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Mémoire-de-la-Littérature
24 janvier 2013

Du, Chez, Longtemps : pépites ou scories ?

Leçon du 22/1 (version audio)

La mise en route audio donne de nouveau l’impression d’une certaine maladresse. Peut-être est-ce l’absence d’image … On reprend la question du titre (Du côté de chez Swann) et on va y consacrer encore 40 minutes. « Chez » préoccupe Antoine Compagnon au titre de ces tournures particulières, éventuellement relâchées, ou volontairement fautives au titre de propos rapportés, qui l’intriguent dans la Recherche. Il cite le philosophe norvégien rencontré chez les Verdurin (Sodome et Gomorrhe): « Mais je dois faire observer à Madame que, si je me suis permis ce questionnaire – pardon, ce questation – c’est que je dois retourner demain à Paris pour dîner chez la Tour d’Argent ou chez l’hôtel Meurice ».

Oui, ce « chez » … A.C. évoque l’émergence d’un « chez nous » liée au premier conflit mondial, par opposition à l’autre côté, à l’ennemi, aux boches, un « chez » présent aussi dans tel propos antisémite de Norpois (Le côté de Guermantes) : « … il conviendrait de leur montrer que cette eau est trouble, qu’elle a été troublée à dessein par une engeance qui n’est pas de chez nous », où dans la bouche de Charlus (Le temps retrouvé) : « Je ne veux pas dire de mal des Américains, Monsieur, continua-t-il, il paraît qu'ils sont inépuisablement généreux, et comme il n'y a pas eu de chef d'orchestre dans cette guerre, que chacun est entré dans la danse longtemps après l'autre, et que les Américains ont commencé quand nous étions quasiment finis, ils peuvent avoir une ardeur que quatre ans de guerre ont pu calmer chez nous », un passage où l’on rencontre aussi « quasiment », adverbe peu tenu et peu utilisé par Proust. Trois occurrences seulement dans la Recherche signalées par Google Book dont celle-ci, et une autre à laquelle AC fait complémentairement référence (Le côté de Guermantes) : « Une joie immense déborda du visage du valet de pied. Il allait enfin pouvoir passer de longues heures avec sa promise qu’il ne pouvait quasiment plus voir depuis qu’à la suite d’une nouvelle scène avec le concierge, la duchesse lui avait gentiment expliqué qu’il valait mieux ne plus sortir ».

On glisse de là à deux autres formulations proustiennes qui retiennent la curiosité d’Antoine Compagnon. Il cite, lors de la scène du baiser, au début de Combray et de la magnanimité du père du narrateur : « On ne pouvait pas remercier mon père ; on l’eût agacé par ce qu’il appelait des sensibleries. Je restai sans oser faire un mouvement ; il était encore devant nous, grand, dans sa robe de nuit blanche sous le cachemire de l’Inde violet et rose qu’il nouait autour de sa tête depuis qu’il avait des névralgies, avec le geste d’Abraham dans la gravure d’après Benozzo Gozzoli que m’avait donnée M.Swann, disant à Sarah qu’elle avait à se départir du côté d’Isaac ».

Gozzoli  Gozzoli (1420-1497) - Autoportrait

Affaire doublement curieuse, dit AC, car outre cet étonnant « se départir du côté d’Isaac » sur lequel il va revenir, le tableau évoqué de Gozzoli (1420-1497) n’existe pas et la référence biblique sous-jacente relève semble-t-il d’une erreur, d’une confusion avec le renvoi par Abraham d’Agar et d’Ismaël, à la demande de Sarah.

Rappel (Genèse):Sarah, épouse réputée stérile, met dans le lit d’Abraham la servante Agar, qui lui donne son premier fils, Ismaël. Mais Sarah est finalement enceinte à son tour, accouche d’Isaac et, pour que celui-ci n’ait pas à partager l’héritage avec Ismaël, elle demande à Abraham, qui obtempère, de chasser ce dernier ainsi que sa mère. Ci-après : Dessin de Chagall sur ce thème.

Chagall

Référence faite à Erich Auerbach (Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale (1968)) qui a discuté du problème, c’est le « se départir du côté de » qui intéresse AC. Suit une brève leçon un peu (inutilement ?) savante autour de la conjugaison (comme partir ? comme finir ?) et des sens du verbe « départir », séparer une chose d’une autre, ou accorder, distribuer, impartir, puis de l’emploi « se départir », se séparer, s’éloigner. Il me semble pourtant que le sens, à la lecture, et quoi qu’il en soit des bizarreries de la formulation, est assez clair et que dans le texte fautif de Proust, il s’agit pour Sarah de se séparer d’Isaac.

Deux remarques additionnelles sont faites en passant : que dans le vocabulaire de la chasse, un animal qui quitte sa horde « se départ » , que l’on a l’esprit de « repartie » et non de « répartie » !        

Ensuite de quoi, on liste quelques occurrences de « se départir » dans la Recherche, avec un crochet par George Sand et François le Champi : « Sitôt qu’elle y fut (Madeleine Blanchet), elle se mit à deux genoux pour faire une bonne prière , dont elle avait grand besoin et dont elle espérait grand confort ; mais elle ne put songer à autre chose qu’au pauvre champi qu’il fallait renvoyer et qui l’aimait tant qu’il en mourrait de chagrin. Si bien qu’elle ne put rien dire au bon Dieu, sinon qu’elle était trop malheureuse de perdre son seul soutien et de se départir de l’enfant de son cœur. Et alors elle pleura tant et tant que c’est miracle qu’elle en revint, car elle fut si suffoquée, qu’elle en chut tout de son long sur l’herbage, et y demeura privée de sens pendant plus d’une heure ».

Sans conviction dit-il lui-même, AC évoque comme point de départ de la formule de Proust, un dessin de Ruskin, dont il avait nécessairement connaissance, d’après un tableau de Gozzoli à propos d’Abraham, dessin  légendé  « parting from the angels ».  Parting / départir ? Il est dubitatif.

Dernières remarques avant d’abandonner le titre à son sort, une tournure d’abord à propos de Swann refusant une invitation chez la princesse de Parme : « Swann refusa ; ayant prévenu M. de Charlus qu'en quittant de chez Mme de Saint-Euverte il rentrerait directement chez lui, il ne se souciait pas en allant chez la princesse de Parme de risquer de manquer un mot qu'il avait tout le temps espéré se voir remettre par un domestique pendant la soirée, et que peut-être il allait trouver chez son concierge ».

Un « en quittant de chez » rare, que l’on retrouve chez Céline, dans Mort à crédit : « En quittant de chez lui il regardait d’abord tout en haut : « Ferdinand, qu’il me faisait, aujourd’hui ça sera sûrement des rhumatismes ! Cent sous !... » Il lisait tout ça dans le ciel ».

Et puis une affaire de prononciation, Souann ou Svann, pour Swann ? Norpois d’une part « A l’ombre des jeunes filles en fleurs »: « – Je dois ajouter, pour être tout à fait juste, qu'il y va cependant des femmes, mais... appartenant plutôt..., comment dirais-je, au monde républicain qu'à la société de Swann (il prononçait Svann) ». Et Gilberte de l’autre : « C'est que Gilberte était devenue très snob. C'est ainsi qu'une jeune fille ayant un jour, soit méchamment, soit maladroitement, demandé quel était le nom de son père, non pas adoptif mais véritable, dans son trouble et pour dénaturer un peu ce qu'elle avait à dire, elle avait prononcé au lieu de Souann, Svann, changement qu'elle s'aperçut un peu après être péjoratif, puisque cela faisait de ce nom d'origine anglaise un nom allemand ».

Enfin, l’incipit vint ! Il reste vingt minutes pour aborder « Longtemps je me suis couché de bonne heure ».

 Sommeil    Bonnie

 Ayant dit que cette première phrase « revenait de loin », Antoine Compagnon y va, si j’ose dire, faisant défiler au long des différents carnets préparatoires et placards biffés de Grasset les successifs avatars de l’attaque peut-être (sans doute) la plus célèbre de la littérature française.

«  Quand j’étais jeune, je dormais la nuit ….. »

«  Jusqu’à l’âge de vingt ans, je dormais toute la nuit avec de courts réveils … »

« A l’époque dont je vais parler, au temps de cette matinée dont je veux fixer je ne sais pourquoi le souvenir … »

Etc. J’en passe.

Est-ce intéressant ? Oui, mais non.

Evidemment, cela fait prendre conscience des hésitations de Proust, des maladresses, au regard de la force ramassée du choix final, des essais préparatoires, mais cela aide-t-il à entrer dans le texte ? Ce « Longtemps je me suis couché de bonne heure » est magnifique de concision. Sa brièveté est un réel choc introductif. Mais l’ayant exprimé, et surtout ressenti, quoi d’autre ?

AC veut esquisser une lecture naïve de Swann et, à décrire le long et lent cheminement, le difficile accouchement de cet atticisme liminaire miraculeux, il prend le parti contraire. Curieux.

Il termine la séance en annonçant pour la suivante l’examen détaillé de la première (assez) longue phrase du roman à suivre : « Et, une demi-heure après, la pensée qu'il était temps de chercher le sommeil m'éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir dans les mains et souffler ma lumière ; je n'avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j'étais moi-même ce dont parlait l'ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles-Quint ». Il dit, hallucination, et qu’il y en a d’autres dans la Recherche. A reprendre la prochaine fois.

Un bilan plus qu’en demi-teinte, avec quelques acquisitions, mais on est toujours beaucoup plus dans l’échauffement que dans le texte.

                                                                               *****************

                                          Myosotis    Et puis, en forme de Forget me not, un rappel du livre « Ed Nat », ici –        

                                   Comme quoi, il n’y a pas que "La classe de rhéto" à lire. 

 

 

 

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Commentaires
N
bravo pour votre ténacité<br /> <br /> J'ai moi aussi renoncé à me mêler à cette foule: entendre le commentaires élogieux de ces masses me "désoriente" dans le meilleur des cas, mais à vrai dire m'afflige.<br /> <br /> Cela me plairait infiniment, M.Sejan que vous vous intéressiez aux cours de Michel Zink, tellement plus enrichissants. Et puis je ne crois pas A.C. capable d'une lecture telle qu'il l'a promise: il n'y a aucun affect en cet "homme" , avez vous souvenir qu'il se soit déjà risqué à quelque subjectivité???
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