SWAN'S SONG
Echappé des loisirs de vacances opaques
Et peut-être pressé de voir arriver Pâques
Du fond de l'horizon, revêtu de bleu sombre,
Bien coiffé et de faute de goût sans une ombre
Il advint, sans un grain de poussière et l'on vit
Pour ne pas dévier de son cours le débit
Les auditeurs passifs taire leurs babillages.
Question à 1 €: De quel poème célèbre est démarqué ce faible pastiche?
La Vie de Rancé - faut-il s'en étonner ? - est remise à plus tard. Et le réformateur de la Trappe entend ainsi se refermer, du fond de son caveau, celle (la trappe! il faut suivre) des promesses à jamais oubliées et dont le bruissement des choses plus urgentes, sans cesse rappelées et toujours renaissantes, couvre son râle épais de blessé qu'on oublie, au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts et qui geint sans bouger dans d'immenses efforts (emprunt approximatif et baudelairien).
Dans l'immédiat : Le chant du cygne. Et même si l'idée nous vient de la Grèce antique et de l'Iliade, Poussin, d'abord, écrivant dans ce tremblement qu'A.C. veut bien qualifier de sublimement sénile et quand on en parle dans le Sud-Ouest qu'on désigne comme tremblaire (il a la tremblaire, disait-on d'un vieux, dans mon enfance bigourdane):
Poussin ici écrit à Paul Fréart de Chantelou au sujet de la commande que ce dernier lui a faite d'une conversion de Saint Paul qui ne dépassera pas les premières esquisses d'une naïveté d'ailleurs assez ridicule:
Buffon, ensuite (le naturaliste du XVIII° siècle, pas le footballeur du XX°; Georges Louis donc, pas Gianluigi, encore que les prénoms ne soient pas bien éloignés):
A.C. lit le texte dans sa totalité. Beau texte dit-il. Oui. Puis il dit quelques lignes de la traduction par Leconte de Lisle d'un passage de l'Iliade où le chant du cygne - mais là, sans lien avec la mort - est évoqué.
C'est pour la première fois dans l'Agamemnon d'Eschyle que le lien est fait du chant avec la mort, à travers Cassandre, tuée par Clytemnestre, et dont la fin que celle-ci lui administra, longue et douloureuse, fut "lente comme le chant du cygne".
Platon, ensuite, dans le Phédon, texte princeps sur la mort de Socrate, dit A.C. (ci-après) où le philosophe se compare au cygne. Dans le texte, le dieu qu'ils servent est Apollon, le cygne est par excellence l'oiseau d'Apollon. A.C. montre un vase représentant l'arrivée d'Apollon transporté par un cygne au lieu de rendez-vous que lui a fixé le satyre Marsyas pour un défi musical (lyre) qu'il lui a lancé. Marsyas perdit et fut pour cela écorché. Tendres moeurs.
Le poète est assimilé au cygne chez Horace (Voici déjà que de rudes peaux ...); chez Ovide il apparaît dans les lamentations de Didon à Enée (Reçois, descendant de Dardanus ...):
Suivent deux brèves phrases d'Eschyle et d'Ovide qui, saisis d'un prurit multilingue prémonitoire s'expriment soudain en anglais sans doute pour être compris de tous dans les siècles des siècles, Amen.
Ovide derechef qui, du fond de son exil aux motifs toujours obscurs, a retrouvé son latin et souffre d'être séparé des siens et s'en plaint dans ses Tristes. A.C. projette d'ailleurs à la suite un tableau de Turner : Ovide banni de Rome. Je m'aperçois que j'ignorais que pénates était masculin! Je suis allé vérifier tant j'étais étonné. J'ai dû vivre jusqu'ici sans l'avoir jamais affecté d'un adjectif. Etonnant.
Une autre référence: l'incipit du livre V des Tristes où l'oiseau du Caystre désigne le cygne, par référence au passage d'Homère (Iliade, II, 459-463) lu plus haut dans la leçon par A.C. et que je redonne ici : Comme l'on voit, par groupes denses, des oiseaux ailés, courlis, canards sauvages, cygnes parés d'un long cou, dans les prés d'Asias, sur les deux rives du Caystre (Kaustrios), voler de-ci, de -là, en battant fièrement des ailes, et se poser avec des cris dont les prés retentissent. (Homère utilise cette image pour décrire le mouvement des troupes grecques se mettant en place face à Troie, sur la côte ouest de la Turquie).
Les vers qu'il voudrait tant n'avoir pas écrits sans les présiser davantage sont assurément partie prenante dans les raisons
de son exil, d'où ses regrets. Et il va - citation suivante - dicter à sa femme sa propre épitaphe, avant, même si ici après, le tableau de Turner .
Vient alors une longue séquence avec références historiques dans laquelle il est question des croyances successives qui de l'antiquité grecque à l'époque moderne ont accompagné ce mythe du chant du cygne. Aristote, dont le prestige fut immense, a installé la chose, et dans son Histoire des animaux la couvre de son autorité, y ajoutant que les cygnes se dévorent entre eux!
Pline l'Ancien n'est pas dupe quant à la question du chant, mais il accrédite le fait que les cygnes s'entredévorent:
On prend également l'avis, dans une compilation sur la personnalité des animaux, d'un sophiste célèbre, Claude Elien, romain de langue grecque, vers 200 de l'ère chrétienne :
A.C. va maintenant chercher plus prés de nous l'opinion d'Isidore de Séville (vers 600 de notre ère), dont j'apprends qu'il est l'écrivain de langue latine le plus copié et lu du Moyen-âge:
Il faudra, précise-t-il, attendre la découverte de l'Australie (par Cristóvão de Mendonça, au début du XVI° siècle), pour rencontrer des cygnes noirs ... Buffon, pour y revenir, attribue une voix bruyante et rauque au cygne :
Citation qui s'achève hors affichage : ... de clairons, mais dont les sons aigus et peu diversifiés sont néanmoins très éloignés de la tendre mélodie , de la variété douce et brillante du ramage de nos oiseaux chanteurs.
On retrouve le mythe dans le Ronsard des derniers sonnets :
A.C. laisse ici de côté, à raison, les deux tercets qui ne sont pas bien fameux. Mais enfin, le cygne qu'il voulait est là. Ce mythe connaît une grande fortune dans la poésie romantique du XIX° siècle. Et Sainte-Beuve y revient, ci-après, dans un Lundi consacré à Buffon, avec, à suivre, un paragraphe de D'Alembert en commentant un autre, excipit de l'oraison funèbre du Grand Condé que prononça Bossuet.
Bossuet ...
& D'Alembert
C'est Chateaubriand qui, dans Le Génie du Christianisme assimile cette dernière oraison de Bossuet à son chant du cygne :
L'expression, le livre est tombé de nos mains, n'est aujourd'hui utilisée que dans un sens extrêmement péjoratif, pour souligner l'ennui profond qu'engendre sa lecture. Ici, c'est l'affirmation d'un émotion admirative. Etonnante évolution.
Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe), narrant la fin de sa maîtresse Pauline de Beaumont, morte de tuberculose à Rome où il était Premier Secrétaire d'Ambassade et dans ses bras, à l'âge de trente-cinq ans, revient sur cette idée des dernières paroles lorsqu'il lit à la mourante une lettre de sa soeur aînée Lucile qui mourra elle-même quelques mois plus tard, âgée de quarante ans :
Sainte-Beuve suggère que c'est à travers Chateaubriand que le cygne est devenu si présent dans la poésie romantique. A.C. évoque le parallèle qu'on trouve dans le Génie du Christianisme entre Virgile (le Cygne de Mantoue) et Racine:
(L'Eurotas est un fleuve du Péloponnèse qui arrose Sparte.)
Pour Chateaubriand lui-même, on a parlé de chant du cygne à propos de son discours de démission de la Chambre des pairs, en Août 1830, après la révolution de Juillet, discours qui lui a tiré des larmes au moment même de le prononcer.
Dans la capture d'écran qui suit, si le premier paragraphe est la coda de ce discours, le paragraphe suivant est le commentaire qu'en fait dans le Journal des débats un lecteur:
Mais si Chateaubriand lance la mode, c'est Lamartine qui sera "le" poète du cygne, omniprésent dans son oeuvre au point d'attirer les moqueries et de lui valoir d'être surnommé "Le cygne de Saint-Point", petite commune de Saone-et-Loire où il possédait un château. Pour rappel, Victor Hugo eut droit à "L'aigle de Besançon".
Petit texte à suivre d'Eugène de Méricourt, surtout connu comme féroce détracteur d'Alexandre Dumas dont il dénonçait les "nègres".
A.C., dans cette oisellerie, en profite pour rappeler que Bossuet était "l'Aigle de meaux" quand on disait parlant de Fénelon, "le Cygne de Cambrai" ...
Parmi les moqueries, mais ici tout à fait sérieuse, le long poème de Tristan Corbière, Le fils de Lamartine et de Graziella, dans son recueil, Les amours jaunes:
À l’île de Procide, où la mer de Sorrente
Scande un flot hexamètre à la fleur d’oranger,
Un Naturel se fait une petite rente
En Graziellant l’Étranger...
L’Étrangère surtout, confite en Lamartine,
Qui paye pour fluer, vers à vers, sur les lieux...
— Du Cygne-de-Saint-Point l’Homme a si bien la mine,
Qu’on croirait qu’il va rendre un vers... harmonieux.
Etc.
Sainte-Beuve se réfère à une phrase de Chateaubriand dans le Génie du Christianisme
pour citer, de Lamartine, Le poète mourant, une pièce des Nouvelles méditations
poétiques.
A.C. lit la phrase de Chateaubriand :
Heureux le favori des muses qui comme le cygne a quitté la terre sans y laisser d'autre
débris et d'autre souvenir que quelques plumes de ses ailes.
La citation de Lamartine : ...
On retrouve dans le même poème, précise A.C., Philomèle, soeur de Procné, violée et la langue coupée par l'époux de celle-ci afin qu'elle ne révèle rien, Philomèle qui sera changée en rossignol (in les Métamorphoses d'Ovide):
(...)
Mais pourquoi chantais-tu ? - Demande à Philomèle
Pourquoi, durant les nuits, sa douce voix se mêle
Au doux bruit des ruisseaux sous l'ombrage roulant !
Je chantais, mes amis, comme l'homme respire,
Comme l'oiseau gémit, comme le vent soupire,
Comme l'eau murmure en coulant.
(...)
Les deux dernières références de la séance seront pour Mallarmé (Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui) et pour l'ironie de Barbey d'Aurevilly, exercée aux dépens de Flaubert :
Après quoi Antoine Compagnon sort sous des applaudissements dont la tradition
me paraît excessive.
Quel est donc l'exploit salué? Un cours soigneusement préparé, avec une compilation
étendue permettant de souligner la prégnance du mythe du chant du cygne, mais sans
dépasser significativement la mise en exergue des textes, un cours honorable
d'information sur l'expression, mais d'information seulement, qui ne fait pas pour autant
"avancer la pensée".
C'est anecdotique, non inintéressant, mais y avait-il là, au fond, de quoi justifier
une séance au Collège de France? Rude question.