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Mémoire-de-la-Littérature
24 janvier 2020

RANCÉ DIFFÉRÉ & STYLE TARDIF

ob_02fe3d472d295862b8f764ababc64178_vieux-humourSUBLIME SENILE ?

J'apprends que d'une semaine sur l'autre, de diligents auditeurs abreuvent A.C. de conseils sur le déroulement à venir de son cours. C'est le genre de chose qui plaît particulièrement aux enseignants. Il en dit deux mots avec modération et humour.

Il a changé son fusil d'épaule dans la matinée. Rancé est passé à la Trappe (très drôle, merci).Et nous embarquons pour le style tardif, histoire de mieux savoir de quoi il va être par la suite question.

Soit.

Traitons un peu la séance par la méthode du carottage.

Deux âges latins de la vieillesse : senectus, dans les débuts, c'est la belle vieillesse, presque un âge d'or [et je pense à Hugo : Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand / Il y a de la flamme aux yeux des jeunes gens / Mais dans l'oeil du vieillard, il y a de la lumière  - citation de mémoire, cela fait plus proustien) et decrepitas, l'effondrement (c'est le La vieillesse est un naufrage de de Gaulle plagiant Chateaubriand).

Platon (La République) faisant dialoguer Socrate et Céphale de Syracuse dans une mise en perspective assez optimiste de l'âge vers laquelle, selon AC, l'époque oriente sa gérontophilie après un très long temps de gérontophobie.  Brassens chantait : Vous les cons âgés, les cons usagés, les vieux cons ...

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Se glissent là les mouvements LGBTQI américains, le temps d'un paragraphe, mouvements Lesbiens, Gays, Bi(sexuels), Trans(exuels), Queer, et Intersexes (il me semble qu'il a oublié le "I"! Ne pas oublier les intersexes, bon sang! Se souvenir de l'athlète sud-africaine Caster Semenya, qui fut à la fin des années 2000 championne du monde et olympique du 800 mètres féminin et était  "intersexe")

 

 

les-cocons-de-judith-scott-theatre-liberte-toulon

A propos de sublime sénile, A.C. évoque Judith Scott, trisomique et sourde, s'ouvrant à l'art à plus de quarante ans pour passer le reste de son temps à embobiner des objets divers dans des pelotes de laines non moins diverses et atteindre ainsi une renommée internationale du domaine de l'Art contemporain (qui ne recule devant rien!)

 

Théodor Adorno passe, en même temps que ce néologisme ou peu s'en faut qu'est la tarditivité, qui me rappelle la bravitude de Ségolène, mais est néanmoins, je dois le reconnaître, ici ou là attesté. Adorno, lui, s'intéresse au style tardif de Beethoven et développe autour. Je renvoie à un article d'Edward Saïd, ex-collègue aujourd'hui décédé d'A.C. à Columbia et à ce passage d'Adorno que lit et commente A.C : Chez les grands créateurs, la maturité des œuvres tardives ne se compare pas à celle d’un fruit. Elles sont rarement rondes et lisses, mais pleines de rides, voire déchirées ; leur goût n’est pas sucré, et avec leurs épines, leur amertume, elles se refusent à être simplement goûtées ; il leur manque cette harmonie qu’une esthétique néo-classique a coutume d’exiger d’une œuvre d’art, et elles portent davantage la trace de l’Histoire que celle d’une croissance. D’habitude, l’opinion courante explique cela par le fait qu’elles seraient les produits d’une subjectivité ou plutôt d’une « personnalité » qui se manifesterait sans scrupules et qui, pour sacrifier à l’expressivité, briserait la rondeur de la forme, transformant l’harmonie en dissonance douloureuse et refusant la séduction sensuelle au profit de la tyrannie souveraine de l’esprit enfin libéré.

Malraux parlant à propos du Titien de style tardif / style de la mort.

On cherche des traits communs aux différents styles tardifs individuels, un style tardif générique. Il y a controverse. Âge de la récapitulation sereine dans l'évanouissement du temps ou vitalité désespérée évoquée par Pasolini, moment de rage et de colère, rupture avec l'ordre établi, la convention, plus de précautions à prendre, foin du souci de ménager, renverser la table et brûler ses vaisseaux avant d'être contraint à partir sans retour.

 

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 Dans un sublime sénile où la sénilité l'emporte sur le sublime, je me suis étonné qu'A.C. n'évoque pas Marguerite Duras, au moment de l'affaire du petit Grégory, encensant dans un article de journal, dans Libération (lire ici), Christine Villemin, la mère du gamin, accusée un moment d'être la meurtrière de son propre fils, à qui en plein délire elle adressait toutes ses félicitations pour ce geste sublime, forcément sublime.

 

Il y aurait deux grands récits des carrières artistiques. Le récit biologique des apprentissages, puis de la maturité puis du déclin et le récit rédempteur de l'artiste cheminant vers son  apothéose, vers la transcendance et A.C. dit, là, Goethe. Le premier récit est gérontophobe, Vasari sur le Titien, Le Bernin sur Poussin, qui auraient d'après eux été mieux inspirés en s'arrêtant plus tôt. Ou Ruskin sur Turner dont les cinq dernières années sont tout à fait inférieures, alors qu'aujourd'hui, dit A.C., ce sont pour la critique les meilleures. Schopenhauer est cité, comme gérontophobe dans ses Aphorismes pour la sagesse dans la vie qu'on peut lire ici.

Beaucoup, vraiment beaucoup de références américaines dès le XIX° siècle, prolongées au XX° et jusqu'à nous (David Galenson, né en 1951) chez A.C. à propos de la vision sociologique de la productivité artistique et accessoirement de la comparaison de sa progression à travers le temps avec le rendement des poules pondeuses (!).

Deuxième étonnement, après Duras : il n'a pas cité Bourbaki. Le cas est pourtant patent et il le connaît de ce groupe de mathématiciens formé au début des années 1930 avec la volonté de réinstaller les mathématiques sur des bases axiomatiques vraiment sérieuses et qui décida dès l'origine que 50 ans était l'âge maximum auquel on pouvait participer à ses travaux. L'anecdote se raconte de Jean Dieudonné, l'un des membres fondateurs du groupe et auteur d'un grand nombre d'exercices accompagnant les Eléments de mathématiques publiés qu'il n'avait pas jugé utile de faire suivre de leur solution, incapable, l'âge venu de retrouver des raisonnements qui lui semblaient évidents à 25 ans. Mais c'est peut-être une médisance ...

Les américains, donc, et dans un de leurs travaux de recherche la liste de 400 auteurs/artistes assortie des âges auxquels il ont publié leur grand-oeuvre, leur opus magnum dit A.C., avec deux catégories, les workers et les thinkers et une moyenne de 47 ans pour les premiers, de 52 ans pour les seconds. L'esprit se conserve mieux que la main ... Le distinguo aussi entre les artistes innovateurs, conceptuels, qui progressent par à-coups et inventent jeunes (archétypiquement Picasso, dit A.C.) et les expérimentateurs, qui mûrissent lentement, ils trouvent vieux (archétypiquement, Cézanne) ... Et la courbe du prix des oeuvres en fonction de l'âge de l'artiste, valeur maximale des tableaux du Picasso de 26 ans et du Cézanne de 67.

On termine sur cette idée, revenant à la littérature, et classant Proust et Aragon parmi les expérimentateurs. A suivre ...

La leçon n'était pas trop déplaisante à écouter. Antoine Compagnon persiste à se hâter lentement (festina lente). C'est sa dernière année ... peut-être. Style tardif? Il avait fait un peu d'auto-dérision sur le thème en début de séance.

 

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