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Mémoire-de-la-Littérature
17 janvier 2008

Morales de Proust. Leçon III. Suite et fin.

Mardi 15 janvier 2008 - 16h30 / 17h30 (Le compte-rendu est présenté en deux parties) PARTIE (II) [2] C’est dans le prolongement de sa Leçon II (du mardi 8/1) que Compagnon veut maintenant inscrire la seconde partie de son exposé du jour. Il fait quelques rappels préalables mais c’est à l’évidence autour des réactions du narrateur face à la révélation de l’homosexualité de Saint-Loup dans “Albertine Disparue” qu’il souhaite développer sa réflexion et solliciter la nôtre. Les rappels: Il redit Bataille faisant de Proust un nietzschéen, lisant chez lui une morale non ordinaire, non triviale, souveraine. Il se reporte à la traduction de “Sésame et les Lys” et aux nombreuses notes (apostilles dit-il, comme on désigne les additions marginales dans les actes juridiques) dont Proust enrichit l’affaire et où on a souligne-t-il pu voir des prémices de la Recherche, extrayant cette affirmation (libellé approximatif à partir de mes notes: l’esprit plus que la lettre ...): “...le vice le plus grave pour un homme de lettres: le snobisme, le carriérisme, la volonté de réussir. C’est le vice que sa morale instinctive (c-à-d l’instinct de conservation de son talent) lui désigne comme le pire, bien plus que la débauche”. Et il évoque de nouveau (cf. mardi 8/1), rebondissant sur cette “débauche”, Bergotte, archétypique de la nécessité peut-être qui s’impose au grand écrivain de traverser le vice pour y trouver une sorte de naissance à l’art supérieur. Et puis : ... Et puis, comme annoncé, il revient à Saint-Loup. Proust dit-il veut d’abord “amoraliser” la sexualité, car “moraliser”, ce serait vouloir punir ... Et de redonner la citation: “Personnellement je trouvais absolument indifférent au point de vue de la morale qu’on trouvât son plaisir auprès d’un homme ou d’une femme, et trop naturel et humain qu’on le cherchât où on pouvait le trouver”. Et néanmoins, toute indifférence affirmée, devant l’homosexualité révélée, le narrateur va pleurer. Pourquoi? Cette question, déjà abordée le 8/1 (j’ai moi-même donné alors ma réaction première) , qu’il va développer, est pour lui très préoccupante. Il existe, souligne-t-il, d’autres moments inexpliqués dans la Recherche. Malgré la propension de Proust à allonger la phrase, comme on tend le bras pour saisir, vers la vérité cachée, des zones restent, ombreuses. Dont celle-ci. Mais d’un de ces petits pas de côté qui lui sont coutumiers, il repart toutefois sur le désir de non-moralisation du sexuel, rappelant une “vieille affaire”, une nouvelle publiée dans la Revue Blanche (fondée en 1891 par les frèresThadée et Alexandre Nathanson; Verlaine, Mallarmé, Heredia, Barrès, Gide ... y collaboreront) dans les années 1890 refusait déjà au lesbianisme tout caractère d’immoralité. Ce texte (“Avant la nuit”), qui ne sera pas inclus comme d’autres de la même période - crainte de choquer sa mère - dans “Les Plaisirs et les Jours”, traite d’une situation que Proust réutilisera dans Jean Santeuil comme dans la Recherche : L’héroïne confesse à son amant secrètement horrifié qu’elle a eu des relations homosexuelles. Et de là, Compagnon se pose une question qu’il affirme laisser ouverte: S’il y a refus de “moralisation” du sexuel, y a-t-il par ailleurs dans la Recherche des “comportements” que le narrateur “moralise”? Et poser la question s’accompagnant ici de l’affirmation qu’il n’est pas à propos d’en chercher une hypothétique réponse, Compagnon, revenant “sans transition” à ses moutons, se reporte derechef aux deux passages “Saint-Loup” déjà lus le 8/1 et qu’il reprend: - “... Si donc Robert n’avait pas été marié, sa liaison avec Charlie n’eût dû me faire aucune peine. Et pourtant je sentais bien que celle que j’éprouvais eût été aussi vive si Robert était resté célibataire. De tout autre, ce qu’il faisait m’eût été bien indifférent. Mais je pleurais en pensant que j’avais eu autrefois pour un Saint-Loup différent une affection si grande et que je sentais bien, à ses nouvelles manières froides et évasives, qu’il ne me rendait plus, les hommes, depuis qu’ils étaient devenus susceptibles de lui donner des désirs, ne pouvant plus lui inspirer d’amitié” (...) - “... L’apprendre de n’importe qui m’eût été indifférent, de n’importe qui excepté de Robert. Le doute que me laissaient les paroles d’Aimé ternissait toute notre amitié de Balbec et de Doncières, et bien que je ne crusse pas à l’amitié, ni en avoir jamais véritablement éprouvé pour Robert, en repensant à ces histoires du lift et du restaurant où j’avais déjeuné avec Saint-Loup et Rachel j’étais obligé de faire un effort pour ne pas pleurer”. Il marque encore une fois ses étonnements, s’interrogeant sur ces pleurs comme sur les contradictions internes aux textes: (a) du statut célibataire / marié de Robert, j’aurais dû intérioriser des réactions différentes: or je devine que non; (b) je pleure en repensant à une situation d’amitié mais je dis que je ne crois pas à l’amitié, et que d’ailleurs je n’en éprouvais pas .... Hypothèse “facile” ... et subliminalement effleurée: Proust n’a pas eu le temps de revoir la totalité de la Recherche et - d’ailleurs la similitude redondante d’une partie des citations à deux pages d’intervalle peut le souligner - il peut y avoir là un flottement qui aurait été corrigé ... Hypothèse “subtile” et qui à l’évidence “travaille” Compagnon: la raison des pleurs n’est pas de l’ordre des motifs esquissés; les larmes se rapportent à une “intuition morale”, non dite, qui devine dans un ailleurs inexplicité la présence d’un sens moral qui pourrait se glisser entre les mots: loyauté, sincérité, pureté, beauté morale, ...., et qui se découvre trahi. Ce pourrait être cela: Saint-Loup a trahi “quelque chose”, qu’on ne sait ou ne dit pas, installant la situation dans un conflit entre le rationnel (les comportements sexuels me sont indifférents, je ne crois pas à l’amitié, etc. ) et l’afflux de l’irrationnel sentimental: je pleure sans raison de pleurer ... Monsieur le professeur tourne autour du pot; il fait semblant, peut-être, de ne pas voir ce qui me semble clair: le narrateur est un hypersensible; il est de ces gens (dangereux? Pour eux-mêmes, pour les autres?) qui surinvestissent dans l’affectif de façon inconsidérée, compulsive et sans véritable espoir de recevoir la pareille en écho, mais qui cultivent un temps l’illusion que la relation est symétrique et que, comme ils donnent le plus profond d’eux-mêmes (ils se trompent d’ailleurs et leur don est en général aussi superficiel que celui des autres ...), l’autre partie en fait autant, sans secrets pour eux. Et quand vient le temps des configurations imprévues, cachées, inavouées, secrètes, que reste-t-il à faire à l’amoureux ou à l’ami déçu sinon nier, nier l’amour, nier l’amitié, songes creux qui n’existent pas, en lesquels on dit ne pas croire et n’avoir pas cru et dont on pleure en fait les enthousiasmes et les bouleversements qu’ils nous ont donnés en même temps qu’on en découvre l’image trop affaiblie, floutée, biaisée, défaite, dans le miroir brisé de l’autre. Compagnon ne va pas vraiment par là. Et c’est davantage en termes universalistes qu’il examine la question, en termes généralistes, soulignant le conflit rationnel / sentimental, raison / émotion, comme actuel, scientifiquement explicable, techniquement modélisable et relevant - qui sait - plus des neurosciences que des troubles de l’âme, ou plutôt renvoyant les troubles de l’âme à des explications chimico-neuro-scientifiques. Il a lu le supplément Économie du Monde du jour: “Comprendre le cerveau pour analyser l’économie” qui évoque, tenu à New-York, “... un symposium (...) du gratin de la recherche mondiale en neuroéconomie”, affichant: “Cette discipline prétend utiliser les progrès de l’imagerie cérébrale pour prédire le comportement des agents économiques (...) Ses partisans affirment qu’elle permet d’intégrer les émotions dans la modélisation économique ...”. Si je développe un peu, si j’extrapole: “Allons planter des électrodes dans la tête du pauvre narrateur dépité?” Modernité affective: Nous sommes tous des machines à sentir et quand le système embarqué rencontre un cas de figure non programmé, une aporie, “ça” pleure.... Ce qui de fait n’explique rien ... et n’empêche pas de souffrir. Mais revenons à Compagnon. Même sans se risquer aussi loin, il s’en faut, il parle un peu “conflit entre zones du cerveau”, entre émotion ici et analyse rationnelle là, avec lecture du dilemme par IRM .... ....et puis il redescend au texte, à la Recherche, où ce conflit est observé et où le narrateur, quoi qu’il en soit de ses affirmations (ailleurs aussi, dans La Prisonnière, quand à l’occasion de “l’exécution” (sociale) de Charlus chez les Verdurin il évoque sa “complète absence de sens moral”), manifeste, croit-il, un “sixième sens, moral”, qu’il voit en œuvre au moment de cette découverte d’un “autre Saint-Loup”. Et c’est cela dit-il qui l’intéresse, ces moments d’incertitude, auxquels il veut consacrer un peu d’attention (à venir), ces passages où comme dans les deux retenus ci-dessus, la tolérance à tout désir, à tout plaisir, vient soudain se heurter à un trouble moral, à un quelque chose qui relève de l’intuition, qu’elle garde voilé mais qui déclenche d’inexplicables larmes ... et il veut travailler ces situations qu’il dit “de perplexité”, enchaînant: “... devant lesquelles nous sommes décontenancés, bousculés, interdits, décentrés, abasourdis, stupéfaits, interloqués, ...”, le dernier terme cité étant celui qui lui semble décrire au plus près son sentiment, et / ou le nôtre (?). Et il pointe, pour terminer, une autre situation du roman dans laquelle il voit, avec cette “affaire Saint-Loup”, des analogies, disant: “... c’est la clausule peut-être la plus célèbre de l’œuvre, celle qui fait la chute d’Un amour de Swann : “Et avec cette muflerie intermittente qui reparaissait chez lui dès qu’il n’était plus malheureux et que baissait du même coup le niveau de sa moralité, il s’écria en lui-même: “Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre!” ... “. Compagnon lit là - fidèle à la lettre même du texte - la muflerie du rationnel et la moralité du malheur, commentant: “Tout amour est malheureux” ... ce qui est peut-être - ce n’est plus lui qui parle - une simple question de définition. Il dit: Surprise! (celle du lecteur), et va rechercher le passage, dans Du côté de chez Swann (Noms de Pays), où Mme Swann se promène dans l’Allée des Acacias, au Bois de Boulogne: “Ils se demandaient: "Qui est-ce?”, interrogeaient quelquefois un passant, ou se promettaient de se rappeler la toilette comme un point de repère pour des amis plus instruits qui les renseigneraient aussitôt. D’autres promeneurs, s’arrêtant à demi, disaient: - Vous savez qui c’est? Mme Swann! Cela ne vous dit rien? Odette de Crécy? - Odette de Crécy? Mais je me disais aussi, ces yeux tristes ... Mais savez-vous qu’elle ne doit plus être de la première jeunesse! Je me rappelle que j’ai couché avec elle le jour de la démission de Mac-Mahon ..” ... et il conclut sur ce phénomène de choc de deux images incompatibles. Remarques personnelles: [1] Tout ça est-il si clair, comme présentation du thème à travailler? La perplexité du narrateur devant sa montée lacrymale est-elle bien de même nature que la remarque désabusée de Swann? La remarque de Swann, c’est le désir effrité qui dessille; et d’ailleurs Swann n’est pas “remué” dans sa lucidité distanciée. Le narrateur, lui, pleure parce que son affectif est atteint, blessé. Dans le premier cas, l’émergence de la vérité confirme un aveuglement, quand tout est terminé, dans le second, elle dévoile une dissimulation et déchire un lien soudain en porte-à-faux. Dans les deux cas, c’est vrai, il y a impossibilité de superposition de deux images.... [2] Toute l’affaire (le choix prospectif par Compagnon de son terrain d’investigation) m’intrigue. Cette idée (et là, la clausule de Swann est hors champ, hors jeu) “d’un sixième sens, moral” et qui à son insu réorganise chez le narrateur son approche de la situation, pourquoi lui tient-elle tant à cœur, où je ne vois, moi, qu’une réaction psychologique assez naturelle, répandue, compréhensible, de personnage trompé dans son affection (en fût-il à la nier)? Ajoutons à cela le projet de débusquer chez Proust, dans un vocabulaire foucaldien, un souci de soi plus compliqué peut-être (ou compliqué justement par cette référence: Foucault) que l’interrogation d’un Montaigne, et revoyons Compagnon, en début de leçon I, évoquer un état d’âme, celui de Stendhal certes (Henri Brulard), mais par proximité aussi le sien, soulignant derrière les cinquante ans en vue de Beyle combien lui avait dépassé le cap... Et j’en suis presque à me demander si dans ces “Morales de Proust” au sujet desquelles, dans l’approche desquelles, il a tenu à souligner combien il se sentait a priori démuni (parlant de “s’embarquer sans biscuits dans ce cours”), il n’y a pas, profondément, comme un souci de soi qui le concernerait, au plus intime, et la quête ou l’élucidation, à compte personnel, de ce problématique “sixième sens, moral”..... Extrapolations hasardeuses et hypothèse aventurée? Réinterprétation de faux indices ou mésinterprétation d’une sincérité strictement enseignante soucieuse de s’inscrire dans une évolution qu’elle perçoit de la critique littéraire, accompagnée de l’angoisse de la terra incognita? Qui sait?, ou comme Ruskin a renoncé à le faire dire à Saint-Jean: Who knows? Au risque du contresens: En toutes choses, il faut considérer la fin... So: Wait and see.......
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Commentaires
C
Comme quoi, il y a bien de la moraline chez Marcel.
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V
>sejan: jalousie et nostalgie: ainsi cet amour dont le narrateur n'avait sans doute pas conscience aurait été possible? d'où les larmes de regret, du moment perdu à jamais.<br /> <br /> nico et sejan: cette impression d'amour-enfui-découvert-trop-tard me frappe particulièrement lorsque Compagnon lit les passages à haute voix: mélancolie, regret, les larmes accompagnent le sentiment poignant "si j'avais su-il est trop tard".
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N
...que le narrateur est amoureux de St Loup. Même s'il essaie sans cesse de nous dire que non puisque chaque fois qu'il va voir St Loup, c'est pour une bonne raison qui paraît très intéressée, style avoir une introduction auprès d'un Grand de cemonde!!<br /> Mais on sait bien que c'est un comportement typique d'un amour qui VEUT s'ignorer
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S
Questionnement affirmatif qui, si je vous comprends, remplace les "inexplications" stratifiées de Compagnon et mon commentaire? <br /> Vous n'avez pas tort... et cela fait alors beaucoup de phrases pour pas grand-chose. <br /> Un cran plus avant: "Il pourrait avoir envie de pleurer parce qu'il est jaloux de Morel?" ...<br /> C'est à cela que vous pensez? ... Ou parce que - lui - il n'a pas été "désiré" ? <br /> C'est tout à fait plaidable, il me semble.
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V
Le narrateur est amoureux de Saint-Loup, non?
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