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Mémoire-de-la-Littérature
17 décembre 2013

L' Iliade

Achille

Guerre de Troie

Hector

"Chante la colère, déesse, du fils de Pélée, Achille, colère funeste , qui causa mille douleurs aux Achéens, et précipita chez Adès mainte âme forte de héros, et fit de leur corps la proie des chiens et des oiseaux innombrables : la volonté de Zeus s'accomplissait. Commence à la querelle qui divisa l'Atride, roi de guerriers, et le divin Achille . (…) " Ainsi commence l'Iliade, au Chant I. Il y en a XXIV. En termes de littérature de guerre, impossible à coup sûr d'échapper à ce récit. Les traductions d'Homère ne manquent pas, et il vient d'en paraître encore une cette année, due à Jean-Louis Backès, professeur de littérature comparée. J'ai utilisé, dormant dans mes rayons, une  édition des classiques Garnier de 1958, travail d' Eugène Lasserre.         ***

Ci-dessus: Achille / Brad Pitt versus  Hector / Eric Bana

Ce qui frappe, à relire ce texte plus de cinquante ans après une première découverte adossée aux classes de lycée, c'est la part prééminente qu'y jouent les dieux, les hommes n'y ayant majoritairement que les états d'âme et les réactions que ceux-ci veulent bien leur souffler .

La colère d'Achille est sans doute une colère humaine, et c'est bien le dépit personnel de se voir privé de la belle Briséis par une décision arbitraire d'Agamemnon qui le fait rentrer sous sa tente et se retirer des combats, mais enfin tout le déroulé ultérieur des événements ne dépendra plus que des préférences et des sautes d'humeur des dieux immortels, qui passent leur temps à observer le conflit, à s'émouvoir pour leurs poulains, à s'incarner en tel ou tel des participants pour aller prêter main forte "en tant que de besoin" à leurs favoris, ce qui d'ailleurs, paradoxalement, peut leur valoir quelques blessures dont heureusement, leur statut particulier et, revenus sur l'Olympe aux pieds de Zeus, l'usage de quelque onguent magique à eux seuls réservés, dissiperont les effets et leur rendront aisément leur inaltérable intégrité.

C'est ainsi beaucoup moins Achille qu'Athéna, qui domptera Hector, comme plus  tard – mais nous ne sommes plus dans l'Iliade – ce sera beaucoup moins Paris qu'Apollon qui enlèvera d'une flèche mortelle la vie au fils de Thétis.

A dire vrai, dès le départ même, et en amont de l'affront, que je soulignais comme très humain, fait à Achille, c'est bel et bien ce même Apollon que je viens de citer qui, sollicité par Chrysès, l'un de ses prêtres, venu avec une rançon demander à Agamemnon sa fille Chryséis et repoussé par celui-ci, envoie par mesure de rétorsion la peste au camp grec. C'est cette peste constatée, puis interprétée par le devin Calchas, qui conduira contre son gré Agamemnon à rendre Chryséis et à s'octroyer, à titre compensatoire et sans autre justification que son bon plaisir et son statut de roi des rois, la captive Briséis qui avait initialement été concédée à Achille. 

Il est amusant d'apprendre dans le dictionnaire de la mythologie de Pierre Grimal que la tradition précisait soigneusement les types de beauté des deux captives : Chryséis blonde, mince et petite; Briséis grande, brune, élégante, le teint blanc. Représentation ainsi d'un résumé bi-partisan de la beauté féminine.

Une beauté qui peut déclencher des guerres - à preuve justement Hélène, source absolue du conflit - mais qui cohabite, chez Homère, avec des notations à faire blêmir les modernes . Lors des jeux pour les funérailles de Patrocle, on ne manquera pas de noter que pour doter l'épreuve de lutte (pour la lutte douloureuse) , Achille aux pieds agiles (podas okus Achilleus / πόδας 'ωκυς 'Αχιλλεύς) propose : "au vainqueur un grand trépied, allant au feu, que les Achéens, en eux-mêmes, estimaient douze bœufs; pour le vaincu, il exposa une femme; elle savait faire beaucoup d'ouvrages, et on l'estimait quatre bœufs." Finalement, le grand Ajax, fils de Télamon (car il y a un petit Ajax , fils d'Oïlée, agile à la course) et l'ingénieux Ulysse seront déclarés vainqueurs ex-æquo et se partageront des prix égaux. On ne sait pas ce qu'il advint de la femme …

A la notable exception d'Achille, humain dans le dépit, mais prodigieusement sûr de lui au combat, il n'est pas de guerrier qui, à un moment ou un autre ne doute, ne tremble, ne craigne la mort noire ou le bronze impitoyable, ni le grand Ajax, ni le robuste Diomède, ni le meilleur des troyens, le furieux Hector, n'y échappent, et au plus fort de l'héroïsme et de l'emportement briseur d'échines et pourfendeur d'entrailles, soudain, apparaît la faille. Avant d'accepter le combat et son destin déjà écrit, au chant XXII, Hector fera trois fois, poursuivi par Achille, le tour des remparts d'Ilion  : "Comme un faucon des montagnes, le plus léger des oiseaux, poursuit aisément une colombe tremblante; elle fuit en dessous, et lui, de près, à cris aigus, fond sur elle souvent, car l'envie de la saisir le pousse, ainsi Achille, impatient, volait droit et Hector, tremblant, fuyait, au pied du mur de Troie, et mouvait agilement ses genoux."

Dans le domaine du dialogue homérique, on note l’extraordinaire propension des combattants de quelque rang à faire précéder leur affrontement direct par des discours copieux de mise en perspective, où chacun rappelle son illustre naissance, les exploits de son père, voire de ses multiples ascendants, ce qui peut prendre des paragraphes, quand la question du combat lui-même est rapidement réglée sans excessive nuance. Ainsi de Sarpédon, côté troyen et de Tlépolème, côté grec:

" Tlépolème l’Héraclide, brave et grand, fut poussé contre Sarpédon, rival des dieux, par le destin puissant. Quand ils furent près, marchant l’un sur l’autre - un fils et un petit-fils de Zeus, assembleur de nuées - Tlépolème le premier s’adressa à Sarpédon : 

 ‘‘Sarpédon, conseiller des Lyciens (…) on ment en te disant fils de Zeus porte-égide, car tu le cèdes beaucoup à ces mâles qui naquirent de Zeus, au temps des premiers hommes. Que ne fut, dit-on, dans sa force Héraclès mon père [issu lui-même de Zeus], , intrépide, cœur de lion! Venu jadis ici, pour les chevaux de Laomédon, avec six vaisseaux seulement et quelques hommes, il saccagea la ville d’Ilion et rendit veuves ses rues. Mais toi, ton cœur est lâche, et tes troupes périssent. Les troyens ne trouveront, je crois, aucun secours à ta venue de Lycie, même si tu es vigoureux; dompté par moi, tu franchiras les portes d’Adès.’’

Sarpédon, chef des Lyciens, répliqua : ‘‘Tlépolème, certes, celui dont tu parles ruina la sainte Ilion, par la folie d’un homme, de l’admirable Laomédon, qui à un bienfait répondit par des injures, et lui refusa les chevaux pour lesquels il était venu de si loin. Mais toi tu vas, je l’affirme, trouver ici la mort et la noire divinité par mon fait, et, dompté par ma lance, donner à moi la gloire et ton âme à Adès, aux chevaux célèbres.’’

Sarpédon dit. Alors il leva sa pique de frêne, Tlépolème. Au même instant, les longues lances partirent de leurs mains. Et il frappa son adversaire au milieu du cou, Sarpédon; la pointe de part en part passa, douloureuse; sur les yeux du blessé, une nuit sombre s'étendit."

Et voilà, exit Tlépolème.

On aura aussi noté, dans cet échange, ce qui surprend toujours, la coexistence de qualificatifs que nous trouvons élogieux (ou  au contraire péjoratifs) avec un discours critique (ou au contraire louangeur, ou respectueux). Ici, Laomédon est qualifié d'admirable, ce qui nous semble  peu compatible avec son comportement, lui qui à un bienfait répondit par des injures .

Remarque: Pour l'anecdote et situer l'allusion, Laomédon , roi de Troie, est le père, entre autres enfants, de Priam qui lui a succédé quand l'épopée homérique nous est contée. Spécialiste du parjure, Laomédon refuse de payer aux divinités le tribut promis pour leur aide dans la construction des murs de la citadelle. Irrité, Poséidon lui envoie un monstre marin qui enlève sa fille Hésioné. Héraclès, appelé à la rescousse, tue le monstre, délivre Hésioné … et  se voit refuser les chevaux divins qui lui avaient été garantis en récompense de ses bons services . Il revient alors à Troie, accompagné de Télamon, le père du grand Ajax, à la tête d'une armée, prend la ville et tue Laomédon et tous ses fils, sauf Priam, qui avait désavoué son père.

Sur cette affaire de qualificatifs en rupture logique, dès les premiers vers, on a été un peu surpris de cette adresse d'Achille à Agamemnon: "Glorieux Atride, homme cupide entre tous (…)". Il est vrai – on a des exemples - que ce n'est pas incompatible …

En termes de remarque rapide et collatérale, l'insulte homérique apparaît parfois comme de nature assez "hadockienne" (cf. le capitaine). Ainsi du qualificatif de "mouche de chien" qui nous semblera, modernes, plus folklorique que virulent. "Moule à gaufres" a même au fond plus d'impact.

Les actions humaines, les comportements, les faits d'armes, sont constamment rapportés à des situations relevant de l'observation animalière, ou du constat de catastrophe naturelle. Il est sans cesse question de lions bondissant sur des biches, ou égorgeant un taureau, ou faisant face à des chiens et des bergers, les mouvements de troupes sont des fleuves qui gonflent, des nuées qui s'amassent et éclatent en trombes d'eau, etc.

Le troyen Dolon, ainsi, est poursuivi par Diomède et Ulysse : "Dolon (…) reconnut ses ennemis et mut agilement ses genoux pour fuir. Eux, à sa poursuite s'élancèrent. Comme deux chiens aux dents aiguës , dressés à la chasse, pressent un faon ou un lièvre, sans trêve ni cesse, dans un pays boisé; et l'animal court devant eux en criant; ainsi le fils de Tydée et Ulysse, destructeur de ville, poursuivaient Dolon (…)."

La comparaison est parfois plus inattendue. Ici, Hélénos, fils de Priam, décoche une flèche à Ménélas: "Le fils de Priam frappa à la poitrine, de son trait, la courbure de la cuirasse, et la flèche amère vola de côté. Comme, d'une large pelle, sur une aire vaste sautent les fèves à la peau noire, ou les pois-chiches, sous le vent sifflant et l'effort du vanneur, ainsi de la cuirasse de Ménélas rebondit et vola très loin la flèche amère."

Dans les corps-à-corps, le vainqueur n'hésite pas à séparer du tronc la tête du vaincu, comme un trophée, ou pour la jeter au loin. Dans tous les cas, l'important, l'essentiel est de se saisir de la cuirasse sanglante de celui qu'on vient de tuer, pour en tirer gloire et à titre de butin, cependant que pour ses compagnons d'armes, il s'agit de  sortir le mort du champ de bataille afin de pouvoir lui rendre les honneurs et lui assurer des funérailles dignes. Et c'est pourquoi l'on se bat autour des corps au sol, dans des conditions qui parfois prêtent à  sourire, les uns tirant la tête, les autres tirant les pieds, et l'on se forge  alors de curieuses images de la bataille … Ainsi, quand Hector a tué Patrocle : "Hector, ayant enlevé à Patrocle ses armes glorieuses, le traînait pour détacher des épaules la tête, avec le bronze acéré, et donner le cadavre, après l'avoir traîné, aux chiennes de Troie. (…) Il s'élança sur son char; et il donna les belles armes aux Troyens, pour les porter à la ville, et en retirer pour lui-même un grand honneur. [(…) Puis Hector  s'adresse à ses compagnons d'armes:] A celui qui tirera Patrocle (quoiqu'il soit déjà mort) chez les Troyens dompteurs de chevaux (…) j'accorderai la moitié des dépouilles (…) et sa gloire sera égale à la mienne. (…) [Alors]  ayant attaché un baudrier à sa cheville, autour des tendons, pour plaire à Hector et aux Troyens, (…) Hippothoos, par un pied, traînait Patrocle dans la rude mêlée [mais il est mortellement blessé par un grec et ] sur le champ, l'ardeur d'Hipppothoos fut dénouée; de ses mains le pied de Patrocle au grand cœur glissa à terre, immobile (…)." Etc.

Ah! Patrocle. Le "couple" Achille et Patrocle! Question gay? De fait, rien dans l'Iliade – sauf à fantasmer sur la douleur d'Achille à la mort de son compagnon/écuyer – n'apporte d'eau à ce moulin. Mais l'affaire semble entendue, et les commentaires vont bon train, qui font de cet amour grec, un modèle mythique d'homosexualité, une référence. La tradition s'est imposée, adossée aux grands auteurs – Eschyle dans Les Myrmidons (fragments) , pour n'en citer qu'un - et quand l'Histoire retient  qu'Alexandre le grand et son fidèle Héphaestion déposent en 334 avant J.C. une couronne  sur les tombes d'Achille et de Patrocle, près de Troie, c'est pour les en conclure amants (in Elien le Sophiste / Histoire variée/ romain, vers 200 de notre ère) …

Akhilleus_Patroklos

Quoi qu'il en soit, au chant IX de l'Iliade, les deux amis se couchent sous la tente et : "avec [Achille] se coucha une femme qu'il avait amenée de Lesbos, La fille de Phorbas, Diomédé aux belles joues. Patrocle se coucha du côté opposé , lui aussi avec une femme, Iphis à la belle ceinture, que lui avait donnée le divin Achille à la prise de Scyros  l'escarpée (…)  

Il est vrai que ceci n'interdit pas cela …..

                    Ainsi donc va l'Iliade, et la guerre de Troie. Tout cela, comme on le sait, finira mal.

images

Relecture conseillée.

En attendant l'Odyssée ….

 

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