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Mémoire-de-la-Littérature
22 février 2019

SEMINAIRE n°6 - Mardi 19/2/2019

Donatien Grau

Donatien Grau, est ancien élève de l'ENS Ulm (promotion 2006), agrégé de Lettres, titulaire de trois thèses de doctorat, etc. Cursus honorum (universitaire) performant!

Il vient aujourd'hui présenter ses réflexions, son analyse d'un passage de "Sur la lecture" qui lui parait être d'une importance capitale dans la compréhension du travail de Proust, il parle de "clé de l'oeuvre", et plus étonnamment (pour moi) de "schibboleth", terme hébreu qui désigne sauf erreur un signe de reconnaissance verbale. Ai-je bien entendu?

Il faut d'abord, je crois, se replonger dans le texte retenu, en y incluant la note de bas de page qui l'accompagne. avant de chercher à s'interroger sur le commentaite analytique du conférencier et sur l'échange savant (et ... tendu?) avec A.C. qui l'a prolongé. 

Parfois même, dans certains cas un peu exceptionnels, et d’ailleurs, nous le verrons, moins dangereux, la vérité, conçue comme extérieure encore, est lointaine, cachée dans un lieu d’accès difficile. C’est alors quelque document secret, quelque correspondance inédite, des mémoires qui peuvent jeter sur certains caractères un jour inattendu, et dont il est difficile d’avoir communication. Quel bonheur, quel repos pour un esprit fatigué de chercher la vérité en lui-même de se dire qu’elle est située hors de lui, aux feuillets d’un in-folio jalousement conservé dans un couvent de Hollande, et que si, pour arriver jusqu’à elle, il faut se donner de la peine, cette peine sera toute matérielle, ne sera pour la pensée qu’un délassement plein de charme. Sans doute, il faudra faire un long voyage, traverser en coche d’eau les plaines gémissantes de vent, tandis que sur la rive les roseaux s’inclinent et se relèvent tour à tour dans une ondulation sans fin ; il faudra s’arrêter à Dordrecht, qui mire son église couverte de lierre dans l’entrelacs des canaux dormants et dans la Meuse frémissante et dorée où les vaisseaux en glissant dérangent, le soir, les reflets alignés des toits rouges et du ciel bleu ; et enfin, arrivé au terme du voyage, on ne sera pas encore certain de recevoir communication de la vérité. Il faudra pour cela faire jouer de puissantes influences, se lier avec le vénérable archevêque d’Utrecht, à la belle figure carrée d’ancien janséniste, avec le pieux gardien des archives d’Amersfoort. La conquête de la vérité est conçue dans ces cas-là comme le succès d’une sorte de mission diplomatique où n’ont manqué ni les difficultés du voyage, ni les hasards de la négociation. Mais, qu’importe ? Tous ces membres de la vieille petite église d’Utrecht, de la bonne volonté de qui il dépend que nous entrions en possession de la vérité, sont des gens charmants dont les visages du XVIIe siècle nous changent des figures accoutumées et avec qui il sera si amusant de rester en relations, au moins par correspondance. L’estime dont ils continueront à nous envoyer de temps à autre le témoignage nous relèvera à nos propres yeux et nous garderons leurs lettres comme un certificat et comme une curiosité. Et nous ne manquerons pas un jour de leur dédier un de nos livres, ce qui est bien le moins que l’on puisse faire pour des gens qui vous ont fait don de la vérité. Et quant aux quelques recherches, aux courts travaux que nous serons obligés de faire dans la bibliothèque du couvent et qui seront les préliminaires indispensables de l’acte d’entrée en possession de la vérité – de la vérité que pour plus de prudence et pour qu’elle ne risque pas de nous échapper nous prendrons en note – nous aurions mauvaise grâce à nous plaindre des peines qu’ils pourront nous donner : le calme et la fraîcheur du vieux couvent sont si exquis, où les religieuses portent encore le haut hennin aux ailes blanches qu’elles ont dans le Roger Van der Weyden du parloir ; et, pendant que nous travaillons, les carillons du XVIIe siècle étourdissent si tendrement l’eau naïve du canal qu’un peu de soleil pâle suffit à éblouir entre la double rangée d’arbres dépouillés dès la fin de l’été qui frôlent des miroirs accrochés aux maisons à pignons des deux rives[1].


[1] Je n’ai pas besoin de dire qu’il serait inutile de chercher ce couvent près d’Utrecht et que tout ce morceau est de pure imagination. Il m’a pourtant été suggéré par les lignes suivantes de M. Léon Séché dans son ouvrage sur Sainte-Beuve : "Il (Sainte-Beuve) s’avisa un jour, pendant qu’il était à Liège, de prendre langue avec la petite église d’Utrecht. C’était un peu tard, mais Utrecht était bien loin de Paris et je ne sais pas si Volupté aurait suffi à lui ouvrir à deux battants les archives d’Amersfoort. J’en doute un peu, car même après les deux premiers volumes de son Port-Royal, le pieux savant qui avait alors la garde de ces archives, etc. Sainte-Beuve obtint avec peine du bon M. Karsten la permission d’entre-bâiller certains cartons... Ouvrez la deuxième édition de Port-Royal et vous verrez la reconnaissance que Sainte-Beuve témoigna à M. Karsten" (Léon Séché, Sainte-Beuve, tome I, pages 229 et suivantes). Quant aux détails du voyage, ils reposent tous sur des impressions vraies. Je ne sais si on passe par Dordrecht pour aller à Utrecht, mais c’est bien telle que je l’ai vue que j’ai décrit Dordrecht. Ce n’est pas en allant à Utrecht, mais à Vollendam, que j’ai voyagé en coche d’eau, entre les roseaux. Le canal que j’ai placé à Utrecht est à Delft. J’ai vu à l’hôpital de Beaune un Van der Weyden, et des religieuses d’un ordre venu, je crois, des Flandres, qui portent encore la même coiffe non que dans le Roger van der Weyden, mais que dans d’autres tableaux vus en Hollande.

Ce qui me frappe, déjà, c'est que le passage choisi par Donatien Grau soit séparé des quelques lignes qui le précèdent et qui de fait l'introduisent, et que voici : 

Tant que la lecture est pour nous l’incitatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-même la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de l’esprit, la lecture tend à se substituer à elle, quand la vérité ne nous apparaît plus comme un idéal que nous ne pouvons réaliser que par le progrès intime de notre pensée et par l’effort de notre cœur, mais comme une chose matérielle, déposée entre les feuillets des livres comme un miel tout préparé par les autres et que nous n’avons qu’à prendre la peine d’atteindre sur les rayons des bibliothèques et de déguster ensuite passivement dans un parfait repos de corps et d’esprit.  

Ainsi, me semble-t-il, on comprend déjà mieux le "Parfois même" liminaire. Mais pourquoi " ... dans certains cas un peu exceptionnels, et d’ailleurs, nous le verrons, moins dangereux"? C'est le "moins dangereux" qui me fait ici réfléchir et qui je crois, n'a pas retenu l'attention de D.G. Parce qu'il est évident? Probablement. Moins dangereux que quoi? Au-delà du passage analysé, on trouve la reprise : Cette conception d’une vérité sourde aux appels de la réflexion et docile au jeu des influences, d’une vérité qui s’obtient par lettres de recommandations, que vous remet en mains propres celui qui la détenait matériellement sans peut-être seulement la connaître, d’une vérité qui se laisse copier sur un carnet, cette conception de la vérité est pourtant loin d’être la plus dangereuse de toutes. Car bien souvent pour l’historien, même pour l’érudit, cette vérité qu’ils vont chercher au loin dans un livre est moins, à proprement parler, la vérité elle-même que son indice ou sa preuve, laissant par conséquent place à une autre vérité qu’elle annonce ou qu’elle vérifie et qui, elle, est du moins une création individuelle de leur esprit. Il n’en est pas de même pour le lettré.

Voilà donc, paradoxe, plus que l'historien ou l'érudit, le pire lecteur: le lettré (?). Pire pour cause de fétichisme : 

Lui, lit pour lire, pour retenir ce qu’il a lu. Pour lui, le livre n’est pas l’ange qui s’envole aussitôt qu’il a ouvert les portes du jardin céleste, mais une idole immobile, qu’il adore pour elle-même, qui, au lieu de recevoir une dignité vraie des pensées qu’elle éveille, communique une dignité factice à tout ce qui l’entoure. Le lettré invoque en souriant en l’honneur de tel nom qu’il se trouve dans Villehardouin ou dans Boccace en faveur de tel usage qu’il est décrit dans Virgile. Son esprit sans activité originale ne sait pas isoler dans les livres la substance qui pourrait le rendre plus fort ; il s’encombre de leur forme intacte, qui, au lieu d’être pour lui un élément assimilable, un principe de vie, n’est qu’un corps étranger, un principe de mort.

Mais enfin, là, il s'agit du lettré médiocre, du cuistre en quelque sorte, et Proust sauvera ceux d'une espèce supérieure, les grands esprits qui savent dépasser le reproche ici fait, car:

...  rencontrer chez un grand homme un de nos défauts nous incline toujours à nous demander si ce n’était pas au fond une qualité méconnue, et nous n’apprenons pas sans plaisir qu’Hugo savait Quinte-Curce,Tacite et Justin par coeur; qu’il était en mesure, si on contestait devant lui la légitimité d’un terme, d’en établir la filiation, jusqu’à l’origine, par des citations qui prouvaient une véritable érudition. (J’ai montré ailleurs comment cette érudition avait chez lui nourri le génie au lieu de l’étouffer, comme un paquet de fagots qui éteint un petit feu et en accroît un grand).

Mais tout cela n'a pas retenu Donatien Grau, que son tropisme prousto-beuvien maintient sur l'historien-archiviste et Sainte-Beuve à Utrecht. C'est l'attaque proustienne qui le meut, et l'ironie du passage retenu. Dans son "Tout contre Sainte-Beuve" - Compagnon daubera gentiment son équipe en soulignant que dans la fiche qu'on lui a passée relative à Donatien Grau, le titre est devenu : "Tous contre Sainte-Beuve", avec cette précision que j'ajoute que sur le site de la revue La règle du jeu (https://laregledujeu.org/contributeur/donatien-grau/), dont le comité de rédaction compte parmi ses membres notre séminariste du jour, c'est bel et bien cet intitulé fautif qui est indiqué ! - Donatien Grau a déja donné un coup de projecteur sur l'affaire et il reprend ici, en le développant largement, il me semble, ce qu'il en disait alors (je cite):  Dans une note extrêmement énigmatique de "Journées de lecture", la préface qu'il donne à sa traduction de Sésame et les lys de Ruskin, Proust fait référence, pour la seule fois de toute son oeuvre, au Port-Royal de Sainte-Beuve, et encore, d'une façon indirecte. En effet, il s'est livré à une micro-fiction bucolique dans le texte, où il se met en scène découvrant un couvent et il commente : "Je n'ai pas besoin de dire ...[et D.G. recopie la note [1] de bas de page ci-dessus, jusqu'à ] ... sur des impressions vraies.
D.G. poursuit : La référence repose sur une libre description par l'auteur d'une expérience fictive dans une Hollande rêvée, librement inspirée des primitifs flamands - une sorte d'entité hybride où la mémoire de l'art rencontre la réalité, quelque peu, et, surtout, se détache infiniment d'elle pour donner à la vie une teinte de poésie et d'onirisme qui nourrit la création littéraire qu'est cette page [et il cite, jusqu'à la fin du passage étudié aujourd'hui] : Et quant aux courtes recherches, aux courts travaux que nous serons obligés de faire dans la bibliothèque du couvent ..... des miroirs accrochés aux maisons à pignons des deux rives.

Puis, Donatien Grau [dans "Tout contre Sainte-Beuve"] reprend :  Tel est le passage dont cette note [la [1] ci-dessus] constitue la glose. Il repose sur une référence directe au livre VI de Port-Royal dans lequel Sainte-Beuve expose sa redécouverte de l'essence même du jansénisme alors qu'il partait en quête de documents, et qu'il rencontra un homme, ce fameux Karsten: "De cette matinée passée à Amersfoort, de ces journées employées à Utrecht, j'ai emporté une sensation de sobre jouissance,  toute une odeur de Port-Royal que je n'aurais jamais crue vivante encore nulle part à cette date du siècle. Le dernier esprit de Port-Royal s'est réfugié en ce petit coin du monde, et il s'y fait sentir sans trop d'accent étranger, surtout dans la bouche de M. Karsten."

Ce texte n'a été que rarement commenté, et c'est bien dommage: plus que tout autre, il témoigne des affinités profondes, et du fossé tout aussi profond, entre Proust et Sainte-Beuve. Car quel que soit le côté par où l'on prend les textes, un fait est éclatant: Proust se met en scène en Sainte-Beuve. Il prend sa place dans la saynète construite par le deuxième. Cependant, et là est tout l'écart, dans sa construction, les sentiments sont vrais, mais les faits sont faux - tandis que, dans Port-Royal, tout est vrai, a priori, puisqu'il s'agit d'écrire l'Histoire. De la sorte, au fond, Proust introduit dans la scène la distance de la fiction, en même temps qu'il prétend plonger directement à la vérité essentielle qui est celle du sentir. Tout y est : la fiction, l'Histoire, le savoir, la dualité entre les deux auteurs, mais aussi, et surtout, le fait que Proust se voit comme un autre Sainte-Beuve.

Dans les lignes qui suivent de "Tout contre Sainte-Beuve", Donatien Grau, replonge dans ses rapprochements Proust- Sainte-Beuve et s'écarte du propos de son exposé du jour. Nous, restons-y. Qu'a-t-il donc prolongé? J'ai pris des notes qui ne me sont pas claires, qui accumulent des formules entre lesquelles j'ai du mal à dégager l'essentiel. Et dans un discours très affirmatif pointe, il me semble, l'hypertrophie par érudition, voire par projection, d'un propos proustien plus simple. A s'en tenir strictement au passage retenu, qu'énonce Proust?   Ceci, peut-être, en quatre temps :

- Tant que la lecture nous aide à accéder à un niveau plus profond de réflexion personnelle, elle est salutaire.

- Elle devient dangereuse quand elle se substitue à notre propre démarche et remplace le progrès de notre pensée par le prêt à porter de ses formules.

- Face au labeur de la réflexion personnelle, il y a la tentation de la facilité, la recherche de documents qu'il suffira ensuite de produire, les aspects matériels de cette recherche (voyages, contacts,  requêtes, négociations) devenant un délassement suspensif de tout travail du cogito, se contentant d'obtenir de l'extérieur une vérité "réifiée" qui se laisse copier sur un carnet.  Remarque : pourquoi, et à deux reprises, D.G. dit-il "délaissement" (abandon) pour "délassement" (distraction)?

- Pire enfin, la position fétichiste du lettré qui ne construit le monde que comme excroissance de ce qui s'en trouve dans les livres, sa référence absolue, tant pour lui, seul existe  ce qu'il vit comme un reflet de l'écrit et a été dit, jugé, par Virgile et alii.

Mais D.G. a négligé ce bilan simple, désireux de porter l'effort sur la critique historique et sur la position de Sainte-Beuve qu'il s'est plu à déchiffrer à la fois dans le texte et dans la note connexe. Et, à procéder par collationnement, j'ai retenu :

- Proust n'accepte pas de coaguler vie personnelle et enquête critique chez l'historien; l'historien n'a pas de vie biographique

- Proust présente avec ironie, en se moquant, tant le principe d'enquête philologique, un pensum, que les ridicules de la méthode historique, l'Histoire comme emphase, avec suggestion d'une possible falsification - D.G. rappelle à ce propos que le jeune Marcel Proust avait eu la tentation de se tourner vers l'Histoire, en remontrant  à ses professeurs d'université dans la précision des références. D.G. rappelle également la querelle philologique contemporaine entre les écoles française, qui se voulait littéraire (Promenades archéologiques; Gaston Boissier) et allemande (Prix Nobel attribué en 1902 à Thomas Mommsen), nécessairement plus austèrement rigoriste (sur Mommsen et la mentalité allemande, une longue étude qui semble "amusante" (je n'ai fait que survoler les premières pages) de René Pichon, ICI).

- Sous l'ironie de Proust [... les carillons du XVIIe siècle étourdissent si tendrement l’eau naïve du canal qu’un peu de soleil pâle suffit à éblouir entre la double rangée d’arbres dépouillés dès la fin de l’été qui frôlent des miroirs accrochés aux maisons à pignons des deux rives], D.G. retrouve des accents de Baudelaire (L'invitation au voyageLes soleils couchants/ Revêtent les champs, / Les canaux, la ville entière, / D’hyacinthe et d’or ; / Le monde s’endort / Dans une chaude lumière.). Petit accès/essai de capillo-traction ? D.G. en profite pour évoquer "les moments de cinesthésie" de la Recherche. On rappellera que le terme désigne l'ensemble des sensations musculaires liées à la position et aux mouvements du corps. La Recherche, ce grand corps en mouvement?

D.G. est très préoccupé, et il y reviendra dans l'échange avec Compagnon sans que ce dernier semble vouloir le suivre sur ce terrain, par le jeu des temps verbaux. Evoquant des événements qui ont eu lieu (dont l'acteur fut Sainte-Beuve), Proust en utilisant le futur part sur ses traces, mais en escamotant un possible présent, façon de nier l'instant, et en refusant le conditionnel. D.G. dit : "Le temps est ouvert et la recherche [historique] est énoncée au futur", répétant :  "L'Histoire se prépare à agir au futur". Alors que les sensations qui entourent l'historien s'affirment dans le texte au présent, dans une sorte de pérennité immobile, ou plutôt pour montrer que le passé est toujours présent en elles (référence est faite à Henri de Régnier : Le passé vivant, roman publié en 1905 qu'on peut consulter ou lire ICI) . Faut-il voir dans cette dichotomie critique futur / présent  la séparation entre l'action du sujet historien et ce qui l'entoure, dans une histoire en refus du sensible où l'accès à la (fausse) vérité n'est qu'un "don" de celle-ci, comme on donne ou reçoit un objet manufacturé, une "vérité" sans place pour le temps, l'espace, la profondeur, simple transfert de matière brute ininterprétée: M. X donne des archives à M. Y . Donatien Gruau risque : "Science sans conscience?"

D.G. a évoqué [j'ignore trop du sujet pour avoir saisi le fond de la référence, mais on peut s'en faire une première idée ICI] Wilamowitz, futur illustre philologue, rédigeant Philologie du futur, pour ferrailler, jeune, en 1872, contre Nietzsche et sa Naissance de la tragédie, dans ce qui semble avoir été une querelle intellectuelle sérieuse.

J'entends ensuite:

- "L'ordre philologique du savoir n'est qu'une réassurance - On sent poindre la critique nietzschéenne". Aïe ... Le discours devient il me semble, abstrus, ou mes notes ... Réassurance par rapport à quoi? On ne peut pas, sauf effet de chapelle, affirmer ainsi, sans développement/éclaircissement pédagogique 

- "C'est l'apparatus même du discours historique qui est en jeu" : la méthode, en quelque sorte? Proust - dit D.G. - utilise une note de bas de page [la [1] ci-dessus] en la détournant comme instrument de doute sur la méthode historique, car une note est d'ordinaire dévolue à la confortation du propos qu'elle commente alors qu'ici elle en annonce, comme une évidence, la fausseté. "L'Histoire est au futur, et elle est fausse!", dit-il.

J'entends aussi, à propos de Volupté, un énoncé qui me fait grammaticalement sourire. Le piège du "rien moins que / rien de moins que" a une fois encore fonctionné. On sait que la première forme minore, que la seconde majore; on sait ... et on s'enlise dans l'utilisation pratique. Ici, voulant souligner l'importante postérité subliminale du roman de Sainte-Beuve, D.G. profère : "Volupté [dont il a dit auparavant qu'on y avait vu une source cachée de la Recherche] inspira rien moins que Le lys dans la vallée (Balzac), L'éducation sentimentale (Flaubert), Le disciple (Paul Bourget)". D'évidence, il voulait dire "rien de moins que". Décidément, mieux vaut éviter l'expression!

- Quoi d'autre? Ah, oui, une remarque sur Port-Royal : "Chef d'oeuvre de Sainte-Beuve, inventant [là] une Histoire totale. Jamais cité dans la Recherche, ce qui est signifiant.  Proust, qui attaque les Lundis, etc., ne s'est pas réellement confronté à Sainte-Beuve historien. Les traces dans ce texte-ci [celui analysé ce jour] jettent un éclairage sur leur rapport, et par là, sur le rapport entre fiction et non-fiction, face à l'Histoire [raccourci pour la compréhension duquel je manque de bases; j'entrevois avec la suite: ...]... littéralement, Proust est Sainte-Beuve en fiction. Ce que Sainte-beuve a fait, le voyage qu'il a entrepris, Proust l'entreprend de nouveau, mais dans un ordre du discours contaminé où les faits sont devenus fluides. L'histoire des faits devient retrouvailles avec un passé par la sensation, le document disparaît au profit du sensible. Et pour transformer le voyage de l'historien, il faut faire usage de la fiction."

- Donatien Grau voit dans ce texte [les lignes commentées] l'épyllion de la Recherche. Aïe ... Il s'agit là d'un terme technique, venu du grec ancien, où il désigne un poème très bref, narratif, à thème mythologique souvent amoureux. Image ici  pour "terreau originel" en retenant l'idée de brièveté ? 

- On termine, après avoir remplacé un transparent non-dit par un plus pédant caveat,  avec une allusion qui me reste assez absconse à Michel Foucault, dénonçant au Collège de France, dans un de ses derniers cours, l'Histoire platonicienne. 

L'échange avec Antoine Compagnon.

 

                              Duellistes

 

J'ai eu le sentiment qu'A.C. avait modérément apprécié la présentation de Donatien Grau en y lisant implicitement des critiques de son approche du cours précédent, et il a commencé son questionnement par un déroulé de plusieurs minutes, un monologue en forme de contre-analyse, annonçant qu'il avait bien eu l'intention de reprendre et qu'il reprendrait ces lignes qui venaient d'être présentées, pour en donner d'ailleurs une interprétation peut-être différente, jouant au président de jury qui morigène le candidat trop sûr de lui et le remet à sa place en complétant son propos :

- Sainte Beuve se rend à Amersfoort dans le cadre du cours qu'il donne à Liège

- Léon Séché note que Sainte-Beuve monte en épingle une recherche d'archives qui lui est totalement inhabituelle; c'est la seule fois de sa vie qu'il s'y sera livré. Sainte-Beuve n'est pas historien. Les documents dont il dispose, il les tient toujours de correspondants qui les lui ont communiqués.

- Séché lui, était historien, et historien pour qui l'Histoire, ce sont justement des documents, quon cherche, qu'on trouve et qu'on exhibe et qu'on publie dans des brochure du type "Documents sur ..."

- etc.

Bref, dans ce début de soi-disant échange, Donatien Grau "ne peut pas en placer une" et je me dis qu'on va vers une déroute en rase campagne. Mais non, trouvant soudain une "fenêtre de tir", D.G. repart sur le rapport de Proust à l'Histoire  et c'est pour quelques minutes un ping-pong de spécialistes qui connaissent bien Léon Séché. Fréquentant peu ce dernier, je n'ai pas le fond pour suivre et pour trancher.

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Commentaires
U
(d'ailleurs certains physiciens n'excluent pas que l'indétermination quantique puisse exister aussi bien dans le passé que dans le futur ...)
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U
"Ces choses là sont rudes. Il faut, pour les comprendre, avoir fait ses études" (version Hugolienne du "ouh là, c'est hard core tout ça ..." de mes enfants).<br /> <br /> <br /> <br /> Jeu de miroir entre la lecture et l'écriture (la réécriture, aussi : notre cerveau n'arrête pas de triturer et de réécrire notre passé, qui n'est donc jamais figé ...).
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U
Ouch ... je n'interviendrai pas sur le fond, bien incapable de le faire ... merci pour le "Schibboleth", que la page Wiki (oui, désolé, c'était ma seule source dispo ...) définit comme un signe de reconnaissance verbale , mais surtout de discrimination ("mot qui ne peut être utilisé – ou prononcé – correctement que par les membres d'un groupe"). C'est donc là le fond de l'affaire "en être , ou pas ... " (mathématicien, ou n'importe quoi d'autre ...). Sinon, j'apprécie la référence à l'ironie de Proust, thème à mon avis trop souvent occulté (il s'est illustré notamment dans le pastiche, thème "normalien" par excellence). L'ironie implique le détournement, la manipulation, et pas très loin se situe la perversion au sens de Robbe-grillet, la trahison au sens de Genet ... Tout ce qui peut pimenter l'existence, en quelque sorte ....
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