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Mémoire-de-la-Littérature
20 janvier 2008

Amoralités Proustiennes (II)

Séminaire 15/1/008 Philippe Chardin - 17h30 - 18h30 (Le compte-rendu du séminaire est présenté en deux parties) (...) [2] Philippe Chardin va “parcourir” la Recherche au long des 17 citations qu’il a sélectionnées. Il évoque la scène du baiser, à Combray, la nommant “primitive” (originelle). Pascal Quignard est marginalement convoqué, et sa fascination comme son effroi devant ce qui lui est primitif, originel, la scène dont il ne peut avoir été le témoin, celle de la conception, disant (Chardin): “Chacun sa scène primitive” ... Il souligne cette intensité psychique des origines, fût-on celui qui les définit, et insiste ici - mais Proust l’a explicitement fait dans son texte - sur ce qu’il y a là de défaite. Défaite originelle de la loi morale et de la volonté à travers l’attitude transgressive du narrateur qui cède à son angoisse [citation 2: ... j’étais allé trop loin ...] et s’affranchit des bornes, comme par le biais de l’arbitraire énigmatique du père qui accepte [citation 3: ... il ne se souciait pas des principes ... il n’y avait pas pour lui de Droit des gens ...] et de la mère qui abdique: “J’aurais dû être heureux, je ne l’étais pas. Il me semblait que ma mère venait de me faire une première concession qui devait lui être douloureuse, que c’était une première abdication de sa part devant l’idéal qu’elle avait conçu pour moi, et que pour la première fois, elle, si courageuse, s’avouait vaincue”. Les digues de la loi morale ont ainsi - primitivement - cédé. La notion de code apparaît très vite, à propos de Françoise, présentée comme une sorte de gouvernante (“Françoise ... la cuisinière de ma tante, qui était chargée de s’occuper de moi quand j’étais à Combray ...”), où “code” n’est pas “loi morale” [citation 4: Elle possédait à l’égard des choses qui peuvent ou ne peuvent pas se faire un code impérieux ...]. D’une part, sur ces premières citations, Philippe Chardin dit le fréquent emploi ludique, chez Proust, du vocabulaire du droit, ou religieux, où, avance-t-il, pourrait résonner une nostalgie et d’autre part, que la référence à des codes s’installe en fait comme affirmation d’une amoralité (renvoyant immédiatement aux codes mondains, à “l’amoralité Guermantes”) et peut donner des effets comiques (les “lois antiques” de la citation 4), déboucher sur des paradoxes... et il enchaîne les citations 5 [Dans les manières de M. de Guermantes ...] et 6 [ ... considéraient comme un devoir plus essentiel .... de ne guère parler à la Princesse de Parme qu’à la troisième personne ], notant que si l’humour est léger et bienveillant quand il ne s’agit que de fermer les yeux sur des grimaces mondaines dont les conséquences peuvent rester relativement théoriques (encore que ...), il se fait plus grinçant quand le respect des rites débouche sur l’indifférence à la mort des autres... - renvoyant à l’attitude du Duc de Guermantes lors de l’agonie de sa grand-mère: “Je viens, mon cher Monsieur, d’apprendre des nouvelles macabres (...) À ce moment ma mère (...) entra elle-même dans l’antichambre (...) [et lui] persuadé que rien n’était plus essentiel, ne pouvait d’ailleurs la flatter davantage et n’était plus indispensable à maintenir sa réputation de parfait gentilhomme (...) me prit violemment par le bras (...) m’entraîna vers maman (...) [et] trouvait tellement que l’honneur était pour elle qu’il ne pouvait s’empêcher de sourire tout en faisant une figure de circonstances. Je ne pus faire autrement que de le nommer, ce qui déclencha aussitôt de sa part des courbettes, des entrechats, et il allait commencer la cérémonie complète du salut.” - et lisant la citation 7: “Un des moi qui jadis allait dans ces festins barbares ...” Après avoir évoqué un “syncrétisme de Proust” (il veut penser sans doute ici à son aptitude à déchiffrer, dans des situations diverses et émanant de classes sociales hétérogènes, les convergences de résultats qu’obtiennent des attitudes aux motivations inattendues, voire divergentes) à propos du vibrant éloge, paradoxal, de l’indifférence morale d’Aimé qui se lit en citation 8: “Outre qu’il connaissait admirablement les lieux, il appartenait à cette catégorie de gens du peuple (...) indifférents à toute espèce de morale ....”, Philippe Chardin se recentre sur le soulignement d’un (ou de ce) “Comique d’amoralité” qui court au long de la Recherche: ... situation répétée, dit-il, où la moralité - parce qu’en fait ses indignations ne portent que sur la forme - manifeste son indulgence à l’immoralité, évoquant deux passages (qu’il ne lit pas): (a) “...Mme de Surgis le Duc n’avait pas un sentiment moral le moins du monde développé, et elle eut admis de ses fils n’importe quoi qu’eût avili et expliqué l’intérêt, qui est compréhensible à tous les hommes. Mais elle leur défendit de continuer à fréquenter M. de Charlus quand elle apprit que, par une sorte d’horlogerie à répétition, il était comme fatalement amené, à chaque visite, à leur pincer le menton et à se le faire pincer, l’un l’autre.” (b) “... je m’en tirai avec ce savon, extrêmement violent, tant que les parents furent là. Mais dès qu’ils furent partis, le Chef de la sûreté, qui aimait les petites filles, changea de ton et, me réprimandant comme un compère: “Une autre fois, il faut être plus adroit. Dame, on ne fait pas des levages aussi brusquement que ça, ou ça rate. D’ailleurs vous trouverez partout des petites filles mieux que celle-là et pour bien moins cher. La somme était follement exagérée”... " Pour comprendre le (b), il faut se reporter à un becquet marginal de Proust, plus haut: “Devant la porte d’Albertine je trouvai une petite fille pauvre qui me regardait avec de grands yeux et qui avait l’air si bon que je lui demandai si elle ne voulait pas venir chez moi, comme j’eusse fait d’un chien au regard fidèle. Elle en eut l’air content. À la maison je la berçai quelques temps sur mes genoux, mais bientôt sa présence, en me faisant trop sentir l’absence d’Albertine, me fut insupportable. Et je la priai de s’en aller, après lui avoir remis un billet de cinq cents francs. Et pourtant, bientôt après, la pensée d’avoir quelque autre petite fille près de moi, de ne jamais être seul sans le secours d’une présence innocente, fut le seul rêve qui me permît de supporter l’idée que peut-être Albertine resterait quelque temps sans revenir.” Il faut avouer que la situation, vue de l’extérieur, est facilement perçue comme ... ambiguë! Mais enfin, ce que veut souligner ici P. Chardin - outre qu’il note au passage que la pédophilie ne semble guère, dans le texte (b), faire l’objet d’une grande réprobation - c’est un comique de situation, qu’il appelle “d’amoralité” et qui confronte une autorité morale “officielle” (dans (a) la “mère”, dans (b) le Chef de la sûreté) et l’indulgence de fait (dans (b), et pour cause!) qu’elle manifeste pour les comportements immoraux qu’elle devrait réprouver, voire réprimer. Même indulgence chez Françoise [il lit la citation 9: “... Elle disait toujours d’un jeune homme, que ce fût Morel ou Théodore: “Il a trouvé un monsieur qui s’est toujours intéressé à lui et lui a bien aidé” ...” ] - avec du coup la confirmation, chez elle, d’une moralité qui se confond avec de simples codes convenus. Chardin énonce la réversibilité en “Comique de moralité” de ce “Comique d’immoralité”, lorsque ce sont des personnages “immoraux” qui se font défenseurs de la “morale”. Un comique qui “brouille les cartes”, et “sape les bases” (cf. plus haut l’allusion à Bouvard et Pécuchet). Il convoque Charlus, s’érigeant en puritain [passage non cité, où Brichot dit à Mme Verdurin (in La Prisonnière): “...Le baron est enchanté que Mlle Vinteuil et son amie ne soient pas venues. Elles le scandalisent énormément. Il a déclaré que leurs mœurs étaient à faire peur. Vous n’imaginez pas comme le baron est pudibond et sévère sur le chapitre des mœurs...”], Jupien [citation 10] s’indignant de Morel, et le passage suivant (in Le Temps Retrouvé) où Morel est devenu un homme respectable (il ne le lit pas; c’est encore un becquet du manuscrit): “Parmi les personnes présentes se trouvait un homme considérable qui venait, dans un procès fameux, de donner un témoignage dont la seule valeur résidait dans sa haute moralité, devant laquelle les juges et les avocats s’étaient unanimement inclinés et qui avait entraîné la condamnation de deux personnes. Aussi y eut-il un mouvement de curiosité, quand il entra, et de déférence. C’était Morel.” Puis il passe à la citation 11 [ ”Mais, comme les vertus qu’il attribuait tantôt encore aux Verdurin ....” ], parlant de la variabilité des jugements moraux en fonction des désirs, de la réduction des opinions aux intéressements personnels... ...pour s’en retrouver (ai-je sauté une articulation?) à la séparation de la moralité et de la sensualité et à la scène de flagellation dans l’officine de Jupien (qu’il ne lit pas, mais qui porte la même référence mythologique) [ “Alors, je m’aperçus qu’il y avait dans cette chambre un œil-de-bœuf latéral dont on avait oublié de tirer le rideau; cheminant à pas de loup dans l’ombre, je me glissai jusqu’à cet œil-de-bœuf, et là, enchaîné sur un lit comme Prométhée sur son rocher, recevant les coups d’un martinet en effet planté de clous que lui infligeait Maurice, je vis, déjà tout en sang, et couvert d’ecchymoses qui prouvaient que le supplice n’avait pas lieu pour la première fois, je vis devant moi M. de Charlus” ] et - soulignant qu’il l’a tronquée - donnant la citation 12. Je rétablis le texte complet: “Mais chez lui [ Charlus ] comme chez Jupien, l’habitude de séparer la moralité de tout un ordre d’actions (ce qui du reste doit arriver aussi dans beaucoup de fonctions, quelquefois celle de juge, quelquefois celle d’homme dÉtat, et bien d’autres encore) devait être prise depuis si longtemps que l’habitude (sans plus jamais demander son opinion au sentiment moral) était allée en s’aggravant de jour en jour, jusqu’à celui où ce Prométhée consentant s’était fait clouer par la Force au rocher de la pure Matière.” Amusant cette suppression de la parenthèse ... Politiquement incorrecte? Non, je ne fais que du mauvais esprit; et en outre on ne peut même pas crier au corporatisme, il n’y est pas écrit: “... quelquefois celle de professeur d’université ...”; elle distrayait de l’argument principal ... Ayant relevé que le narrateur ne lui semble pas - hors ce petit accès de voyeurisme - un expérimentateur très sulfureux des possibilités perverses, Chardin souligne que la plus grande partie de son discours (celui du narrateur) sur la perversion des sens dissocie la moralité générale des pratiques sexuelles où tout est permis, possible, sans aucunement affecter dans leur profondeur les sentiments nobles, l’affection paternelle, l’enthousiasme patriotique, ... et il revient (sans les lire): - sur l’épisode de Montjouvain et la scène de sadisme où l’absence de naturel [“..Mlle Vinteuil frémit et se leva. Son cœur scrupuleux et sensible ignorait quelles paroles devaient spontanément venir s’adapter à la scène que ses sens réclamaient. Elle cherchait le plus loin qu’elle pouvait de sa vraie nature morale, à trouver le langage propre à la fille vicieuse qu’elle désirait être ...”] vaut en fait absolution [“...Et pourtant j’ai pensé depuis que si M. Vinteuil avait pu assister à cette scène, il n’eût peut-être pas encore perdu sa foi dans le bon cœur de sa fille, et peut-être même n’eût-il pas eu en cela tout à fait tort ...”] - sur les scènes dans le bordel de Jupien où c’est cette fois le naturel absolu des flagellateurs qui les absout [“... Maurice, incertain si on le rappellerait et à qui Jupien avait à tout hasard dit d’attendre, était en train de faire une partie de cartes avec un de ses camarades (...) Maurice qui évidemment n’accomplissait ses terribles fustigations sur le baron que par une habitude mécanique, les effets d’une éducation négligée, le besoin d’argent et un certain penchant à le gagner d’une façon qui était censée donner moins de mal que le travail ...”] J’entends une pincée de Bergson se frayer un chemin, sans le temps de la noter au passage (“Les deux sources de la morale et de la religion”) : morale de la contrainte, morale de la socialité ... le lien m’a échappé ... et je vais continuer à perdre un peu le fil tandis que Chardin développe, après Bergson, des remarques sur Kant. Émerge de mes graffitis: - que Proust est réservé sur la notion de morale “sociale” - qu’au delà d’une certaine indifférence aux jugements sur les mœurs, prenant le pas au besoin sur la notion de justice, dont il affirme écarter même le sentiment, surtout (voire seulement) lui compte la douleur du réprouvé [lecture de la citation 13: “... J’étais au fond de mon cœur tout acquis à celui qui était le plus faible ...”] - ... positions où Chardin voit une prégnance kantienne, qui lui est l’occasion de renommer Boutroux, plus soucieux dit-il que Darlu de (ré)humaniser Kant, Kant dont, bifurque-t-il, rejoignant la Recherche, Brichot, préalablement à l’exécution de Charlus chez les Verdurin, donnerait une version “sophiste” [...et qui mériterait largement, dans ses allusions plus ou moins sibyllines et assurément ampoulées, une explication de texte... qu’on remettra à plus tard ...]. Je reproduis le long passage en question (non cité), qui fait suite à une requête de Mme Verdurin souhaitant que Brichot s’assure de Charlus, et ajoutant: “... tâchez surtout de ne pas le laisser revenir avant que je vous fasse chercher...”: ".... "J'y vais, Madame, j'y vais", finit par dire Brichot (...). Mais d'abord l'universitaire me prit un instant à part: "Le Devoir moral, me dit-il, est moins clairement impératif que ne l'enseignent nos Éthiques. Que les cafés théosophiques et les brasseries kantiennes en prennent leur parti, nous ignorons déplorablement la nature du Bien. Moi-même qui, sans nulle vantardise, ai commenté pour mes élèves, en toute innocence, la philosophie du prénommé Emmanuel Kant, je ne vois aucune indication précise, pour le cas de casuistique mondaine devant lequel je suis placé, dans cette “Critique de la Raison pratique” où le grand défroqué du protestantisme platonisa, à la mode de Germanie, pour une Allemagne préhistoriquement sentimentale et aulique, à toutes fins utiles d'un mysticisme poméranien. C'est encore le “Banquet”, mais donné cette fois à Kcenigsberg, à la façon de là-bas indigeste et chaste, avec choucroute et sans gigolos. Il est évident, d'une part que je ne puis refuser à notre excellente hôtesse le léger service qu'elle me demande, en conformité pleinement orthodoxe avec la Morale traditionnelle. Il faut éviter, avant toutes choses, car il n'y en a pas beaucoup qui fassent dire plus de sottises, de se laisser piper avec des mots. Mais enfin, n'hésitons pas à avouer que si les mères de famille avaient part au vote, le baron risquerait d'être lamentablement blackboulé comme professeur de vertu. C'est malheureusement avec le tempérament d'un roué qu'il suit sa vocation de pédagogue; remarquez que je ne dis pas de mal du baron, ce doux homme, qui sait découper un rôti comme personne, possède, avec le génie de l'anathème, des trésors de bonté. Mais je crains qu'il n'en dépense à I'égard de Morel un peu plus que la saine morale ne commande, et, sans savoir dans quelle mesure le jeune pénitent se montre docile ou rebelle aux exercices spéciaux que son catéchiste lui impose en manière de mortification, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour être sûr que nous pécherions, comme dit l'autre, par mansuétude à l'égard de ce Rose-Croix qui semble nous venir de Pétrone après avoir passé par Saint-Simon, si nous lui accordions, les yeux fermés, en bonne et due forme, le permis de sataniser. Et pourtant, en occupant cet homme pendant que Mme Verdurin, pour le bien du pécheur et bien justement tentée par une telle cure, va parler au jeune étourdi sans ambages, lui retirer tout ce qu'il aime, lui porter peut-être un coup fatal, je ne peux pas dire que je n'en ai cure, il me semble que je l'attire comme qui dirait dans un guet-apens, et je recule comme devant une manière de lâcheté ... ". Que l’art doive être séparé de la morale, voilà qui réapparaît, avec la citation 14 et tandis que je refais surface [“Quand elle lisait la prose de George Sand ...”]. Proust, qui a condamné “l’art pour l’art” dans Jean Santeuil, prend position (In le Temps Retrouvé) contre tout “engagement” de l’art, où que ce soit sur l’échiquier politique; sociale ou privée, il dissocie l’art de la morale, sociale: en termes de refus d’engagement, privée: en termes de dispense de corrélation entre l’artiste, dans son intime, et ses affirmations, dans son art. Il a depuis toujours (questionnaire & réponses: à 13 ans...) plaidé pour l’indulgence dont doivent bénéficier les génies, pour les dispenses qui doivent être accordées aux artistes au regard de la moralité, des conventions. P. Chardin renvoie sur le thème à une note de Proust relative à Ruskin. Il dit “l’étrange disputation” du Contre Sainte-Beuve, avec “maman” comme interlocuteur, et le souci du narrateur de convaincre sa mère du caractère “amoral” de l’art, de la littérature, à contre-courant de la vision “sandienne” de celle-ci. Il s’agit de conclure en s’ancrant dans les dernières citations prévues et Chardin, là, d’exhumer Kant, voyant surgir à la fin de la Recherche et à travers la rédemption éthique que porte en elle le travail d’écriture - paradoxalement dit-il, via la mort de Bergotte - les lignes les plus kantiennes du roman, à l’opposé de la caricature dont Brichot - on vient d’en donner la forme - avait été chargé. Et il lit la citation 15: “Il n’y a aucune raison dans nos conditions de vie sur cette terre ....” Il envisage les deux dernières citations comme lui permettant d’ancrer la méditation finale du roman à la fois dans la réapparition de notions prométhéennes nées d’un XVIII° siècle pourtant honni, en termes de réflexions suggérant la possibilité de progrès dans les vies individuelles (il dit: Goethe; Wilhelm Meister ...), dans la réapparition de cette volonté mythiquement perdue lors de la nuit primitive du baiser maternel, à Combray, dans la volonté émergente (inattendue?) de renouer avec des bases morales que portait sa famille, dans la dénonciation du manque de volonté comme vice ... le tout en évoquant une intertextualité dont mes notes ont gommé la structure d’intervention - sauf au seul motif de présence dans le texte lui-même? - où “Le pacte des mille et une nuits” [ “ ... Et je vivrais dans l’anxiété de ne pas savoir si le Maître de ma destinée, moins indulgent que le sultan Sheriar, le matin quand j’interromprais mon récit, voudrait bien surseoir à mon arrêt de mort et me permettrait de reprendre la suite le prochain soir ...”] et Oscar Wilde (plus incertain) font (à me relire et en chercher les traces) une (pour le second: assez confuse) apparition. Mais finalement, c’est Dostoievski qui renaîtra [ que Chardin fera renaître...] de la lecture des citations 16 et 17, à travers un narrateur certain de devoir expier une faute, l’œuvre achevée, un narrateur dont l’imprégnation dostoievskienne affirmée pousse à l’assimilation de l’indifférence à un crime, et le reconstruit en Raskolnikov deux fois assassin, de sa grand-mère et d’Albertine .... Philippe Chardin, in fine, veut se résumer, constituer lapidairement son “abstract” et tente le style télégraphique: - Victoire de l’amoralité sur la loi morale - Le sexe est en jeu, les bases morales s’effacent - Le comique d’amoralité s’attaque aux autorités sociales - Vie sociale , sexualité, sentiments: le ton léger, s’il veut souligner l’immoralité et le soufre, vaut l’argumentation “sérieuse” - Refus de subordination de l’art à la morale - Allégorie de la victoire du sentiment créateur sur la procrastination - À l’écrivain-société s’oppose l’écrivain-solitude (torchon / serviette ? J’exagère?) J’ai noté, là dessus, un certain brouhaha et des gens qui se lèvent. Frustré d’un de ces débats de fond dont l’an passé nous a donné tant d’exemples fructueux, Antoine Compagnon va tenter de rassembler les attentions et oser la relance, après le compliment d’usage : “Bel exposé, couvrant tout l’arc de la moralité au long de la Recherche; en trois-quarts d’heure ... une gageure”, disant: “Une question ... Que pensez-vous des Larivière?”. Les Larivière sont des cousins de Françoise, introduits anecdotiquement au moment de la mort de la grand-mère : “Elle avait dans le Midi des cousins - riches relativement - dont la fille tombée malade en pleine adolescence, était morte à vingt-trois ans; pendant ces quelques années le père et la mère s’étaient ruinés en remèdes, en docteurs différents, en pérégrinations d’une station thermale à une autre, jusqu’au décès. Or cela paraissait à Françoise, pour ces parents-là, une espèce de luxe, comme s’ils avaient eu des chevaux de course, un château. Eux-mêmes, si affligés qu’ils fussent, tiraient une certaine vanité de tant de dépenses. Ils n’avaient plus rien, ni surtout le bien le plus précieux, leur enfant, mais ils aimaient à répéter qu’ils avaient fait pour elle autant et plus que les gens les plus riches. Les rayons ultraviolets, à l’action desquels on avait, plusieurs fois par jour, pendant des mois, soumis la malheureuse, les flattaient particulièrement. Le père, enorgueilli dans sa douleur par une espèce de gloire, en arrivait quelquefois à parler de leur fille comme d’une étoile de l’Opéra pour laquelle il se fût ruiné. Françoise n’était pas insensible à tant de mise en scène; celle qui entourait la maladie de ma grand-mère lui semblait un peu pauvre, bonne pour une maladie sur un petit théâtre de province.” Ils reviennent à la fin du Temps retrouvé : “ ... Un neveu de Françoise avait été tué à Berry-au-Bac, qui était aussi le neveu de (...) cousins millionnaires de Françoise, anciens grands cafetiers retirés depuis longtemps après fortune faite. Il avait été tué, lui, tout petit cafetier sans fortune, qui, parti à la mobilisation âgé de vingt-cinq ans, avait laissé sa jeune femme seule pour tenir le petit bar qu'il croyait regagner quelques mois après. II avait été tué. Et alors on avait vu ceci. Les cousins millionnaires de Françoise, et qui n'étaient rien à la jeune femme, veuve de leur neveu, avaient quitté la campagne où ils étaient retirés depuis dix ans et s'étaient remis cafetiers, sans vouloir toucher un sou; tous les matins à six heures, la femme millionnaire, une vraie dame, était habillée ainsi que "sa demoiselle", prêtes à aider leur nièce et cousine par alliance. Et depuis près de trois ans, elles rinçaient ainsi des verres et servaient des consommations depuis le matin jusqu'à neuf heures et demie du soir, sans un jour de repos. Dans ce livre où il n'y a pas un seul fait qui ne soit fictif (...) je dois dire à la louange de mon pays que seuls les parents millionnaires de Françoise ayant quitté leur retraite pour aider leur nièce sans appui, que seuls ceux-là sont des gens réels, qui existent. Et (...) je transcris ici leur nom véritable: ils s'appellent, d'un nom si français d'ailleurs, Larivière. “ - N’est-ce pas Dostoievskien, cela, demande Compagnon? - Oui, mais Baudelairien aussi ... Et puis, il y a cette imprégnation kantienne qui dissocie le sentiment de la morale [Chardin veut dire sans doute: Ils font cela parce qu’il le faut, pas parce qu’ils le “sentent”] Compagnon vasouille un peu autour de cette histoire d’imprégnation kantienne, énonçant mollement: “Morale du devoir, conscience, sont à part ...”. Chardin coupe sur le “devoir d’écrire l’œuvre” ... et l’affaire s’enlise. On sent qu’il y aurait un véritable espace de discussion possible entre eux, mais visiblement ni ici, ni maintenant .... Une vague allusion préalable de Compagnon - en référence au cycle 2006-2007 - évoquait d’hypothétiques intervenants dans la salle, auditeurs, mais de fait rien ne s’y prête, ni son peu d’enthousiasme pour l’exercice, ni la vélocité des conférenciers, ni l’usure du public. Et on se dit adieu dans l’effacement fatigué des velléités dialoguantes.
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Commentaires
N
Pour les citations ajoutées et pour avoir résumé les points essentiels sur la morale kantienne. A Louis-le Grand, en TS1 il y a un très bon prof de philo grand amateur de Kant qui a bien fait passer le message à mon fils: à propos de cette voix intérieure qui nous dicte le bien et qui commande "Si tu peux, tu dois".<br /> Le plan de la "chose lue" par Chardin a été noté par Mme de Vehesse qui vous complète merveilleusement.Je vous remercie tous deux qui avez la générosité de nous faire profiter de votre travail.<br /> Ceci dit, après un tel séminaire, je suis "inter loquée" : comment peut-on avoir si peu envie de transmettre quand on est professeur? Est-ce parce qu'on se fiche complètement de l'auditoire et qu'on veut seulement briller auprès de Compagnon?Lequel levait les yeux au ciel, pendant la lecture!!! Je dirais que le plus grand vice pour un conférencier est de ne pas savoir "couper" ni limiter son sujet...<br /> Mais il y a plus méchant que moi, un de mes amis très rationnel, après avoir tourné le problème dans tous les sens, à la mode de Proust, finissait par ne trouver qu'une raison à cette lecture à "toute allure - et sans jamais lever le nez de ses feuilles", c'est que le conférencier ne les aurait pas pondues lui-même...Très très dur!!!<br /> Tant pis, je jette la bouteille à la mer...
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Y
Merci et continuez car sans vos synthèses et commentaires ,bon nombre d'auditeurs dont je suis resteraient frustrés,voire perdus. En effet,si les cours de Mr Compagon malgré quelques détours et redites ouvrent bien des portes à la réflexion,sont clairs et très accessibles ,je suis plus critique pour ce qui concerne la forme employée dans les séminaires. A l' exception de quelques intervenants ,dont Tadié (génial),les autres ,cramponnés à leurs feuillets ,nous débitent à toute allure un texte qui aurait mérité deux à trois fois plus de temps pour être présentés de façon normale. Ces profs ou chercheurs sûrement très savants ( si j' avais mauvais esprit je m' interrogerais cependant sur l'unicité de l'auteur et du présentateur ou sur la manière dont on enseigne l' art d 'être conférencier dans certain monde littéraire),nous laissent à l' issue d' une prestation où ils ont semblé plus soucieux d' exhaustivitè que de transmision la tête pLeine de ..confusions. Or et c'est là le drame ,le contenu est souvent très intéressant.Votre transposition (même assaisonnée,comme elle l'est parfois) et celles des autres blogeurs sont le seul moyen d'accéeder à des idées ,des analyses,qui sinon se seraient envolées sans laisser de trace. Ainsi l'exposé de Mr Chardin , à tête reposée, apparait très pertinent même s'il doit poser un challenge au titulaire de la chaire ,tant il déflore preque tous les thèmes du sujet de l'année. Aussi ,cetains séminaristes ou leurs truchements devraient vous remercier au lieu de déverser un fiel qui me semble disproportionné avec la cause de ces humeurs ..et s' interroger sur la meileure façon de vendre à l' oral leurs analyses , quite à embrasser moins .
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