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Mémoire-de-la-Littérature
23 mars 2012

Baudelaire et la Ville, la grande, l’immense ville moderne …

Bilan des leçons des 14/2, 28/2, 6/3, 13/3 (2012) - ETAPE I

Le thème s’est étalé sur quatre leçons. Méthode sinueuse, avec des moments intéressants, d’autres moins, beaucoup de redites, nombre de citations et d’extraits, parfois itérés, beaucoup de textes à la marge, de tel ou tel contemporain de Baudelaire, des références fréquentes à la pensée de Joseph de Maistre….

Trois axes.

Entre 1840 et 1860, Baudelaire a assisté à la transformation parisienne du paysage urbain; il y a développé ses ambivalences, son attirance-répulsion pour les chamboulements de la morphologie de la ville,  plus spécifiquement haussmanniens à partir de 1853, les rues éclairées au gaz, l’envahissement des foules …

Ce sont ces axes que retient Antoine Compagnon, brièvement d‘abord concernant  ‘‘la ville globale’’, digressivement (dit-il) mais fort copieusement  pour ‘‘le gaz’’ , et longuement pour ‘‘la foule’’ .

Les commentaires développés sont finalement assez succincts, une remarque, un détail, une mise au point, un complément latéral; le cours avance surtout à coups d’extraits et parfois, ce faisant, dans des coordinations assez lâches. Allons-y ...

Bonne ville, mauvaise ville, présente, absente, dit Compagnon, et  il lit:

Enfin! Seul! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous possèderons le silence, sinon le repos. Enfin! La tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même. (A une heure du matin - Spleen de Paris)

Il parle du doublé, de la correspondance vie-ville, et il lit le dernier paragraphe de Mademoiselle Bistouri (Spleen de Paris):

Quelles bizarreries ne trouve-t-on pas dans une grande ville, quand on sait se promener et regarder? La vie fourmille de monstres innocents. - Seigneur, mon Dieu! Vous, le Créateur, vous, le Maître; vous qui avez fait la Loi et la Liberté; vous le souverain qui laissez faire, vous, le juge qui pardonnez; vous qui êtes plein de motifs et de causes, et qui avez peut-être mis dans mon esprit le goût de l’horreur pour convertir mon cœur, comme la guérison au bout d’une lame; Seigneur ayez pitié, ayez pitié des fous et des folles! Ô Créateur! Peut-il exister des monstres aux yeux de Celui-là seul qui sait pourquoi ils existent, comment ils sont faits et comment ils auraient pu ne pas se faire?

Equivalence pierre et eau, dit-il, évoquant Venise, et Bruges et puis, il cite le poème Les sept vieillards (Fleurs du mal):

Fourmillante cité, cité pleine de rêves,

Où le spectre en plein jour raccroche le passant!

Les mystères partout coulent comme des sèves

Dans les canaux étroits du colosse puissant.

Un matin, cependant que dans la triste rue

Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,

Simulaient les deux quais d’une rivière accrue,

Et que, décor semblable à l’âme de l’acteur,

Un brouillard sale et jaune inondait tout l’espace (…)

Mais voilà Les bons chiens, dernier poème du Spleen de Paris. Il lit:

Je chante les chiens calamiteux, soit ceux qui errent, solitaires, dans les ravines sinueuses des immenses villes, soit ceux qui ont dit à l’homme abandonné, avec des yeux clignotants et spirituels: ‘‘Prends-moi avec toi, et de nos deux misères, nous ferons peut-être une espèce de bonheur!’’

Les immenses villes … reprend-il.  Walter Benjamin a noté que contrairement à Victor Hugo, il n’y avait pas chez Baudelaire de description de la ville. Sa ville est une ville abstraite, métaphysique, voire théologique. Il cite Le cygne (Fleurs du mal) : Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville / Change plus vite hélas que le cœur d’un mortel). Pas de vrais détails urbains, des mots, un mobilier plus cité que décrit.

Le petit poème en prose, Un plaisant, est publié dans La Presse le 26 août 1862. Compagnon lit:

C’était l’explosion du nouvel an: chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort. Au milieu de ce tohu-bohu et de ce vacarme, un âne trottait vivement, harcelé par un malotru armé d’un fouet.

Tohu-bohu, vacarme et chaos retiennent son attention. Il pense à De profundis clamavi (Fleurs du mal) : Or, il n’est pas d’horreur au monde qui surpasse / La froide cruauté de ce soleil de glace / Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos.

Il pense aussi au poème Les petites vieilles (Fleurs du mal): Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes, / A travers le chaos des vivantes cités.

Tohu-bohu, capharnaüm, ce sont des termes que Baudelaire affectionne. A propos de Daumier (in Quelques caricaturistes français): C'est un tohu-bohu, un capharnaüm, une prodigieuse comédie satanique, tantôt bouffonne, tantôt sanglante, où défilent, affublées de costumes variés et grotesques, toutes les honorabilités politiques.

En 1861, dans sa présentation des poètes français, Baudelaire écrit: Théodore de Banville fut célèbre tout jeune. Les Cariatides datent de 1841. Je me souviens qu’on feuilletait avec étonnement ce volume où tant de richesses, un peu confuses, un peu mêlées, se trouvent amoncelées. On se répétait l’âge de l’auteur, et peu de personnes consentaient à admettre une si étonnante précocité. Paris n’était pas alors ce qu’il est aujourd’hui, un tohu-bohu, un Capharnaüm, une Babel peuplée d’imbéciles et d’inutiles, peu délicats sur la manière de tuer le temps, et absolument rebelles aux jouissances littéraires.

Encore, dans le Salon de 1846, au chapitre Des écoles et des ouvriers: Comparez l‘époque présente aux époques passées (…) turbulence, tohu-bohu de styles et de couleurs, cacophonie de tons, trivialités énormes (…)

Le vacarme aussi, l’impressionne: La rue assourdissante autour de moi hurlait (A une passante - Fleurs du mal).

De ces quelques références, Compagnon dérive une dimension satanique, biblique, apocalyptique, allégorique de la ville … La ville moderne, dit-il, défait la création d’ordre divin, nous renvoyant à la confusion du chaos primitif.

Et il passe au café haussmannien dans Les Yeux des Pauvres (Spleen de Paris) :

Le soir, un peu fatiguée, vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coin d’un boulevard neuf, encore tout plein de gravois et montrant déjà glorieusement ses splendeurs inachevées. Le café étincelait. Le gaz lui-même y déployait toute l’ardeur d’un début, et éclairait de toutes ses forces les murs aveuglants de blancheur, les nappes éblouissantes des miroirs, les ors des baguettes et des corniches, les pages aux joues rebondies traînés par les chiens en laisse, les dames riant au faucon perché sur leur poing, les nymphes et les déesses portant sur leur tête des fruits, des pâtés, du gibier, les Hébés et les Ganymèdes présentant à bras tendu la petite amphore à bavaroises ou l’obélisque bicolore des glaces panachées; toute l’histoire et toute la mythologie mises au service de la goinfrerie.

Ndlr: un point de mythologie? Hébé est fille de Zeus et d’Héra. Elle personnifie la jeunesse et c’est elle, d’abord, qui verse le nectar aux dieux. Mais après que Zeus, amoureux de Ganymède, prince légendaire de Troie, adolescent fameux pour sa beauté, s’est transformé en aigle, l’a enlevé, transporté sur l’Olympe et rendu immortel,  elle est supplantée dans ses fonctions d’échanson par celui-ci.

Antoine Compagnon convoque alors quelques contemporains dont Julien Lemer (1815-1893), qu’il dit polygraphe, que Baudelaire a institué agent de ses affaires littéraires lorsqu’il était à Bruxelles, et qui dans son ouvrage Paris au gaz décrit les transformations urbaines, matérielles comme de comportement. Compagnon lit un passage qui vaut éloge de la flânerie boulevardière. De fait, Lemer, qui a noté que Maintenant que le gaz a pénétré dans les ruelles les plus étroites de la grande ville, il n’y a véritablement plus de nuit à Paris, puisqu’il n’y a plus d’obscurité, s’intéresse aux promeneurs . Il classe les arpenteurs de la nuit en noctiloques (ou parleurs de nuit), noctiphages (ou mangeurs de nuit), qu’il ravale au niveau dédaigné du badaud comparé au flâneur pour le jour, les opposant aux noctiurges dont c’est la vie de travailler la nuit et à l’élite des vrais noctambules, société choisie de ceux qui déambulent pour déambuler.

Est aussi convoqué Eric Hazan, né en 1936, chirurgien cardiovasculaire en 1975, mais aussi - et surtout connu pour cela - écrivain, éditeur, très engagé politiquement, proche du FLN pendant la guerre d’Algérie, membre du comité de parrainage du Tribunal Russel sur la Palestine. Ici, celui qui est appelé à la tribune des promeneurs de la cité, c’est l’auteur de L’invention de Paris, publié en 2002, où, de  places royales en faubourgs brumeux, enceintes, barricades et passages, toute la trame serrée des quartiers parisiens organise une déambulation proposée aux flâneurs des rues et des livres. Je trouve sur le net cette présentation de la première partie de l’ouvrage, intitulée « Chemin de ronde », où Compagnon a pris des références: Eric Hazan nous entraine dans le dédale des quartiers de l’ancien, puis du nouveau Paris. Véritable leçon de vocabulaire architectural et géopolitique, nous découvrons les aménagements successifs de la capitale. Nous apprenons ainsi que le tracé des boulevards (Beaumarchais, du Temple, Saint-Martin…) recouvre celui de l’ancien rempart de Charles V ; que par extensions progressives, les faubourgs, autrefois en dehors de l’enceinte, sont intégrés à la cité. Puis viendra le tour des villages, Passy, Batignolles, Clichy, Montmartre, Belleville, Bercy, qui existaient hors du mur des fermiers généraux (correspondant aux lignes 2 et 6 du métro) jusqu’en 1860 et qui formeront les 8 derniers arrondissements de Paris (du 12e au 20e) entourés par la zone ‘‘non aedificendi’’ (zone non-constructible au delà des fortifications de Thiers) qui restera ‘‘la zone’’ dans l’imaginaire populaire parisien.

Retour à Julien Lemer et à ses descriptions des boulevards, avec leurs deux caractéristiques, la lumière et la foule, avec le détail des noms de rues et le regard porté sur les hauts lieux d’une fréquentation qu’on ne disait pas encore branchée. Lemer navigue entre la rue Lafitte et la rue Pelletier, note l’apparition des premières tables en terrasse, cite le carrefour Montmartre, surnommé par Emile de Girardin (1806-1881; on l’a dit le père de la presse moderne; il a fondé La Presse en 1836; Gouverner c’est prévoir, c’est lui) le carrefour des écrasés (c’est effectivement là que s’établit le record des morts dans un accident de la circulation). Lemer, toujours, évoque le Boulevard du Temple, rebaptisé Boulevard du crime, qu’Haussmann supprimera et remplacera par la place de la République, etc. Compagnon renvoie au Paris Guide de 1867, qu’il dit magnifique, avec introduction de Victor Hugo et articles de tout ce que Paris compte de littérateurs, Renan, Sainte-Beuve, Michelet, Gautier, Arsène Houssaye, Dumas (père et fils), Paul Féval, Jules Janin, Maxime Du Camp, Nadar … mais pas Baudelaire, malade, et de fait mourant.

Autre référence (et qui m’a donné du mal!), Emile Gigault de La Bédollière (1812-1883), journaliste (rédacteur au journal Le Siècle), qui publie sous le nom simplifié de Labédollière des ouvrages divers dont Le Nouveau Paris et Histoire des environs du Nouveau Paris, avec des illustrations de Gustave Doré. Compagnon lit un extrait de Labédollière qui, de la porte Saint-Martin à la Madeleine, fait, en sens inverse, un trajet qu’il  venait de citer sous la plume de Julien Lemer. 

Retour à Baudelaire, via l’intérêt de Walter Benjamin pour le petit poème en prose Perte d’Auréole, qu’il a analysé, et dont Compagnon relit le début:

Eh! quoi! vous ici mon cher? vous, dans un mauvais lieu! vous le buveur de quintessences! vous, le mangeur d’ambroisie! En vérité, il y a là de quoi me surprendre. - Mon cher, vous connaissez ma terreur des chevaux et des voitures. Tout à l’heure, comme je traversais le boulevard, en grande hâte, et que je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive au galop de tous les côtés à la fois, mon auréole, dans un mouvement brusque, a glissé de ma tête dans la fange du macadam. Je n’ai pas eu le courage de la ramasser. J’ai jugé moins désagréable de perdre mes insignes que de me faire rompre les os. On trouve, dit Compagnon, la source de l’anecdote dans Fusées: Comme je traversais le boulevard et comme je mettais un peu de précipitation  à éviter les voitures, mon auréole s’est détachée et est tombée dans la boue du macadam. J’eus heureusement le temps de la ramasser; mais cette idée malheureuse se glissa un instant après dans mon esprit, que c’était un mauvais présage; et dès lors l‘idée n‘a plus voulu me lâcher; elle ne m‘a laissé aucun repos de toute la journée . On note, dit Compagnon, que ce qui fait l’objet d’un paragraphe au ton dramatique dans Fusées est peint légèrement dans le petit poème en prose.

Il met à l’écran la dédicace du Spleen de Paris, A Arsène Houssaye. Il y lit dès le départ une abstraction sensible, avec la référence à Gaspard de la nuit: J’ai  une petite confession à vous faire. C’est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la nuit, d’Aloysius Bertrand (…) que l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue, et d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne , si étrangement pittoresque. Et puis il continue: Quel est celui d’entre nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience?

Mais voilà, une phrase suit ce paragraphe, et qui le dérange, et qu’il n’est pas sûr de comprendre, et qui prête à interprétations: C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant.

Ah! Ce croisement! De fait, ses inquiétudes quasi métaphysiques sur le sens de ce croisement me laissent assez froid. Compagnon en appelle aux dictionnaires, s’inquiète que deux personnes se croisant dans la rue puissent concrétiser un croisement, passe en revue les acceptions usuelles du mot, pour finalement conclure que oui, bon, ce croisement d’innombrables rapports, c’est quand même sans doute la rencontre de tous ces individus pensants, porteurs de toutes ces pensées préoccupées ou oisives, dont l’amalgame aléatoire s’appelle foule. Pas de quoi, m’aurait-il semblé, perdre le sommeil.

Ensuite, énorme (villes énormes) le retient. Enorme est très baudelairien, dit-il. Il cite Le vin des chiffonniers (Fleurs du mal) pour y isoler le dernier vers de ce quatrain :

Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage, / Moulus par le travail et tourmentés par l’âge, / Ereintés et pliant sous un tas de débris, / Vomissement confus de l’énorme Paris (…). Il rappelle qu’il a analysé l’adjectif dans son essai, Baudelaire devant l’innombrable,  à propos du poème Obsession des Fleurs du mal, où l’on entend le rire énorme de la mer à la fin du second quatrain: Je te hais, Océan! Tes bonds et tes tumultes, / Mon esprit les retrouve en lui; ce rire amer / De l’homme vaincu, plein de sanglots et d’insultes, / Je l’entends dans le rire énorme de la mer.

Analogies constamment sous-jacentes, dit-il: mer, ville, foule, océan … Appliqué à la mer qui rit, il dit le qualificatif étrange, tout en précisant que l’affaire est déjà dans l’épigraphe à la lettre de février 1860 accompagnant le poème que Baudelaire adresse à Auguste Poulet-Malassis, son éditeur et qui consiste en une citation du Prométhée enchaîné d’Eschyle qu’il recopie en grec, avec cette précaution additive entre parenthèses: Si vous aviez un dictionnaire en grec, vous devriez bien vérifier l’orthographe. En écriture phonétique, car le logiciel du blog ne parle pas le grec: "… pontiôn te kumatôn / anèrithmon guelasma"

Le dictionnaire Bailly signale "anèrithmon"  comme poétique, pour "anarithmon"; le rire, là-dedans c’est "guelasma",  "anèrithmon" signifiant innombrable, immense. Un article savant de Claire Lechevalier, Maître de conférences à l’Université de Caen, rappelle combien la cosmogonie eschylienne a été longtemps interprétée dans un sens éloigné de toute légèreté, rendant inenvisageable un quelconque sourire de la nature, jusqu’à la traduction en 1865 d’Adolphe Bouillet rendant à la mer son rire… ce qui fait néanmoins de cet universitaire non pas un précurseur, mais un disciple de l’interprétation de Baudelaire antérieure de cinq ans! Plus encore, car c’est chez De Quincey, dans ses Suspiria de profundis (années 1820), que Baudelaire a trouvé la citation d’Eschyle et le rire assumé.

Antoine Compagnon, qui veut revenir au texte de De Quincey, nous inflige alors un échantillon tout à fait épouvantable de son épouvantable accent ; on dirait vraiment qu’il met un point d’honneur à prononcer comme je m’amusais à l’entendre faire à ma mère, qui n’avait jamais vu un mot d’anglais, lorsque, gamin entrant en sixième, je lui imposais cruellement de me lire quelque texte qui devenait alors, pour ma sœur aînée et moi, l’occasion d’un mémorable fou-rire. Incompréhensible travers de Compagnon? Second degré? Mystère… Quoi qu’il en soit, il lit:

mimicries of earth-born flowers that for the eye raise phantoms of gaiety, as oftentimes for the ear they raise the echoes of fugitive laughter, mixing with the ravings and choir-voices of an angry sea.

… puis, traduit:

imitations de fleurs nées de la terre qui pour l’œil évoquent des fantômes de gaieté, tandis que pour l’oreille, elles évoquent les échos d’un rire fugitif, se mêlant avec les cris et le chœur des voix d’une mer en colère.

… détaillant que c’est dans une note infrapaginale relative à ces lignes que De Quincey précise:

Many readers will recall though, at the moment of writing, my own thought did not recall, the well known passage in Prometheus: pontiôn te kumatôn / anèrithmon guelasma , ‘‘Ô multitudinous laughter of the ocean’s billows!’’ . It is not clear wether Aeschylus contemplated the laughter as adressing the ear or the eye .

… que Compagnon traduit:

Beaucoup de lecteurs se rappelleront, bien que, au moment d’écrire, mes propres pensées ne se rappelaient pas, le passage bien connu du Prométhée,  pontiôn te kumatôn / anèrithmon guelasma,  ‘‘Ô rire innombrable des vagues de la mer!’’. Il n’est pas clair qu’Eschyle ait conçu le rire comme étant perçu par l’oreille ou par l’œil.

Baudelaire, dit-il, a choisi de traduire par énorme, et non par innombrable, ce qui ne l’empêche pas de penser ensemble les trois qualificatifs, énorme, immense, innombrable, au sens de qui est hors de toute mesure, qui sort du nombre, de la proportion, qui excède le rythme, donc le vers, comme dans l’ultime distique, la fin des Sept vieillards (Fleurs du mal): Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarre / Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords!

Travaillé par le doute existentiel qui m’a plus haut tant étonné, voilà qu’arrivé là, Antoine Compagnon reprend son interrogation inquiète sur cette affaire de croisement dans la dédicace à Arsène Houssaye. On dirait du Baudelaire dans le texte, et que ce croisement, angoisse atroce, despotique, sur son crâne incliné a décidément planté son drapeau noir! Suivons-le dans son cauchemar. Voyons, dit-il, croisement, c’est plutôt rencontre d’objets, sinon le sens serait confus, indécidable, entre l’anacoluthe et le solécisme (ndlr. ... et pour rappel: l’anacoluthe tient du dysfonctionnement syntaxique, de la rupture de construction ; il y aurait ici une rupture? de sens? Le solécisme est spécifiquement une faute de syntaxe. Une anacoluthe fautive devient un solécisme …). A tout le moins, dit Compagnon, il y a là innovation grammaticale, d’autant que ces rapports innombrables, eux-mêmes, que sont-ils? Ce terme de rapport, continue-t-il, on le trouve dans Le crépuscule du soir (Spleen de Paris). Il lit : Le crépuscule du soir excite les fous. - Je me souviens que j’ai eu deux amis que le crépuscule rendait tout malades. L’un méconnaissait alors tous les rapports d’amitié et de politesse, et maltraitait, comme un sauvage, le premier venu. Les rapports, ce sont donc ceux entre les hommes. Le début de La corde (Spleen de Paris), poursuit-il, est aussi très intéressant. Il lit: Les illusions, - me disait mon ami, - sont aussi innombrables peut-être que les rapports des hommes entre eux, ou des hommes avec les choses. Cela renvoie au dénouement de Mlle Bistouri (Spleen de Paris). Il lit: Quelles bizarreries ne trouve-t-on pas dans une grande ville, quand on sait se promener et regarder? Compagnon tire de tout cela que dans la phrase: C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant, le poète serait le véritable sujet, c’est lui qui fréquente et c’est lui qui croise. En conséquence de quoi, dit Compagnon, il y a solécisme - ce qui m’échappe in fine, ne voyant pas en quoi il est à ce point fautif de sous-entendre, d’intercaler, chez le poète (… que naît, chez le poète, cet idéal obsédant)? Mais je ne suis pas grammairien … outre que cette interprétation qu’il présente lui-même comme obtenue au forceps me semblait, et j’en demeure confus (?), s’imposer dès l'abord et d’évidence.

Sur ce, Compagnon va changer de sous-thème pour nous entraîner dans une longue digression sur "Le Gaz". Donc ...

A SUIVRE ...

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Commentaires
S
Remerciements ... pour le tuyau! J'ignorais que Compagnon s'adonnait aux posts. J'y ai fait un saut. Ma foi, je jetterai un coup d'oeil. <br /> <br /> La longueur des miens? Oui, sans doute ... mais on ne se refait pas.
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P
Bravo pour le travail remarquable que vous faites( parfois un peu long) Compagnon déçoit beaucoup cette année les fidèles de l'arrivée a 15 h30<br /> <br /> Par contre Ses blogs sur le Huffington post sont tres amusants<br /> <br /> J'espère que ce sera mieux l'année prochaine s'il veut avoir autant de succès déjà les plus jeunes auditeurs desertent
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