable(s), mais envoyée par le fond.

Mais à quoi bon poursuivre, sauf la coda que je réserve par définition pour la fin ? Tout est de ce tonneau. Quelques poèmes ont été appelés à la rescousse, pour de courts passages en ‘‘guests stars’’, un vers ici ou là, Bénédiction (I) , L’Albatros (II), Elévation (III), Correspondances (IV), L’ennemi (X), La Beauté (XVII), A une passante (XCIII). Est aussi appelé à la barre, dans Les paradis artificiels, le Poème du Haschisch.

Michel Deguy lit deux extraits de la section XI de Fusées, dans son chapitre Intuition et symbole et après finalement avoir dit qu’il abandonnait l’intuition . Voici les extraits:

Il y a des moments de l’existence où le temps et l’étendue sont plus profonds, et le sentiment de l’existence immensément augmenté.

Dans certains états d’âme presque surnaturels, la profondeur de la vie se révèle tout entière dans le spectacle, si ordinaire qu’il soit, qu’on a sous les yeux. Il en devient symbole.

Soit.

Dans son chapitre, Le monde va finir, il énonce que notre culture est la culture culturelle du culturel, en convenant qu’il faudrait un peu développer et en évoquant Bourdieu et Primo Lévi, avant de revenir à 2011 et à Georges Didi-Huberman (1953 - ) qui enseigne à l’EHSS et a publié cette année-là Ecorces, où il est question d’Auschwitz comme lieu culturel. Ceci le fait partir vers la culture versus le culturel, parler d’artefiction fictivante, remake leurrant, abaissement et non élévation, futilisante plutôt qu’élevante, avilissement du cœur baudelairien, dépérissement selon Marx, pour se risquer à une tentative de formule condensant sa pensée : Tout ce qui est, tout étant, est changé en son identité par la technique, en son identité génotypique patrimonialisable, c’est-à-dire phénotypique en son image et de marque. On lui en laisse la responsabilité.

Je passe, je passe ….

Dans le chapitre L’ennui, qu’il dit relevant biographiquement de Baudelaire, Michel Deguy évoque 22 occurrences du terme dans les Fleurs du mal et renvoie à deux ‘‘poèmes’’ de Mallarmé (1842-1898)  en disant qu’il s’autorise là un petit excursus :

Mallarmé à 18 ans : Symphonie littéraire (en fait, un article de L’Artiste où il est aussi question de Banville et de Gautier). Texte trouvé sur internet : L’hiver, quand ma torpeur me lasse, je me plonge avec délices dans les chères pages des Fleurs du mal. Mon Baudelaire à peine ouvert, je suis attiré dans un paysage surprenant qui vit au regard avec l’intensité de ceux que crée le profond opium. Là-haut, et à l’horizon, un ciel livide d’ennui, avec les déchirures bleues qu’a faites la Prière proscrite. Sur la route, seule végétation, souffrent de rares arbres dont l’écorce douloureusement est un enchevêtrement de nerfs dénudés : leur croissance visible est accompagnée sans fin, malgré l’étrange immobilité de l’air, d’une plainte déchirante comme celle des violons, qui, parvenue à l’extrémité des branches, frissonne. Evoqué mais non lu.

Mallarmé à 53 ans : La stèle de 1895,  stèle qui est en fait  le sonnet (obscur, précise Michel Deguy, pour Henri Mondor (1885-1962 ; chirurgien et historien de la littérature … dont on comprend la réaction)) connu sous la désignation de Tombeau de Charles Baudelaire :

Le temple enseveli divulgue par la bouche 


Sépulcrale d'égout bavant boue et rubis 


Abominablement quelque idole Anubis 


Tout le museau flambé comme un aboi farouche 



Ou que le gaz récent torde la mèche louche 


Essuyeuse on le sait des opprobres subis 


Il allume hagard un immortel pubis 


Dont le vol selon le réverbère découche 



Quel feuillage séché dans les cités sans soir 


Votif pourra bénir comme elle se rasseoir 


Contre le marbre vainement de Baudelaire 



Au voile qui la ceint absente avec frissons 


Celle son Ombre même un poison tutélaire 


Toujours à respirer si nous en périssons.

Bien …

Mais enfin, et puisque l’effort de recopie intégrale annoncé en début de compte-rendu a été laborieusement accompli, venons-en à la restitution exhaustive et donc impitoyable  des propos tenus in fine sur … La piéta Baudelaire.

Il ne doit pas y avoir de gâteau sans cerise ! Je laisse la parole à Michel Deguy :

La piéta-piété du poète est une prière à l’âme pieuse de Mariette et d’autres et à la sienne ;c’est une prière sans foi mais non sans loi. Que pourrais-je bien dire ? La déposition ou profanation permet une translatio c’est-à-dire une manière de transformer le dépôt ci-devant sacré. Après avoir fait de la profanation avec de la révélation, c’est l’art séculaire notamment de la peinture,  et renaissante déposa la virginité en jeunes beautés italiennes, il s’agit de faire de la révélation, on dira bientôt illumination, avec de la profanation. L’indivision étymologique puis la séparation de piété-pitié est à méditer. Baudelaire avait été – aurait été, c’est sur les dictionnaires que l’on trouve ça, le premier à remonter à la source commune par l’italien. Le 21ième vers du sonnet cent l’effleure [du sonnet sans les fleurs ? Indécidable à l’oreille ; le problème est qu’il n’y a pas de sonnet cent et qu’un sonnet n’a pas 21 vers – Il s’agit visiblement du poème La servante au grand cœur, en cours d’explication et nommé ici sonnet … ] dont l’élastique ondulation envoie deux vagues montantes portées chacune à son comble en deux accentuations, à la fois quantitative(s), allongement, et intensive(s), stress si vous voulez, l’une à la césure, l’autre à la fin, dont la deuxième dépliée à la mesure d’une diérèse majeure, fait entendre la cœur battant de la poétique de Baudelaire, je me plais à y percevoir la refonte de piété et de pitié en train de fusionner dans l’infinitisation diérétique de pi-euse.

Qui est celui qui peut dire, j’ai pitié de nous ? De quel fond, de quelle hauteur [ de quel auteur ? Indécidable à l’oreille] peut fondre sur nous la pitié ? Celui qui prend en pitié n’est plus personne, mais l’un quelconque, chaque un d’entre nous en tant qu’anéanti. C’est comme s’il parlait depuis un très haut, un point le plus haut, le sublime où l’a fait monter le principe d’élévation, c’est-à-dire le trans du mouvement de transcendance en lequel se soulève l’humanité, le point d’où, dans la légende évangélique, le fils de l’homme pleure sur Jérusalem, nous pleurons sur, super flumina Babylonum, , le mortel mourant, car il faut savoir que le mortel, c’est son nom propre chez Heidegger, meurt, anéanti, tire de l’angoisse qui lui tombe dessus la compassion-passion commune, nullement en bonne empathie épisodique ou une attitude sympathique dont serait favorisé untel ou untel par un bon tempérament où se révèle le sort commun, cette égalité des hommes devant, sur quoi s’appuie, promise à un bel avenir républicain, l’égalité politique. La piété avait été le nom donné par Aristote à la passion bifide ou rythme terreur-pitié unifiant cathartiquement les citoyens au théâtre de la tragédie des hommes devant les Dieux, puis le Dieu fils de l’homme pleura sur les humains abandonnés qui ne savent pas ce qu’ils font. La pitié n’est pas du corps, pas du tout animalité ou pour prendre le vocable dominateur aujourd’hui, non réductible à la sensation, sans doute l’émotion prend-elle à la gorge, ou au ventre, le corps est le sérieux de l’émotion disait Sartre, mais le prédicat viscéral ne règle pas son compte ontologique.

Alors je m’arrête là, non, pas tout à fait, si vous voulez, je vous lis alors ce qui sera vraiment tout à fait la coda de la finale … puisque je pensais … revenir là dessus … l’aurais-je oublié ? … non,, voilà, ça sera la dernière page de cette lecture, vraiment. Lisons le poème de Baudelaire infaillible. L’infaillibilité, l’oreille, c’est-à-dire l’intelligence post-moderne, prend ce vocable avec les pincettes des guillemets, trouve ça désuet comme la tiare, à verser au cabinet des reliques et passablement ridicule hors contexte grâce au cinéma. Mais notre affaire, je veux dire toujours la même, celle de répondre des âmes pieuses c’est-à-dire de remployer les reliques langagières , de les prendre en translatio studii ou studiorum, de ne pas les jeter à l’immense oubli de la décharge, dans le but plutôt de les reprendre en sens, pour nous répondant à l’âme pieuse, et de s’en resservir. Si une parabole humaine en son parler peut être en certaines conditions tenue pour infaillible, c’est qu’il y a une possibilité humaine pour cela et l’un de nous le peut. Un je vous dois la vérité qui ne se trompe pas en la donnant, ça peut arriver, c’est l’infaillibilité du poème. Le cœur mis à nu murmure en vérité je vous le dis, l’un de vous me comprendra.

En quoi suis-je infaillible ? Quand ? Un poème, son infaillibilité consiste en sa possibilité de dire juste, de tomber vrai chaque fois que son dit sous-entend ou implique, comme en un coefficient, un je ne me trompe pas ; c’est comme si un principe d’infaillibilité s’exerçait, c’est ce qui fascine, sidère, dans le poème. Je vous dois la vérité en poème, je vous la propose ainsi, cependant personne n’entend ou n’attend ni n’admet cela. Je ne suis pas lisible signifie plus radicalement que tous nos colloques sur l’illisibilité ne peuvent l’avouer que personne ne désire tomber sur, c’est-à-dire sous, cette parole. Quand le poème est bon, c’est-à-dire beau de vérité et vrai de beauté, il est infaillible. Nous ne voulons pas y croire et le confions à son idiosyncrasie ou subjectivité incriminée, aimée, plutôt que de franchir le seuil de la lecture. Nul n’est poète en son pays à modifier ainsi, quelques rares sont poètes pour leurs frères de langue.

On peut remarquer que je cherchais ce soir en quoi le poème de Baudelaire pouvait être dit infaillible. Merci.

Voilà. Sept minutes d’un seul jet. Pauvre Mariette. C’est quand même assez sidérant et, pour tout dire, provoque chez moi un indiscutable mouvement de colère. Comment peut-il y avoir eu quelques applaudissements à l’écoute d’un tel charabia ? Je terminerai comme j’ai commencé, en déplorant qu’Antoine Compagnon, énonciateur élégant et clair quoi qu’il en soit de mes épisodiques flèches, se retrouve, sans apparemment regimber, associé de facto à une telle mauvaise action.

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Commentaires
S
Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> Oui, je travaille un peu dans le désordre ces semaines-ci.<br /> <br /> Mais, non, je n'ai pas renoncé à dire quelques mots de Matthieu Vernet (Proust/Baudelaire) et des deux dernières leçons de Compagnon sur Baudelaire et la photographie. Des notes sont sur mon bureau ...<br /> <br /> Pour ce qui est de votre souhait d'assister au cours, sachez que pour accéder à l'Amphi Marguerite de Navarre où officie Compagnon, il faut prévoir d'arriver avec une heure d'avance (disons entre 15h30 et 15h40). Sinon, vous serez dirigé vers une des salles annexes équipées de vidéo qui offrent de bonnes conditions d'écoute mais privent du "ressenti direct".
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G
Bonjour, je lis avec beaucoup d'intérêt vos comptes rendus subjectifs et finis même par les remplacer aux originaux, tant ils sont éclairants. Soyez à travers ce message généreusement remercié. <br /> <br /> Vous n'avez pas rendu compte de l'intervention sur Proust ni du cours d'Antoine Compagnon, précédant l'intervention de Deguy. Comptez-vous le faire ? Ou n'y avez-vous pas trouvé matière ? Je viens à Paris dans quelques semaines et serais heureux de venir assister à ces leçons si courues.
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N
J'y étais, hélas! et avec quelques femmes nous sommes délibérément sorties avant la fin, moi, depuis le 2° rang, par l'allée centrale et faisant volontairement tomber mon gros livret d'opéra(Rigoletto).Des hommes ont suivi , nous avons ragé, parlé de singes savants et de TRISSOTIN, car fallait en rire pour n'en pas pleurer.<br /> <br /> Merci d'avoir eu le courage d'en témoigner.<br /> <br /> Même remarque: pourquoi Compagnon invite-t-il de telles nullités? Question d'intérêt et d'utilité, non de stupidité, comme j'ose l'espérer!<br /> <br /> Je ne me déplace plus les mardi:honte de me mêler à cette foule d'inconditionnels qui applausissent à n'importe quoi(que disait De Gaulle des Français ?? )
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