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Mémoire-de-la-Littérature
8 février 2014

BERNARD MARIS - L'HOMME DANS LA GUERRE

Maurice Genevoix face à Ernst Jünger – Grasset ed. 2013

Bernard Maris

Bernard Maris est bien connu des auditeurs matinaux de France-Inter, dont je suis, par son débat du Vendredi matin, 7h50, avec Dominique Seux.

Toulousain d'origine, cette brève casquette-audio s'ajoute à des responsabilités universitaires, aimables et diverses. 

C'est un peu (beaucoup) par curiosité que j'ai lu son récent essai L'homme dans la Guerre.

J'ignorais son rapport avec Genevoix, ses chroniques économiques étaient sympathiques, je cherchais le lien avec 14-18…. C'était, et sans doute pour beaucoup, son épouse .

Sylvie Genevoix

Le livre est dédié, dans une impudeur touchante "à Sylvie Genevoix , ma Sylvie", décédée d'un cancer le 19/09/2012, épousée le 21/9/2007.  Evidemment ….

Littéraire de formation, fille de Maurice Genevoix, journaliste, elle meurt deux mois avant  sa mère, qui avait fêté en 2012 ses 101 ans. Le destin a ses choix qui sont, comme on le dit des voies de Dieu, impénétrables.                                                                   

Le livre se veut une étude des écrits  et des personnalités de Genevoix et de Jünger, le second admiré dès les années de jeunesse toulousaines, le premier sans doute approfondi à travers l'amour conjugal, dans leur rapport avec la Grande Guerre.

Livre intéressant, facile à lire, peut-être un peu répétitif dans son schéma thématique d'un Genevoix humaniste et guerrier face à un Jünger aristocrate et mystique de la Guerre. L'admiration pour Genevoix se comprend mieux que celle portée à Jünger tant le Bernard Maris des chroniques sur Inter semble policé et éloigné des emportements du second qui peuvent flirter avec le fanatisme.

Beaucoup de citations qui, me semblent-il, si elles peuvent donner l'envie de compléter sa lecture de Genevoix, ne poussent guère vers Jünger. J'ai lu il y a quelques années Orages d'acier et Sur les falaises de marbre, avec un souvenir imprécis mais flamboyant dans les deux cas, un souvenir étonné. Du Genevoix guerrier, je n'ai que ma lecture récente de Sous Verdun (cf. mon billet), mais comme elle est assez différente des présentations de Maris, le projet s'impose de poursuivre plus avant dans le cycle Ceux de 14. 

J'ai de fait peu à dire de l'essai de Bernard Maris.

Une remarque technique : Grasset est une maison d'édition sauf erreur de bonne réputation, mais ses correcteurs ont laissé passer une grosse demi-douzaine d'erreurs de tous ordres : fautes d'orthographe, ponctuation ou préposition ou terme  omis (pages 37 49 69 89 123  165 167). Irritant.

B. Maris, que j'aurais subodoré pacifiste, semble bien s'accommoder de la folie meurtrière qui s'empare des hommes au moment du combat et s'il consent au bémol humaniste dans les moments de recul pour Genevoix, il est plein d'indulgence, à mes yeux coupable, pour l'horreur à jet continu qu'est et que demeure la boucherie de 14-18, creuset de l'homme nouveau appelé par Jünger, et matrice quoi qu'il en soit, même chez Genevoix, d'une certaine éducation. Etonnant quand j'énoncerais, pour ce qui me concerne, injustifiable.

Qu'avoir vécu cela rende autre, je le conçois, et, partant, que Genevoix ou Jünger nous restent, dans le for intérieur qui en a découlé, incompréhensibles, je ne saurais le nier, mais Bernard Maris, pourtant privé comme tous ceux de sa génération, qui est aussi la mienne, d'expérience guerrière, semble, lui, sur le point d'aller à l'empathie dans l'ivresse de tuer.

Chacun sait la violence qui est en lui, sans en connaître les limites,  et il ignore comment, dans des circonstances exceptionnelles, elle s'exprimerait, mais il me semble que l'ampleur potentielle des débordements craints rencontre dans l'expression qu'en fournit Bernard Maris, comme une indulgence fataliste. Ainsi va la nature humaine, semble-t-il dire. Et la civilisation?

                            Eparges1Eparges 2Eparges 3

Genevoix et Jünger étaient tous deux aux Eparges. Région: Lorraine – Département : Meuse – Arrondissement: Verdun – Canton: Fresnes-en-Woëvre.

La bataille des Eparges est un haut lieu des affrontements de 1914 – 1915. Pendant 5 mois, de septembre à avril, les forces en présence se sont livrées à des combats acharnés, meurtriers, effroyables, pour la conquête d'une crête affirmée stratégique en termes d'artillerie. Attaques et contre-attaques, affrontements corps à corps  et à la grenade, intense boucherie. 

Grandeur? Bernard Maris semble prêt à accepter le mot, dans la foulée de l'émotion de Genevoix, de l'enthousiasme mortifère de Jünger. Moi, pas.

C'est une pénible sensation d'inutilité de l'horreur comme non porteuse d'espoir pour l'avenir qui exsude de tous ces récits de guerre, le sentiment que tout cela n'a rien appris aux hommes et qu'on continue, partout, à éventrer à la moindre occasion. Certes les motifs changent, mais le goût du sang demeure.

La patrie, la terre, l'honneur, le devoir …. et l'autre comme ennemi, à éliminer.

Triste.

J'ai quand même du mal à m'y faire, sans pour autant savoir ce que j'aurais fait, dans les tranchées. Toute épreuve soude les hommes. Il y a donc des moments de fraternité, et dans sa présentation, Bernard Maris les valorise et Robert Porchon devient le Patrocle de Genevoix, pourtant plus Hector que Jünger, qui a les emballements d'Achille.

Littérature que cela, et dans tous ses défauts, quand Porchon meurt ainsi à 20 ans sur la colline des Eparges. Et rien ne peut remplacer, surtout pas Péguy (Heureux ceux qui sont morts etc.),  tant d'années enfuies.

La guerre comme drogue, c'est un peu cela qui transparaît et la compréhension de Bernard Maris, c'est la prise en compte de ceci que pour certains, mieux vaut l'overdose que cultiver son jardin.

Il faudrait développer, mais, à quoi bon? Achille a eu le destin qu'il rêvait peut-être ou du moins qu'il rêvait, vivant, dans l'Iliade. Mort, il l'a regretté: "J'aimerais mieux être sur terre, domestique d'un paysan, fût-il sans patrimoine et presque sans ressources, que de régner ici, parmi ces ombres consumées." (Odyssée)

Mais il n'y a  que chez Homère que l'on peut mourir et puis déplorer de s'être enivré de gloire et de combats. Ailleurs, il est trop tard. Sauf si …

Le destin, là aussi, choisit. Genevoix est mort à 90 ans ... et Jünger  à 102 !

 

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Commentaires
F
Que dire ce soir 7 janvier 2014<br /> <br /> sinon que<br /> <br /> Bernard Maris-L'homme dans la guerre<br /> <br /> <br /> <br /> est allé au bout de la sienne et qu'il a enfin hélas pour nous tous rejoint sa SYLVIE.<br /> <br /> dans toute cette barbarie c'est ma seule pauvre lueur de réconfort ...ce soir !
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K
Très bon billet. On peut être pour ou contre, peu importe, l'intérêt c'est qu'il suscite le débat. Je viens de terminer le passionnant "Carnets de guerre 1914-1918" de Jünger et j'en suis encore ému, tellement les combats étaient acharnés. J'apprécie beaucoup l'esprit aristocrate et chevaleresque de Jünger qui parle des "Franzose" avec bcp de respect durant le combat et non avec la violence et la haine de Genevoix que tu précises dans ton billet de "Ceux de 14". C'est toujours étonnant de savoir que Genevoix et Jünger ont été blessé aux Eparges le même mois je crois. Pour terminer et parce que tu cites Pratrocle, Hector et Achille, j'ai beaucoup aimé le dernier livre de l'auteur australien David Malouf : "Une Rançon" chez Albin Michel (août 2013), qui revisite cet épisode de l'Illiade par le regard et le chagrin de Priam, le père d'Hector.
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